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Fuir le son du clairon – ( RC )


photos André Fromont

Silence ouaté
après la tempête…
si tu t’imagines
que je vais ramasser
les coquilles vides,
aller réparer
les bunkers renversés…

Avec la pluie acide
effaçant les partitions,
J’ai autre chose à faire
que de tourner les pages à l’envers :
qui pourra me poursuivre
avec la fanfare
et tous les cuivres,
puisque tu n’as pas mis le son ?


Tous au garde-à-vous
devant la place de la mairie,
tu salueras de ma part
le capitaine et l’adjudant
qui sont plutôt bien mis
sur cette photo jaunie.
Je leur donne rendez-vous
sur une des plages du débarquement.

Mais il y a bien longtemps
que j’ai fui le son du clairon.


Guy Goffette – Premier rendez-vous avec la lumière


toit de Paris  A.jpg

 

Il aime cette attente et ce geste de verser l’eau bouillante,

tandis que l’eau du temps coule sur les toits où seuls encore,

tels des cris de coqs, percent les cous rouges des cheminées.

Le café passe lentement, noir comme un coup de poing :

la nuit est morte.

Pierre, qu’il soit ou non amoureux, se lève tôt.

De peur de manquer ce premier rendez-vous avec la lumière, quand l’œil,

encore mal débarbouillé des songes,

n’est qu’un œuf sous la paille des cils.


Samira Negrouche – courir sans regarder derrière soi


 

 

- -Michael Borremans 8453309289.jpg

peinture Michael Borremans

 

Avant que l’aube n’apparaisse, courir sans regarder derrière soi

les fleuves évaporés et les paroles effritées des sages de légendes.

Avant plus avant le soleil est d’une douceur clémente

m’apprend d’autres caresses et je deviens un poteau électrique

dans une plaine humide et je passe aussi vite qu’eux

sur le parcours d’un TGV pressé de rejoindre

ses rendez-vous parisiens à huit heures tapantes

Et je disparais.


Un éclair, buvant la lumière – ( RC )


 

Il y a eu un éclair,
un soleil rapide et pointu,
qui est passé à quelques centimètres .
On en voit encore sa trace
dans l’impact sur le pare-brise .

Si je m’étais trouvé
sur sa trajectoire,
au rendez-vous exact
de ma mort
je ne pourrai même pas raconter ici

la lumière de son rayon
métallique,
ou au contraire
si cet éclair, buvant la lumière
m’aurait illuminé de noir .


RC – mars 2018


Des mains sur le fauteuil – ( RC )


sculpture: Urs Fischer  – 2015

 

Sur un fauteuil style Louis XVI
sorti de chez l’antiquaire
il y a les mains de ma mère
( qui auraient pu préférer les chaises ) ….
        Pour être plus précis dans le décor,
celui-ci n’a rien de spécial,
mais quand même, c’est pas normal…
il y a juste les mains, pas le corps .

        Il existe peut-être,
mais dans l’au-delà :
– en tout cas on ne le voit pas – :
ça a l’allure d’un spectre
qui voudrait se faire inviter
pour partager le dessert
avec mon frère
à l’heure du thé :

        C’est une sorte d’ambassadrice ,
qui ne s’encombre pas d’apparence
et joue sur la transparence ,
( sauf pour ses mains lisses )
       Elles n’ont rien de squelettiques ,
pleines de jeunesse,
elles sont d’une tendresse
bien énigmatique….

       Ces mains , d’une autre époque
se posent doucement ,
plutôt affecteusement ,
quand c’est le « five o’clock » ;
–  toujours avec exactitude  – ,
avant bientôt, de s’évanouir
comme un tendre souvenir
( un rendez-vous quotidien,       dont j’ai pris l’habitude ).


RC – juill 2017


Gabriela Mistral – L’attente inutile


315471826_15fe2492c5 Bronze Sculpture of a Girl Holding a Sundial in the Rose Garden of the Brooklyn Botanic Garden_ Nov. 2006_M.jpg

sculpture en bronze représentant une fille tenant un cadran solaire, au jardin botanique de Brooklyn

 

J’avais oublié qu’était devenu
rendre ton pied léger,
et comme aux jours heureux
Je suis sortie à ta rencontre sur le sentier.

J’ai passé vallée, plaine, fleuve,
et mon chant se fit triste.
Le soir renversa son vase
de lumière, et tu n’es pas venu   !

Le soleil s’effilocha,
coquelicot mort consumé;
des franges de brume tremblèrent
sur la campagne.          J’étais seule!

Au vent automnal craqua
d’un arbre le bras blanchi.
J’eus peur et je t’appelai ;
Bien aimé, presse le pas!”

J’ai peur et j’ai amour,
presse le pas, bien-aimé!
Mais la nuit s’épaississait
et croissait ma folie.
La espéra inûtil.

J’avais oublié qu’on t’avait
rendu sourd à mes cris;
j’avais oublié ton silence,
ta blancheur violacée;

ta main inerte, malhabile
désormais pour chercher ma main,
tes yeux dilatés
sur la question suprême!

La nuit agrandit sa flaque
de bitume; augure maléfique,
le hibou,      de l’horrible soie de son aile,
griffa le sentier.

Je ne t’appellerai plus
car tu ne parcours plus ton étape;
mon pied nu poursuit sa route,
le tien est au repos.

C’est en vain que j ’accours au rendez-vous
par les chemins déserts.
Ton fantôme ne prendra plus corps
entre mes bras ouverts!

