Robert Piccamiglio – Ensemble, Jésus et moi

extrait de « Chemin sans croix » ed Encres et lumières 2005
Robert Piccamiglio – C’est vraiment une grande forêt
Yves LeCoq
C’est vraiment
une grande forêt pour une fois
avec dedans des ours
et des hélicoptères miniatures
Je me couche sur le dos
au milieu des sapins
ils sont hauts
je regarde les fourmis courir
comme des folles
du lever du soleil
au coucher du même soleil
C’est vraiment
une grande forêt
une autoroute la traverse
elle part de l’Est
se faufile vers l’Ouest
les cons en voitures à pieds
la traversent aussi
s’arrêtent pour y manger
et pour y faire pisser
leurs gosses
Je me couche sur le ventre
cette fois
les hélicoptères miniatures
sont au-dessus de ma tête
silencieux et beaux
transparents et gracieux
comme des ombrelles de femme
Alors à ce moment là
de l’histoire
les ours bruns rappliquent
pas la peine d’ouvrir tout grands
vos yeux
d’être étonnés
– je vous ai déjà dit plus haut
qu’il y avait des ours
dans cette forêt
Ils viennent danser avec moi
et moi avec eux forcément
les hélicoptères miniatures
jouent serrés
un vieux truc de John Coltrane
on va essayer pour une fois
de ne pas trop se marcher
sur les pieds
les ours bruns et moi.
(poème affiche Annecy )
Robert Piccamiglio – la petite forêt à crédit
peinture: Camille Pissarro ; la route de Louveciennes 1871
–
j’avais acheté
une forêt entière
à crédit
une petite forêt
avec seulement un seul chemin
pour la traverser
je croyais
que les arbres
ça parlait mieux
que les hommes
parce que moi
je n’avais personne
à qui parler
je me suis appuyé
contre eux
en posant ma tête
contre leurs troncs
rien
pas un seul de ces arbres
ne répondait
entre eux
ils devaient bien se parler
se dire des trucs
d’hommes ou d’arbres
avec moi
rien ne sortait
Alors j’ai acheté
une tronçonneuse
j’ai coupé tous les arbres
barré le chemin
regardé le ciel
une dernière fois
et j’ai posé la lame
contre ma gorge
—
extrait de « le jour, la nuit, ou le contraire »
ed Jacques Bremond
–
Robert Piccamiglio – Epervier
Epervier
Je me jette depuis le sommet
d’une montagne
habillé d’un costard blanc
trop grand pour moi
je me transforme
en épervier.
Je me mets alors à voler
haut fier et libre
et je balance
quelques ‘ clins d’œil
aux avions supersoniques
qui traversent le ciel
sans jamais se retourner.
La nuit aussi je vole
je visite en coupant
par le milieu des nuages
lourds épais et gris
des horizons endormis
pendant que d’autres s’éveillent
je tourne tout autour
de la terre et du ciel
je fais comme si maintenant
j’étais devenu immortel
comme l’Ange silencieux
appuyé contre le mur.
Plus besoin de dormir
plus besoin de manger non plus
encore moins de rêver
juste regarder mes ailes
s’ouvrir se fermer
se déployer dans le sens
contraire du vent
de la pluie des saisons
et de la mort.
extrait du « baiser de la Toussaint » ed Jacques Bremond
JJ Audubon
–
Robert Piccamiglio – Midlands – 06 – Plus tard ( 02 )
–
L’argile du cœur broyé par l’indifférence. La peur. La haine.
Aux pieds des frénésies du pouvoir toujours en marche.
Ce pouvoir je l’ai senti
sur les scènes du monde entier.
Je n’étais alors ni le troupeau
ni l’infime sillon. ni le berger anonyme.
J’étais comme cette terre riche de feu. Fusion éternelle. Longue course vers l’infini.
J’étais le ciel heurtant les saisons. L’amant.
La maîtresse habillée de gestes vifs. Insoumise.
J’étais ce fils
que je n’ai pas connu.
