Lot – (Susanne Derève)

.
Le pépiement désenchanté d’un moineau
couvert par le joyeux fracas
de la rivière.
.
Lot impétueux des lendemains de pluie,
les pierres sous la surface, plus larges
que ma paume, brillent
comme de grandes pièces d’or au soleil,
.
et dans ma paume deux violettes
cueillies près du vieil arbre
où s’éreinte l’oiseau.
.
Promenade – (Susanne Derève) –

.
Il chemine
Le chemin le précède, bondit à flanc de roche,
enjambe la rivière
et c’est un pont soudain, dont les pierres disjointes
sont envahies de mousses,
puis le village, enfoui dans un repli doré du Causse
où le soleil s’attarde au milieu des vergers.
Il se rappelle avoir observé tout le long du sentier
qui longe le Lot de jeunes arbres fruitiers
fraîchement plantés.
.
Il s’imagine,
loin de l’hiver, reprendre ce chemin
pour en grappiller les fruits mûrs
– poires, coings, cerises –
cerises surtout, en mémoire des bigarreaux volés
de l’enfance,
des mains, des genoux éraflés aux grillages,
des cris, du cœur affolé de la fuite,
– pour finir , ce n’étaient jamais plus de quelques
cerises échappées à la débandade,
écrasées, aigres, doucereuses –
.
Le Lot, fringant des soubresauts de l’hiver,
le sol clair et sonore du sentier.
Au dessus de Changefège, le ciel lui semble
d’un bleu trop pur de photographie truquée,
une fraîcheur nouvelle monte de la rivière
et le fait frissonner,
Il sent le chemin docile sous son pas,
uni, dompté, cueille
dans l’ombre qui s’avance une violette hâtive,
se résout à rentrer.
.
.
Ce n’est pas ici que s’arrête la rivière – ( RC )

photo roc Calascio – Abruzzes Italie
Sur la forteresse noire
que garde la montagne amère
se succèdent les guetteurs
qui ne regardent pas les oiseaux,
se moquant des frontières,
libres comme l’air.
Les murs sans joie
sont si hauts
qu’ils découpent le ciel,
comme avec un couteau.
Mais l’air se referme aussitôt,
compact dans sa jupe claire -.
Le temps a plus de chance,
il ne se laisse pas arrêter,
il ne franchit pas de portes
comme l’eau de la rivière.
Elle , qui reflète aussi bien le soleil
que les étoiles mortes,
dans le flux continu
des heures.
Les guetteurs l’ont perdu de vue
au creux des bras touffus
de la forêt de la plaine.
La matin contourne avec elle
les rochers,
et ne s’arrête qu’arrivé
au bord de la mer
pour reprendre haleine.
Les murs sans joie
ne renferment que de la haine
et une puissance illusoire
qui s’éteint quand le jour décroît,
absorbée par la nuit,
mais ce n’est pas ici
que s’arrête la rivière.
RC oct 2022
Dévêtue d’un temps trop lourd – ( RC )

peinture Gaston Bussière – ( l’anneau des Niebelungen)–la Révélation, Brünnhilde découvrant Siegmund et Sieglinde, 1894
En plongeant dans la rivière
pour aller chercher l’anneau d’or
que tu avais perdu,
j’ai trouvé la marque de tes mains.
Elles avaient modelé les pierres
lorsque tu t’es dévêtue
d’un temps trop lourd,
avant de t’envoler
légère
au-dessus de la terre
pour y rejoindre les constellations
dont même la science
ignorait l’existence….
Carl Norac – Chansons pour Robert Walser 2

J’écris sur des bandes de papier dit-il
je n’enfile pas les perles toute parole digitale
le passé rôde où on l’enterre il y a
des visages à compter des cibles à contenter
je viens gâcher mes yeux en signes minuscules qui me lira tombera
sur la paroi d’un grain de sable
( Walser ainsi va au clocher
au merle à l’arbre à la rivière
il a perdu cent noms cachés
sait comment peser sur la terre
les ailes sont pour les passants
et lui ne passant plus vraiment il écrit à défaut de vivre )
J’apprivoise les cailloux – ( RC )

