Chassés de l’humanité – ( RC )
sculpture : ancienne statue sumérienne
Il n’y a plus aucune place
laissée à ce que l’on connaît,
mais seulement une nature plane .
Si c’est de l’eau, aucune île ne sert de repère,
Nous avons été chassés de l’humanité,
et l’océan est encore sanglant
de toutes les peines :
une patrie sans porte ni horizon ,
esclaves des frontières effacées ,
avec quelques glaces flottantes:
celles d’une géométrie funéraire,
ne marquant même pas l’emplacement des tombes…
les tempêtes peuvent se déchaîner :
rien n’est prévisible dans le feu blanc :
la terre a sombré corps et âmes
sous les bombes et ouragans ,
et il n’y aura personne pour décrire encore
les paysages spectraux,
immobiles comme les yeux fixes,
des dieux aux regards gelés.
–
RC – dec 2018
Marina Tsvetaiëva – combien de tristesse noire gronde sous mes cheveux clairs
Si vous saviez, passants, attirés
Par d’autres regards charmants
Que le mien, que de feu j’ai brûlé,
Que de vie j’ai vécu pour rien,
Que d’ardeur, que de fougue donnée
Pour une ombre soudaine ou un bruit…
Et mon cœur, vainement enflammé,
Dépeuplé, retombant en cendres.
ô, les trains s’envolant dans la nuit
Qui emportent nos rêves de gare…
Sauriez-vous tout cela, même alors,
Je le sais, vous ne pourriez savoir
Pourquoi ma parole est si brusque
Dans l’éternelle fumée de cigarette
Et combien de tristesse noire
Gronde sous mes cheveux clairs.
Koktebel, 17 mai 1913
Marcel Olscamp – Amants perdus
Amants perdus
Ils vont
marchant contre leur cœur
cherchant l’épaule
qui reprendra leur main
Ils veulent
serrer contre leur corps
la paume d’une étoile
le rouge de la nuit
Mais il faut
écraser nos regards
sous l’ongle de la lune
sous l’ombre de leur lit
Marcel Olscamp, Les grands dimanches
Carles Duarte – l’abîme
L’Abîme
Au-delà de la mer
– je peux sentir son vertige -,
il y a un abîme.
J’abrite mes regards
derrière mes paupières fatiguées.
Tandis que j’observe les vagues,
j’écoute le corps,
sa routine incessante
chaque fois que je respire.
Je suis ressorti dans la rue.
Je tente en vain d’y retrouver des images.
Je n’y reconnais pas cet enfant blond,
ni la cour pleine de lumière.
Il me reste, pourtant, des miettes bleues
et les visages des mes parents que j’imagine.
Je m’assieds sur le sable
pour refaire les châteaux d’autrefois,
pour me rappeler.
Au-delà de la porte de l’air,
de la lumière primordiale de cet après-midi,
d’une joie que je regrette,
l’océan transparent de l’oubli
me détruit.
Colette Fournier – Je te regarde
peinture: P Bonnard Coin de salle à manger au Cannet, 1932 ( détail) Musée d’Orsay
–
Michel Leiris – La néréide de la mer rouge
Le soleil qui se lève chaque matin à l’est
et plonge tous les soirs à l’ouest
sous le drap bien tiré de l’horizon
poursuit son destin circulaire
cadre doré enchâssant le miroir où tremblent les reflets
d’hommes et de femmes jetés sur une ombre de terre
par l’ombre d’une main qui singe la puissance
D’occident en orient un voyageur marchait serrant
de très près l’équateur et remontant en sens inverse la trajectoire solaire
Ses regards agrippés aux forêts peignaient
leurs sombres chevelures et ses mains balancées
selon le mouvement de ses pieds caressaient
les lueurs à rebrousse-poils comme s’il avait entrepris
de forcer le cours de son destin d’heure en heure
et de jour en jour en le prenant à contre-sens
De lieu en lieu la nuit oisive le suivait
Au bruit de ses pensées il la faisait danser
ainsi que font les montreurs d’ours et quand la bête lasse
se couchait hissée sur la boule du monde
c’était l’aurore qui se montra nudité fine étincelante et blanche
-Michel LEIRIS « La néréide de la mer rouge (Gallimard)
- c’est visiblement un extrait ( que j’ai déniché dans une revue)… il semble qu’il y ait une version plus complète, dont celle, visible ici.
