Trop lourd, pour que je reste debout, à la surface du monde – ( RC )

gravure sur bois Lynd Ward
Le poids de ma tête est trop lourd
pour que je reste debout,
à la surface du monde.
Je le creuse avec les dents,
la face contre terre,
et il m’arrive de trouver,
quand je dévisse un membre,
mon double, sculpté dans le bois,
par ces racines revêches,
qui ont fini par absorber mon sang.
C’est ainsi que ma vue s’est brouillée,
sans doute à cause de la poussière,
qui, elle aussi encombre mon esprit.
Je ne pense qu’aux temps,
où, trop léger sans doute,
je planais à quelques mètres
au-dessus du sol.
Composé de plusieurs parties
prévues pour s’emboîter,
il a fallu les rassembler.
J’étais à la recherche de la pièce manquante,
qu’on déniche par inadvertance :
un visage à modeler,
qui, maintenant que j’y pense,
offre une certaine ressemblance
à celui qui me fait face et me regarde,
dans le dédale des racines .
Le poids de ma tête est trop lourd :
je ne peux que supposer
que trop d’années l’ont plombée :
le jour se confond avec la nuit,
et je ne peux saisir aucune de ces lueurs,
enfouies dans la terre.
Je ne peux que les imaginer…
car, si j’y voyais encore,
je verrais croître les arbres
se nourrissant de morceaux d’étoiles.
La mienne doit être quelque part,
car un jour je l’ai perdue…
T.S Eliott – le mois le plus cruel

April is the cruellest month,
breeding
Lilacs out of the dead land, mixing
Memory and desire, stirring
Dull roots with spring rain.

Avril est le mois le plus cruel,
Les lilas hors de la terre morte, mélangeant
La mémoire et le désir, en remuant
Les racines inertes avec la pluie de printemps.
TS Elliot
Décapiter les fleurs du jardin – ( RC )

Tu as tenu dans tes bras le bouquet de l’été,
Que le vent tiède a fleuri ,
et lentement , coupées de leurs racines,
les têtes ont fléchi.
Tu as tenu dans tes bras ton ventre arrondi,
que l’amour a fleuri ,
mais éloigné de ses racines ,
ton corps s’est flétri .
Il n’y a eu que sécheresse
et le froid, l’hiver
et la détresse
et la bouche amère.
Il y a un mot pour décrire
celui qui n’a plus de parents
mais il n’y en a pas pour dire
une mère perdant son enfant.
Comment interroger le destin,
quand , fleur après fleur
se perd dans le lointain
la plus petite lueur ?
La mort était-elle dans ton sein
pour qu’ainsi, elle vienne
décapiter les fleurs du jardin
et les priver d’oxygène … ?
–
d’après un texte de Marina Tsvétaieva
RC – août 2016
Ne me dis pas que la terre est infertile – ( RC )
Ne me dis pas que la terre est infertile.
On n’en connaît que la surface,
pas la profondeur.
Il y a des graines qui attendent,
à côté des pierres.
Il y a des galeries souterraines
où l’eau s’engouffre.
Des ossements et des secrets bien enfouis.
Des racines les prolongent
et s’en nourrissent .
Ne me dis pas que la terre est infertile,
les fleurs en sont nées
comme les forêts.
Même blessée elle porte le monde.
N’oublie pas que tu marches dessus.
Gustave Roud – Neige, bataille des anges
peinture: Armand Guillaumin – neige à Crozant
Au-delà des fenêtres, hier,
cette bataille d’anges !
Purs blancheurs par myriades épaissies
noircissaient le ciel de fausses ténèbres:
une ruée silencieuse,
un désarroi de feuilles mortes,
ces corps jusqu’à la vraie nuit précipités
sans fin sur le jardin terrassé ..
Et les voici qui dorment au matin,
lutteurs légers roulés dans leur grande aile
de sel étincelante,
les membres déjà troués de tiges et de fleurs vives,
neige de l’absolu, charnier de givre,
neige des signes
trop tôt descendue,
fondue en pluie grasse
et bue âprement par les racines aux abois.