A force de marcher sur l’eau,
j’apprivoise les cailloux,
qui se font plus légers
dans l’éclat des reflets
et de l’eau pure :
maintenant elle a baissé,
je peux traverser la rivière
en équilibre sur le gué.
Ce galet plat,
je l’ai conservé :
c’est une semelle qui me va
adaptée à ma pointure,
je n’aurai plus qu’à y adapter
des sangles de cuir :
m’en faire une chaussure neuve
naviguer sur le fleuve,
que la rivière ira grossir.
Pour faire la paire
il faudra que je déniche
un autre caillou lisse
pour m’emporter dans les airs :
que les écrevisses me pardonnent
elles trouveront d’autres abris
et d’autres pierres…
Rivière – (Susanne Derève) –

Un chant, ce soir, dans le jardin. Le jour, passé à battre la rivière jusqu’à cette nasse d’eau profonde où je me suis baignée, après le casier bleu aux écrevisses, dans le reflet éparpillé des saules. Et d'y saisir dans le cours silencieux du flot le bond étincelant d’une truite … aventureuse. .
Paola Pigani – Où s’est – elle en allée la jeune fille Manouche?

Où s’est – elle en allée la jeune fille Manouche?
A-t-elle emporté les bourgeons de rêves qu’ elle avait cachés
entre les planches de son baraquement?
Elle a couru, je sais
dans l’haleine des forêts,
a voulu venger le temps arrêté, bousculer des pierres,
des agneaux dans les prés,
a jeté sa robe usée,
s’est lancée dans la rivière,
s’est roulée dans l’herbe,
plus nue qu’ à peine née .
Revenue au plus haut du jour
@paolapigani
J’attendrai que la lune se lève au-dessus du pont rouge – ( RC )

Est-il vrai que les gouttes de rosée
tombent des yeux de la nuit ? *
Alors j’attendrai que la lune se lève
au-dessus du pont rouge
et qu’elle me sourie,
flottant dans le reflet de la rivière,
alors que les feuilles s’enfuient
pour emprunter ton âme aux nuages…
*(deux vers empruntés à Rabindranath Tagore )
variation sur texte de
Lambert Savigneux
Si tu me demandes où je veux être
Avec toi sous la Lune
Je t’attends sur le pont rouge
Une larme a coulé de la Lune
Le pont rouge est une bouche
Veut-il manger la Lune ?
Sous les arches il y a une barque
L’eau et les fleurs et ton sourire
La lumière de la Lune
Inonde sur la rivière
sur le vieux pont
Nous regardons les feuilles passer.
Atteindre les berges sans éprouver de vertige – ( RC )

photo Roberto Ruberti « jeunesse » – Birmanie 2018
une passerelle sur les eaux,
quelques troncs mal équarris,
noirs par-dessus la rivière en furie
petits graphismes sur une portée,
quelques notes sans artifice
sur une partition beige,
appel du précipice
pas de bémol pour les dièses…
qui va pouvoir l’interpréter
sans qu’on le dirige
pour atteindre les berges
ni éprouver de vertige ?
sur une partition photographique de Roberto Ruberti « jeunesse » – Birmanie 2018
Jean-Yves Reuzeau – Au réveil

J’ai revu cette rivière sauvage, avec ses truites de liberté fraîche. J’en ai bu l’écume et caressé les galets fatigués. Je me suis étendu sur la mousse du sous-bois, parmi les murmures langoureux de l’ombre. Je me suis perdu ; ivre de senteurs, ivre de mots... Je me suis perdu dans la liberté d’un rêve, et au réveil les oiseaux portaient des muselières.
Ecume de sommeil, 1975
**
Je est un autre
Anthologie Bruno Doucet
Kenneth White – Labrador (2,3)-

