André Bay – Dérives blanches
assemblage-sculpture: Louise Nevelson
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En « avant-propos »
Le Blanc m’obsède
Le Blanc me tourmente
Le Blanc me poursuit, m’aveugle
Couleur des limbes crépusculaires
Suaire des résurrections mortes
Compagnon des crépuscules du soir et du matin
Candidat de blanc vêtu
Blanc qui es-tu ?
Mort poursuivant la vie
Vie poursuivant la mort
Rideau de ma vie morte
Jour tissé de nuit
Blanc de l’amour ici
Et de la mort Là-bas
Blanc de l’absence remplie de vide
Complice du temps qui passe
Le Blanc m’envahit doucement
Et irrésistiblement m’entraîne
Devant la Grande Porte.
Tandis qu’il me pousse et m’attire
Je le distingue partout
Il apparaît là où je ne le voyais pas
Il me poursuit et je le traque…
Avec espoir de mieux le comprendre
Doux compagnon de mes vieux jours…
Une géométrie modifiée – ( RC )
photo: Rodney Smith
Tu peux tirer le rideau sur le théâtre du jour,
> cela coïncide avec la géométrie des lieux :
chaque chose est à sa place,
dans un repère orthogonal.
La plage est silencieuse,
la mer grise, d’un calme sournois.
Effectivement le plancher de la maison
reste parallèle à l’horizon ,
comme si c’était fait exprès:
C’est compter sans le ciel endormi,
qui joue avec le vent,
une partition,
où souvent, les choses basculent
dans leur sommeil.
Bois et charpentes gémissant,
supportent les éléments,
qui parfois
pèsent plus lourd qu’on ne pense :
le drap des nuées secoué en tous sens,
ne modifie pas la perspective,
mais introduit des obliques ,
toutes dans le même direction,
mais sans qu’on puisse désormais
les corriger .
( sur une photo de Rodney Smith )
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RC – dec 2017
Susanne Derève – l’alphabet du regard
peinture: Giovanni Segantini
Il me semble voir ta main
Attirer doucement l’objet dans la lumière
Le tenir à portée
Dans le reflet tamisé de la lampe
Faire pivoter l’objet lentement
Afin que la lumière l’épouse
Et le révèle
Dans l’alphabet du regard
Prendre une à une les images
Et les toucher comme on ferait
Du front des yeux et de la bouche
D’un visage aimé
Et puis les reposer dans le cadre
A leur place
Et reculer de quelques pas
Pour juger de l’effet produit
Sur celui qui n’a pas les clés
Et qui découvre médusé
Comme on tire un rideau de théâtre
Le don que tu lui fais
De la beauté .
Tapiès – rideau fer – ( RC )
Assemblage: Antoni Tapiès Porte métallique et violon- Fondation Tapiès
On attendra longtemps
l’ouverture du jour.
Il y aura du sang
répandu autour .
La vie est dans la verdure ;
Derrière le rideau de fer
on pratique la torture
et on désespère.
On imagine, un délire :
faut-il une révolution,
pour que le rideau se déchire
et que le chant du violon
se détache de la croix noire
taggée sur le mur :
c’est un signe d’espoir
un premier murmure
car la clôture grise
n’emprisonne pas le chant :
Ce n’est pas une marchandise
vouée à l’enterrement.
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RC juill 2016
Quelque part où les lignes courent, s’enfuient – ( RC )
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–Quelque part où les lignes courent, sur le corps de la terre.
Certaines s’enfoncent ,s’enfuient
rebondissent sur les accidents du terrain,,
la chevelure obscure des bois denses.
Sans couleur pour l’instant, peut-être suspendue dans un gel provisoire,.
A chaque instant, celle-ci peut occuper les lieux,
Inonder la surface, comme le ferait le rideau du soleil naissant,
ou, à l’inverse, celui de la nuit .
Mais bien avant, les collines se propulsent vers l’avant,
ou plutôt les ombres, se liguant contre le jour,
émergeant de la brume, comme engluées
dans une couche épaisse de peinture.
Je perds alors la notion de distance, divisée
par les silhouettes des poteaux électriques, leurs fils dansant,
l’étagement des haies, les champs s’empilant, verticaux..
Tout est rythmé de signes qui n’ont pas d’autre signification qu’eux-même.
Même la route sur laquelle je m’appuie
se met à tanguer en virages derrière un rocher
Peut-être disparaît-elle à jamais
Comme ce trait interrompu sur la toile.
L’équivalent d’une stridence,
d’un appel qui ne trouve pas d’écho
émis par un chant d’oiseau,
bientôt bu par le silence .
