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Colette Daviles-Estinès – trop noir – trop blanc


montage RC avec sculpture de Germaine Richier( musée de Fontevraud )

Trop noir
trop blanc
ce tout poème
son écriture barbelée
Les mots lacèrent
calcinent

Beaucoup de phrases rabotées
– un carnet entier
avant de jucher
haut
l’éternité recluse dans la beauté du soir
et du matin recommencée

Faire ce que je dois :
aquareller
et juste retenir
comme floue, inachevée
une sérénité ivre

Laisser filer les rives
la rivière
les passeurs de comètes

10 avril 2014

Extrait de L’or saisons Éditions Tipaza  » Volets ou vers »
http://voletsouvers.ovh/index.php/2016/05/08/ce-tout-poeme/


Lot – (Susanne Derève)


John Singer Sargent – Brook and meadow –

.

Le pépiement désenchanté d’un moineau

couvert par le joyeux fracas

de la rivière.

.

Lot impétueux des lendemains de pluie,

les pierres sous la surface, plus larges

que ma paume, brillent

comme de grandes pièces d’or au soleil,

.

et dans ma paume deux violettes

cueillies près du vieil arbre

où s’éreinte l’oiseau.

.


Promenade – (Susanne Derève) –


Les Salelles (Lozère)

.

Il chemine

Le chemin le précède, bondit à flanc de roche,

enjambe la rivière

et c’est un pont soudain, dont les pierres disjointes

sont envahies de mousses,

puis le village, enfoui dans un repli doré du Causse

où le soleil s’attarde au milieu des vergers.

Il se rappelle avoir observé tout le long du sentier

qui longe le Lot de jeunes arbres fruitiers

fraîchement plantés.

.

Il s’imagine,

loin de l’hiver, reprendre ce chemin

pour en grappiller les fruits mûrs

– poires, coings, cerises –

cerises surtout, en mémoire des bigarreaux volés

de l’enfance,

des mains, des genoux éraflés aux grillages,

des cris, du cœur affolé de la fuite, 

– pour finir , ce n’étaient jamais plus de quelques

cerises échappées à la débandade,

écrasées, aigres, doucereuses –

.

Le Lot, fringant des soubresauts de l’hiver,

le sol clair et sonore du sentier.

Au dessus de Changefège, le ciel lui semble

d’un bleu trop pur de photographie truquée,

une fraîcheur nouvelle monte de la rivière

et le fait frissonner,

Il sent le chemin docile sous son pas,

uni, dompté, cueille

dans l’ombre qui s’avance une violette hâtive,

se résout à rentrer.

.

.


Ce n’est pas ici que s’arrête la rivière – ( RC )


photo roc Calascio – Abruzzes Italie

Sur la forteresse noire
que garde la montagne amère
se succèdent les guetteurs
qui ne regardent pas les oiseaux,
se moquant des frontières,
libres comme l’air.

Les murs sans joie
sont si hauts
qu’ils découpent le ciel,
comme avec un couteau.
Mais l’air se referme aussitôt,

compact dans sa jupe claire -.

Le temps a plus de chance,
il ne se laisse pas arrêter,
il ne franchit pas de portes
comme l’eau de la rivière.

Elle , qui reflète aussi bien le soleil
que les étoiles mortes,
dans le flux continu
des heures.

Les guetteurs l’ont perdu de vue
au creux des bras touffus
de la forêt de la plaine.

La matin contourne avec elle
les rochers,
et ne s’arrête qu’arrivé
au bord de la mer
pour reprendre haleine.

Les murs sans joie
ne renferment que de la haine
et une puissance illusoire
qui s’éteint quand le jour décroît,
absorbée par la nuit,

mais ce n’est pas ici
que s’arrête la rivière.