Ce Cavalier maintenant égaré.
J’étais cette tille que je n’ai pas eu. Cette Reine oubliée. Cette Fée d’éternité.
Le pouvoir je l’ai senti comme la rivière charriant le sang.
Puis le fleuve emportant les cadavres d’où venait le sang.
Je restais immobile.
Triomphant.
A l’image de ces volatiles
qui Jamais ne se posent.
Qu’importe la saison. .
L’odeur de l’herbe ou de la pluie.
Jamais ils ne suspendent leur vol.
Même les blés accueillant. Ou l’arbre tendant ses bras aux douceurs zénithales ne leur font refermer leurs ailes.
–
Midlands est publié aux éditions Jacques Bremond, qui utilisent très souvent du papier recyclé « artisanal »….
–
L’art et notre conscience, au musée (RC)

installation; Joseph Kosuth | Critique | Du phénomène de la bibiothèque | Paris 3e
L’art au musée
Puisqu’il est écrit quelque part que justement on s’y connaît , et sur l’art ,et,en dévotion.
Avec le sublime, avec le précieux, avec l’unique…
Nous sommes toujours prompts à baisser la tête, à dire merci, à demander qu’on nous accorde un peu de culture.
Et cette culture qu’on additionne contre nous-même, contre la nôtre, contre celle de tous les jours.
Celle qu’on ne voit pas, car justement en dehors de l’enceinte sacrée…
On naît domestique et soumis à la dévotion officielle, et si on n’y prend pas garde on meurt pareil, en ayant négligé le vivant autour de nous.
Qui porte autant de valeur, ——– parce que vivant, ——— justement.
–
librement inspiré du texte de Robert Piccamiglio, cité plus bas « dévotion » extrait de « on a affaire à l’existence » ( Robert Piccamiglio , qui a fait l’objet de plusieurs parutions de ma part, notamment « Midlands » voir par exemple l’« épisode 3 », )
et qui figure aussi dans « A la Dérive »- voir le blog très renseigné de Anne-Françoise ‘ de seuil en seuil’
—
— ( à noter que l’image de l’installation de J Kosuth choisie ( critique du phénomène de la bibliothèque ) , relatée par cet article de 2006,
reprend presque parallèlement les gestes de Marcel Duchamp, ( les ready-made )
sauf que celui-ci critiquait l’institution du musée, un siècle plus tôt )… (Cherchez la nouveauté avec les conceptuels)…
RC- le 3 mars 2012
—-
Dévotion
de dévotion puisqu’il est écrit quelque part que justement on s’y connaît en dévotion. Avec Dieu, avec les hommes,
femmes et les musées. Toujours prompts à baisser la tête, à dire merci, à demander qu’on nous accorde un petit pardon. La dévotion d’une guerre qu’on mène contre nous-mêmes, ça coûte cher. C’est calibré dans nos têtes. On naît domestique et si on n’y prend pas garde on meurt pareil.
Robert Piccamiglio – Midlands 05 Plus tard
PLUS TARD
Plus tard dans le tumulte glacé
de cette nuit je me suis souvenu de l’exaltation
infinie qui grondait en moi.
Elle venait se perdre
comme autant de germes hautes et fragiles
autour d’une cité faite d’incroyables
et féroces remparts.
Le pouvoir.
Comme une rivière bondissante charriant le sang.
Plus tard dans la nuit
j’ai revu le fleuve charriant les morts
d’où venait le sang.
Avec le ciel au-dessus l’amant rompu. Avec la terre en bas maîtresse incandescente. douloureuse, attentive.
Le monde n’étant lui-même que soumis à la dérision grandissante du pouvoir.
A la rivière d’abord puis au fleuve tout entier.
L’homme ne devenant qu’un infime sillon tracé par d’autres avant lui. Stupéfait.
Le pouvoir triomphant toujours. Perçant chaque fois un peu plus la faiblesse de l’argile entourant le cœur engouffré dans le cœur de l’homme.
Le troupeau suivant le troupeau le berger, étrange inconnu.