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RC – oct 2015
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Teintes d’apocalype – ( RC )
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Tant d’eau rassemblée,
n’attend pas le jour
pour se teindre d’oranges.
Le soleil n’y est pour rien,
Ayant sombré bien avant
Il était quelque peu ivre,
ayant dépassé les bornes,
perdu derrière l’horizon.
Ce n’est pourtant pas une éclipse,
mais l’accomplissement du présage
où le paysage
bascule dans l’apocalypse.
Le reptile se déploie,
dénoue ses collines,
délègue des îles
derrière un rideau de fumée.
Et c’est d’un ciel chargé
de cendres et de gris,
que surgit la girafe enflammée,
espérant, de son grand cou
dépasser les nuées,
déplacer la solitude,
renverser les ruines,
boire les étoiles.
Le réveil des volcans
secoue le continent,
illumine l’océan,
transforme les îles en montagnes
s’échancrant de couleurs factices,
rumeur de colère de la terre,
soudain prête à l’effusion des pierres,
le rideau des feux d’artifice,
des entailles profondes,
à la surface du monde,
où la mer s’engouffre,
sous l’acre odeur de souffre…
RC
dessin :Salvador Dali dîner dans le désert avec girafes en feu 1937
Bill Herbert – Ghost
***
Fantôme
(Variation sur un thème par Matthew Sweeney)
Le fantôme qui ne connaît pas son chemin mais doit rentrer chez lui
trébuche dans le désert en traversant le jour
et cherche par des cols, dans le noir.
Il rassemble des cailloux comme des cartes pour repérer son passage
de l’autre côté de la grande steppe en hiver.
Il s’immerge lui-même dans des lacs pour ressentir
ce que ressentent les racines des bouleaux, il s’assied
dans le corps des moutons et des chèvres
dont le sang ne peut stopper le froid.
Il voyage de moustique en moustique dans
l’air gras de l’été,
il s’enveloppe dans les écorces tombées des arbres
comme le texte dans un livre pourri.
Il ne connaît que le Nord et du coup
il peut voyager dans la mauvaise direction pendant des mois.
Parfois il pense reconnaître l’aspect d’un peuplier
alors une grande terreur descend.
Il s’allonge avec les asticots et les excréments sous
une rangée de toilettes dans la Ville Couteau.
Il se souvient des visages vus sans avoir su que c’était pour
la dernière fois. Les souvenirs ont diminué
et doivent être comptés l’un après l’autre comme des perles :
le cliquet dans la gorge de la vieille femme,
l’odeur du papier journal bon marché dans
un aéroport maintenant sans nom,
la main qui tire nerveusement un rideau,
la pupille noire de l’enfant qui bat.
—
Ghost
(Variation on a theme by Matthew Sweeney)
The ghost which doesn’t know its way but must get home
stumbles in the desert through the day
and searches through the passes in the dark.
It gathers pebbles into maps to guess at its passage
across the great steppe in winter.
It immerses itself in lakes to feel
what the birch roots feel, it sits
in the bodies of sheep and goats
whose blood can’t halt the chill.
It travels from mosquito to mosquito in
the fat summer air,
it wraps itself up in fallen trees’ bark
like the text in a rotten book.
It only knows North and consequently
may be travelling in the wrong direction for months.
Sometimes it thinks it recognises
a configuration of poplars
and a great dread descends.
It lies with the maggots and the excrement beneath
a row of toilet stalls in Knife City.
It remembers faces seen with no thought that this was for
the last time. Memories are diminished
and must be counted out like beads:
the ratchet in the old woman’s throat,
the smell of cheap newsprint in
a now nameless airport,
the hand nervously gathering a curtain,
the baby’s black button blink.
–
traduction Roselyne Sibille
Jean Genêt – le Funambule ( petit extrait )
mise en scène de la « Cerisaie » d’ A Tchekov, par Alain Françon
—-
Comme le théâtre, le cirque a lieu le soir, à l’approche de la nuit, mais il peut aussi bien se donner en plein jour. Si nous allons au théâtre c’est pour pénétrer dans le vestibule, dans l’antichambre de cette mort précaire que sera le sommeil.
Car c’est une Fête qui aura lieu à la tombée du jour, la plus grave, la dernière, quelque chose de très proche de nos funérailles.
Quand le rideau se lève, nous entrons dans un lieu où se préparent les simulacres infernaux.
C’est le soir afin qu’elle soit pure (cette fête) qu’elle puisse se dérouler sans risquer l’être interrompue par une pensée, par une exigence pratique qui pourrait la détériorer…
C’est par un acte d’amour, que se dessine le jour – ( RC )
photographe non-identifié;
–
Le ciel et la terre se touchent.