RC oct 2022


Dévêtue d’un temps trop lourd – ( RC )


peinture Gaston Bussière – ( l’anneau des Niebelungen)–la Révélation, Brünnhilde découvrant Siegmund et Sieglinde, 1894

En plongeant dans la rivière
pour aller chercher l’anneau d’or
que tu avais perdu,
j’ai trouvé la marque de tes mains.
Elles avaient modelé les pierres
lorsque tu t’es dévêtue
d’un temps trop lourd,
avant de t’envoler
légère
au-dessus de la terre
pour y rejoindre les constellations
dont même la science
ignorait l’existence….


Carl Norac – Chansons pour Robert Walser 2


gravure sur bois : Lynd Ward

J’écris sur des bandes de papier dit-il
je n’enfile pas les perles toute parole digitale
le passé rôde où on l’enterre il y a
des visages à compter des cibles à contenter
je viens gâcher mes yeux en signes minuscules qui me lira tombera
sur la paroi d’un grain de sable
( Walser ainsi va au clocher
au merle à l’arbre à la rivière
il a perdu cent noms cachés
sait comment peser sur la terre
les ailes sont pour les passants
et lui ne passant plus vraiment il écrit à défaut de vivre )


J’apprivoise les cailloux – ( RC )


photo Anne Cécile Lecuiller

A force de marcher sur l’eau,
j’apprivoise les cailloux,
qui se font plus légers
dans l’éclat des reflets
et de l’eau pure :
maintenant elle a baissé,
je peux traverser la rivière
en équilibre sur le gué.
Ce galet plat,
je l’ai conservé :
c’est une semelle qui me va
adaptée à ma pointure,
je n’aurai plus qu’à y adapter
des sangles de cuir :
m’en faire une chaussure neuve
naviguer sur le fleuve,
que la rivière ira grossir.
Pour faire la paire
il faudra que je déniche
un autre caillou lisse
pour m’emporter dans les airs :
que les écrevisses me pardonnent
elles trouveront d’autres abris
et d’autres pierres…


Rivière – (Susanne Derève) –


Paul Cézanne – Le pont des Trois-Sautets –
Un chant, ce soir, dans le jardin.
Le jour, passé à battre la rivière 
jusqu’à cette nasse d’eau profonde 
où je me suis baignée,
après le casier bleu aux écrevisses,  
dans le reflet éparpillé des saules.

Et d'y saisir dans le cours silencieux 
du flot
le bond étincelant d’une truite                                                         
… aventureuse.



. 

Paola Pigani – Où s’est – elle en allée la jeune fille Manouche?


Où s’est – elle en allée la jeune fille Manouche?
A-t-elle emporté les bourgeons de rêves qu’ elle avait cachés
entre les planches de son baraquement?
Elle a couru, je sais
dans l’haleine des forêts,
a voulu venger le temps arrêté, bousculer des pierres,
des agneaux dans les prés,
a jeté sa robe usée,
s’est lancée dans la rivière,
s’est roulée dans l’herbe,
plus nue qu’ à peine née .

Revenue au plus haut du jour

@paolapigani


J’attendrai que la lune se lève au-dessus du pont rouge – ( RC )


nuit sur le pont du lac Hoan

Est-il vrai que les gouttes de rosée
tombent des yeux de la nuit ? *
Alors j’attendrai que la lune se lève
au-dessus du pont rouge
et qu’elle me sourie,
flottant dans le reflet de la rivière,
alors que les feuilles s’enfuient
pour emprunter ton âme aux nuages…

*(deux vers empruntés à Rabindranath Tagore )


variation sur texte de
Lambert Savigneux

Si tu me demandes où je veux être
Avec toi sous la Lune
Je t’attends sur le pont rouge
Une larme a coulé de la Lune
Le pont rouge est une bouche
Veut-il manger la Lune ?
Sous les arches il y a une barque
L’eau et les fleurs et ton sourire
La lumière de la Lune
Inonde sur la rivière
sur le vieux pont
Nous regardons les feuilles passer.