2 J’ai moi aussi nommé un lieu un lieu de grands rochers luisant sous le soleil un lieu où l'eau bruissait tourbillonnait et glissait — je l’ai nommé le Merveilleux Rivage j’ai vécu là-bas tout un hiver tout un temps de blanc silence j’ai gravé sur la pierre un poème à l’hiver et au blanc silence les plus belles runes par moi tracées des hommes aux yeux fins, aux pommettes hautes sont venus me visiter nous avons troqué du drap contre des peaux nous vivions en paix et le printemps revint : tous les ruisseaux ruisselaient de lumière et la grande rivière reflétait le ciel j'allai plus loin vers le sud vers un pays de grandes forêts où je vis des hommes rouges parés de plumes d'oiseaux je sentis sous mes pas une terre nouvelle un monde nouveau mais je me refusais à le nommer trop tôt content de laisser mes sens m’éveiller et me guider pas après pas à travers le réel je n'étais déjà plus chrétien sans être pourtant retourné à Thor autre chose m'appelait m'appelait au-dehors autre chose qui peut-être voulait qu’on l’appelle une chose sensuelle et abstraite à la fois terrible et belle à la fois une chose qui me dépassait mais était à la fois plus moi-même que moi j’ai songé aux paroles de Norvège aux paroles des penseurs et des poètes aux paroles de haut vol des Hébrides ici pas de place pour le Christ ou pour Thor ici la terre a réalisé son destin destin de pierres et d’arbres d’ombre et de lumière a réalisé son destin en silence j’ai tenté d’apprendre le langage de ce silence plus rebelle que le latin que j’étudiais à Bergen ou que l’irlandais de Dublin. 3 Tout un champ nouveau où travailler et penser à chacun de mes pas je sentais en moi une étrange vigueur l’esprit chaque jour plus vif, plus clair j'essayai encore quelques noms (pesant avec soin chacun d'eux les éprouvant dans ma tête et sur ma langue): la rivière de la Grande Baleine, le cap de l'Eskimo le lac des Huttes sauvages, le col du Caribou mais toujours pas de nom pour le tout je voulais bien nommer les parties mais pas le tout l’homme a besoin d’arrimer son savoir mais il lui faut un espace vide dans lequel se mouvoir je vivais et marchais comme jamais encore devenais un peu plus qu’humain connaissais une plus large identité les traces du caribou sur la neige le vol des oies sauvages l’érable rouge à l’automne mordu par le gel tout cela me devint plus réel plus réellement moi que mon nom même je me surprenais disant parfois «en accord avec l’esprit de la terre» mais il n’y avait pas d’«esprit» c'était la langue du passé et ce monde était un nouveau monde et ma pensée aussi était presque nouvelle rien qui ressemblât à un «esprit» seulement les traces bleues sur la neige le vol des oies sauvages et les feuilles rouges de gel la religion et la philosophie ce que j’avais appris dans les églises et les écoles tout cela était trop lourd pour cette vie de voyage seule me restait la poésie une poésie comme le vent et la feuille d’érable que je me récitais en parcourant le pays je suis un vieil homme à présent un vieil homme très vieux j’ai griffonné ces runes sur un rocher elles seront mon testament personne ne les lira peut-être elles resteront sur ce rocher près des graffiti de la glace balayées par la pluie et le vent.
Un monde ouvert : Anthologie personnelle
nrf Poésie/Gallimard
Ivo Fleischmann – Vers

Les secrets. Nous en sommes entourés.
Un seul visage, ou deux ?
J’écoute ton souffle et quand tu ouvres les yeux
et que tu me demandes pourquoi je veille
jamais je ne dirai le nom de la rue le nom de la ville
le chiffre de l’année
Jamais je ne dirai que des nuages là-haut filent vers l’horizon
Je te soulève de la rivière où tu dors
et je t’y replonge pour descendre avec toi au fil de l’eau
la nuit, comme un torrent
qui ne remontera jamais vers sa source.
(Quelques feuilles et la rivière )
— extrait du recueil « poésie », la nouvelle poésie tchèque
Wladyslaw Slzengel – loin ( conversation avec un enfant )

