Gérard Pons – feuilles du repentir

Que nous restera-t-il
sur l’autre rive
qui attendrisse notre exil ?
Sur les rives de nos fleuves
ne tomberont à l’automne
que feuilles de repentir
et sur nos monuments
encadrés par les ronces
d’autres feuilles d’oubli.
Le vent sans emblèmes,
ni drapeaux, ni fanions,
ni oriflammes
n’agite que rameaux
de saules éplorés.
Face aux portes closes
et aux rideaux tirés
sonnent dans la nuit
les pas cadencés de la ronde
aux ordres des éperviers d’acier.
Le lac retiré
au-delà des roseaux
garde jalousement
le reflet de la lune
dont l’image inverse
s’épingle sur le noir.
Le ruisseau murmure une prière
que ne reprennent pas
les herbes immobiles.
Sur le vieil arbre dépouillé
le lierre mourra là
où il s’est accroché.
extrait de la « saison des lendemains «
Aujourd’hui, j’ai repeint les rideaux – ( RC )

Aujourd’hui j’ai repeint les rideaux,
de bleu et de vert d’eau:
les murs ont les mains ouvertes,
les fenêtres sont des tableaux de maître,
les volets se sont ouverts sur l’été,
ils ont délaissé leur gris
changés en vert anis
ennemis de l’obscurité.
C’est un nouveau paysage
envahissant la maison :
que dirais-tu d’un vert céladon
pour laisser passer les nuages ?
L’ombre accrochée aux branches,
la mer, verticale sous un petit bateau
avec sa voile blanche,
ce serait encore plus beau…
Imagine qu’il bouge,
que les portes se déplacent,
dans une lumière fugace
d’orange et de rouge,
des couleurs porteuses d’audace,
sorties de ma palette
où se déplace ta silhouette
juste avant qu’elle s’efface ..
.
Frantisek Hrubin- Ne meurs pas,
peinture N Gonchavora ornement électrique 1913
–Ne meurs pas, m’as-tu dit ce matin.
Moi mourir ?
Je suis assis à la fenêtre je dois veiller.
Et toi tu dors je ne sais où
Là-bas, loin, quelque part
dans la carriole à rideaux. Moi mourir ?
Aujourd’hui il y a tous ces jours en plus, où je m’épanouis
dans l’éclat du soleil me répandant
comme une chanson à mille refrains.
Aujourd’hui il y a aussi cette nuit en plus
et je me retrouve à la charge des autres
et de moi-même………..
–extrait de »Romance pour un clairon » ( recueil de la nouvelle poésie tchèque )
Albert Camus – l’envers et l’endroit
un petit extrait poétique significatif …
« Ce jardin de l’autre côté de la fenêtre, je n’en vois que les murs.
Et ces quelques feuillages où coule la lumière.
Plus haut, c’est encore les feuillages. Plus haut, c’est le soleil.
Mais de toute cette jubilation de l’air que l’on sent au-dehors,
de toute cette joie épandue sur le monde, je ne perçois que des ombres
de ramures qui jouent sur mes rideaux blancs.
Cinq rayons de soleil aussi qui déversent patiemment dans la pièce un parfum d’herbes séchées.
Une brise, et les ombres s’animent sur le rideau.
Qu’un nuage couvre, puis découvre le soleil, et de l’ombre émerge le jaune éclatant de ce vase de mimosas.
Il suffit : une seule lueur naissante, me voilà rempli d’une joie confuse et étourdissante.
C’est un après-midi de janvier qui me met ainsi face à l’envers du monde »
Bassam Hajjar – Ils recouvrent de blanc ton absence
Lorsque tu la quittes
ses murs se rapprochent
la maison qui, délaissée,
trouve son âme dans un coin
et devine, depuis un instant seulement,
la toile d’araignée qui pend
dans le familier
devenu vacant.
S’éloigne-t-elle maintenant ?
Ou bien la fais-tu basculer dans le vide
de tes yeux mouillés
dans tes mains
dans le grand air
des lieux éloignés
comme si la fenêtre derrière toi
regardait vers le dedans
et s’éloignait à son tour
tandis que t’absorbent la rue et le tournant
avec une boule dans la gorge
de la taille de l’océan.
Elle ne te voit plus maintenant
la maison qui se blottit dans les entrées désertes de son âme
comme si dans le silence de ceux qui restent, là-bas,
elle baissait la tête et prêtait l’oreille
à l’écho des pas d’hier
à l’écho du rire ou du chuchotement dans les salles de séjour
et les chambres
dans la cuisine
sur les étagères et la table
dans les coeurs étincelants des bouteilles d’eau et de cognac.
Comme si elle devinait
que la petite femme
habitait toujours son coeur
et marchait pieds nus pour ne pas troubler la quiétude
dans son esprit brisé,
comme un murmure
qui s’élèverait en elle, .
et de ses flancs
coulerait l’aigreur de l’attente.
Comme si, quand nous partons, c’était la maison qui nous
quittait,
les tableaux et les étagères descendent des murs
les récipients s’en vont
les meubles aussi
la couleur quitte la maison
tandis que les rideaux restent tirés sur son secret
ainsi que les amantes.