Atteindre les berges sans éprouver de vertige – ( RC )


photo Roberto Ruberti « jeunesse » – Birmanie 2018

une passerelle sur les eaux,
quelques troncs mal équarris,
noirs par-dessus la rivière en furie
petits graphismes sur une portée,
quelques notes sans artifice
sur une partition beige,
appel du précipice
pas de bémol pour les dièses…
qui va pouvoir l’interpréter
sans qu’on le dirige
pour atteindre les berges
ni éprouver de vertige ?

sur une partition photographique de Roberto Ruberti « jeunesse » – Birmanie 2018


Jean-Yves Reuzeau – Au réveil


Max Ernst – Tree of life –
			 

J’ai revu cette rivière sauvage, 
avec ses truites de liberté fraîche.
J’en ai bu l’écume et caressé les galets fatigués.

Je me suis étendu sur la mousse du sous-bois, 
parmi les murmures langoureux
de l’ombre.
Je me suis perdu ; ivre de senteurs,
ivre de mots...

Je me suis perdu dans la liberté d’un rêve, 
et au réveil les oiseaux
portaient des muselières.

Ecume de sommeil, 1975

**

Je est un autre

Anthologie Bruno Doucet


Kenneth White – Labrador (2,3)-


Frits Thaulow – A mountain stream –
                         
            2 

J’ai moi aussi nommé un lieu
un lieu de grands rochers
luisant sous le soleil
un lieu où l'eau bruissait
tourbillonnait et glissait —
je l’ai nommé le Merveilleux Rivage

j’ai vécu là-bas tout un hiver
tout un temps de blanc silence
j’ai gravé sur la pierre un poème
à l’hiver et au blanc silence
les plus belles runes par moi tracées

des hommes aux yeux fins, aux pommettes hautes
sont venus me visiter
nous avons troqué
du drap contre des peaux
nous vivions en paix

et le printemps revint :
tous les ruisseaux ruisselaient de lumière
et la grande rivière reflétait le ciel
j'allai plus loin vers le sud
vers un pays de grandes forêts
où je vis des hommes rouges
parés de plumes d'oiseaux

je sentis sous mes pas une terre nouvelle
un monde nouveau
mais je me refusais à le nommer trop tôt
content de laisser mes sens
m’éveiller et me guider
pas après pas
à travers le réel

je n'étais déjà plus chrétien
sans être pourtant retourné à Thor
autre chose m'appelait
m'appelait au-dehors
autre chose qui peut-être
voulait qu’on l’appelle

une chose sensuelle
et abstraite à la fois
terrible et belle à la fois
une chose qui me dépassait
mais était à la fois
plus moi-même que moi

j’ai songé aux paroles de Norvège
aux paroles des penseurs et des poètes
aux paroles de haut vol des Hébrides
ici pas de place pour le Christ ou pour Thor
ici la terre a réalisé son destin
destin de pierres et d’arbres
d’ombre et de lumière
a réalisé son destin en silence
j’ai tenté d’apprendre
le langage de ce silence
plus rebelle que le latin
que j’étudiais à Bergen
ou que l’irlandais de Dublin.



	 3

Tout un champ nouveau
où travailler et penser
à chacun de mes pas
je sentais en moi une étrange vigueur
l’esprit chaque jour plus vif, plus clair


j'essayai encore quelques noms
(pesant avec soin chacun d'eux
les éprouvant dans ma tête
et sur ma langue):
la rivière de la Grande Baleine, le cap de l'Eskimo
le lac des Huttes sauvages, le col du Caribou

mais toujours pas de nom pour le tout
je voulais bien nommer les parties
mais pas le tout

l’homme a besoin d’arrimer son savoir
mais il lui faut un espace vide
dans lequel se mouvoir

je vivais et marchais
comme jamais encore
devenais un peu plus qu’humain
connaissais une plus large identité

les traces du caribou sur la neige
le vol des oies sauvages
l’érable rouge à l’automne
mordu par le gel
tout cela me devint plus réel
plus réellement moi
que mon nom même

je me surprenais disant parfois
«en accord avec l’esprit de la terre»
mais il n’y avait pas d’«esprit»
c'était la langue du passé
et ce monde était un nouveau monde
et ma pensée aussi était presque nouvelle
rien qui ressemblât à un «esprit»


