Esther Granek – Evasion

encres +collage Jane Cornwell
Et je serai face à la mer
qui viendra baigner les galets.
Caresses d’eau, de vent et d’air.
Et de lumière. D’immensité.
Et en moi sera le désert.
N’y entrera que ciel léger.
Et je serai face à la mer
qui viendra battre les rochers.
Giflant. Cinglant. Usant la pierre.
Frappant. S’infiltrant. Déchaînée.
Et en moi sera le désert.
N’y entrera ciel tourmenté.
Et je serai face à la mer,
statue de chair et cœur de bois.
Et me ferai désert en moi.
Qu’importera l’heure. Sombre ou claire …
Sous une couverture de feuilles – ( RC )

Au milieu d’une forêt, aux arbres centenaires,
je me serais arrêté dans une clairière.
De petits éclats mauves, clignotant de leurs pétales,
au pied du rocher, où je confierais au vent ma destinée.
Je serais le chercheur d’herbe, déplaçant les pierres
me guidant sur le fil invisible de la sueur des fleurs.
Le rocher enflammé doucement
avec le soleil couchant comme un dernier espoir
avant la couverture du soir.
Je me coucherais là, sous une couverture de feuilles
pendant que les plus sèches s’échappent,
avec le souffle le plus léger, qui les agite.
Je laisserais, posé à mes côtés,
le bouquet d’orchidées, immobile dans la nuit.
Car, à qui puis-je offrir des fleurs que je n’aurai pas cueillies ?
Celle à qui je pense est loin sur la route
quand moi, je m’éloigne de la vie.
—
( basé sur un écrit de Ph Jaccottet » A travers le verger « ,
et ce texte d’une auteure chinoise anonyme…( dont le texte suit )
Dans la forêt nouvelle a fleuri l’orchidée,
Qui, çà et là, s’emmêle à la vigne,
J’en ai cueilli les fleurs toute la matinée;
Le soir venu, je n’ai pas fini ma brassée.
À qui donc présenter les fleurs que j’ai cueillies?
Celui à qui je pense est au loin sur la route…
Les parfums délicats vite s’évanouiront;
Soudain, toutes les fleurs se trouveront fanées.
Quel espoir luit pour moi que je puisse évoquer?
Au vent qui vole, je confierai ma brassée.
Auteure chinoise anonyme, 200 ans av. J.-C. --
Aucune théorie sur le déplacement – ( RC )

Là, tout est au beau fixe.
Quelques nuages volages
sont à leur place.
Personne n’imaginerait
à part l’ingénu Magritte,
que les rochers se détachent
et s’envolent, oublieux de leur masse
avant de retomber au petit bonheur
pour la plus grande joie des autochtones,
voyant pleuvoir les menhirs.
C’est une image peu réaliste,
….je le concède,
qui pèse très peu
comparée à ces tonnes
qui ont été déplacées …
mais comment expliquer
que des pierres usées
par des millénaires de marées,
se retrouvent en équilibre
sur ces rochers dentelés ?
L’océan, dans sa grande générosité
aurait-il, inversé le cours des choses,
glissé ses bras sous les écueils,
bousculé les centres de gravité,
ignoré les lois de la physique,
pour leur rendre une légèreté
« métaphysique «
comme ces nuages que l’on voit passer
lors de ces après-midi d’été,
où règne calme et volupté ?
Je n’ai là-dessus aucune théorie,
pas interrogé le sable sage
sous le soleil de juillet,
de toute façon,
il ne m’aurait pas répondu :
je me suis contenté de chercher l’ombrage
sous les blocs de granite
dont la longue vie
contient plus de secrets et de chansons
que je n’en pourrais inventer…
Martine Cros – La tentation du vent
Je vais ce crépuscule tenté par un bain de mer qui vient s’abreuver aux calanques tyriennes, aux rosées des paysages ; je lape l’or aux hanches des falaises qui sombrent dans l’eau mate ; l’évocation de cette union ancestrale gorge mon courage de royaumes d’amour que la nuit entretient
je plonge
Prendre soir
et j’emporte sous ma cape ces senteurs sensuelles de bois que l’on râpe, ces muscs noirs que le zénith éclot à même le rocher ; j’ai pris soin de les cueillir à chacune de mes essoufflées ; puis je range les activités humaines qui peuplent ces vallées virginales que l’enfer souille de ses simonies avant de retrouver
l’onirique ouvrage
nouer la nuit
Je sombre
….
- —–la suite est visible chez les « cosaques des frontières »
Jean-Baptiste Tati-Loutard – le rocher sur la rive
Celui qui l’assiste devient rocher sur la rive :
Il pleure mais la roche ne rend que sa source.
Nous avons chargé le ciel de tant de soleils
Que nous avons oublié qu’en ce monde
La nuit fut première.
Une éternelle Odyssée – ( RC )
peinture:V Velickovic soleil noir 1996
Ce sont des tranches de vie,
égrainant leur retour :
Il n’y a pas de répit
dans le défilé des jours;
L’un après l’autre, se succèdent,
ceux qui se déguisent.
Des heures belles ou laides,
sur lesquelles on n’a pas de prise
C’est cette âme en peine,
voulant atteindre les sommets,
et que le destin enchaîne,
au toujours et au jamais.
Voir la légende de Sysiphe,
portant son rocher,
destin de l’éternel sportif
n’ayant qu’ à recommencer.
( Les exploits de la veille
ne sont plus d’actualité.
Plongés dans le sommeil
Ils n’ont plus existé ).
Ainsi on atteint à peine le solstice,
que, d’un parcours inexorable
on plonge dans les abysses,
pour renaître semblable.
La marée va et vient,
Le soleil s’efface dans le noir
on ne se souvient de rien,
et c’est une autre histoire :
Pourtant rien n’a changé ,
On est plongé dans la nuit,
( celle de tous les dangers)
et l’on connaît l’ennui.
Ce n’est même pas la mémoire,
qui nous joue des tours,
mais du dévidoir,
l’éternel labour,
Revenant sur chaque sillon,
exactement au même endroit,
dont nous nous rappelons
à chaque tour de courroie.
Jamais elle ne se casse :
Tu as voulu l’étérnité,
– plus jamais le temps ne passe –
et tout est banalité .
Aucune place à l’accidentel
Tu as déjà parcouru les chemins,
d’un retour sempiternel,
qui ne porte plus le nom de destin.
C’est pourtant toi qui l’as voulu :
échapper à la trajectoire mortelle :
la quête d’absolu
t’as fait client de l’habituel
de la gravité terrestre, échappé
tu es comme un satellite
qui s’est drapé,
dans son orbite.
Ne viens pas te plaindre :
tes désirs ont étés exaucés;
Tu as pu atteindre
cette nouvelle Odyssée.
Tu auras des choses à dire,
beaucoup d’aventures dans ton poème,
mais à bien les parcourir,
on comprendra que ce sont toujours les mêmes.
Guillevic – Suppose
–
Suppose
Que je vienne et te verse
Un peu d’eau dans la main
Et que je te demande
De la laisser couler
Goutte à goutte
Dans ma bouche.
Suppose
Que ce soit le rocher
Qui frappe à notre porte
Et que je te demande
De le laisser entrer
Si c’est pour nous conter
Le temps d’avant le temps.
Suppose
Que le vol d’un oiseau
Nous invite au voyage
Et que je te demande
De nous blottir en lui
Pour avec lui voler
A travers la pénombre.
Suppose
Que s’ouvrent sous nos yeux
Tous les toits de la ville
Et que je te demande
De choisir la maison
Où, le toit refermé,
Tu aimeras la nuit.
Suppose
Que la mer ait envie
De nous voir de plus près
Et que je te demande
D’aller lui répéter
Que nous ne pouvons pas
L’empêcher d’être seule.
Suppose
Que le soleil couchant
S’en aille satisfait
Et que je te demande
D’aller lui réclamer
Ce qu’il doit nous payer
Pour sa journée de gloire.
–
Guillevic (extrait du poème « Bergeries », dans le recueil « Autres » – 1980)
Serge Mathurin Thebault – Dialogue