Nous marchons ainsi jusqu’à l’épuisement
Parcourant autant de vies que de morsures.
Avec pour nous accompagner nous le troupeau puis la machine cet animal creusant son trou protégeant son territoire.
—
en accompagnement, cette belle photo de Marc Riboud, qui est sans doute l’un des photo-journalisme que je vénère le plus.
Robert Piccamiglio – roman japonais
- photographie : Steven Cook
Un autre des « poème-affiche » de l’écrivain et dramaturge Robert Piccamiglio
—————
Elle se baigne
avec dans les mains
un roman japonais
qui ressemble à un champ
de peupliers très haut
vers le ciel
Et quand sa tête
est sous la surface de l’eau
le roman japonais la suit
et s’inquiète de savoir
quand elle va remonter
pour continuer à caresser
ses pages
Ensuite le roman japonais
qui ressemble à un champ
de peupliers très haut
vers le ciel
lui passe sa sortie de bain
et essaye au passage
de toucher une partie
de son corps très blanc
Alors la jeune femme
une fois de plus déchire
une page de son roman japonais
qui s’en va rejoindre
dans la poubelle sous le lavabo
une de ses serviettes hygiéniques
parfumée à l’encre de chine
bleu comme le ciel
— à découvrir aussi ( lire ou relire), les extraits précédents de « Midlands » et Smith & Wesson:
Robert Piccamiglio – Smith & Wesson
- peinture-serigraphie: Andy Warhol – Dracula
Je viens de me faire deux meurtres
au Smith et Wesson calibre 35
Trois balles chacun dans la tête
de la cervelle plein les murs
des petits os plein le parquet
Ensuite je prends les corps
je les enveloppe dans le tapis
j’attache le tout
avec la ficelle qui sert à tirer
les rideaux du salon
J’oublie pas non plus d’effacer
mes empreintes
de tirer la chasse d’eau
du cabinet de toilette
après avoir essuyé le parquet
avec des serviettes en papier
Ensuite je redescends les escaliers
les deux meurtres
c’était au deuxième
que çà se passait
Je repasse devant la loge de la concierge
je lui décroche un vache de sourire
en soulevant mon chapeau
Arrivé à ce stade de l’histoire
je me dis que moi aussi
pourquoi pas dans le fond
n’écrirai-je pas des romans
policiers pour faire du fric
et rouler dans de chouettes
bagnoles décapotables
avec sur le siège de gauche
une poule super vison de chez Cardin
négligemment posé sur l’épaule
Alors je reprends tout
comme Chase au début
je viens de me faire deux meurtres
au Smith et Wesson calibre 35
de la cervelle partout
des morceaux d’os pareil
éparpillés sur le parquet
Robert Piccamglio – Midlands – 04
Et que les cruautés
se figent à jamais de glace
sur le bord des berges
où courent ces prairies d’eau
et de fines herbes qu’il nous faudra
encore fouler de nos pas.
Non ! Pas l’échec.
Mais l’espérance il le faut
avant que ne vienne la douce torpeur
du matin.
Chassant ainsi les étoiles de la nuit
d’abord nautiques.
Puis triste poussière
au milieu des coïncidences
faisant renaître la vie
a l’orée des marées
et des crépuscules.
Robert Piccamiglio – Midlands – 03
En poursuivant le partage d’extraits du livre du poète Robert Piccamiglio, et le souffle de son récit épopée… ( noter que, comme moi, R Piccamiglio – le savoyard -, apprécie l’esprit particulier des récits de Richard Brautigan,, dont j’ai publié il y a une semaine un extrait…
RP, dont j’ai déja publié des textes ici... et LA
Puissant, fier, Indestructible.
Tranchant à même l’absurde de la vie
et de la terre qui s’étonne de nous
Puis s’étale d’elle-même
dans les saisons
garnissant l’impitoyable silence.
Mais que reste-t-il à raconter
Et surtout à qui ?
Même ces murs je les sens si faibles
accrochés désespérément à la triste couleur du papier.