Comme elle est nomade, la lumière
et comme l’ombre est sédentaire
Et les maisons dans la mémoire sont des chambres obscures
des couloirs
la respiration tranquille des draps endormis
réfugiés dans la béatitude de leur bleu
seuls et lisses
seuls et creux comme les veuves
les veuves que sont les maisons
lorsque nous nous éloignons d’elles,
que nous faisons signe de loin
et qu’elles font signe de loin.
Puis la trame de l’horizon se relâche
et l’air se tend,
ni l’oeil ne voit
ni les fenêtres ne clignent
et entre eux la distance commence à se remplir, le temps
commence à creuser.
Ma fille distribue-t-elle en ce moment les rôles du soir ?
Discute-t-elle avec sa voisine la poupée ?
Fait-elle manger Snoopy avec sa petite cuiller ?
Trouble-t-elle l’esprit tranquille de la maison ?
Ou bien dort-elle ?
Et quand la mer passe dans sa nuit
elle se retourne, comme sur l’écume d’une vague,
et son visage s’éclaire, halo de sommeil.
La somnolence c’est aussi les maisons
leur apanage et leurs fantômes cachés
lorsque l’air, alourdi par la fumée et les lampes du soir,
endort la petite femme sur le canapé
tandis que se noie la table du bureau
dans le flot des néons
que bâillent les papiers et les livres
que s’arrête le poème.
Lorsque tu la quittes
ses murs s’écartent
La maison, vaste,
imite le désert des livres
le hurlement des loups au loin
tandis qu’un écho s’écoule de ses flancs.
Qui est l’absent ?
Les choses sont à leur place, sauf toi
les choses sans toi
te cherchent là où tu n’es pas.
Ils te voient là où tu n’es pas.
L’absent est avec eux
dans la photo, sur la chaise, derrière la table,
derrière la fenêtre,
ou bien tu avances, sous leurs yeux, dans la rue
les pieds exilés et le torse maigre.
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Rien ne peut repousser la nuit – ( RC )
Elaine Sturtevant d’après Marcel Duchamp : » fresh widow »
–
Il y a cette fenêtre :
Les ténèbres s’y prélassent .
Peut-être est-ce le jour
qui ne peut rentrer :
Ma chambre, comme ma tête,
est close de rideaux noirs,
fermée sur sa blessure,
où se sont dissoutes les joies ,
que m’offrait ton visage
si loin dans le temps,
que je ne rappelle plus bien
—ni de son expression exacte,
—ni de la chaleur
qui m’envahissait .
Ma blessure a saigné ,
puis le sang s’est retiré,
en marée descendante .
Je ne peux même plus ,
saisir la lumière :
mes veines sont sèches ;
rien ne peut repousser la nuit .
–
RC – juin 2017
Des soleils se sont effacés – ( RC )
Tu navigues en terre lointaine.
Des soleils se sont effacés.
Ils ont sombré derrière des rideaux de fumée.
C’est ce que rapportent les oiseaux
qui ne connaissent pas de frontières.
On ne leur a pas encore coupé les ailes.
–
RC – juin 2016
–
en hommage au poète irakien Salah Al Hamdani et plus particulièrement son ouvrage « Rebatir les jours »
Robert Desnos – A la faveur de la nuit
–
Se glisser dans ton ombre à la faveur de la nuit.
Suivre tes pas, ton ombre à la fenêtre,
Cette ombre à la fenêtre c’est toi, ce n’est pas une autre,
c’est toi.
N’ouvre pas cette fenêtre derrière les rideaux de laquelle
tu bouges.
Ferme les yeux.
Je voudrais les fermer avec mes lèvres.
Mais la fenêtre s’ouvre et le vent, le vent qui balance
bizarrement la flamme et le drapeau entoure la fuite
de son manteau.
La fenêtre s’ouvre : Ce n’est pas toi.
Je le savais bien.
—–
Corps et biens (1930)
Bassam Hajjar- une autre femme- Un autre homme
–
UNE AUTRE FEMME
Elle vient
pas pour s’approcher.
Nous entamons chaque journée en nous séparant
elle, je ne sais vers où
et moi pour préparer la séparation du jour suivant.
Comme si sa bouche était lointaine
et son corps, plus que je n’en supporte
plus que je ne peux.
Elle dort
pour que je voie
pour que je ferme la porte derrière moi.
A Hassan Daoud.
————-
UN AUTRE HOMME
Est-ce que tout est en train de finir ?
Ils laissent les verres et les sièges
et je reste ici tout seul
pour éteindre la lumière et dormir.
Ne se pourrait-il pas qu’ils soient derrière les portes
ou les rideaux
à attendre ?
Et que, après que j’aurai fermé les yeux,
la nuit commence en mon absence ?
