Sandro Penna – De retour à la mer de mes vingt ans –

De retour à la mer de mes vingt ans, au soir, je traversai les boulevards tièdes et je cherchais mes compagnons d’antan… Je humais comme un loup déchainé l’ombre chaude des maisons. Un parfum vide et ancien me chassait vers la plage grande ouverte sur la mer. Pour y trouver l’amertume la plus claire et mon ombre lunaire, figée sur ce parfum d’antan. *
Quando tornai al mare di una volta, nella sera fra i caldi viali ricercavo i compagni di allora… Come un lupo impazzito odoravo la calda ombra fra le case. L’odore antico e vuoto mi cacciava all’ampia spiaggia sul mare aperto. Lì trovavo l’amarezza più chiara e la mia ombra lunare ferma su l’antico odore. *
Sandro Penna
Poésie/Poèmes
(1973)
traduit de l’italien par
Pierre Lepori
Editions d’en bas
Passagers de la nuit – (Susanne Dereve)

La nuit dérivait lentement
pas une nuit d’argile ni de mousse
ni de la froide clarté des constellations de Juillet
ni de l’ombre des pins , noire , où balançait le vent
ni du roulement des vagues ou de celui du temps
perdu , éperdu , amassé
– telles ces piécettes d’or miroitant
sous l’eau des fontaines –
Une nuit d’étreintes et de baisers
du lourd parfum des pluies d’été
saturé d’humus et de braise
– sait-on jamais ce que pèse
le poids des mots et des regrets –
La lune s’était levée ,
paupières closes , lèvres scellées ,
et ses lançons d’argent vibraient sur l’eau
épousant le flot incertain du courant ,
la gravant en nous comme un sceau
Passagers de la nuit arpentant les étoiles ,
nous étions deux amants …
Une poignée de pétales – ( RC )
Si je dois revenir en ces lieux,
désertés de l’espoir
que trouverais-je ?
L’escalier du perron
envahi par le lierre,
la rambarde mangée de rouille,
et les souvenirs écornés .
Seul, le rosier demeure.
Dans mes pensées, il fleurit encore.
En cette saison, je pense trouver
sur les marches
une poignée de pétales
éparpillés.
J’en garderai quelques uns,
que je t’enverrai peut-être,
avec quelques regrets ,
sans un mot, dans cette lettre
et tu comprendras .
–
RC – nov 2019
Aujourd’hui, c’est le dernier jour … – ( RC )
Aujourd’hui c’est le dernier jour :
Tu le sais, je t’ai averti :
il n’y aura pas d’après,
pas la peine d’avoir des regrets,
sur ce que tu n’as pas accompli,
il fallait y penser avant :
après, c’est trop tard,
tu aurais dû le savoir :
– qu’as-tu fait de si important.
alors que nous étions
si près de la fin ?
As-tu simplement fait un festin,
mieux disposé tes pions
sur l’échiquier des années,
sauvegardé tes arrières
( qui – à coups de prières ) ?
alors que tu te savais condamné
à redevenir sauvage,
car je suis la sorcière
qui sait défaire
tous les visages !
Je n’ai pas encore décidé
sous quel signe astral
je vais te placer,
et quel animal
tu vas incarner :
Allez, – on va rester gentil –
je vais te transformer
en petite souris :
tu verras, c’est très bien,
tu pourras te glisser partout ,
manger dans la gamelle du chien ,
( et tu y prendras goût ) :
autrement… il y a le fromage
mais il est hors d’atteinte :
pas la peine de pousser des plaintes !
il était temps de tourner la page :
tu as passé trop de temps en humain ,
sous une belle peau rose :
mais tu en as fait bien peu de chose,
J’ai décidé de changer ton destin :
c’est une nouvelle aventure qui commence,
peut-être que le chat te reconnaîtra,
ou bien il ne te saluera même pas :
Ne t’étonnes pas s’il te donne la chasse
( il ne partage pas sa place ),
mais quand il n’est pas là, les souris dansent
– et lui-même, quelque temps avant
ne se sentait-il pas trop seul
habillé en ouvrier agricole,
ou même, en président ? –
–
RC
Homme qui chavires – (Susanne Derève)

Alberto Giacometti – L’homme qui chavire
Homme qui chavires
as-tu rompu l’amarre et laissé ta barque s’enfuir
coulé tes désirs dans le bronze
foulé ce que la vie mendiait de patiente douceur
et tu les mots comme on renonce
Homme qui supplies
je n’ai plus de rêves à t’offrir
de bateau en partance
que l’étreinte de l’eau et les linges nus
de l’absence
Je n’ai plus que des nuits d’hiver
à brûler des cheminées de cendre
plus d’aubes à partager
rien que des friches des quais de gare
sans train à prendre
Homme qui supplies
quand le vertige nous saisit à l’instant
où ton bras retombe
faut-il encore que tout s’effondre
que le bronze retourne à l’amas de poussière
où se réduit le monde
Ecrire – (Susanne Derève)