Edi Shukriu – Au-delà de soi-même
peinture Marsen Hartley
Au-delà de soi-même
Je m’élève de mes ailes au-dessus de moi je plonge
dans les ténèbres de l’enfer
puisant au fond des temps
je me rafraîchis me rassasie de sagesse
tandis que pourrissent les racines
les ronces et buissons demeurent à l’état sauvage
je m’égosille à perdre le souffle, roule de gros yeux.
je m’élève de mes ailes au-dessus de moi
comme si me prenait la folie du temps
Poème du silence
Une vaine pluie tombe au dehors
qui n’augmente ni ne réduit
l’inanité des choses impossibles
de ce bruit monocorde
nulle voix n’émerge ne résonne
maudit silence
c’est à moi que tu en veux.
est-il bien vrai que tout autre univers me demeure interdit
la perte de ce rêve irréalisable
peut aller au diable
au gré de ses tourbillons
la pluie tombe au dehors
et semble noircir le poème du silence.
Edi Shukriu est une auteure de nationalité albanaise
Dyane Léger – faire danser le cœur du monde
peinture Winslow Homer
Dis-moi, toi qui sais tenir le monde dans ta main
sans lui faire mal, sans le faire pleurer,
pourrais-tu m’expliquer, à moi qui suis
à peine capable de transplanter un rosier
sans déchirer ses racines, à moi qui peux
à peine raconter une histoire sans la déformer,
à moi qui ne peux sourire à un vieillard
et à son chien sans les faire fuir,
pourrais-tu me dire comment,
si l’on me le demandait,
comment pourrais-je arriver
à faire danser le cœur du monde
sans lui marcher sur les pieds?
Les yeux des tournesols – ( RC )
montage perso à partir de mise en scène de théâtre ou d’opéra
—
Je ne sais plus ce qu’il faut penser des plantes .
Elles semblent être dans l’attente,
pourtant elles grandissent trop vite,
sans qu’on les y invite.
Vois-tu ce champ de céréales
sous le soleil vertical ?
Il semble secouer des têtes heureuses,
mais peut-être sont-elles vénéneuses…
C’est sans doute par leur couleur,
que se distille le malheur,
qui se glisse en traître,
à travers la palette.
Van Gogh ne nous en dira rien,
au partage des chemins ,
sous un ciel de tempête ,
qui résonna dans sa tête….
Quand je traverse un champ de tournesols,
d’autres oiseaux prennent leur envol :
on en voit plein à la ronde ,
et les fleurs m’observent de leur pupille ronde.
Toute une foule sur plus d’un hectare,
tourne vers moi son regard :
elle se concerte et m’espionne
chaque oeil dans sa corolle jaune .
Ils ont un langage que je ne peux comprendre :
j’imagine déjà leurs murmures se répandre
entre leurs têtes lourdes
comme une musique sourde :
Je vois bien qu’ils se sont détournés de l’horizon,
du soleil et des nuages de coton
pour se pencher de façon perfide
vers moi, ( me croyant stupide ) .
Ils ont dressé un mur végétal,
une sorte d’espace carcéral ,
leurs feuilles rugueuses, des volutes,
s’étalant de minute en minute
resserrant leur étreinte
en formant un labyrinthe
d’où il sera difficile de m’extraire
tant j’ai perdu mes repères…
Je ne vois plus que la poussière et le sol,
– j’aurais dû emporter une boussole,
puisqu’à l’aube d’un désastre
il ne faut plus compter sur les astres
et que l’horizon est bouché – .
Trop de plantes que je ne peux arracher,
trop de racines qui dépassent
et envahissent l’espace.
La foule de ces yeux qui rient
provient de la tapisserie :
et de ce cauchemar , en noir
se détache l’ombre du placard .
Mes rêves se sont enfuis
au plus profond de la nuit :
les tournesols devenus sages en dessins
( répétés à intervalles réguliers sur le papier peint ) .
–
RC – juin 2018
L’ép(r)ouvante – ( RC )
peinture – Frida Kahlo
—
Epouvante,
qu’il pleuve ou qu’il vente,
tu t’échappes des contes pour enfants,
et ris de toutes tes dents:
et si c’était une comptine,
on verrait luire tes canines …
Et encore, l’épouvante , chante
comme la cigale de La Fontaine,
mais trouves avec peine
l’hiver étant venu, ( air connu ),
où se loger dans les arbres dévêtus
que l’on sait trouver fort dépourvus.
Voila qu’elle a caché la lumière,
et qu’elle effraie la bergère,
avec des histoires de loup,
ou à dormir debout :
on peut presque palper la peur,
distinguer au loin le château la Terreur.