Ils s’étendent au-dessus de l’autre.
C’est par un acte d’amour,
Que se dessine le jour.
La terre se retourne, quand il s’éteint,
Contre le baiser du soleil.
De l’autre côté, il fait déjà nuit,
En égrenant quelques heures.
Le temps de fermer les paupières,
Le ciel et la terre se confondent,
Dans l’obscurité, et notre absence.
Leurs amours sont chasteté.
Et se dissimulent,
Sous un rideau d’étoiles,
Jusqu’à l’aube qui se dévoile,
Sous sa grande robe,
Au regard du jour, .
–
RC – avril 2014
–
Du corps j’ai perdu l’empreinte – ( RC )

photo: Ivar Ivrig
–
Des brûlures noires,
Aux paroles tendues
Se consument encore
Dans un Styx immobile
Quand la pensée se fige,
Etranger à son propre corps,
Un pays natal, où s’oxyde
Une eau au goût,
Qu’on ne reconnaît plus .
Ou seulement le goût
De la cendre,
A regarder s’éloigner,
Toujours davantage,
La rive, les champs.
Ils ne sont plus que surfaces ocres,
Et les arbres une masse sombre,
Un crépuscule du désir,
Et les braises éteintes ;
( du corps j’ai perdu l’empreinte ) .
On y distingue même plus,
Les fleurs piétinées,
Le tout sera bientôt,
Recouvert par un rideau de fumée…
–
RC – 28 novembre 2013
–
Je ne te vois pluie ( RC )

photo Electroluminescence [Cee]
Contre le mur, tu as tourné la tête
Une lourdeur tropicale,
Et les nuages s’écrasent
Aux éclats des ardoises
De la ville
On dirait qu’aux assauts du temps
Elle jouerait -rebelle-
Opposant la pierre et le bitume
Aux rideaux d’argent,
Le fluide.
Rebondit, aux fleurs noires
Les parapluies qui se hâtent,
Et la rue qui tangue
Sous un ciel plomb
Et l’horizon qui s’échappe.
Même les bruits courants,
Sont bus en cascade,
Et les paroles se sont tues
Derrière un rideau translucide
—-C’est l’eau me dis-tu.
Sans les paroles, enfin, ce que je lis
De la forme de tes lèvres.
–
Oui l’eau —-( bien sûr, quand il pleut )
Mais aucun son ne me vient
Tu me parles, et je n’entends rien.
Et même, tu rétrécis
Et te fonds dans le mur gris
Les vêtements humides
Et sous le parapluie.
Tu as tourné la tête….
—
Je ne t’entends plus
Je ne te vois pluie…
–
RC – 27 février 2013
Edith de Cornulier – Atone
Almasoror ( l’âme soeur) si j’ai bien lu... est un site que je qualifierai de « multi-disciplinaire », … il y a une foule de liens, et d’articles , et en patience il va me falloir, du temps pour en avoir une petite idée…
mais je me suis dirigé de suite vers la section « poésie », où des photographies sont « accompagnées », ici de textes de Edith de Cornulier-Lucinère, – voir son blog perso –
qu’elle abrège sous E CL…
j’ai navigué sur quelques uns et tout ce que j’ai lu a capté mon attention, voici d’un d’entre eux:
ATONE
–
Ma voix coule dans le soir
Mais mon cœur demeure aphone
Je respire dans ce bar
Des vapeurs d’alcool atone
Nous traversons les saisons
Main dans la main bien trop sages
Je n’observe à l’horizon
Aucun feu, aucun mirage
La vie et ses expériences,
Je les traverse en apnée
Puisque aucune délivrance
Ne nous est jamais donnée
Mais ce soir, dans la lumière
Du bar où flotte un suspense,
Ce soir je veux le salaire
Des années d’obéissance.
Que les lois et la morale
S’effacent de mon karma ;
De se courber sous leur pâle
Mensonge, mon crâne est las.
Dans ce corps où tout s’éteint
Pour jamais n’être fécond,
Que la passion prenne enfin,
S’il reste des braises au fond.
Que le désir se rallume,
Qu’il fasse briller mes yeux,
Pour qu’ils se désaccoutument
De leur rideau vertueux.
J’en appelle aux dieux païens
Ceux qui boivent et ceux qui chantent,
Qu’ils déchargent mon destin
De la ration, de l’attente.
J’en appelle même au stupre,
Si lui seul peut délivrer
Du convenable sans sucre
Un cadavre articulé.