peinture: Eugène Isabey: baie de St-Enogat
Le rocher n’a pas son pareil pour dialoguer avec l’océan
Cela se fait sans mots
Cela se fait après une lente étude de la caresse.
–
Serge Mathurin THEBAULT
– l’auteur nous fait part également de son site, ici
–
Mobile ( RC )
–
Il y a des perles rouges
Que l’on suit à distance
Et des étoiles de lumière
Filant de l’autre côté
Avec leur traînée blanche
Qui balaie un instant la route
En courbes pointillées,
Du contour des collines.
La nuit est tombée doucement,
Enveloppant le parcours,
L’habitacle, une bulle bercée
Du ronronnement du moteur…
Les kilomètres s’alignent,
Les villages lentement bougent
De l’autre côté de la vallée,
Et défilent en nombre.
Les maisons alignées,
Les tours illuminées,
Les avenues orange, et
Les néons des enseignes,
Bataillent contre le sombre,
Et disparaissent soudain
Au détour de la route,
Ou derrière un rocher,
Avalés par la distance
Et le sillon goudronné
Qui, lentement se déroule
En suivant le fil du temps,
Frêle ruban de la nuit
Se déplaçant, parallèle,
Aux efforts mesurés
De mon automobile.
–
RC – 9 novembre 2012
–
Ps : « au fil du temps », est un film ancien de Wim Wenders

photo; grandereveuse
La plume vagabonde ( 2 ) – ( RC )
J’ai récupéré un morceau de papier
qui m’attendait là, où on n’attend plus
qu’un remous originel,
… et parfois longtemps,
qu’il fleurisse
… Mais en quelle saison était-ce déjà ?
Le don de la lumière
la couleur qui s’annule, en flocons,
autant les mots s’enchevêtrent,
et disputent à la nuit,
leur encre sympathique …
Il fallait contourner un rocher solitaire,
déplacer en un mouvement circulaire
ces graviers en nappes, étendus
à l’ombre des bambous,
agités par un souffle,
qui me fit d’écriture,
détachés du sol,
l’encre mouvante des nuages
d’étourneaux,
délivrés du souvenir de l’été.
Etant , des deux
( rocher et papier,
son ombre et l’esprit
en cavalcade ) – pris au geste,
le râteau ordonne les mots
comme ils viennent,
ou la brosse d’encre
effleurant la surface des choses, —-
———–Il n’y avait pas de choix possible,
plus d’envers et d’endroit
sur la feuille aérée prenant son envol,
au jardin de la plume …
Le texte s’est fait sensation,
et l’émotion image
Avec ( ou malgré) moi.
RC – 11 novembre 2012
la « plume vagabonde », a fait l’objet d’un « premier épisode », publié ici
…
Louis Rocher – Errances
–
Errances
Les grands cargos multicolores dans le port ont des fourmis à la carène
un bel arc-en-ciel de cargos arlequins.
Les hublots décorent les songes au port de l’âme ;
des matelots jouent leur voyage aux dés. Une cargaison de soleil
roule sur le bateau couleur d’orange mûre une fille à la jupe rouge
porte à boire des regards frais.
Voici le temps d’appareiller
– les fourmis sont à la carène – pour le côté clair de soi-même.
—
Louis ROCHER, Un chardon si évident,
1956, Affrontement.