Conversation avec un enfant
Mille neuf cent quarante deux.
La mère et l’enfant.
Un atelier, un bloc…
L’enfant au visage de lys
La mère aux cheveux de lait
Dis moi mère, demande le petit,
que signifie : loin…
Loin, c’est au-delà des montagnes,
des forêts et des rivières…
Loin c’est les rails…
Loin, c’est un voyage en mer,
des bateaux et de grands espaces livides,
et des montagnes au soleil pourpre…
Loin, c’est des îles dorées
et le souffle des brises parfumées,
une verdure éclatante
et le sable doux et sec.
Mais comment expliquer à l’enfant
le sens du mot : loin…
quand il ignore ce qu’est une montagne,
ou à quoi ressemble une rivière…
et n’a pas comme sa mère… et n’a pas comme moi
ces images plein les yeux,
alors comment expliquer à l’enfant
le sens du mot : loin …
Loin, mon enfant chéri
(une larme frémit sur les cils)
loin, c’est comme de notre bloc
jusqu’au bloc Toebbens…
Et dis-moi maman chérie
que signifie : autrefois…
Autrefois, c’est une soirée en ville,
des lampes qui brillent, des néons…
C’est le calme d’un appartement tranquille et un poêle bien chaud
Autrefois, c’est des gâteaux de Ziemianska
autrefois, c’est un déjeuner avec la radio autrefois,
c’est chaque matin Notre Revue »’
et le soir le cinéma Palladium.
Autrefois, c’est un mois à la mer, autrefois,
c’est…des photos d’une excursion
et une photo d’un mariage sous le voile
et du pain blanc sans paille…
Mais comment expliquer à l’enfant
ce passé clair et glorieux
quand il n’en sait rien… absolument rien…
comment expliquer : autrefois …
Tu vois, mon enfant chéri, déjà triste et vieux,
autrefois, ça signifie quand autrefois…
ils ne nous rationnaient pas le miel
et dis-moi, maman, dis-moi
C’est quoi, ce que j’entends la nuit…
ces longs sifflements… au loin…
qu’est-ce qui siffle, et pour quoi faire….
Comment expliquer à l’enfant,
quel exemple quel motif prendre,
pour expliquer le sifflement nocturne
et lointain des locomotives…
comment expliquer les rails
et la longue route vers l’infini
la joie de filer en sleeping
dans des express fous.
Gares, signaux, aiguillages,
nouvelles villes, rues,
billets, correspondances, bagages,
journal, buffet et porteur.
Le miroitement de petites lumières la nuit
les trainées lilas des fumées.
Comment expliquer… et pour quoi faire,
qu’il y a encore un monde quelque part au loin ça,
veut dire, mon petit garçon,
toi qui tords tes doigts de chagrin,
que ça peut s’étendre plus loin que Toebbens…
et encore plus loin que le miel…
–
notice biographique sur l’auteur ( poète du ghetto de Varsovie )
le pêcheur à la ligne- Susanne Derève

