Ziâgol Soltâni – mélodie de ma patience

Au nom du miroir, ce soir, libérez-moi
La nuit passée, l’aube venue, appelez-moi
Sur ce rivage où je me suis perdue à moi-même
À moi-même, ramenez-moi
Les bleus sur mes épaules sont les bleus de l’hiver
À la saison du vert printemps, priez pour moi
De la mélodie de ma patience et de mon silence, que savez-vous ?
Le temps d’un souffle, à la flûte associez-moi
Sur l’aile du papillon est écrite la brûlure de la chandelle
De toutes les âmes enténébrées, séparez-moi
La cruauté d’être confinée derrière un voile m’a fait perdre toute patience
Au nom du miroir, ce soir, libérez-moi !
In Le cri des femmes afghanes, © Bruno Doucey, 2022 — Traduction par Leili Anvar – provenance article d’origine:apagraindesel
Annie Salager – Lis de mer

à J.F .Temple
Tant d’années sans eux les lis
le léger inconfort des étangs
les vieilles cabanes de pêcheurs
les canaux les roselières
l’ennui pour eux de n’être pas la mer
soudain un champ de saladelles
je gémis attachée au train
je guette le mistral les flamants roses
je veux les lis de mer
les lieux d’exil terre ni mer
où travaille l’instable le néant de l’être
fouetté par-dessus tête
des courtes vagues du désir
et tout ce poids du temps
les mêmes
J’entends la mer balayer le rivage
entrer dans la chambre
la rumeur du sablier
le ciel est noir d’étoiles
la nuit le peuple
de lis en poussière de mer
j’ai soif d’eux
dans les senteurs du maquis
l’instant du vivre
tient en haleine
le même
Il est venu de loin
___en pétales sépales
corolle étamines pistil _
depuis l’union des dunes
_ silencieuses et des limpidités
dont l’eau meut: les anneaux
il est: vertu par les millions d’années
jaillir du sable fin où la pluie
lui conserve des souvenirs d’espace
et où le temps lui vient
pénétré de lumière
face au mien
de loin très neuf
nouveau venu et
lieu de culte où
seule en son parfum
demeure la présence
Nathaniel Tarn – poissons translucides

Entrelacs des sternes sur une eau de velours
écrivant dans l’air les chemins des poissons
traquant leurs victimes en cercles d’anxiété,
leurs cris nous réveillent en sursaut, leur hargne
contre un destin qui refuse subsistance.
Groupes de gens au coucher du soleil sur une plage
aux dimensions du rivage universel, et pâles
de l’attente des miracles – les oiseaux en contraste, noirs
de suie même au crépuscule, patrouilles en vol
avertissant l’assemblée que ce ne peut arriver.
Mais ce grand vaisseau de notre empire d’épouvante
chante dans le vent qui le porte contre ces gens,
toutes voiles déployées, prêt à partir
et aucun homme ayant un peu de cœur à bord
ne pourrait frapper en perçant cette obscurité,
officier ni capitaine – vaste, vaste entreprise,
vaste et vide, et terreur sur tous les océans,
sauvetage de capital en danger de perte.
La mer se ferme sur les yeux, les yeux devenus ciel :
du ciel descendent les poissons translucides,
adoucie par les lèvres de la mer, à l’eau si généreuse,
sa chaleur versant une huile d’hydromel,
les poissons commencent à l’instant nous entrons –
étant à peine visibles nous ne les voyons pas
jusqu’au moment où nous passons dans leurs bancs
les derniers de la création, l’eau-création,
et puis nous sommes au-dessus d’eux,
glissant à hauteur d’œil dans un sens
suivant notre rêve avant de revenir.
F-J Temple – Haute plage