seulement les traces bleues sur la neige
le vol des oies sauvages
et les feuilles rouges de gel

la religion et la philosophie
ce que j’avais appris dans les églises et les écoles
tout cela était trop lourd
pour cette vie de voyage
seule me restait la poésie
une poésie comme le vent et la feuille d’érable
que je me récitais
en parcourant le pays

je suis un vieil homme à présent
un vieil homme très vieux
j’ai griffonné ces runes sur un rocher
elles seront mon testament
personne ne les lira peut-être
elles resteront sur ce rocher
près des graffiti de la glace
balayées par la pluie et le vent.


Un monde ouvert : Anthologie personnelle

nrf Poésie/Gallimard


Ivo Fleischmann – Vers


m

Les secrets. Nous en sommes entourés.
Un seul visage, ou deux ?
J’écoute ton souffle et quand tu ouvres les yeux
et que tu me demandes pourquoi je veille
jamais je ne dirai le nom de la rue le nom de la ville
le chiffre de l’année
Jamais je ne dirai que des nuages là-haut filent vers l’horizon
Je te soulève de la rivière où tu dors
et je t’y replonge pour descendre avec toi au fil de l’eau
la nuit, comme un torrent
qui ne remontera jamais vers sa source.


(Quelques feuilles et la rivière )

— extrait du recueil « poésie », la nouvelle poésie tchèque


Fernando Pessoa – Le Tage est plus beau


Akbar Padamsee (Untitled)

Le Tage est plus beau que la rivière qui traverse mon
village,
mais le Tage n’est pas plus beau que la rivière qui
traverse mon village,
parce que le Tage n’est pas la rivière qui traverse mon
village.

Le Tage porte de grands navires
et à ce jour il y navigue encore,
pour ceux qui voient partout ce qui n’y est pas,
le souvenir des nefs anciennes.

Le Tage descend d’Espagne
et le Tage se jette dans la mer au Portugal.
Tout le monde sait ça.
Mais bien peu savent quelle est la rivière de mon village
et où elle va
et d’où elle vient .
Et par là même, parce qu’elle appartient à moins de
monde,
elle est plus libre et plus grande, la rivière de mon village.

Par le Tage on va vers le Monde.
Au-delà du Tage il y a l’Amérique
et la fortune pour ceux qui la trouvent
Nul n’a jamais pensé à ce qui pouvait bien exister
au delà de la rivière de mon village.

La rivière de mon village ne fait penser à rien .
Celui qui se trouve auprès d’elle , est auprès d’elle, tout simplement

Le Gardeur de troupeaux

et les autres poèmes d’Alberto Caeiro

nrf

Poésie /Gallimard


Wladyslaw Slzengel – loin ( conversation avec un enfant )


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Conversation avec un enfant

Mille neuf cent quarante deux.
La mère et l’enfant.
Un atelier, un bloc…
L’enfant au visage de lys
La mère aux cheveux de lait
Dis moi mère, demande le petit,
que signifie : loin…


Loin, c’est au-delà des montagnes,
des forêts et des rivières…
Loin c’est les rails…
Loin, c’est un voyage en mer,
des bateaux et de grands espaces livides,
et des montagnes au soleil pourpre…
Loin, c’est des îles dorées
et le souffle des brises parfumées,
une verdure éclatante
et le sable doux et sec.


Mais comment expliquer à l’enfant
le sens du mot : loin…
quand il ignore ce qu’est une montagne,
ou à quoi ressemble une rivière…
et n’a pas comme sa mère… et n’a pas comme moi
ces images plein les yeux,
alors comment expliquer à l’enfant
le sens du mot : loin …
Loin, mon enfant chéri
(une larme frémit sur les cils)
loin, c’est comme de notre bloc

jusqu’au bloc Toebbens…

Et dis-moi maman chérie
que signifie : autrefois…
Autrefois, c’est une soirée en ville,
des lampes qui brillent, des néons…

C’est le calme d’un appartement tranquille et un poêle bien chaud
Autrefois, c’est des gâteaux de Ziemianska
autrefois, c’est un déjeuner avec la radio autrefois,
c’est chaque matin Notre Revue »’
et le soir le cinéma Palladium.