Georges Seurat – Les pêcheurs à la ligne
L’ombrage,
la dérive lente des corps dans les heures chaudes
de midi,
le lit des eaux de graviers et de pierres,
les berges fraîches des rivières,
le frisson des poissons d’argent.
Sous les arches des ponts ,
le silence habillait le vent d’un tendre écho.
Tu ne me disais rien de sa caresse sur la peau,
du cerne obscur des voûtes grises,
et quittée l’ombre, du soudain vertige
de la lumière, de l’éblouissement du soleil.
Sur la berge dorée, étais-tu ce pêcheur
à la ligne, musette vide,
rêvant d’une truite arc – en – ciel ?
Basho -La pièce perdue
–
La pièce perdue dans la rivière se trouve dans la rivière
Le soleil et la lune sont des voyageurs dans l’éternité.
Même les années sont errantes.
Pour ceux dont la vie est sur les eaux
ou qui conduisent un cheval au fil des ans
chaque jour est un voyage
et le voyage lui-même est la maison .
– Basho
( tentative de traduction RC à partir de l’anglais )
The Coin Lost In The River Is Found In The River
The sun and moon are travelers in eternity.
Even the years are wanderers.
For those whose life is on the waters or leading a horse through the years
each day is a journey and the journey itself is home
–
La journée du peintre – ( RC )
peinture: P Cézanne — parc du château noir 1904
Je ne sais
quand les journées s’allongent :
je suis pieds et poings liés
à la chanson du pinceau,
et j’en oublie les heures,
jusqu’à ce que je plonge
dans l’oubli des choses,
ainsi mon ombre me devance
sur la toile ébauchée.
Et chante aussi la rivière
sous le pont de pierres…
J’ai confondu ce que j’ai peint
avec une journée d’été.
Je dépose la lumière par petites touches ,
qui se rassemblent contre l’obscurité.
Je marche dans une clairière
que j’ai inventée ,
je m’y égare un peu .
La futaie change soudain d’aspect
sous l’éclairage électrique .
Elle n’a plus cet attrait magique
des rideaux de feuilles .
Je continuerai demain
marchant dans sentes et chemins :
il y a des couleurs qui s’attardent
à la façon de feuilles d’automne
Elles sont aussi sur mes mains tachées ;
je vais aller me nettoyer
puisqu’une journée à peindre
vient de s’éteindre
sans bruit ,
remplacée progressivement par la nuit .
–
RC – juin 2019
Gabriela Mistral – Pudeur
dessin – A Watteau
Si tu me regardes, je deviens belle
comme l’herbe qui a reçu la rosée,
et ils ne reconnaîtront pas ma face glorieuse,
les grands roseaux quand je descendrai à la rivière.
J’ai honte de ma bouche triste,
de ma voix cassée et de mes genoux rudes;
maintenant que tu es venu et m’as regardée
je me suis trouvée pauvre et me suis sentie nue.
Tu n’as pas trouvé de pierre dans le chemin
plus dépourvue de lumière dans l’aurore
que cette femme sur qui tu as levé
les yeux en écoutant son chant.
Je me tairai pour que ceux qui passent
dans la plaine ne connaissent pas mon bonheur
à l’incendie qu’il met sur mon front grossier
et au tremblement de ma main…
C’est la nuit et l’herbe reçoit la rosée;
regarde-moi longuement et parle avec tendresse,
car demain en descendant à la rivière
celle que tu as embrassée aura de la beauté.
C’est le vent d’été … – ( RC )
peinture : Alexander Brook
C’est le vent d’été
qui a couché les blés ,
un silence s’est fait parmi les bruits :
c’est bientôt la pluie
qui va nourrir la terre,
celle qui désaltère,
et que l’on attend
depuis si longtemps :
Pendant que le ciel oscille :
l’orage plante ses faucilles
concentre ses flèches
rebondit sur la terre sèche.
Il éparpille les jours torrides,
remplit les poitrines vides,
gonfle les ruisseaux,
cherche dans les rocs des échos,
qu’il trouve jusque dans ta voix :
cette soif insatiable que rien ne combat :
la vie est revenue d’une longue absence
Elle remercie la providence,
envisage un nouvel avenir :
je vois tes seins s’épanouir,
l’herbe reverdir,
et le désert refleurir…
J’ai beaucoup appris de tes paysages,
de l’attente et des passages,
des courbes de tendresse
où le temps paresse
de tes frissons secrets
et des lits défaits
où se courbe la rivière,
où se love la lumière :
Après l’orage et le calme revenu,
au silence dévêtu,
la chair embrasée,
enfin apaisée…
–
RC – avr 2019