à Richard Aldington
Ombres des vieux soleils couchés
ainsi vont les chevaux sur les rivages
comme des âmes dans la nuit.
.
Tel est le souvenir effacé par les vagues
où le phare debout veille au désert du vent.
.
En ce temps-là familier des centaures
seule une voix parlait dans le palus :
le dieu-butor aux étoiles rêvait
sur un empire aux couronnes de sel.
.
Nous voici désormais condamnés aux mirages
à l’herbe amère des anciens jours.
.
Pâle une lune morte se souvient.
.
.
Foghorn
Editions Grasset
Jacques Guigou – Augure du Grau
dessin- aquarelle: Paul Signac
Parti
le port assombri
il frémit
le marcheur de la nuit
grâce à la persévérance des vagues
son pas s’efface
sur la page du rivage
passé la prise d’eau de Salins
il rallie
la course de l’étoile de l’Ourse
elle qui deviendra noire
mais qui pour l’instant
l’irradie »
Jacques Guigou 2012
Perrine Le Querrec – les nuages
extrait de » la Patagonie «
Les nuages
Quitter le rivage de terre et de cailloux, s’avancer vers
les nuages. D’un pied tâter la matière, y entrer d’une
jambe, d’un corps, d’un coup. Plonger dans la mer,
s’en recouvrir, crèvent les gouttes contre la peau nue,
les jambes s’alourdissent, les cheveux, la bouche pleine
déchirer les nuages. Un ciel d’eau sur les épaules,
disparaître.
Samira Negrouche – Illusion
Illusion
mon regard s’abandonne
sous l’eau cristalline
de l’oued en crue
flottaison
mes sens en arythmie
au corps qui se
promène
sur le cours incertain
M’en aller
comme feuille d’automne
et m’oublier au travers
des branches en furie
des eaux ravagées
de la soif inépuisable
des tuiles tombantes
de la maison dégarnie
m’en venir
au petit matin
effleurer ton rivage.
( extrait de L’heure injuste )
Mike Stern – la marche du danseur
spectacle de Lucinda Childs
La marche du danseur
J’adore voir un danseur marcher
sur une surface ordinaire
hors scène et hors service
Gracieux même quand il pousse un caddy
le corps spontanément
devient si détendu si léger
que la pesante loi de gravité
semble n’être qu’une rumeur
La terre tourne sous les pieds du danseur
La lune et autres satellites
ajustent leurs orbites
Tout cherche sa place de nuit
Le danseur, de retour chez lui,
coupe des tomates en tranches et fait frire des oignons
debout dans la cuisine
comme un héron faisant une pause entre le rivage
et le soleil couchant.
Pentti Holappa – depuis le rivage
–
Depuis le rivage
Semant ses bienfaits un nuage vole puis un aigle, messager.
Seules les îles gémissent vers le rivage à leur départ,
quand le vent sous le gel se fige, pleurant sur leur sort.
Et la mort du nuage et la fin de l’aigle
et le dernier cri sont une suffisante genèse.
Les lueurs de l’Est ne dorent pas les eaux du rivage,
et les lumières de l’Ouest
ne recouvrent pas l’homme qui regarde.
Seul jusqu’au destin du rivage résonne
le chant de ceux qui s’en vont :
Adieu, étranger aux visages enfouis.
( Le fils de la terre 1953)
Christian Hubin – L’auréole veuve
De l’horizon arrive la division en perles, l’intelligence inhumée.
L’auréole veuve, le glas dans la base opaque du soleil.
A ceux que son rivage éveille, l’eau de la nuit rappelle que rien n’est achevé.
Au bord de la mer, elle-même face à elle, à sa fin réfléchie.
Qu’est-ce qui revient avec les vagues ?
Qu’avons-nous fait pour à ce point avoir oublié, n’être plus ?
Bulles blanches qui s’envolent de la roche tabulaire.
L’éponge de l’air, les stries dans la lumière totalisante.
A pertes de vues – ( RC )
– Qui connaît le milieu
d’une mer ? : elle se referme sur mes yeux,
> Je n’en situe pas le centre,
ni ce qui les hante…
bien étanches à des sensations…
autres que celle du glissement de l’eau..
C’est peut-être que ceux-ci deviennent poissons,
et se cachent comme ils peuvent sous les flots,
en fuyant mon visage,
( comme si j’écrivais : fuyant le rivage… )
La peau en serait la surface,
Elle se ramollit et s’efface,
On n’en saisit plus les bords
Les yeux fuient bien plus au nord :
On voit bien qu’ils plongent
à mesure que les jours s’allongent,
et le regard se fait plus flou,
en échappant aux remous,
et aux mouvements de l’onde :
> on dirait qu’ils fondent
ils se dissolvent dans le liquide
en délaissant les rides
accrochées aux paupières :
il y a de moins en moins de lumière
quand on s’écarte du soleil :
> C’est la porte du sommeil :
Plus rien ne les anime,
au plus profond de l’abîme:
l’eau ruisselle et glisse,
mais sur une face, désormais lisse :
il n’est pas sûr qu’ils émergent de l’océan :
désormais perdus dans le néant:
Il n’y a plus d’ailleurs
que pour le regard intérieur
comme s’il s’en était allé
dans une immensité d’eau salée…
C’est ainsi que du lointain se dilue
ce que l’on imagine » à pertes de vues « .
–
RC – fev 2016
Samira Negrouche – Illusion
Illusion
mon regard s’abandonne
sous l’eau cristalline
de l’oued en crue
flottaison
mes sens en arythmie
au corps qui se
promène
sur le cours incertain
M’en aller
comme feuille d’automne
et m’oublier au travers
des branches en furie
des eaux ravagées
de la soif inépuisable
des tuiles tombantes
de la maison dégarnie
m’en venir
au petit matin
effleurer ton rivage.
(L’heure injuste page 86)
–
Le chemin du rivage ( RC )