–
Ces textes sont extraits de « Tu me survivras »
–
Décor, lumière, extinction ( RC )

photo perso; panoramique collines éclairage vallée du Lot… voir le panoramique dans une dimension d’image plus grande ? cliquer sur elle
–
En tous sens, coulissent des rideaux ,
– Des pans de décor, qui bougent
Se masquent, grimacent une ambiance,
Tantôt légère, tantôt portée d’inquiétudes
> C’est une scène de théâtre,
Une question d’étoffes, de murs végétaux,
Où l’éclairagiste s’affaire,
Dans les hauteurs, à combiner les lumières,
A rassembler les nuages
User de la douche, des matités et brillances
Orage côté cour, grand projecteur côté jardin.
Qui s’éclaire et puis s’éteint,
Aux vents fantasques, il faut saisir l’instant
La mesure des secondes, ne revenant plus,
S’il faut en faire un dessin.
RC – 24 mai 2013
–
– A noter que ce type d’éclairage ponctuel et fugace est une des caractéristiques de la région et est effectivement perçu ( avec les pans de montagnes ou en lumière ou en ombre, selon la position des nuages), comme une scène – un théâtre de lumières….. Voir sur la même atmosphère mon article sur » Lozère en causses »
–
–
Bassam Hajjar – Mets une girafe dans un bol, un poisson dans un jardin

peinture Petite Lap de Cat Painting
METS UNE GIRAFE DANS UN BOL,
UN POISSON DANS UN JARDIN
Habitons-nous dans le nuage bleu
que Marwa dessine à côté de mon nom ?
Quand le fracas se rapproche de la fenêtre
quand les meubles s’accroupissent dans les coins
ou que les rideaux prennent peur,
ni le nuage ne pleut,
ni mon nom n’embellit le monde.
Alors toi ma fille, dors,
et quand je somnolerai un peu
Je te promets de rêver de toi
de vider mon crâne de sa lourde quincaillerie
et de penser au nuage bleu
a la maison
au seuil
aux fruits qui ressemblent aux papillons
aux papillons qui ressemblent aux fruits
Uniquement quand tu les dessines.
Je te demande alors :
pourquoi ne dessines-tu pas le monde entier
pour qu’il lui soit donné de ressembler à quelque chose ?
Mets une girafe dans un bol
un poisson dans un jardin
mets un oiseau et un rhinocéros dans la même cage
et crois qu’ils vont s’aimer
parce que tu le veux ainsi
avec l’entêtement qui te fait considérer le sommeil
comme de fausses vacances.
Mets, quand tu dessines mon visage,
un peu de fatigue sur mes traits
une seule ligne sur mon front
pour que je considère que je suis au milieu de la vie
et non à la fin.
Mets une lueur de la couleur de ton choix
pour que la sécheresse ne s’attarde pas dans mes yeux
mets de l’eau en quantité
pour qu’il me reste deux mains énergiques
des moustaches
et un coeur rabougri, tant le vide fait siffler ma poitrine.
N’oublie pas les lits pour dormir
les bouches pour sourire
et un peu de larmes
seulement
pour nous rappeler de temps en temps
avant de l’oublier
comment un homme pleure comme une femme
comment une femme pleure comme une femme
comment ils pleurent, tant les pleurs les rassemblent.
Habitons-nous dans la petite boîte
que tu meubles avec des bouts de papier
des allumettes et des cuillers ?
Et puis arrive ta fille, jolie comme une poupée,
pour nous apprendre comment les poupées sont heureuses
sans parler
délicates, sans que personne ne leur manque.
Puis tu fermes la porte,
tandis que l’homme se souvient qu’il est un homme
et la femme qu’elle est une femme,
ils se souviennent qu’ils s’éloignent ensemble
chacun tout seul,
vers une obscurité redoutable.
Mets une étagère pour la lampe
une patère pour mon manteau ou mon chapeau
mets une nuit tiède après chaque jour
et des voyageurs
qui ne manquent pas leurs rendez-vous
ni de frapper à la porte
et de t’entendre courir
et jubiler derrière la porte.
–
(Paris, fin décembre 1986)
–
extrait de « tu me survivras » Actes/sud
La joie ( Ile Eniger) – Pluie d’été ( RC )
A partir du beau texte de Ile Eniger, ( le premier), j’ai écrit le second…
La joie
–
Le pain brûlé des terres
La lumière en bras de ruisseaux
La perfusion du jour sur les heures de nuit
Les veines au cou de la montagne
Les vignes lourdes de vin vert
Le ciel marine à force de brasure
Les oursins de lavandes dans l’océan des champs
Les fenêtres ouvertes pour reprendre leur souffle
Et les rideaux fleuris
Les pas derrière la porte
La présence
La vie pleine forge
La centaine des blés pour un seul coquelicot
Le rouge du soleil en face
La joie
Légère comme une espadrille.
Copyright © Ile Eniger
–
pluie d’été
Légère comme une espadrille
Le pas suspendu
Au dessus des brumes
Elle flirte avec les dunes
Et se saisit des montagnes
Pour en faire des chapeaux
Qu’elle repose,de biais
Dans l’océan des champs
Si bien peignés de blés
Et qu’elle va visiter
Lorsque le ciel caresse le sol
Encore chaud de l’hier,
Et d’une fin d’été
Aux parfums de lavande
Et de la terre mouillée.
RC – 11 septembre 2012
en rapport avec la photographie voir aussi cet article
Copyright © R Chabriere