 

 


Andrei Tarkovski – Premier rendez-vous


Jamil Naqsh --p 01

image:       montage perso  à partir  d’oeuvres  de Jamil Naqsh

 

Premier rendez-vous.
Nous célébrions comme une épiphanie
Chaque seconde de nos rencontres.
Nous étions seuls au monde.
Plus hardie et plus légère qu’aile d’oiseau
Dans l’escalier comme un vertige
Tu dévalais les marches deux à deux
Et à travers les ruisselants lilas
M’emmenais dans ton royaume
De l’autre côté du verre miroir.

Et quand la nuit advint
Me fut octroyée la grâce.
Les portes de l’autel s’ouvrirent
Et dans la pénombre s’allumant
Lentement ta nudité me salua.
« Sois bénie… », murmurai-je
A l’éveil, sachant bien téméraire Ma parole.
Car tu dormais
Et les lilas sur la table tâchaient
A poser l’azur du ciel sur ta paupière,
Et ta paupière d’azur touchée,
Etait sérénité, ta main était tiédeur.

Dans le cristal, le pouls des fleuves,
L’envol des monts, la houle des mers.
Endormie sur le trône, tu gardais
La sphère lucide au creux de la main.
Et – Juste Dieu ! – tu fus à moi.
Tu t’éveillais, transfigurant
Le quotidien vocabulaire d’homme,
D’accents pleins et forts de ta voix
S’emplit et le mot « toi » livra
Son nouveau sens et signifia « Roi »

Métamorphosé, le monde, jusqu’aux
Objets rustiques, cuvette, broc,
Quand entre nous s’interposa
Une eau veinée et dure, en sentinelle.

Alors nous fûmes emportés je ne sais ou,
Comme mirages s’écartèrent devant nous
Des cités bâties par miracle.
A nos pieds se couchait la menthe,
Les oiseaux se plaisaient à nous suivre,

Les poissons remontaient les cours d’eau
Et le ciel bascula dans l’instant
Où le Sort nous emboîtait le pas,
Tel un fou qui empoigne un rasoir.

Arséni Tarkovski


Wislawa Szymborska – La gare


Gare Hamburger de Berlin: installation lumineuse de Dan Flavin

La gare

Ma non-arrivée dans la ville N
s’est passée à l’heure ponctuelle

Je te l’avais annoncé
par une lettre non envoyée.

Tu as eu tout le temps
de ne pas arriver à l’heure

Le train est arrivé quai trois
un flot de gens est descendu.

La foule en sortant emporta
l’absence de ma personne

Quelques femmes s’empressèrent
de prendre ma place dans la foule

Quelqu’un que je ne connaissais pas
courut vers une d’entre elles
qui la reconnut immédiatement.

Ils échangèrent un baiser
qui n’était pas pour nos lèvres.
Entre temps une valise disparut
qui n’était pas la mienne

La gare de la ville N a passé
son examen d’existence objective

Tout était parfaitement en place
et chaque détail avançait
sur des rails infiniment bien tracés.

Même le rendez-vous a eu lieu.
Mais sans notre présence.

Au paradis perdu
de la probabilité

Ailleurs
ailleurs.
Combien résonnent ces mots.

—–Pour  découvrir cette poétesse,  vous pouvez  aller  sur  cette page, qui en publie  de nombreux:voir aussi ce recueil

recueil


Luis Sepùlveda – Pour tuer un souvenir


 

 

 

Pour tuer un souvenir

 

 

Tu as la photo entre les mains et tu trouves trop artificiel le paysage aux couleurs polaroïd. Trop bleue la mer, trop transparent le ciel, trop incendié cet horizon, trop de brillance dans les regards des deux personnages qui s’enlacent au mépris du vent, vêtus de pull-overs semblables.

Tu regardes dehors et la seule chose que tu vois c’est le reflet que la vitre te renvoie comme une gifle, parce qu’il fait nuit et qu’à cette heure les fenêtres se transforment en miroirs qui renvoient la solitude, les intérieurs accablants, les maisons comme la tienne, maisons vides, maisons avec café sans sucre le matin, café rapide et la voiture qui ne démarre pas et les minutes qui passent, maisons où tu découvres le matin des signes de déprime qui te signalent à cor et à cri que tu es en train de perdre la grande bataille.

La photo reste dans tes mains. Elle était dans un tiroir que tu n’avais pas ouvert depuis des mois, mais elle est auourd’hui dans tes mains et tu sens que le moment est venu d’assassiner ces souvenirs anciens.

Par la vitre, tu verras tomber des flocons de neige trop gros pour être graciles et violeurs des lois de la gravitation. Ils tombent vite et, quand tu regarderas le tapis, tes yeux verront les vestiges mutilés d’un souvenir dont rien ne peut plus être sauvé.

.. Alors tu dois prendre la photo comme un parallélépipède

parfaitement horizontal et, c’est le plus important, devant une de ces fenêtres qui semblent reprocher à la pièce sa lumière blafarde.

Ce n’ est pas toi qui déchireras la photo. C’est quelqu’un d’autre, quelqu’un de plus courageux ou de plus impersonnel , un autre  je-tu qui flotte dans le vide derrière les vitres.

Tu verras cette personne faire un mouvement de crabe  avec les doigts, ses mains s’écarter de chaque côté et chacune emporter un morceau presque semblable de la photo- graphie. Puis cette même personne rassemblera les morceaux et refera le même geste une, deux, trois fois, plus si elle l’estime nécessaire, jusqu’à ce qu’inexpliquablement tu sentes la fatigue dans tes doigts.

 

extrait du livre  de petites nouvelles   »   Rendez-vous  d’amour  dans un pays  en guerre »

 

ed Métailié   1997