Autrefois, c’est un mois à la mer, autrefois,
c’est…des photos d’une excursion
et une photo d’un mariage sous le voile
et du pain blanc sans paille…

Mais comment expliquer à l’enfant
ce passé clair et glorieux
quand il n’en sait rien… absolument rien…
comment expliquer : autrefois …

Tu vois, mon enfant chéri, déjà triste et vieux,
autrefois, ça signifie quand autrefois…
ils ne nous rationnaient pas le miel

et dis-moi, maman, dis-moi
C’est quoi, ce que j’entends la nuit…
ces longs sifflements… au loin…
qu’est-ce qui siffle, et pour quoi faire….

Comment expliquer à l’enfant,
quel exemple quel motif prendre,
pour expliquer le sifflement nocturne
et lointain des locomotives…
comment expliquer les rails
et la longue route vers l’infini
la joie de filer en sleeping
dans des express fous.

Gares, signaux, aiguillages,
nouvelles villes, rues,
billets, correspondances, bagages,
journal, buffet et porteur.

Le miroitement de petites lumières la nuit
les trainées lilas des fumées.

Comment expliquer… et pour quoi faire,
qu’il y a encore un monde quelque part au loin ça,
veut dire, mon petit garçon,
toi qui tords tes doigts de chagrin,
que ça peut s’étendre plus loin que Toebbens…
et encore plus loin que le miel…

notice biographique sur l’auteur ( poète du ghetto de Varsovie )


le pêcheur à la ligne- Susanne Derève


 

pecheurs a la ligne g seurat

   Georges Seurat – Les pêcheurs à la ligne

 

 

L’ombrage,

la dérive lente des corps dans les heures chaudes

de midi,  

le lit des eaux   de graviers et de pierres,

les berges fraîches des rivières,

le frisson des poissons d’argent.

 

Sous les arches des ponts ,

le silence habillait le vent  d’un tendre écho.

 

Tu ne me disais rien de sa caresse sur la peau,

du cerne obscur des voûtes grises,  

et quittée  l’ombre,   du soudain vertige 

de la lumière,  de l’éblouissement  du soleil.       

 

Sur la berge dorée,  étais-tu   ce pêcheur

à  la ligne,   musette vide,

rêvant d’une truite arc – en – ciel   ?            

 

 

 


Basho -La pièce perdue


euro, 5 cents, pièce de monnaie en cuivre, de tomber, de crise, de l'eau

La pièce perdue dans la rivière se trouve dans la rivière
Le soleil et la lune sont des voyageurs dans l’éternité.
Même les années sont errantes.
Pour ceux dont la vie est sur les eaux
ou qui conduisent un cheval au fil des ans
chaque jour est un voyage
et le voyage lui-même est la maison .


– Basho

( tentative  de traduction RC à partir  de l’anglais )

 

The Coin Lost In The River Is Found In The River

The sun and moon are travelers in eternity.
Even the years are wanderers.
For those whose life is on the waters or leading a horse through the years
each day is a journey and the journey itself is home

– 


La journée du peintre – ( RC )


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peinture:           P Cézanne  —  parc  du château noir       1904

Je ne sais
quand les journées s’allongent :

je suis pieds et poings liés
à la chanson du pinceau,
et j’en oublie les heures,
jusqu’à ce que je plonge
dans l’oubli des choses,
ainsi mon ombre me devance
sur la toile ébauchée.

Et chante aussi la rivière
sous le pont de pierres…

J’ai confondu ce que j’ai peint
avec une journée d’été.

Je dépose la lumière par petites touches ,
qui se rassemblent contre l’obscurité.
Je marche dans une clairière
que j’ai inventée ,
je m’y égare un peu .
La futaie change soudain d’aspect
sous l’éclairage électrique .