Et toi, frère et faux-amour,
Co-victime et co-coupable,
Vas-tu taire pour toujours
L’hypocrisie impalpable ?
Nous traversons les saisons
Main dans la main bien trop sages
Et rien dans notre prison
Ne présage un grand orage.
Mais ma voix coule ce soir,
Et mon cœur te téléphone,
Je respire dans le bar
Des instances qui frissonnent.
Et si tu ne réponds pas,
Si rien en toi ne s’éveille,
Parce que mon cœur est las
Des jours aux autres pareils,
Tu prendras tout seul le train,
Et dans la nuit qui appelle,
Coupable de ton chagrin,
Je chercherai l’étincelle.
–
Claude Esteban – soleil dans une pièce vide – TROIS FENÊTRES, LA NUIT
TROIS FENÊTRES, LA NUIT
On croit peut-être que, chaque soir, les maisons se referment sur elles-mêmes comme des huîtres. Et que ceux
qui les habitent peuvent enfin oublier leurs soucis et se perdre dans une sorte de douceur nacrée, dans une quiétude,
somme toute assez délicieuse, loin des regards. On a tort.
Il suffit de se poster, quelques heures auparavant, à une fenêtre de l’immeuble d’en face, et de rester dans l’ombre, derrière les rideaux.
C’est ce que font les policiers quand ils tentent de découvrir une réunion secrète, ou les détectives privés lorsqu’on leur a donné une liasse de dollars pour une filature et qu’ils sont là, dans leur gabardine blanche, à fumer des cigarettes tout en surveillant.
Mais ce sont des gens de métier, et au fond ils ne s’intéressent qu’à des faits significatifs pour leur enquête, un homme qui embrasse une femme sur la bouche, une valise d’où l’on sort une statuette en forme de faucon.
Le quotidien, banalité des gestes, ne les concerne pas. ont tort, mais ils sont payés pour autre chose. On les relève toutes les quatre heures, puis ils rédigent leur rapport. Ils n’ont rien vu de ce qui est la vie.
Et lorsqu’ils s’éloignent dans leurs voitures noires, ils regagnent très vite des quartiers où les bars sont pleins de monde et où les attend, parfois, une femme aux cheveux platinés qu’ils appellent poupée. Ce sont des gens frivoles. Le vrai curieux ne les fréquente pas. C’est un passionné qui a ses habitudes et qui sait attendre. C’est un professionnel du regard.
Il habite l’immeuble d’en face, peu importe l’étage, mais il préfère regarder d’un peu plus haut. Il n’a pas besoin, comme le diable dans les contes d’autrefois, de soulever les toitures. Il observe tout de sa fenêtre, il a le temps, il n’interprète pas. Il voit, par exemple, le troisième étage d’une maison quelconque. Il ne l’a pas choisie. Il réside juste en face, par hasard. Il n’a pas besoin de jumelles, comme dans les films d’espionnage, il a de bons yeux, il sait voir. Il a observé, tout le jour, cet appartement vide en forme de rotonde.
Il y a trois fenêtres, et personne ici ne tire les rideaux, si bien que la vue plonge sans difficulté dans l’intérieur de
l’appartement. La femme qui l’habite part très tôt le matin.
Elle doit travailler dans une administration ou peut-être dans un petit commerce. Elle se lève, elle s’enferme dans la salle de bains qui se situe derrière la cloison. Puis elle ressort, elle éteint la lampe de la chambre. Peut-être prend-elle son petit déjeuner dehors. L’observateur n’en sait rien.
Il constate seulement que la grande pièce aux trois fenêtres demeure vide pendant toute la journée et ne s’éclaire que très tard. La femme, semble-t-il, vit seule.
Elle ne pénètre dans la pièce en rotonde qu’après s’être restaurée dans la cuisine que l’observateur ne peut apercevoir. Sans doute aussi après avoir pris une douche, car lorsqu’elle apparaît, comme ce soir, comme tous les soirs ou presque, elle est en combinaison. Une combinaison d’un rose assez vulgaire qui moule ses formes déjà vieillies. Elle doit avoir quarante-cinq ans. Il l’aperçoit de dos.
Elle a des fesses proéminentes qui tendent le satin rose. Ses cuisses sont à demi découvertes.
Elle se penche vers quelque chose qui échappe au regard de l’observateur à travers la fenêtre centrale. Le mur lui cache son visage et sa main droite.