Pendant que tes pas s’égarent
tu erres dans les idées noires :
Si les arbres ont perdu leurs feuilles,
l’épouvante a répandu son deuil,
et les racines d’une forêt ingrate,
multiplient les croche-pattes .
La fontaine s’est refermée,
oubliée dans les ronces et l’églantier :
les fées sont capturées
pieds et poings liées
prisonnières
au coeur de l’hiver.
- Les eaux obscures m’ont bu
tu n’en as rien su :
je me suis noyé
dans l’eau glacée :
mes yeux te regardent
et ma peau est blafarde:
elle a pris les couleurs de la cendre
dans le long bain de décembre :
il m’a été ôté la joie :
nous n’irons plus au bois :
j’ai pris pour compagne l’épouvante ,
dans la forêt – – désormais je la hante.
Mais les années s’étant écoulées,
et tu m’as désormais oublié:
tu as délaissé tes terreurs d’enfance :
la vie a pris une autre consistance,
elle t’emmène vers d’autres horizons,
( c’est maintenant une autre chanson ) .
Tu as remisé toutes ces fadaises,
et t’en vas cueillir des fraises :
Cigale, cigale, il te faut rechanter :
les lauriers des bois ont bien repoussé !
la fontaine est garnie de fleurs d’églantiers,
… tu en accroches une sur ton chemisier…
Attention quand même aux épines :
elles sont restées assassines ! ,
voila qu’une fleur de sang grandit sur ta poitrine ,
alors… te revient en tête la comptine :
l’épouvante et la peur de mourir…
( je me rappelle à ton bon souvenir… )
–
RC – mars 2018
Rues d’anciens habitants – ( RC )
On se demandera quelle carte consulter,
ou plutôt, à quelle époque,
et si on peut retourner dans la géographie intime
des rues de la ville .
Il y a d’anciennes inscriptions,
qui cohabitent avec les plaques émaillées
et qui disent d’anciens lieux,
des noms qui n’évoquent pas ceux d’hommes célèbres,
mais l’activité pratiquée, ou ce qui marquait
visuellement l’endroit .
La ville est un continent , dont une part est englouutie
dans les épaisseurs de l’histoire .
On peut revoir des cartes anciennes ,
l’écriture penchée, et appliquée pour les noms,
toucher les vieux papiers ,
ignorant l’aspect plastifié d’aujourd’hui
mais rien ne vaut autant,
que pénétrer plus avant dans son ventre,
là où il serait impossible de se repérer ,
dans le sous-sol , où l’ombre règne.
Ce sont des gouffres qui ont englouti les rues,
dirait-on,
un double du quadrillage aérien,
qui court, à la manière d’une autre ville,
cachée dessous, à l’instar d’un arbre,
où les racines se développent dans l’ombre,
comme les branches, dans l’air.
Ou bien la partie cachée de l’iceberg ,
dévoilant , pour qui en a entrepris l’exploration,
la face inconnue des choses.
Une partie ignorée, et qui peut le demeurer :
tout un dédale de souterrains se développe,
juste sous nos pieds .
Il y a des artères principales ,
des croisements , bifurcations ,
impasses, et cavités,
qu’on prendrait presque pour des boutiques,
( comme celles situées au-dessus de la surface ),
des chapelles, le tout rempli jusqu’à ras-bord,
des ossements d’anciens habitants.
L’imagination aidant, les catacombes
sont le continent du sous-sol .
Il revit peut-être avec ses spectres:
les squelettes se réveillent, et se promènent :
Ils n’ont pas besoin de leurs yeux défunts,
de toute façon inutiles dans l’obscurité totale .
Mais pour ceux qui n’y voient pas ,
on a privilégié le sens du toucher,
et c’est peut-être pour cela , que le nom des rues
reste indiqué, à chaque carrefour,
Avec ces lettres profondément creusées dans la pierre .
–
RC – dec 2017
Jacques Borel – la plaie
Pourquoi es-tu mort, père,
Après m’avoir craché,
Inutile noyau,
Dans cette longue plaie
Qui ne se ferme plus ?
J’ai grandi, arbre d’os,
Dans une combe humide,
Arrachant une à une
A leurs lèvres de soif
Mes ingrates racines,
Mais quel hoquet là-bas,
Quel caillot, quel appel,
Quel cri toujours ouvert !