Andreas Altmann – visite
–
La mémoire, quand elle renonce
à un souvenir l’un après l’autre,
devient aveugle à ses propres paroles.
Dans des pièces vides, en tâtonnant
le mur, qui te saisit les mains,
au-dessus des portes que tu n’ouvres pas,
tu avances vers la fenêtre. Des regards,sombres
ou clairs, cèdent la place aux yeux.
A partir de bruits, la voix se façonne
qui ne franchira pas le seuil du
silence. Encore une fois tu marches,
sans toucher le sol, à travers la maison.
la lumière a découpé des ombres
pour lesquelles, ici, il n’y a aucune explication.
Tu grattes profondément les extrémités de tes doigts
quelqu’un te suit, les bras
croisés, avec ce regard en biais. tu demandes
à rester plus longtemps. devant le porche,
une auto attend. Son moteur démarre.
besuch
das gedächtnis, wenn es eine
nach der anderen erinnerung aufgibt,
erblindet an seinen worten.
in leeren räumen tastest du dich
an der wand, die deine hände ergreift,
über türen, die du nicht öffnest,
ans fenster. blicke, die dunkel
die hell sind, weichen den augen.
an geräuschen formt sich die stimme,
die nicht über das schweigen hinaus
kommt. noch einmal gehst du
mit bodenlosen schritten durchs haus.
licht hat schatten herausgeschnitten,
für die es hier keinen grund gibt.
du kratzt an den rändern die finger auf.
jemand folgt dir verschränkt
mit den armen, dem blick. du bittest,
noch länger zu bleiben. vor dem tor
wartet das auto. der motor springt an.
–
Andreas Altmann
© Rimbaud Verlag
Une image, sur le papier glacé – ( RC )
montage Antonio Chiesa – photomosaïque faite à partir de couvertures du magazine Vanity Fair
–
Sur les affiches qui la miment,
Il y a de l’image, fabriquée :
La soif de la mondanité,
Ce qui fait la modernité :
une chevelure platine,
Un symbole, reflet de rayons d’or …
Elle se donne aux regards,
Comme on donne en pâture aux fauves,
Celle que l’on sacrifie, aux enjeux de pouvoir .
Colportant cet aspect ,
Larmes dissimulées
Derrière l’artifice,
Fard en avant,
Sous la cruauté ses sun-lights.
Ils font du modèle la proie,
Et ne la lâchent pas :
Un statut qui se paie,
Avec la soumission — ;
Il faut souffrir pour être belle – dit-on –
Et se conformer,
à ce qu’on attend d’elle :
La pose et le regard,
gomme, sur l’autel de la célébrité,
toute personnalité…
si on confond l’être,
avec l’image imprimée,
à plat, sur le papier glacé.
–
RC- avr 2015
( en liaison avec le texte de PP Pasolini » Marylin », qui m’a servi de point de départ )
Tu n’as pas parcouru l’arc de tes rêves ( RC )
Non, tu n'as pas parcouru L'arc de tes rêves De tes paupières entr'ouvertes Et la nuit, était peut-être le jour Où se dessinait le pont des regards. Tu ne l'as pas parcouru, Puisque le rêve n'en était pas, Et que, voulait se dire A travers l'écriture du cœur Qui n'est pas d'encre bleue, L'écho de ton âme, Attachée à son sourire, Et l'ombre de ses pas. Mais la matière même, Et l'éclat du regard, L'odeur de sa peau, Dont tu t'es vêtue, A imaginer confondre tes lignes Avec celles de sa vie, Comme l'histoire peut se dessiner, Et cristalliser rêves en réalité. RC - 6 juillet 2013 - en relation avec "my Dream" de Colette Fournier
Figures rougies du musée de cire ( RC )

Kate & William au musée Mme Tussaud de New York
–
Les figures rougies
Du musée de cire
En habits d’époque
Transpirent de drame
Comme des bougies
Portées de souvenirs
Et de soliloques
Ramollies aux flammes
Les regards humides
Des célébrités
Aux sourires figés
En bal costumé
N’échangent que du vide
Pour l’éternité,
— Présence obligée,
…. salons enfumés.