Elle n’a plus cet attrait magique
des rideaux de feuilles .

Je continuerai demain
marchant dans sentes et chemins :

il y a des couleurs qui s’attardent
à la façon de feuilles d’automne
Elles sont aussi sur mes mains tachées ;
je vais aller me nettoyer
puisqu’une journée à peindre
vient de s’éteindre

sans bruit ,
remplacée progressivement par la nuit .

RC – juin 2019


Gabriela Mistral – Pudeur


See the source image

dessin – A Watteau

Si tu me regardes, je deviens belle
comme l’herbe qui a reçu la rosée,
et ils ne reconnaîtront pas ma face glorieuse,
les grands roseaux quand je descendrai à la rivière.

J’ai honte de ma bouche triste,
de ma voix cassée et de mes genoux rudes;
maintenant que tu es venu et m’as regardée
je me suis trouvée pauvre et me suis sentie nue.

Tu n’as pas trouvé de pierre dans le chemin
plus dépourvue de lumière dans l’aurore
que cette femme sur qui tu as levé
les yeux en écoutant son chant.

Je me tairai pour que ceux qui passent
dans la plaine ne connaissent pas mon bonheur
à l’incendie qu’il met sur mon front grossier
et au tremblement de ma main…

C’est la nuit et l’herbe reçoit la rosée;
regarde-moi longuement et parle avec tendresse,
car demain en descendant à la rivière
celle que tu as embrassée aura de la beauté.


C’est le vent d’été … – ( RC )


 

alexander-brook---summer-wind_11077946503_o.jpg

peinture  :    Alexander Brook

 

C’est le vent d’été
qui a couché les blés ,
un silence s’est fait parmi les bruits :
      c’est bientôt la pluie
qui va nourrir la terre,
celle qui désaltère,
                  et que l’on attend
               depuis si longtemps :
Pendant que le ciel oscille :
        l’orage plante ses faucilles
        concentre ses flèches
rebondit sur la terre sèche.

Il éparpille les jours torrides,
     remplit les poitrines vides,
gonfle les ruisseaux,
     cherche dans les rocs des échos,
qu’il trouve jusque dans ta voix :
cette soif insatiable     que rien ne combat :
       la vie est revenue d’une longue absence
Elle remercie la providence,
       envisage un nouvel avenir :
je vois tes seins s’épanouir,
       l’herbe reverdir,
       et le désert refleurir…

J’ai beaucoup appris de tes paysages,
      de l’attente et des passages,
     des courbes de tendresse
où le temps paresse
     de tes frissons secrets
     et des lits défaits
où se courbe la rivière,
où se love la lumière :
     Après l’orage et le calme revenu,
                au silence dévêtu,
                la chair embrasée,
                enfin apaisée…


RC – avr 2019


Herberto Helder – Maudit soit celui qui a jeté la pomme dans l’autre monde


1915  Marc Chagall  N'importe ou hors du monde  Huile sur carton, maroufle sur Toile  61x47.3 cm  Takasaki, Gumma Museum of Modern Art.jpg

 

peinture: Marc Chagall:  N’importe ou hors du monde

 

S’il y avait des escaliers sur la terre et des anneaux dans le ciel
Je gravirais les escaliers et aux anneaux, je me pendrais
Dans le ciel je pourrais tisser un nuage noir
et qu’il neige, qu’il pleuve et qu’il y ait de la lumière sur les montagnes
et qu’à la porte de mon amour l’or s’accumule

J’ai embrassé une bouche rouge et ma bouche s’est teintée
J’ai porté un mouchoir à ma bouche et le mouchoir a rougi
Je suis allé le laver à la rivière et la rivière est devenue rouge
Et la frange de la mer, et le milieu de la mer
Et rouges les ailes de l’aigle
Descendu boire
Et la moitié du soleil et la lune entière sont devenues rouges

Maudit soit celui qui a jeté la pomme dans l’autre monde
Une pomme, une mantille d’or et une épée d’argent
Les garçons ont couru après l’épée d’argent
Et les filles ont couru après de la mantille d’or
Et les enfants ont couru, ont couru après la pomme.