De ce versant d’adieu,
Je l’entends, agonie
Jalouse sous la terre.
Un corps incarcéré – ( RC )
Et si le corps a son enveloppe,
détaché de la terre,
sans les racines d’un arbre,
pour y puiser l’eau et le feu,
circule à mon insu,
la sève du sang,
le tout en circuit fermé,
mais pas si loin du ciel,
respiré en parcelles,
où pleure la terre brûlée,
le caprice des nuages
et les eaux des anges.
Il y a des cascades,
des venins, des ombrages,
des artères qui se crispent,
des veines qui se lâchent,
et sous l’apparente liberté
d’agir et de penser,
un corps incarcéré.
–
RC – août 2017
Sylvia Mincès – Andante de poussière
photo perso 2017
Un limbe de musique s’unit à ma peau ; cette greffe sonore m’hypnotise,
le temps d’un fa bécarre éternel, pour m’habiller en grain de sable ou de pollen.
Fécondée, je deviens fleur et puis sentir, de toute la couleur
de mes pétales étonnés, ces sarabandes de tierces bleues
qu’éclaboussent des quintes d’or.
Sur mes feuilles, coule un torrent de notes évadées
d’une sonate en rien majeur tandis que mes racines
sourient à des accords aigus, cueillis près d’un clavier
que caressent de fantomatiques églantines.
Je me désintègre alors en atomes d’extase puis me dissous
dans un néant traîtreusement féerique
où les larmes ne sont que sucre la haine froissement de miel.
Marine Laurent – Femme de papier
peinture: Egon Schiele
–
Suis une femme de papier
De celui dont on fait les arbres
Et j’ai puisé à leur aubier
Et mangé leurs feuilles vivantes
Arraché l’écorce du fût
Pour tenir debout à ma table
L’hiver sur du papier glacé
Je laisse mes traces effaçables
La sève qui coule des doigts
Trace des mots sans importance
Je flotte au vent car mes racines
Courent à peine sous le sable
Suis une femme de papier
Qui se froisse à moindre risée
Qui brûle à petite flambe
Dans un foyer désaffecté
Mais si l’oiseau à ma fenêtre
Vient poser une plume blanche
Je sens mes folioles renaître
Et la plante à mon encrier
Je partirai sur une branche
Emportée par nuit sans étoile
Et vous dirai dans mon absence
Ce que j’ai laissé sur la toile.
Paul Vincensini – le dormeur
photo: William Eggleston
Le dormeur atteint par son silence
La clarté la douceur et la durée
Des racines heureuses
Qui ne voyagent qu’en elles
Loin des feuillages infidèles
Des oiseaux criards
Et des couleurs du ciel
« D’herbe noire », 1965.
–
Décapiter les fleurs du jardin – ( RC )
Tu as tenu dans tes bras le bouquet de l’été,
Que le vent tiède a fleuri ,
et lentement , coupées de leurs racines,
les têtes ont fléchi.
Tu as tenu dans tes bras ton ventre arrondi,
que l’amour a fleuri ,
mais éloigné de ses racines ,
ton corps s’est flétri .
Il n’y a eu que sécheresse
et le froid, l’hiver
et la détresse
et la bouche amère.
Il y a un mot pour décrire
celui qui n’a plus de parents
mais il n’y en a pas pour dire
une mère perdant son enfant.
Comment interroger le destin,
quand , fleur après fleur
se perd dans le lointain
la plus petite lueur ?
La mort était-elle dans ton sein
pour qu’ainsi, elle vienne
décapiter les fleurs du jardin
et les priver d’oxygène … ?
–
RC – août 2016
–
en liaison avec « poème à l’orphelin » de M Tsvetaieva
Maurice Henry – la doublure de la nuit
Peinture: P Bonnard – le cabinet de toilette
Tes yeux ce ne sont pas tes yeux mais la doublure de la nuit
tes mains ce ne sont pas tes mains mais une virgule à collerette
tes cuisses ce sont des hélices pour chasser le mal de dents
et tes dents justement c’est un arbre dont les racines tiennent dans leurs mains mes oreilles
Ta chevelure pleut sur mes paupières quand il fait beau
tes pieds de suie fraîche descendent des cintres lorsque j’appelle un taxi
Sur tes ongles poussent se développent et se multiplient des plantes qui sont mes joues
Avec tes rubans tu lies nos étreintes et avec tes genoux c’est mon nez que tu nourris
Tes lèvres ce ne sont pas tes lèvres mais un troupeau de bœufs sur les pâturages de mon sang
——————-
Deux-bout dans le vent – ( RC )
—
Debout dans le vent
Tronc contre tronc,
Deux arbres —
Marient leurs branches,
Echangent sans doute,
Un dialogue que l’on n’entend pas,
Ecorce lisse,
Contre peau rugueuse
Deux espèces,
deux langages cohabitent,
Par leur sève
Racines imbriquées,
Les unes dans les autres.