Ministres et présidents,
Gouvernants du monde
Côtoient tous, en vrac,
Stars et gens d’église…
Ramollissent lentement
Aussi bien ils fondent,
Se retrouvent en flaques
Sur la moquette grise.
–
RC – 27 décembre 2012
–
la dame à la baguette (RC )

gravure-collage: Max Ernst
–
Il y a toujours
Sur les billets de banque
Des portraits de héros
Sauveurs des nations,
Des princes et des savants
Et quelques faits marquants
Partagés en histoire ,
Légendes du pays.
Et pourquoi pas bientôt
De super- héros
Ceux des bandes dessinées
Les Mandrakes et hommes araignée
Qui nous serviraient
De papier monnaie…
—
Il y a quelquefois
Dans les livres d’images
Des dames en corsage
Qui mènent à la baguette
Des pensées sauvages
Pas celles qui sont en pot…
Des belles plantes
Le regard pas sage
Le masque coquillage
Au milieu des cascades
Qui vous portent des regards
Légèrement entr’ouverts
A vous inviter
A découper les pages
–
RC – 2 octobre 2012
Jean Daive – ombres
Franchis cheveux, nuques, regards. Franchis cerveau comme astre de l’esprit habité.
Le long d’une eau vertébrale, je glissai traversé d’ombres.
Jean Daive
in » 1, 2 de la série non aperçue «
Guillevic – Elégie
–
–
Élégie
—
Je t’ai cherchée
Dans tous les regards
Et dans l’absence des regards,
Dans toutes les robes, dans le vent,
Dans toutes les eux qui se sont gardées,
Dans le frôlement des mains,
Dans les couleurs des couchants,
Dans les mêmes violettes,
Dans les ombres sous les hêtres,
Dans mes moments qui ne servaient à rien,
Dans le temps possédé,
Dans l’horreur d’être là,
Dans l’espoir toujours
Que rien n’est sans toi,
Dans la terre qui monte
Pour le baiser définitif,
Dans un tremblement
Où ce n’est pas vrai que tu n’y es pas.
Guillevic (« Sphère » – éditions Gallimard, 1963)
–
Fernand Verhesen – Altéré d’herbe

peinture: Nicolas de Staël
Altéré d’herbe
–
Altéré d’herbe aux épargnes du large, je renais voilier sur les bords d’aucun monde.
Solitude dans le matin dortoir des immensités.
Espace où se fonde l’errance, et de quelques îles rêvées se lève un vain désir d’ambre. Lourde patience de l’eau qu’effleure une étoile de sel.
Route des eaux due aux origines, retour de ce qui fut un jour
. Toute l’ombre de la terre n’est que léger envol d’écume.
L’oreille veille solidaire d’un écho.
Seul, le silence à haute voix de la mer se mêle au passage du vent.
La nudité sans rives.
De lointains regards parcourent en moi la plus longue lumière.
Fernand VERHESEN « Franchir la nuit »
(Le Cormier)
Federico Garcia-Lorca – Désir
Rien que ton coeur brûlant,
Rien d’autre.
Mon paradis: un champ
Sans rossignols
Ni lyres,
Avec une fontaine
Et un filet d’eau vive.
Pas de vent qui éperonne
Les frondaisons
Ni d’étoile qui veuille
Se faire feuille.
Un jour immense
Y serait
Le ver luisant
D’un autre jour
Dans un champ de
Regards brisés.
Lumineux repos
Où tous nos baisers,
Grains de beauté sonores
De l’écho,
Iraient là-bas éclore.
Et ton coeur brûlant,
Rien d’autre.
(Federico Garcia Lorca)