Alejandro Oliveros – cartes

Nous sommes des habitants
sans rues ni places.
Les frontières de cette terre
ne correspondent pas
à nos cartes.
Les montagnes sont plus froides
mais moins hautes ;
les fleuves plus paisibles,
sans boas ni piranhas ;
il y a bien des plaines,
mais sans sécheresses mortelles,
et les mers sont bleues,
mais sans raisins sur les rameaux.
On ne nous trouvera pas
sur ces cartes ;
sur la rose des vents,
aucune fenêtre.
Nos rivages
se sont perdus, et avec eux
notre nord
et nos demeures.
Kenneth White – lotus conus
extrait de la « cryptologie des oiseaux »

Lotus conus
L’oiseau-évangile
commun en diable
il est là
sur tous les rivages
écrivant sur l’eau, le vent, le sable
Rabindranath Tagore – Au petit matin
photo Nicolas Grandmangin
Au petit matin on murmura que nous allions partir en barque, toi seulement et moi,
et qu’aucune âme au monde ne saurait jamais rien de notre pèlerinage nous menant éternellement vers un autre nulle part.
Sur cet océan sans rivages, devant ton sourire attentif, silencieux, mes chants s’amplifieraient en mélodies, libres comme les vagues, libres de la servitude des mots.
Le temps n ’est-il pas venu ? Qu ’il y a-t-il encore à faire ?
Vois, le soir est descendu sur la plage et dans la lumière faiblissante les oiseaux de mer regagnent leurs nids.
Qui sait quand, les amarres rompues, la barque, telle la dernière lueur du couchant, s’évanouira dans la nuit ?
Une chapelle comme une nef échouée – ( RC )
Chapelle contemporaine du Mont Lozère. Architecte: Jean Peytavin
( toutes photos perso – réalisées en 2006 )
–
On ne s’attend pas, quelque part,
Dans un repli de la montagne,
A trouver là,
Une nef, immobilisée,
Qui s’est échouée un jour,
La quille prise dans les sables.
C’était comme aujourd’hui,
( on peut le supposer ),
Un jour où le brouillard épais,
Ne permettait pas de voir les côtes.
Bien sûr on peut se demander,
Puisqu’il n’y a pas de rivage,
Par quel hasard le bord de mer,
Se serait élevé,
Si haut, qu’on en aurait perdu le sel,
Et même jusqu’à l’idée.
Quant à moi je m’en tiens à l’énigme,
Du basculement des origines .
Oui, on ne s’attend pas,
A trouver une flèche incrustée,
Dans la large épaule
De la montagne,
Une construction dont le toit
S’élance du sol, pour se tendre,
Dans sa simplicité géométrique,
Vers les hauteurs ventées.
Jusqu’ où va la foi,
Et jusqu’au coeur du froid,
Si des hommes ont dressé
Tout contre le ciel, une nef
– peut-être en se rappelant
Celle de Noé ….-
En recherchant sous le ciel bas
Des fragments de divin.
–
RC – mai 2015
Livre des heures de Carlos V.
Biblioteca Nacional de España
Emma Lazarus – Le nouveau colosse
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Le Nouveau Colosse
Pas comme ce géant d’airain de la renommée grecque
Dont le talon conquérant enjambait les mers
Ici, aux portes du soleil couchant, battues par les flots se tiendra
Une femme puissante avec une torche, dont la flamme
Est l’éclair emprisonné, et son nom est
Mère des Exilés. Son flambeau
Rougeoie la bienvenue au monde entier ; son doux regard couvre
Le port relié par des ponts suspendus qui encadre les cités jumelles.
« Garde, Vieux Monde, tes fastes d’un autre âge ! » proclame-t-elle
De ses lèvres closes. « Donne-moi tes pauvres, tes exténués,
Tes masses innombrables aspirant à vivre libres,
Le rebut de tes rivages surpeuplés,
Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête me les rapporte
Je dresse ma lumière au-dessus de la porte d’or !«
( ces dernières lignes rappelleront une actualité des déshérités de la migration subie )
–
le texte original:
- Not like the brazen giant of Greek fame
- With conquering limbs astride from land to land;
- Here at our sea-washed, sunset gates shall stand
- A mighty woman with a torch, whose flame
- Is the imprisoned lightning, and her name
- Mother of Exiles. From her beacon-hand
- Glows world-wide welcome; her mild eyes command
- The air-bridged harbor that twin cities frame,
- « Keep, ancient lands, your storied pomp! » cries she
- With silent lips. « Give me your tired, your poor,
- Your huddled masses yearning to breathe free,
- The wretched refuse of your teeming shore,
- Send these, the homeless, tempest-tost to me,
- I lift my lamp beside the golden door!«
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C’est ce poème qui est gravé sur une plaque fixée dans le socle de la Statue de la Liberté.
Le poing crispé sur les cartes – ( RC )
–
Tu tiens dans tes mains
Les cartes des jours,
Et disposes des atouts,
Des as et des figures.
Je ne sais encore aujourd’hui,
Ce qui compose ton jeu.
Nous n’avons pas voyagé ensemble
Assez longtemps pour que je devine,
Quelles étaient ces cartes.
Serrées dans tes mains closes.
On y lisait peut-être mon destin.
Tu t’es endormie des années,
Et, mon bateau abordant d’autres rivages,
Tu t’es réveillée sans ton image,
Oubliée quelque part,
Par inadvertance.
C’est alors que , desserrant ton poing,
Toujours crispé sur les cartes,
Tu t’es aperçue
Qu’elles étaient blanches,
Et qu’elles ne parlaient plus d’avenir.
–
RC – sept 2014