Elle ne bouge presque pas, elle ramasse, dirait-on, quelque objet, mais cette hypothèse n’est pas très vraisemblable, car la scène se répète chaque soir, et la femme reste longtemps penchée, avec sa croupe tendue, comme si elle s’occupait d’une chose qui exigerait la plus vive attention. Peut-être nourrit-elle des poissons rouges dans un aquarium, mais il serait étrange que l’aquarium ou le bocal soit posé par terre. Ce qui intrigue davantage encore l’observateur, c’est la différence de luminosité entre les trois fenêtres. Au centre, derrière la forme accroupie, le mur est presque blanc, avec une bande jaune sur la droite.
Au bas de la cloison, on distingue un radiateur peint en orange et l’extrémité droite d’un lit, recouvert d’un tissu grenat. La moquette est verte, d’un vert acide, criard.
On peut penser que la masse du lit se poursuit sur la gauche. A travers la fenêtre de gauche, d’ailleurs, un peu de biais, on découvre le bout du traversin, une forme vaguement verdâtre.
La fenêtre est ouverte, et le rideau bleu pâle s’envole dans l’embrasure, comme un signal. Mais ce n’est, bien sûr, qu’un courant d’air que la femme a su ménager avec la fenêtre de la cuisine. On la comprend. Par un jour d’été, la chaleur est devenue presque intenable dans la pièce close. Il est tard, mais cette femme ne se soucie pas de l’heure.
Elle se sent bien dans sa lingerie rose. Elle laisse respirer son corps, une chair de femme un peu lymphatique, un peu molle. Cette chambre doit lui plaire, quoique l’ameublement soit très sobre, et qu’il n’y ait pas même un tableau sur le mur.
C’est, probablement, une femme qui vit peu chez elle, qui ne reçoit pas, qui se repose le soir.
Ce qui trouble surtout l’observateur, c’est la fenêtre de droite. Par la position qu’il occupe, il n’est pas en mesure de l’examiner autrement qu’à l’oblique, dans un angle de vision assez peu favorable. Cette fenêtre, chaque soir, excite sa curiosité, car, contrairement à l’éclairage brutal qui se projette à travers les deux autres fenêtres, il règne dans cet espace une lueur feutrée, étrangement sensuelle, qui évoque une ambiance de salon capitonné, presque de boudoir.
Le rideau jaune, toujours descendu jusqu’au tiers de la fenêtre, dissimule et révèle à la fois quelque chose qui tranche avec l’aridité quasi monastique de la chambre. Des teintes pourpres, veloutées, qui viennent peut-être de tentures et qui se reflètent en orange sur le rebord de la fenêtre, et plus bas, sur l’entablement de l’étage inférieur. Il y a là quelque chose que l’observateur cherche à comprendre depuis longtemps, mais en vain.
La femme ne se déplace jamais jusque-là. Elle laisse flamber cette lumière pourpre, cette lumière qui contredit l’existence qu’elle mène dans la pièce très éclairée. Que se passe-t-il dans cette chambre, quelle sorte de rituel secret s’y ordonne-t-il chaque soir.
Pourtant la femme ne craint pas que le regard de quelqu’un d’autre s’y insinue et découvre là les indices d’une existence voluptueuse. Elle reste immobile, toujours penchée au fond de l’embrasure centrale. Le rideau bleu pâle s’évade dans l’air de la nuit. Le mystère demeure entier.
voir aussi » comme dans un tableau d’Edward Hopper » – dec 2012
Paris-scies… ou d’errances jusqu’en Camargue (RC)
Paris Scies
Je dirai qu’à Florence
On sremplit la panse
Et qu’à Pise la tour
a ses petits fours
Y a pas en Toscane
Du saucisson d’âne
Mais en Italie
Toujours de grands lits
Marquise à Senlis
Et ses fleurs de lys
Les accueille en dépôt
Gravées dans sa peau
De Reims à Clovis
C’est un tour de vis
Poterie cassons
Vase de Soissons
Si tu vas en Arles
Tu sais dont je parle
Du fond d’Trinquetaille
Nous ferons ripaille
Et qu’on se déplace
Mais toujours j’enlace
Le corsage rayonne
De ma belle lionne
De lionne en Lyon
Un ptit coup d’avion
A califourchon
Dans un ptit bouchon
On s’en paie une tranche
Au bord de la Manche
C’était à St Lo
(pas de vin mais beaucoup d’eau)
Tant de pluie qu’en Bretagne
Pas besoin d’un pagne
Pour se faire masser
Dans un bain glacé
D’retour en Provence
C’est un jour de chance
J’ai vu ma Bougon
Parfumée d’savon
C’était pas rideau
La bête à deux dos
On s’est promenés
Bus et câlinés
Si l’Mistral nous nargue
C’était la Camargue
Lente et paresseuse
Mais aux heures, heureuse,
—
( et une petite réponse à Jo)