une image que vous ne verrez jamais ailleurs, avec le pont de Douvenant, vers St Brieuc ( 22 )
Si le chemin, au bord du rivage
S’allonge au gré de mes pas, c’est errer
Contourner les pentes, dominer les plages
Et emprunter celui des anciennes voies ferrées..
La lumière est mouvante et se déplace
Au gré des courants d’air, qui poussent
aussi les ombres, que des nuées lasses
Déposent en bouquets de couleurs douces
Au delà des sables, les ajoncs
Et le rivage qu’on situe par-delà la baie
Lorsqu’on passe le vieux pont,
Une distance qu’on franchirait d’un trait,
Si on avait les ailes d’une mouette
A voir les choses de haut
En luttant contre l’air qui fouette
le front, au dessus des eaux.
Mais je continue la voie étroite
Suivant les caprices de la côte, le contour
Ne connaissant pas la droite
En impose ses détours
A suivre obstinément le chemin,
Que je parcours sans hâte
Entouré de pins et romarins…
Mais voici que le temps se gâte ….
C’est un prélude à la nuit
Lorsque le ciel s’épaissit
Et qu’arrive aussi la pluie,
Sous un ciel obscurci
Que quelques lueurs parcourent…
Il est trop tard pour l’éviter
Et envisager le retour …
S’il le faut, j’irai m’abriter
Pour l’instant, je poursuis ma route;
Des éclairs lointains l’illuminent
Et tombent, éparses, quelques gouttes
Tandis que je chemine …
Lentement, le paysage défile :
La terre humide, à mon nez , se parfume
La baie s’est emplie de brume,
On distingue à peine les îles…
Une lumière intermittente traverse
Là-bas, la colonne d’un phare
Situé un peu à l’écart
Sous le rideau de l’averse
Dans ma poche, pour écrire, quelques papiers
En hâte, pliés
Mais qui sont déjà mouillés
Et d’un reste d’encre, souillés…
RC – 30 juillet 2012
Else Lasker-Schüler – Toi seul
TOI SEUL
Dans sa ceinture de nuages, Le ciel porte le croissant de lune.
Sous l’image en faucille , Je veux reposer dans ta main.
Toujours il me faut suivre la tempête, Je suis mer sans rivage.
Mais depuis que tu quêtes mes coquillages Mon coeur scintille.
Il repose tout au fond de moi, Ensorcelé.
Peut-être mon amour est-il le monde
Il bat
Et ne cherche que toi seul –
Comment donc t’appeler ,
NUR DICH
Der Himmel trägt im Wolkengürtel Den gebogenen Mond.
Unter dem Sichelbild Will ich in deiner Hand ruhn.
Immer muss ich wie der Sturm will, Bin ein Meer ohne Strand.
Aber seit du meine Muscheln suchst, Leuchtet mein Herz.
Das liegt auf meinem Grund Verzaubert.
Vielleicht ist mein Herz die Welt,
Pocht –
Und sucht nur noch dich –
Wie soll ich dich rufen ?
–
Cesare Pavese – Paysage VIII
Cesare Pavese – Paysage VIII
Les souvenirs commencent vers le soir
sous l’haleine du vent à dresser leur visage
et à écouter la voix du fleuve.
Dans le noir
l’eau ressemble aux mortes années.
Dans le silence obscur un murmure s’élève
où passent des voix et des rires lointains ;
Bruissement qu’accompagne une vaine couleur
de soleil, de rivages et de regards limpides.
Un été de voix. Chaque visage enferme
pareil à un fruit mûr une saveur passée.
Les regards qui émergent conservent un goût d’herbes
et de choses imprégnées de soleil sur la plage
le soir.
Ils conservent une haleine marine.
Comme une mer nocturne est cette ombre incertaine
de fièvres et de frissons anciens, que le ciel frôle à peine ;
chaque soir, elle revient.
Les voix mortes
ressemblent à cette mer se brisant en ressacs.
–