voir l'art autrement – en relation avec les textes

Articles tagués “Raymond Queneau

Raymond Queneau – leçon de choses


Venez, poussins
asseyez-vous
je vais vous instruire
sur l’œuf
dont tous
vous venez, poussins

L’œuf est rond
mais pas tout à fait
Il serait plutôt
ovoïde
avec une carapace
Et vous en venez tous, poussins

Il est blanc
pour votre race
crème ou même orangé
avec parfois collé
un brin de paille mais ça
c’est un supplément

A l’intérieur il y a
Mais pour y voir faut le casser
et alors d’où – vous, poussins – sortiriez ?

Raymond QUENEAU « Le Chien à la mandoline » (Gallimard)


Raymond Queneau – Les chaussettes –


Sara Larose Kane – My socks never match




A cheval sur sa motocyclette 
le fermier va s’acheter 
une paire de chaussettes 
au marché

Le gars Thomas le gars Léon 
le gars Gaspard le gars Gaston 
arrivent aussi sur leurs motocyclettes 
pour faire des emplettes

à table qu’il fait bon boire 
et casser une petite graine 
on peut même entamer une manille
            coinchée

les forains plient bagages 
emportant leurs assiettes
leur pacotille leurs étalages
et leurs paires de chaussettes 

à cheval sur sa motocyclette
le fermier revient du marché
fredonnant une chansonnette 
    nus pieds


Courir les rues

Battre la campagne

Fendre les flots

nrf Poésie Gallimard


Raymond Queneau – L’ouverture –


Gaston Phébus – Le livre de chasse –
Sang fumée ce sont les chasseurs 
qui jouent du cor, de l’arbalète 
autour d’eux sont les corps morts 
               de bêtes

d’animaux qui jouaient et mangeaient 
dans les taillis dans la luzerne 
et qui point ne se doutaient 
               de la giberne

adieu la vie adieu l’amour 
le gibier gît devant les gîtes 
des reîtres et des pandours 
               cyniques

oiseaux oiseaux que je déplore 
tout ce mal qui vous assiège 
ces gens qui veulent la mort 
               de vos arpèges

lièvres dansant dans la rosée 
biches bramant au fond des bois 
la guerre vous est déclarée 
              au mois

de septembre




Courir les rues

Battre la campagne

Fendre les flots

nrf Poésie Gallimard


Raymond Queneau – mouches


dessin enfant mouche
dessins 1985 2008 Leonardo- Ericailcane

Les mouches d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes que les mouches d’autrefois

elles sont moins gaies plus lourdes, plus majestueuses, plus graves

plus conscientes de leur rareté elles se savent menacées de génocide


Dans mon enfance elles allaient se coller joyeusement par centaines,

par milliers peut-être sur du papier fait pour les tuer

elles allaient s’enfermer par centaines, par milliers peut-être

dans des bouteilles de forme spéciale elles patinaient, piétinaient,

trépassaient par centaines, par milliers

peut-être elles foisonnaient elles vivaient

Maintenant elles surveillent leur démarche

les mouches d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes que les mouches d’autrefois.


Raymond Queneau – Ce soir, si j’écrivais un poème ?


PAUL KLEE – Poisson cloporte

Ce soir
si j’écrivais un poème
pour la postérité ?

fichtre
la belle idée

Je me sens sûr de moi
j’y vas
et

à
la
postérité
j’y dis merde et remerde
et reremerde
drôlement feintée
la postérité
qui attendais son poème

ah mais !

L’instant fatal

nrf

Poésie Gallimard


Raymond Queneau – Gustatif


decoration-murale-porte-cles-porte-manteaux-autobus-scene-de-vie-sculpture-haitienne-originale-en-fer-decoupe-et-peinte-de-croix-des-bouquets-haiti--(

Sculpture Haïtienne En Fer Découpé et peinte De Croix-Des-Bouquets

 

Cet autobus avait un certain goût. Curieux mais incontestable. Tous les autobus
n’ont pas le même goût. Ça se dit, mais c’est vrai. Suffit d’en faire l’expérience. Celui-là
—    un S, pour ne rien cacher — avait une petite saveur de cacahouète grillée je ne vous dis que ça.

La plateforme avait son fumet spécial, de la cacahouète

non seulement grillée
mais encore piétinée.
A un mètre soixante au-dessus du tremplin, une gourmande,
mais il ne s’en trouvait pas, aurait pu lécher quelque chose d’un peu suret qui était
un cou d’homme dans sa trentaine.
Et à vingt centimètres encore au-dessus, il se présentait au palais exercé la rare dégustation d’un galon tressé un peu cacaoté.
Nous détâmes ensuite le chouigne-geume de la dispute, les châtaignes de l’irritation,
les raisins de la colère et les grappes d’amertume.
Deux heures plus tard nous eûmes droit au dessert : un bouton de pardessus…
une vraie noisette…

Raymond QUENEAU

« Exercices de Style » (Gallimard)