Herberto Helder – Maudit soit celui qui a jeté la pomme dans l’autre monde
peinture: Marc Chagall: N’importe ou hors du monde
S’il y avait des escaliers sur la terre et des anneaux dans le ciel
Je gravirais les escaliers et aux anneaux, je me pendrais
Dans le ciel je pourrais tisser un nuage noir
et qu’il neige, qu’il pleuve et qu’il y ait de la lumière sur les montagnes
et qu’à la porte de mon amour l’or s’accumule
J’ai embrassé une bouche rouge et ma bouche s’est teintée
J’ai porté un mouchoir à ma bouche et le mouchoir a rougi
Je suis allé le laver à la rivière et la rivière est devenue rouge
Et la frange de la mer, et le milieu de la mer
Et rouges les ailes de l’aigle
Descendu boire
Et la moitié du soleil et la lune entière sont devenues rouges
Maudit soit celui qui a jeté la pomme dans l’autre monde
Une pomme, une mantille d’or et une épée d’argent
Les garçons ont couru après l’épée d’argent
Et les filles ont couru après de la mantille d’or
Et les enfants ont couru, ont couru après la pomme.
Anise Kolz – sur moi
peinture P Picasso
J’aime te sentir
sur moi
comme un pont écroulé
ma rivière
polira tes pierres
Ile Eniger – Des jours et des nuits
photo: Sebastiao Salgado » genesis »
J’ai déchiré des pans entiers du ciel trop bleu, trop confiant, trop indécis.
J’ai gardé quelques livres, un vieux rêve, deux poignées de sable,
une ou deux pommes vertes, de l’eau entre les doigts,
de la musique sur un fil d’horizon ou de violon.
On n’entend plus mes pleurs d’animal ni mes pas qui raclent le sol.
De loin, on me fait quelques signes.
Dessous, la rivière grande, la rivière gronde.
Des veines d’eau gonflées charrient les passés.
Dessus, le plafond trimballe ses nuées bâtardes.
Des jours et des nuits se disputent l’espace.
Il y a sans doute un accord possible.
Autour, des choses à prendre ou à laisser.
Et le souffle porté, supporté, emporté.
Loin de la mesure des hommes.
J’ai vacillé et tenu bon.
Je me suis bricolé des ailes pour faire danser mes espadrilles.
J’ai tenté d’aimer et la lumière qui va avec.
Pierre Mhanna – La rue et ses passants
Ma vie entière est une lettre écrite pour vous dans une langue que seul l’amour peut comprendre.
My whole life is a letter for you written in a language only love can understand.
~
By the candlelight
I loved to read her poems
and gaze, every now and then,
into her eyes,
at the way the flame flickered
and danced upon
the page of her face,
the poem of my life.
À la lueur des bougies
J’aimais lire ses poèmes
et le regard, à chaque instant et puis,
dans ses yeux,
à la façon dont la flamme vacillait
et dansait sur
la page de son visage,
le poème de ma vie.
~
With the patience
of the river
dissolving rocks
and carrying them to the sea
my touch will have her skin
dissolved in poetry.
~
Avec la patience
de la rivière
dissolvant les roches
et les transportant vers la mer
mon contact verra sa peau
dissoute dans la poésie.
–
traduction RC de cette toute récente parution sur le blog de Pierre Mhanna ( english )
–
Derrière le mur, le ciel joue un concert – ( RC )
–
–
Derrière le mur,
Le ciel joue un concert,
Avec des cuivres,
Et des ors,
Brodés sur les nuages.
L’herbe est profonde,
Le champ en pente douce,
Jusqu’à la rivière,
Dont on perçoit,
Juste le murmure .
On dirait que dehors t’attend,
Mais tu restes immobile,
Derrière le mur .
Les os sont fragiles,
Mais tu peux risquer quelques pas,
Et ouvrir la porte.
Le crépuscule n’est pas la nuit,
Et du soleil couchant,
C’est sa lumière encore,
Qui donne le relief à la vie.
–
RC – mai 2015
Jean-Paul de Dadelsen – Il y a beau temps
–
Il y a beau temps que le soir est tombé
Il y a beau soir que le ciel est plombé
Il y a beau ciel qu’est partie la lumière
Il y a beau jour qu’est tarie la rivière.
–
Voici cet oiseau passer bas sous la nue
Il faut partir et rentrer dans le noir
Il n’est plus temps de chanter dans la rue
Il est trop tard pour causer dans le soir.
–
Les arbres dorment comme un corps inerte,
Un papillon se hâte vers sa perte.
Seul, sans recours, il faut fermer les yeux
Et tout au fond du noir creuser vers Dieu.
–
Jean-Paul de Dadelsen « Jonas » (Gallimard)