 


Anise Kolz – sur moi


Résultat de recherche d'images pour "picasso erotique"

peinture P Picasso

 

J’aime te sentir
sur moi
comme un pont écroulé

ma rivière
polira tes pierres

 


Ile Eniger – Des jours et des nuits


 

photo: Sebastiao Salgado  » genesis »

 

J’ai déchiré des pans entiers du ciel trop bleu,   trop confiant, trop indécis.
J’ai gardé quelques livres, un vieux rêve,      deux poignées de sable,
une ou deux pommes vertes,          de l’eau entre les doigts,
de la musique sur un fil d’horizon ou de violon.

On n’entend plus mes pleurs d’animal    ni mes pas qui raclent le sol.
De loin, on me fait quelques signes.

Dessous, la rivière grande, la rivière gronde.
Des veines d’eau gonflées charrient les passés.
Dessus, le plafond trimballe ses nuées bâtardes.
Des jours et des nuits se disputent l’espace.

Il y a sans doute un accord possible.
Autour, des choses à prendre ou à laisser.
Et le souffle porté, supporté, emporté.

Loin de la mesure des hommes.
J’ai vacillé et tenu bon.

Je me suis bricolé des ailes pour faire danser mes espadrilles.
J’ai tenté d’aimer et la lumière qui va avec.


Pierre Mhanna – La rue et ses passants


 

 

 

3471866108_c17754237d%2520Fairy%2520of%2520Lakes.jpgMa vie entière est une lettre écrite pour vous dans une langue que seul l’amour peut comprendre.
My whole life is a letter for you written in a language only love can understand.

~

By the candlelight
I loved to read her poems
and gaze, every now and then,
into her eyes,
at the way the flame flickered
and danced upon
the page of her face,
the poem of my life.
À la lueur des bougies
J’aimais lire ses poèmes
et le regard, à chaque instant et puis,
dans ses yeux,
à la façon dont la flamme vacillait
et dansait sur
la page de son visage,
le poème de ma vie.
~

With the patience
of the river
dissolving rocks
and carrying them to the sea
my touch will have her skin
dissolved in poetry.
~

Avec la patience
de la rivière
dissolvant les roches
et les transportant vers la mer
mon contact verra sa peau
dissoute dans la poésie.

 

traduction  RC de cette  toute récente  parution  sur le blog  de Pierre Mhanna  ( english )

 

 


Derrière le mur, le ciel joue un concert – ( RC )


la- thphotographe non identifié


Derrière le mur,
Le ciel joue un concert,
Avec des cuivres,
Et des ors,
Brodés sur les nuages.

L’herbe est profonde,
Le champ en pente  douce,
Jusqu’à la rivière,
Dont on perçoit,
Juste le murmure .

On dirait que  dehors t’attend,
Mais tu restes immobile,
Derrière le mur .
Les os sont fragiles,
Mais tu peux risquer quelques pas,

Et ouvrir la porte.
Le crépuscule n’est pas la nuit,
Et du soleil couchant,
C’est sa lumière encore,
Qui donne le relief à la vie.


RC – mai  2015

 


Jean-Paul de Dadelsen – Il y a beau temps


 

Vector Arts (214)--.jpg

Il y a beau temps que le soir est tombé

Il y a beau soir que le ciel est plombé

Il y a beau ciel qu’est partie la lumière

Il y a beau jour qu’est tarie la rivière.

Voici cet oiseau passer bas sous la nue

Il faut partir et rentrer dans le noir

Il n’est plus temps de chanter dans la rue

Il est trop tard pour causer dans le soir.

Les arbres dorment comme un corps inerte,

Un papillon se hâte vers sa perte.

Seul, sans recours, il faut fermer les yeux

Et tout au fond du noir creuser vers Dieu.

 

Jean-Paul de Dadelsen « Jonas » (Gallimard)