Je la vois qui s’élance – (Susanne Derève)

Edouard Vuillard – Place Vintimille
Je la vois qui s’élance sous le berceau des arbres
de très loin je la vois
( dans sa course aérienne
en a-t-elle oublié le tic tac
des heures, a-t-elle encore le trac
d’ailleurs ? )
Il y a des fenêtres qui penchent
sur les grilles du parc
et le long des allées des promeneurs distraits
des couples nonchalants
des amoureux transis enlacés sur des bancs
des mômes qui jouent aux billes au milieu du chemin
des enfants qui babillent
– Il fait si doux si gris –
et qui lancent des miettes aux pigeons de Paris
Et puis il y a cette fille sous le claveau des arbres
qui a pris son élan
dans sa course aérienne
elle vacille un instant
les promeneurs s’écartent
les enfants ont-ils abandonné leurs jeux
si brusquement
que les pigeons s’envolent
Elle court vers toi
les bras tendus ( il me semble
que le monde s’est tu )
et ses pas sont légers
sous le manteau des arbres
elle court
sur le sable blanc des allées
de sa course aérienne
se jeter dans tes bras
Peut-être que c’est elle
Peut-être que c’est moi
Andrei Tarkovski – Premier rendez-vous
image: montage perso à partir d’oeuvres de Jamil Naqsh
Premier rendez-vous.
Nous célébrions comme une épiphanie
Chaque seconde de nos rencontres.
Nous étions seuls au monde.
Plus hardie et plus légère qu’aile d’oiseau
Dans l’escalier comme un vertige
Tu dévalais les marches deux à deux
Et à travers les ruisselants lilas
M’emmenais dans ton royaume
De l’autre côté du verre miroir.
Et quand la nuit advint
Me fut octroyée la grâce.
Les portes de l’autel s’ouvrirent
Et dans la pénombre s’allumant
Lentement ta nudité me salua.
« Sois bénie… », murmurai-je
A l’éveil, sachant bien téméraire Ma parole.
Car tu dormais
Et les lilas sur la table tâchaient
A poser l’azur du ciel sur ta paupière,
Et ta paupière d’azur touchée,
Etait sérénité, ta main était tiédeur.
Dans le cristal, le pouls des fleuves,
L’envol des monts, la houle des mers.
Endormie sur le trône, tu gardais
La sphère lucide au creux de la main.
Et – Juste Dieu ! – tu fus à moi.
Tu t’éveillais, transfigurant
Le quotidien vocabulaire d’homme,
D’accents pleins et forts de ta voix
S’emplit et le mot « toi » livra
Son nouveau sens et signifia « Roi »
Métamorphosé, le monde, jusqu’aux
Objets rustiques, cuvette, broc,
Quand entre nous s’interposa
Une eau veinée et dure, en sentinelle.
Alors nous fûmes emportés je ne sais ou,
Comme mirages s’écartèrent devant nous
Des cités bâties par miracle.
A nos pieds se couchait la menthe,
Les oiseaux se plaisaient à nous suivre,
Les poissons remontaient les cours d’eau
Et le ciel bascula dans l’instant
Où le Sort nous emboîtait le pas,
Tel un fou qui empoigne un rasoir.
Arséni Tarkovski
José Emilio Pacheco – mer éternelle

peinture: Eugène Boudin
Mer éternelle
.
Nous disons que la mer n’a pas de commencement
Elle commence là où tu la rencontres pour la première fois
Et vient de tous côtés à ta rencontre.
–
les fenêtres ouvertes ( RC )
Il est un temps clément
Et l’herbe pousse
La vie sautille et bruisse,
Hier, il pleuvait à verse
Les fleurs, comme il se doit, fleurissent
Le vert rampe et progresse.
En forêt ,il menace les clairières
Et recouvre les pierres du jardin,rue et bien verte
Au soleil, l’éternuement
Et les fenêtres ouvertes…
Le souvenir n’est plus, du raide hier
Le jour se lève, parfumé du matin.
Je prends avec toi, les chemins de traverse
Que le temps oublie , le temps d’une rencontre
Qui s’étire avec toi, comme une caresse
Je peux vivre, et me passer de montre,
Un dialogue sans paroles,
Il y a quelque part, ton visage qui rit
Et le coeur farandole,
Qui tangue et s’y inscrit.
Sans détour, comme une voie directe
Où les animaux endormis
Pactisent avec les insectes
Et s’en font des amis
La mouche noire a décrit une belle spirale
Avant de se poser sur le beurre,
Sur l’assiette à côté du journal,
… même pas peur…
Le lézard a sorti ses habits de parade
En restant agrippé au mur, l’oeil en veille
Et reste immobile sans tenter l’escalade,
En se frottant de soleil…
–
RC
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Sylvie Fabre G – Corps subtil
Qui jugera du chemin ? Ton corps respire, une haleine l’entoure, l’autre est ce passant venu des lointains, retournant aux lointains.
Tu dois consentir, fraction du monde, multiplication des années et des êtres.
Quelle luminosité as-tu un jour connue pour ombrer la rencontre ? Tu te retournes, les traces sont là, derrière, devant, elles te précèdent toujours. Tu sens le sceau de lassitude, tes jambes tremblent quand la peur pose son caillou dans le ventre – étalon or. Sur son autel, une main presse l’attente. La parole reflue quand, jeté en pâture, solitaire, le corps s’étiole, les lèvres se pincent, il n’y a plus de pulpe autour des mots.
Qui jugera du chemin ? Les voies de l’incarnation ont mille possibles, nous empruntons toujours l’unique, impossible.
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Sylvie Fabre G., corps subtil – Editions L’Escampette, février 2009
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( Un texte que je dédie particulièrement à Arthemisia )
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Monique Atoch, – Poèmes à l’étranger
Monique Atoch, qui nous livre un texte sur le rapport à l’étranger
( C’est la suite de la parution dans Poéziques )
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Une nuit d’orages et de sarcasmes
au sommeil usé
et au petit matin à peine rassuré
la lumière encore vierge
découvre une flaque d’amertume
tristesse argentée de l’enfance
douceur d’une chevelure bleutée
à force d’être noire
refrain de l’amour perdu et retrouvé
sentiers escarpés de la rencontre
tombes muettes, fleuries de silences en bémol.
Les rêves me réveillent sans vraiment dire pourquoi.—-
Poézique-zique, tique et pique- mots et grammes
texte extrait du recueil « dans tous le sens « .
Plus de pain
plus de miel
terre promise arrachée
collines crochues
qui lacèrent les serments
maison qui se reruse
terrasses arides
plats ébréchés
qui n’offrent rien
ouragan d’acide
vitriol au visage.
Le verdict est vomi :
pas d’étrangère ici.