Robert Rauschenberg, Estate, 1963
Serait-ce une vie à écrire ?
Avant de déposer les mots
et les regrets y sont de trop
faudrait-il sur un quai de gare
écourter le temps des adieux
sous prétexte que le train part
Cette année passée à vau-l’eau
et la nouvelle qui commence
à rêver aux ors de Byzance
dans le métro
Était-ce une vie à écrire ?
Il aurait fallu réciter
le Pater le Maria l’Ave
de nos fougues et de nos ivraies
J’aurais voulu pouvoir en rire
de cette vie de camelot
un quai de gare pour tout empire
ton pas sonnant comme l’écho
dans les décombres de Palmyre
plutôt qu’en porter le fardeau
Mais m’aurais-tu laissé l’écrire ?
Guy Goffette – le jardin d’enfance
dessin – association du clos du Nid, Lozère
Peuplé de voix et de couleurs,
le jardin d’enfance persiste en nous,
royal malgré la chute et l’exil du roi ;
il rafraîchit les déserts traversés de l’âge,
rattrape l’aveugle dans la musique,
le sourd dans la contemplation.
Toujours ce qui manque à nos vies,
cet innommable vide tout à coup derrière la nuque,
qui nous remplit de regrets, de remords,
de nostalgie, toujours a la forme d’un jardin.
Est-ce un homme qui pleure ? – ( RC )
en « réponse » au texte précédent, de Susanne Derève
Est-ce un témoignage d’amour,
cette plume qui est
le marque page
de notre livre ?
Est-ce que nos vies
sont liées
par ce serment écrit ,
avec cette plume, justement ?
Mais les pages se sont tournées,
avec les années :
il n’y a plus
que les miettes du passé .
Si la tendresse se conjugue maintenant
à l’imparfait,
faut-il regretter d’avoir dit,
» je t’aimais ? «
J’ai connu d’autres chapitres ;
l’oiseau de l’amour
est revenu reprendre sa plume, et s’est envolé
mais je n’ai pas de regrets .
–
RC
M2L – Roses des sables
photo- montage perso
Entendez-vous les flots de larmes dans le désert ?
Roses des sables qui fleurissaient à la nuit,
Mon rêve à la rosée du matin s’est enfui.
Vous me laissez ainsi,
Meurtri,
Flétri.
Sans vie.
Baignez-vous dans l’eau de mes douleurs amères.
Les yeux vers l’infini, effeuillant les années,
Je flotte sur les larmes de l’ espérance envolée.
Et moi qui reste ainsi,
Meurtri,
Flétri.
Sans vie.
Je suis misérable, sans arme, à découvert !
Roses des sables qui dansaient la lune venue,
Je ne puis revivre les joies de l’enfance perdue
Vous me laissez ainsi,
Meurtri,
Flétri.
Sans vie.
Roses des sables, vieillissant le cœur ouvert
J’ai tant espéré d’une vie remplie d’éternité.
Fleurs du désert, j’embrasse la fatalité
Et comprends aujourd’hui
Le cœur meurtri,
Flétri,
Ce qu’est, à l’aube de ma nuit, le sens de la vie.
Ecoutez le chant des regrets dans le désert.
———
Sand Roses
~ © M2L
Do you hear floods of tears in the desert ?
Sand roses that flourished in the night,
My dream in the morning dew ran away.
You let me so,
Bruised,
Withered.
Without life.
Take bath in the water of my bitter pain.
Eyes toward infinity, picking off years,
I float on the tears of expectancies flown away.
And me which thus remains,
Bruised,
Withered.
Without life.
I am miserable, unarmed, uncovered!
Sand roses that danced at moon coming
I can not relive the joys of childhood lost
You let me so,
Bruised,
Withered.
Without life.
Sand roses, aging open heart
I so hoped a life filled with eternity.
Desert flowers, I embrace the fatality
And understand today
The bruised heart,
Withered,
What is, at the dawn of my night, the meaning of life.
Hear the song of regrets in the desert.
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voir le blog de M2L « Vertige de l’oiseau »
Cathy Garcia – Serre-gorge
La pluie laisse des copeaux
au creux des abreuvoirs
Les yeux des oiseaux le disent
le ciel devient trop noir
Octobre enragé déchire les arbres
cochés de rouge les crapauds pleurent
sur la vieille margelle
tu le sais
jamais tu ne retourneras
sur tes pas
ou ceux d’un autre
et ta main lasse
s’entrouvre
pour laisser couler
la miellée
les regrets se laissent compter
un par un
à ton serre-gorge
tu sais
le sang
l’aube
la fêlure du regard
où s’engouffre
la lumière
et sur le trou sur le
manque
tu poses la première syllabe
d’un nouveau cycle
de sable
tu sais
tu sais la roue qui
éparpille
dissout
tu sais l’alternance
la vanité
puis tu oublies
et courbée sur l’enclume
commences à forger
ton prochain
serre-gorge
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