Ou bien s’agit-il
D’une lutte silencieuse,
A longueur de siècle,
Un seul sortira vainqueur,
Se nourrissant de sa mémoire,
Laissant ce qu’il en demeure,
Aux insectes,
Découpe d’une silhouette
Libre de ses feuilles,
Sculpture éphémère,
Dans un ciel,
Ou l’orage succède à l’azur,
Le jour, à la nuit ( comme il se doit ).
–
RC- août 2015
Jérôme Lhuillier – La pie et le gibet
P Brueghel: La pie et le gibet
–
Autour du portique vide d’un gibet
une pie glousse sur la traverse
des paysans ameutés par un joueur
de cornemuse dansent une joyeuse
Ronde et des Privatdozenten dagues
à la ceinture regardent la cigogne
Une croix de bois déjetée s’accroche
à ce coteau un crâne de bœuf
en ronge la glaise entre les ramages
le cours sinueux d’un fleuve porte
Une eau verte qui finit de jaunir
à son embouchure loin une cité
liquéfaction de trésor Bruegel
Le peintre a choisi un homme
qui chie courbé entre des racines
au départ de l’oblique majeure
de son tableau Grand Testament
Tout gravite sur l’immobile – ( RC )
voir article de « la montagne »
—-
Chaque ville a ses particularités..
Là, tout gravite sur l’immobile,
Derrière des rubans noirs et argentés,
Un échantillonnage complet d’urnes en file.
Ambiance propice à la concurrence entre deuils,
Chacun vante la qualité des cercueils,
juxtaposés sur les rayonnages,
quelquefois empilés, faute de place à l’étalage.
Leur confort capitonné, – bien tentant
Le choix des étoffes, allant du cru :
– des couleurs intenses pour ceux qui ont vécu ..
(- plus tendres pour les enfants)…
Et la place de s’y glisser,
sans être à l’étroit…
L’ergonomie étudiée:
Le tout doit être de choix :
Angles subtilement vernis ;
Des bois veinés, les meilleurs
Des poignées aux formes arrondies …
Un look confié aux meilleurs designers…
Certaines de ces boîtes allongées,
possèdent une fenêtre arrondie,telle
qu’au verre biseauté,
l’écho de la lueur des chandelles…
On peut y voir à travers
le visage du défunt ; vérifier sa présence
C’est un dernier témoin d’existence
avant qu’il n’occupe son dernier univers :
Un sombre caveau, bien ordonné
encadré d’allées gravillonnées,
et au dessus duquel prolifèrent
couronnes , bouquets et objets divers…:
Les plaques aux regrets sincères,
des signes affirmés d’appartenance religieuse
– ( cocher la version pieuse ) …
> Les boules de verre
où une rose en plastique
est maintenue prisonnière,
et brille sur la pierre,
à la gravure emphatique.
Ou bien ( selon les deniers ) ,
marquant la dernière volonté,
le granite luisant, où se reflètent,
des cyprès, les crètes…
Les boutiques rivalisant d’ingéniosité,
Proposent aussi des produits recyclés,
( ayant accompagné d’autres vies )
– avec un souci affiché d’écologie –
Les cercueils les plus innovants,
comportent toutes options pouvant,
joindre la fantaisie et l’imaginable
un peu comme les voitures ( climatisables) :
Les dispositifs d’aération
– télécommandés -,( mais sur option )
Le diffuseur « parfum subtil »;
Les roulettes rétractiles,
Les suspensions hydrauliques,
Le profil aérodynamique,
Avec parfois des tiroirs,
Pour les petits objets de la mémoire…
On peut y glisser des voeux,
Ou des piécettes, facilitant,
c’est sûr, le passage élégant
vers un au-delà heureux…
Toute métempsychose souhaitée,
Peut faire l’objet d’une médaille animalière,
Que l’on dispose sur la bière,
dans un emplacement réservé ,
généralement sur un côté vertical…
C’est dire que l’on n’oublie aucun détail,
chacun exerçant ses prières,
– et réservant son suaire…
Le décès est vécu comme une promesse,
Et on quitte la vie avec allégresse ;
et puis … pour ces circonstances;
On ne regarde pas à la dépense.
