Fleur recluse – ( RC )
photo perso – Chanac
C’est comme un coeur
qui garde sa couleur
encore quelque temps :
il parle doucement
de ses quelques printemps
vécus bien avant .
– C’est une fleur à l’abri de l’air,
qui, par quelque mystère
jamais ne fane,
mais ses teintes diaphanes
à defaut de mourir,
finissent toujours par pâlir .
Détachée de la terre ,
elle est prisonnière
d’une gangue en plastique,
un procédé bien pratique
pour que la fleur
donne l’illusion de fraîcheur .
– C’est comme un coeur
qui cache sa douleur ,
et sa mémoire,
dans un bocal de laboratoire,
( une sorte de symbole
conservé dans le formol ) .
Une fleur de souvenir ,
l’évocation d’un soupir :
celui de la dépouille
devant laquelle on s’agenouille :
les larmes que l’on a versées,
au milieu des pots renversés .
C’est comme s’il était interdit
à la fleur, d’être flétrie :
elle, immobilisée ,
figée, muséifiée,
( églantine sans épines,
au milieu de la résine ) .
A son tour de vieillir :
elle va lentement dépérir :
le plastique fendille, craque
ou devient opaque :
les vieux pétales
cachés derrière un voile
entament leur retrait :
d’un pâle reflet
où les couleurs se diffusent :
la rose recluse
se ferait virtuelle :
– elle en contredit l’éternel –
–
RC – nov 2017
Une « Marianne » de Lichtenstein- ( RC )
–
Tes yeux se posent sur moi,
Mais ne regardent pas,
Ou alors loin, si loin,
….. Tête de mannequin,
–
Avec blonde tignasse, et ta trombine,
Tu fais une nouvelle Marylin…
Mythe entêté,
Statue de la Liberté,
–
Attendre que le temps passe,
Et faire du sur-place…
Ne reste pas seule ….Pénélope
Aurait pu être l’icône du « pop »
–
En un coup d’avion,
Tu sauras, (belle comme un camion ),
Te faire encore plus belle,
Que les tours jumelles …
–
Produits exportés,
Ambassadrice de beauté,
A franchir les douanes,
C’est pour nous, bientôt , Marianne
–
Figure que berce,
Le génie du commerce,
Fée des filles, sortie de BD,
Icône de musée,
–
Parée, cosmétiques,
D’airs d’outre-Atlantique,
Figure héroïque
Moulée en plastique
–
Cette statue en résine,
J’en sais l ‘origine,
De la peinture, l’emphase,
Et elle, de ses cases,
–
D’un art devenu académique,
Qu’est devenue sa critique ?
D’une société, vantant sans passion,
Les objets de consommation.
–
Même sans phylactères,
Elle ne fait pas mystère,
De l’art d’Amérique…
> Qui sent aussi le fric .
–
RC – 26 aout 2013

peinture: Roy Lichtenstein, coup de brosse jaune. Metropolitan Art Mus NYC 1965
–
Vertiges – de fileuse de lune

- photo : H Cartier-Bresson Arbres en Brie
A voir sur le blog ( de fileuse de lune)
Vertiges
éclaboussures
traversées
J’habite ces parages
de peu de densité
où l’éclair d’un regard
chavire l’horizon
Membranes soulevées
sur le dos des fleuves
s’éparpillent en rémiges
en consonnes
brunes et vigoureuses
Se déversent les langues
dans une amphore
se délecte le ciel
d’être à nouveau
en crue
Pour apprivoiser les pinèdes
en maraude
les forêts de silex
il faut tailler son nom
dans le tronc le plus vieux,
habiter son élan
Dans les prairies de l’Homme
je sais un abreuvoir
où se rassemblent troupeaux
de hautes sèves
clameurs de laines
blanches et bouclées
J’y porte l’épaisseur
de mes murs
la lourdeur de mon sang.
Une odeur de suint
ocre et tenace
rassure les ancêtres
Claquante
comme une étreinte
la parole éperonne
les flancs fumants
de ce matin tout neuf
Tourbillon
ivresse pure
je virevolte, à cru,
sur des phrases de sel
m’accouple à leur écorce
et hurle
source vive !
J’ouvre,
dans ma poitrine,
des fenêtres
aux giboulées de grives,
de raisins et d’étoiles,
aux rafales d’ardoises,
aux foules écervelées
des déserts, des pierres
et des jardins
Là, dans cet espace
consenti à l’incandescence,
la bruine déploie
mon feuillage
gâche sa salive
à ma résine
Sur mes berges
calleuses
faseyent quelques saules
Guetter l’exubérance
étirer les limites
de son sang
de sa peau
pour être ampleur
luxuriance
et faire tomber de soi
jusqu’à la moindre
ténèbre
Et puis
se rencogner
dans l’angle juste
de la légèreté,
retrouver sa foulée
d’osier souple et de vent
Claude Roy – Conversation avec un orignal
Conversation avec un orignal

timbre poste canadien
Le sentier qui conduisait au lac
dans l’odeur de résine chauffée par le soleil
et la marche élastique sur les aiguilles de pin
(Le Canada ressemble au Canada
J’allai pêcher à la mouche artificielle
des truites vives dans le canoë qui sentait le vernis)
Se trouver nez à nez avec un orignal drôle d’animal énormément grand (comme si sur un corps de cheval on avait greffe une tête de cerf et vissé par-dessus les bois d’un renne
II me regarde avec une précaution étonnée Absolument sans crainte Mais sans mode d’emploi II n’y a nulle part de règle de conduite pour un orignal canadien rencontrant Claude Roy
Je ne bouge strictement pas J’essaie d’émettre des pensées calmes et polies L’orignalest extrêmement bienveillant mais perplexe
Je le nomme en silence : « Mon ami » ou « Monsieur l’Orignal » II est sensible à ces attentions II me regarde très longtemps (je dirais deux ou trois minutes) puis se retourne et s’éloigne au pas
Je le remercie sans mots de sa confiance
S’il n’est pas mort il doit être très vieux maintenant Se souvient-il quelquefois vaguement de sa conversation avec un homme blond l’orignal qui me dévisageait près du lac en été?
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Paris jeudi 14 avril 1983
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