Robert Vigneau – la laitue

La laitue ouvre des ailes
Qui ne veulent pas voler
Même bien débarbouillées
De leur terre originelle.
On la met dans un panier,
On la secoue vers le ciel
À grands élans aviateurs.
Elle a si peur quelle pleure.
Alors on a la pitié :
On la blottit de bonheur
Dans le nid d’un saladier.
Et quand on veut la tourner
Tu découvres quoi? une aile
Soudain prise de regret
Qui s’envole en sauterelle
Sur la nappe du dîner.
Béatrice Douvre – Gravitation
croix de chemin en Gévaudan ( Besseyre )
Sous le grand âge du printemps
L’eau sourd en gouttes de regret
Des bouquets sonores exultent
Poudroyant
Mais la demeure saigne
Et sa fissure
Nous avions construit ici notre logis
Sur un escarpement de pierres heureuses
La campagne est mouillée de sevrage
La voix nuptiale empruntée aux pierres
Heure boisée qu’excède l’amour
Tu innocentes ta trouvaille d’enfant
Tu gis sur le chemin trempé
Et de pluie tu défailles
Maintenant brillent d’obscures larmes
Tu acceptes la peur immaculée de vivre
L’aube étincelle dans l’herbe des vigueurs
Souffle mûr mêlé du sang des hommes
Tu marchais réinventant le pas du sol comme une soif
Dans le vent neuf Je te regarde tu courais
Geste habité du vœu de naître
Auprès des croix
Qui font parfois les pierres profondes
Moment cendré de l’étendue
Chancelant
Et notre pauvreté nous vient d’un même exil
Dans le temps
Grandir a dissipé le seul voyage
Entre l’arbre et le seuil
Entre nos mains
Désormais c’est l’herbe qui nous dure
Sa cécité très douce à nos pas retranchés
Bernat Manciet – Je tiens dans les doigts ces quelques grains encore
vase grec lekythos Pâris & Hélène
XVIII
Je tiens dans les doigts ces quelques grains encore
et de mon pouce naît ce psaume
rare éclaircie de ma journée
mon été tient dans cette paume
je les regarde sans étonnement
et sans plaisir et sans raisonnement
sans nul regret :
ils sont ce qu’ils sont la nuit arrive sérieuse et calme
pourtant je te les donne
pour l’amour du jeune malade
qui m’a guéri d’être un homme accompli
et qui ressemble tellement à ton sommeil
pour le dédain qu’au soir tombant je porte
et pour la honte aussi d’avoir aimé
Ahmed Mehaoudi – Si Proust n’avait pas écrit « à la recherche du temps perdu.
Louis Aragon – tant que j’aurai le pouvoir de frémir
–
Tant que j’aurai le pouvoir de frémir
Et sentirai le souffle de la vie
Jusqu’en sa menace
Tant que le mal m’astreindra de gémir
Tant que j’aurai mon cœur et ma folie
Ma vieille carcasse
Tant que j’aurai le froid et la sueur
Tant que ma main l’essuiera sur mon front
Comme du salpêtre
Tant que mes yeux suivront une lueur
Tant que mes pieds meurtris ne porteront
Jusqu’à la fenêtre
Quand ma nuit serait un long cauchemar
L’angoisse du jour sans rémission
Même une seconde
Avec la douleur pour seul étendard
Sans rien espérer les désertions
Ni la fin du monde
Quand je ne pourrais veiller ni dormir
Ni battre les murs quand je ne pourrais
Plus être moi-même
Penser ni rêver ni me souvenir
Ni départager la peur du regret
Les mots du blasphème
Ni battre les murs ni rompre ma tête
Ni briser mes bras ni crever les cieux
Que cela finisse
Que l’homme triomphe enfin de la bête
Que l’âme à jamais survivre à ses yeux
Et le cri jaillisse
Je resterai le sujet du bonheur
Se consumer pour la flamme au brasier
C’est l’apothéose
Je resterai fidèle à mon seigneur
La rose naît du mal qu’a le rosier
Mais elle est la rose
Déchirez ma chair partagez mon corps
Qu’y verrez-vous sinon le paradis
Elsa ma lumière
Vous l’y trouverez comme un chant d’aurore
Comme un jeune monde encore au lundi
Sa douceur première
Fouillez fouillez bien le fond des blessures
Disséquez les nerfs et craquez les os
Comme des noix tendres
Une seule chose une seule chose est sûre
Comme l’eau profonde au pied des roseaux
Le feu sous la cendre
Vous y trouverez le bonheur du jour
Le parfum nouveau des premiers lilas
La source et la rive
Vous y trouverez Elsa mon amour
Vous y trouverez son air et sont pas
Elsa mon eau vive
Vous retrouverez dans mon sang ses pleurs
Vous retrouverez dans mon chant sa voix
Ses yeux dans mes veines
Et tout l’avenir de l’homme et des fleurs
Toute la tendresse et toute la joie
Et toutes les peines
Tout ce qui confond d’un même soupir
Plaisir et douleur aux doigts des amants
Comme dans leur bouche
Et qui fait pareil au tourment le pire
C’est chose en eux cet étonnement
Quand l’autre vous touche
Égrenez le fruit la grenade mûre
Égrenez ce cœur à la fin calmé
De toute ses plaintes
Il n’en restera qu’un nom sur le mur
Et sous le portrait de la bien-aimée
Mes paroles peintes
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Le roman inachevé,
Poésie / Gallimard.
Patrick Laupin – Portes infinies du regret

peinture- pastel – Odilon Redon
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Portes infinies du regret
portes infinies du regret
portes minuscules
aimées parcourues
jamais connues
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Marie Bauthias – Bleu sur bleu
Découverte dans l’exploration des nombreuses parutions des « révélations poétiques de chez amicalien », voila une nouvelle parution de textes de Marie Bauthias, que l’on peut trouver – avec d’autres, ici ( la poésie comme théorème premier)
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Bleu sur bleu. La mer dans le regret de l’aube. Plaie sans nom et lointaine. Offerte.
niveau de ronces où de terre
de miel le sang se panse de
milles traces. Par elles le jour aime. A fendre l’œil.
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C’était un carré bleu. A plat sur le mur qui prenait quand il le
voulait figure de haute mer. De plus en plus. On lissait chaque jour ses bords. II bougeait.
C’est certain. Comme les fables dans la nuit de l’homme bougent.
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