La mort ainsi mise en scène,
En vaut toujours la peine:
pour ces actions souterraines,
c’est pour l’éternité ( quand même ! )…
On ne va pas se faire prier
Pour se faire enterrer…
quel est votre avis ?
( ça n’arrive qu’une fois dans sa vie ! )
– enfin justement quand elle n’est plus là –
ce que l’on nomme le trépas
après une durée assassine…
ce qu’il faut pour alimenter les racines
et laisser le temps,
faire que les petits enfants,
n’aient plus qu’en tête,
de devenir un jour squelette…
( se rappelant un jour les ancêtres,
dont l’âme flottante, peut-être ,
veille sur le petit quadrilatère,
de location, au cimetière ).
–
RC
( si ça vous inspire )…
je n’ai pas dit vous expire, notez bien…
Quelques indices de notre cécité – ( RC )
–
C’est être debout sur le sol,
Regarder l’herbe ployer sous le vent,
Ecouter le bruit froissé
Des feuilles du marronnier,
Fatiguées de l’été,
Et dont la rouille
Sous les pas, roule….
Ainsi, le cours des choses,
Lié aux saisons …
Mais s’arrêtent-elles,
Là où se porte le regard ?
Le chant de la sève est silencieux,
Qu’elle se recroqueville dans le froid,
Ou au printemps, éclate de joie…
Sous le sol tout existe autrement.
Les rongeurs creusent leur univers,
Les graines attendent le bon moment
Pour bondir à l’air libre,
Et des racines traîtresses
Etendent leur complot de trame,
Comme si elles avaient le pouvoir
D’étendre leurs yeux ,
Au plus obscur de l’espace,
Perçant la densité de terre,
Jusque sous nos pieds,
– Et nous n’en savons rien – ,
Comme si une vie souterraine,
Se poursuivait à l’abri de l’air,
Une lutte infinitésimale,
Conjugaison de bactéries,
Radicelles, et alchimie de bois :
Quelques indices de notre cécité.
–
RC août 2015
Être et arbre – ( RC )
Tu voles de branche en branche,
Dans ton mouvement, secouant la rosée,
Accrochée sur les feuilles.
Je veux te rejoindre.
Tu n’es pas si loin .
Je fais quelques pas dans le jardin .
Je suis sous l’arbre où tu t’es assise.
Celui-ci est couvert de mousse.
Je m’appuie dessus, et ma main s’enfonce,
Elle disparaît.
Le tronc m’appelle ainsi.
Mon bras suit la main.
Plus loin.
Comme si une porte s’ouvrait.
Jusqu’alors dérobée au regard humain.
J’y entre tout entier.
La porte se referme,
Je n’y vois plus rien.
Juste quelques rais de lumière
Passant dans les fentes du bois.
Il se passe quelques heures,
Il y fait humide et chaud.
J’y suis bien.
Je n’entends plus ta voix.
J’ai dû tomber dans un profond sommeil.
Je me réveille.
Je veux bouger.
Ce n’est pas la peine …
Toute une série de fibres m’enserre,
Me relie à l’intérieur.
De mon corps des excroissances
Venues des épaules, de mes doigts,
Font corps avec le creux que j’habite.
Mes cheveux se sont fondus
Dans une écorce intérieure moelleuse.
Je ne cherche pas à me débattre,
A retourner d’où je viens.
D’abord je ne le pourrais pas.
Je m’habitue à d’autres sens,
D’autres sensations,
Et celle toute particulière,
Du sang, remplacé peu à peu
Par la sève, qui me traverse.
Elle monte en moi,
Par les racines,
Que j’arrive à situer…
Mieux… à sentir
Une sève légèrement amère et sucrée,
Fluide, très fluide…
D’instinct je sais la distribuer,
Identifier les branches,
Le poids du feuillage,
Et d’où vient le vent.
Tu es assise assez loin du sol.
Tu as ta place favorite.