D’une terre sans racine,
D’une branche innombrable, Multiple, sans écorce.
D’une écorce sans nourriture
pour se fixer au tronc moelleux de l’arbre
A notre image
Puisque nous nous ressemblons L’arbre,l’écorce, l’homme
Partageant toutes ces paroles oubliées.
Avec cet argile si faible
entourant le coeur.
Comme la tristesse du papier
entoure les murs assoupis de la chambre
_ Ouvre-moi tes bras !
Dis-moi je t’en prie quelle histoire
de vie ou de mort , s ‘il me reste à raconter.
Et que tous les échecs passés ne soient plus que triomphe au seuil de l’impitoyable course.
Une nuit. ! Une seule nuit d’espérance
—
NB: R Piccamiglio est l’auteurs de nombreux récits, poèmes, romans, pièces de théâtre…
Midlands, dont sont extraits les textes présentés, est publié par les éditions Jacques Bremond ( à Remoulins, Gard)
—
Robert Piccamiglio – Midlands – 02
Mais je n’aime pas les adieux. Et nous avions si peu de choses à nous dire.-
— Dis-moi ! ‘ Est-ce si loin? Combien de temps déjà?
Combien de temps pour oublier? Combien de naissances à venir qui font tinter ces écorces et ces sirènes attachées à la vie ?
Nu d’abord. Puis habillé.
Puis nu à nouveau.
Comme jamais nous l’avons été.
Alors que me reste-t-il à regarder ?
A surprendre dans cette cruelle litanie »
sans fin qu’est l’oubli.
—— Combien de temps dis-moi ! —
Qui pourrait répondre à l’oubli ? Les murs ? Le plafond ? Le lavabo ? Cette eau qui a tant lavé ?
L’oubli !
Et moi-même n’ai-je pas tant oublié ?
L’ombre des arbres qui tendent leurs bras vers le soleil.
Les maigreurs du printemps. La pluie tiède de l’été.
Le ciel raisonnable au bord de l’hiver anatomique.
L’oubli !
Mais quelle-porte a été ouverte franchie puis refermée ?
Avec ce cœur solitaire qui nous donne à penser
que l’on pourra encore aimer et être aimé à nouveau d’espérance
.
Triomphant ainsi de l’absurde
et de cette solitude insolente que nous portons sur nous
comme un habit de cérémonie.
L’oubli !
Avant que la terre dont nous venons ne reprenne ce qu’elle a donné.
——
une bibliographie ? celle de Robert Piccamiglio.. voir cette page...
–
Robert Piccamiglio – Midlands – 01
J’apprécie beaucoup les textes de Robert Piccamiglio; Poète, il est aussi l’auteur de romans et pièces de théâtre…
Son grand récit « Midlands », fait écho – hommage, à son père, mineur…
en voici un court extrait… ( j’ai fait attention à respecter les retours de ligne).
———
Le matin quand je suis parti
Peggy dormait encore.
Ou faisait-elle seulement semblant ?
Mais quelle importance !
elle avait su se montrer si aimante
malgré la tristesse de ses yeux.
Avant de quitter la chambre une main sur la poignée’ de la porte j’ai fait un signe amical aux poissons multicolores enfermés dans l’aquarium.
Toujours en mouvement. Nageant silencieusement. Sans but.
Mais pourquoi dans le fond faudrait-il toujours chercher un but?
De Denvers nous avions filé dès le lendemain vers le Texas. Houston.. La ville près du désert.
De la fenêtre de l’hôtel je l’apercevais au loin. Charnel. Immobile. Mystérieux.
Avec ces dunes déployées
comme des ailes battant d’une mesure millénaire les promesses de l’horizon.
J’ai fermé les yeux
et j’ai pensé à des épaules dénudées
de femmes.
Ces femmes que nous avons cru aimer.
Ou était-ce nous-mêmes que nous cherchions
à aimer un peu plus à travers elles ?
Le matin la fille est sortie la première de la chambre. Je devais dormir. Ou je faisais seulement semblant