peinture: Lukas Van Leyden
Monique Mbeka Phoba- Rivages – Yemadja
Yemadja
Peut-être baisser les armes
Et nous rendre la mer…
La mer et ses gestes chauds
L’écharpe de ses vagues au cou
La mer et sa complainte débordante
Autour du ventre
La mer et son grain de sable
Et son perpétuel questionnement d’écume
La mer et sa grotte de suppositions
Dans son alambic verdâtre
La mer et son goût d’écume et de vent
Dans lequel on n’est plus rien
La mer et son tambour battant de gouttelettes
Sur le rivage qui n’en peut mais
La mer et son adieu chuchoté de coquillage
A la voix de Yemadja –
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Monique Mbeka Phoba est une auteure congolaise.
–
Ravages ( RC )

photo – tempête cyclone – auteur non identifié
–
Les mots de maudits,
L’écho des taudis,
Les eaux qui ravagent
Les maux qui divaguent
L’éclos des rivages
L’enclos des partages
Le flot de ta page
Le seau des orages
Au grand saut de la vie
Pèle-mêle et non-dits,
Déborde et envahit,
Rivière sortie de son lit
De tes yeux, nagent, et puis
Tes larmes et tes cris
–
RC – mai – 2013
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Dylan Thomas – Et la mort n’aura pas d’empire
-
peinture: Mark Rothko
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- Les morts nus feront foule
- Avec l’homme dans le vent et la lune rousse ;
- Quand leurs os blanchiront et leurs os blancs partiront,
- Ils auront des étoiles au coude et au pied ;
- Même s’ils sont fous, ils seront sains d’esprit,
- Même s’ils sont perdus en mer, ils reviendront ;
- Les amoureux seront égarés mais l’amour restera;
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- Sous les rouleaux de la mer
- Ils demeureront à l’abri de la tourmente ;
- Torturés pour que lâchent leurs nerfs,
- Attachés à une roue, ils ne cèderont pas ;
- La foi en leurs mains éclatera,
- Et les diables cornus les piétineront ;
- Écartelés de toute éternité, ils ne céderont pas ;
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- Plus aucun cri de mouette à leurs oreilles
- Ou le déferlement des vagues sur les rivages ;
- Où la fleur s’épanouit peut-être qu’aucune fleur
- Ne lèvera son front aux coups de la pluie ;
- Bien qu’ils soient fous et raides comme des clous,
- Leurs têtes laboureront les champs de marguerites ;
- Brisés par le soleil jusqu’à ce que le soleil se brise,
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- –
Sous les yeux fertiles du temps ( RC )
A tous les rivages et au murmure des vagues
Les paroles croisées, le bonheur d’une inspiration
Ainsi, le ressac régulier, et l’écume
Qui prend et donne, reprend encore
L’appel des sirènes s’est perdu dans la brume
———Personne n’en propose de traduction.
Le pays s’est usé de son voisinage,
Pour tatouer la mer de rochers,
C’est une lente métamorphose,
Qui transporte les éléments
Sous les yeux fertiles du temps
Au-delà du plein chant du soleil
Les falaises parait-il reculent
Et cèdent au liquide des arpents de prés,
Les remparts de la ville s’approchent du bord
Et seront un jour emportés,
Comme le sont les siècles
Aux haleines des brises et tempêtes.
Faute d’apprivoiser le temps
Il faut faire avec son souffle
Et le berger pousse ses troupeaux sur la plaine
Puis les plateaux, qui offrent
A toutes les transhumances, leurs drailles séculaires
D’un parcours recommencé, au cycle des saisons.
RC – 14 octobre 2012
–
José Gorostiza – le rivage
LE RIVAGE
Ni eau ni sable
n’est le rivage.
Cette eau sonore
d’écume simple,
cette eau ne peut
être rivage.
Pour reposer
en lieu moelleux,
ni eau ni sable
n’est le rivage.
Les choses aimables,
discrètes,simples,
se joignent
comme font les rivages.
Aussi les lèvres
pour le baiser.
Ni eau ni sable
n’est le rivage.
Chose de mort
je me regarde;
seul,désolé
comme au désert.
Viennent mes larmes:
je dois souffrir.
Ni eau ni sable
n’est le rivage.
José Gorostiza (traduction claude Couffon)