De temps en temps tu t’envoles,
Mais reviens me rendre visite.
Tu sais que mes mains sont larges,
Et que je t’attends.
–
RC – oct 2014
–
Arthur Haulot – Dérives du sang
DERIVES DU SANG
Je suis, dit l’homme, comme un volcan en marche
J’ai dans mon ventre le feu grondant de la terre
Mes jambes ont la force du basalte et du granit
Dans mes veines rougeoient les futurs incendies
Avec le cri des hibiscus perchés aux plis de mes oreilles
Des forêts se déploient de mes épaules à mes reins
Mes bras ont la lente puissance du fleuve qui coule en deçà des monts
et mes yeux sont perçants comme l’éclair d’orage
Ma poitrine s’élève et s’abaisse avec le vent
Avec les nuages du matin, avec le battement d’ailes des aigles au départ
J’ai des milliers de truites dans le sang de mes veines
et des appels d’oiseaux parcourent sans arrêt les branches de mes mains
Mais c’est au creux le plus profond de mon épaule mâle
là où se nouent les racines de l’être et de la mort
que brûle l’intransigeant désir de ton corps de femme
C’est de là que jaillit
avec la force délectable irraisonnée des catastrophes
cette lave d’amour dont j’inonde ton cœur
ce feu liquide à ravager ta chair
pour qu’éclate la fulgurante floraison de ta salive
où roulent des millions d’étoiles.
Pierre Bergounioux – L’orphelin ( petit extrait )
Rassasié d’une vie – ( RC )
-art – enluminure médiévale: La Hague, MMW, 10 A 11, detail of fol. 320r (‘Souls ascending to Janus and Terminus, who are holding the world; souls descending to hell’). , La Cité de Dieu Translation from the Latin by Raoul de Presles. Paris; c. 1475
La tête est venue
La première…
Et l’extérieur tout d’un coup
Se projette au -dedans
Envahit les poumons ,
Le premier jour d’un cri,
C’était naissance,
Ce jour là ,
Et la tête la première,
Arrivée au monde, – lourde.
> Les corps usés, inversement ,
Le dernier jour, de cri,
Voient les âmes s’échapper,
Du monde, …. légères .
– On ne sait où,
Personne ne peut les suivre,
Ni ici, ni sur terre
Ou ailleurs, si elles se rassemblent ,
Ou reviennent,
Redistribuées à d’autres,
Si leur souffle se transmet,
Par les ondes,
Ou les racines,
Et sous d’autres formes.
Figures passagères,
Locataires des corps,
Rassasiés d’une vie,
Qui peut recommencer ,
Au sortir de la nuit.
–
RC – avril 2014
Billie Holiday – Strange fruits
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C’est bien sûr la superbe chanson interprétée par Billie Holiday… une composition d’Abel Meeropol, dont l’interprétation est synonyme de la voix de Billie ( et emblématique d’une certaine forme de racisme, et de dénonciation de la condition des esclaves )
et dont il existe un équivalent, par la voix de John Martyn

pochette de l’album de john Martyn, ce titre fait partie du CD dans » a church with one bell »
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Strange Fruit
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Southern trees bear strange fruit
Blood on the leaves
Blood at the root
Black bodies swinging in the southern breeze
Strange fruit hanging from the poplar trees.
Pastoral scene of the gallant south
The bulging eyes and the twisted mouth
The scent of magnolia sweet and fresh
Then the sudden smell of burning flesh
Here is a fruit for the crows to pluck
for the rain to gather
for the wind to suck
for the sun to rot
for the tree to drop
Here is a strange and bitter crop
Composed by Abel Meeropol
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Les arbres du Sud portent un étrange fruit
Du sang sur leurs feuilles et du sang aux racines
Un corps noir se balançant dans la brise du Sud
Un fruit étrange suspendu aux peupliers
Scène pastorale du vaillant Sud
Les yeux exorbités et la bouche tordue
Parfum du magnolia doux et frais
Puis la soudaine odeur de chair brûlée.
Fruit à déchiqueter pour les corbeaux,
Pour la pluie à récolter, pour le vent à assécher
Pour le soleil à mûrir, pour les arbres à perdre,
Etrange et amère récolte !
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Strange Fruit (Fruit Etrange ) Chanson composée en 1946
par Abel Meeropol afin de dénoncer les Necktie Party ( pendaisons )
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