Le temps languit, étiré en toute liberté, croit-on…
Il n’y a pas de barreaux à nos fenêtres, le cœur profane de la ville est encore vide et la pensée ne s’encombre plus d’une pluie battante
les voix du monde se sont arrêtées sur une muraille de verre car même l’orage est confiné derrière une grande barrière :
il ne reste plus qu’à compter les jours, détacher les brins de laine pris dans la peine et les barbelés de nos chemins.
Eux s’en vont bien quelque part, retrouver les sommets, les cheveux des fougères : ( peut-être qu’ailleurs coulent les rivières,
comme se rassemblent les larmes d’une multitude de ruisseaux à la suite d’un crime métaphorique ) emportant avec lui l’espoir et les désirs avec le temps.
Le temps est toujours innocent. Il ne connaît pas l’enfermement, les murs de l’appartement. Puisque tu es immobilisé… tu peux toujours sortir de ta tanière par la voie de l’imaginaire…
Le corps des âmes vives s’écoule sans discontinuer, de la source , des cascades jusqu’aux rivières, pour atteindre le grand fleuve étale.
Tu y entendras le bruissement de soie des eaux qui parlent de leur voyage tracé au flanc des collines , des rochers , des courants et des galets qu’elles ont porté.
Jusqu’à l’océan, elles accompagnent les vents changeants, qui dialoguent avec les nuages et parfois les bousculent .
Ne cherche pas à les comprendre : leur direction est fantasque, on ne sait jamais à quoi s’attendre ; mais les âmes arrivent toujours un jour ou un autre à revenir à leur point de départ pour continuer à chuchoter dans le cycle de la vie recommencée.
Notre premier lit sera une nuit de pluie. Ta main et la mienne larmes semblables. Je goûterai ce que font les rivières aux corps de sable. Je profiterai des vertus de l’eau pour envahir ton monde, là où la main ignore, là où le nez, la langue et les cheveux ne savent rien. Je t’engloutirai, du secret de ton sexe à la tempe sourde. Il faudra. Tu ne sauras rien de ce baptême, je serai transparente, liquide averse. Tu ne sentiras qu’un frisson, le froid délicieux qui embrasse l’être et le pousse à chercher des épousailles.
Imaginez des soirs furtifs comme des palombes, des aubes de moire, des envols de velours, des crissements.
Imaginez dans le miroir des eaux glacées, des visages de jeunes femmes qui prennent aux heures leurs teintes : nacre, lavande, ou givre. Plus loin, au-delà des collines, au terme des rivières où s’éteignent les échos des bergeries, commence la frairie des oiseaux marins. Les fumées s’appuient aux herbes sur les grèves, sous le plafond des vents. Sans défaillance, la mer dévore et renaît.
La nostalgie toujours prête au festin, porte des mots d’adieu, à tout jamais désespérés, sur les vagues du large. Telle est la joie, douloureuse, l’enivrante blessure.
Et la nuit s’étend partout, sur les collines, les rivières, les forêts et les déserts.
Je m’étends sur le sol. Les herbes devant moi oscillent dans la fraîcheur du matin, à peine visibles dans le ciel de velours noir. Il y a toujours des astres qui scintillent et dansent dans leur feu d’artifice.
Elles semblent soudain si proches, qu’on pourrait les croire à portée de main. D’ailleurs en voila qui zigzaguent,
dans une trajectoire imprévue et clignotent en dansant . Ce sont des lucioles, comme des étoiles miniatures, dont la lumière se dissout peu à peu avec l’arrivée de l’aube.
Les visages apparaissent dans la nuit comme des prières,
avec des hymnes gravés sur leur front,
et comme les rivières l’ont fait, la terre l’a fait,
ce siècle est de les noyer,
les plier dans des pages non lues de l’histoire.
Avril est rempli de sons du printemps
et la voix des duduks sur le sable.
Je ne peux pas enterrer le passé tranquille,
Ainsi, chaque année j’écris au printemps,
lorsque le sang saigne des fleurs.
Faces appear at night like prayers,
with hymns etched upon their foreheads,
and as rivers did, as land did,
this century is drowning them,
folding them into history’s unread pages.
April is full of the sounds of spring
and the voice of duduks on the sand.
I can’t bury the quieted past,
so every year I write in spring,
when blood bleeds from flowers.
–
du site de la poésie arménienne, traduction perso.
peinture nature morte hollandais du XVIIè siècle- fruits et champignons -Wydeveld
Autrement dit, l’amour
pour F.
Il y a,
il y a des jours de raisins doux, de pommes d’or,
de quoi faire taire notre vieille soif.
Et l’eau qui court, torrents, rivières,
court sous la peau, enrobe nos cœurs, calme nos doigts.
Rien ne manque, rien n’est mieux,
et quand la nuit vient, elle affiche pour nous deux
un jeu complet d’étoiles.
Il y a des jours de fruits amers,
quand les pépins écrasés
nous blessent un peu la langue,
nous font former des mots moins beaux.
Il y a des jours de courte paille
où trois fois l’on tire la plus courte.
Les enfants sont un peu trop loin
pour qu’on entende leurs rires
et le chien qui murmure des rêves moroses
semble ne plus nous reconnaître.
Il y a des jours où tu m’aimes,
des jours où tu m’aimes bien.
Ainsi nous avançons, nous souvenant
et oubliant, marée haute, marée plate,
que le bonheur est un mélange
et que jamais il ne ressemble
ni tout à fait à ce que nous croyons
ni à lui-même,