Femme de vent à l’âme secrète, l’orage est ta chevelure, je verrai presque ta tête dans l’œil de l’ouragan pendant un court instant de répit.
Bascule dans la saumure l’errance de mon pays tropical. Je t’entendrai hurler dans la nuit, et pour me retenir de ta furie, quand se déchaînent les éclairs,
mon corps se crispe sur les rochers coupants mes pieds lestés de plomb : Les vagues projetées s’en sont prises aux navires dans l’étau de tempête.
Autant de dents qui les déchiquettent dans la tourmente : spirale géante d’une gueule béante
où l’horizon s’est dissout le ciel éclaté comme pulvérisé de fragments de verre, sifflements stridents de ta colère
qu’avons nous fait pour la provoquer, et qui invoquer dorénavant pour t’apaiser, … femme de vent ?
Sur la forteresse noire que garde la montagne amère se succèdent les guetteurs qui ne regardent pas les oiseaux, se moquant des frontières, libres comme l’air.
Les murs sans joie sont si hauts qu’ils découpent le ciel, comme avec un couteau. Mais l’air se referme aussitôt,
compact dans sa jupe claire -.
Le temps a plus de chance, il ne se laisse pas arrêter, il ne franchit pas de portes comme l’eau de la rivière.
Elle , qui reflète aussi bien le soleil que les étoiles mortes, dans le flux continu des heures.
Les guetteurs l’ont perdu de vue au creux des bras touffus de la forêt de la plaine.
La matin contourne avec elle les rochers, et ne s’arrête qu’arrivé au bord de la mer pour reprendre haleine.
Les murs sans joie ne renferment que de la haine et une puissance illusoire qui s’éteint quand le jour décroît, absorbée par la nuit,
Le corps des âmes vives s’écoule sans discontinuer, de la source , des cascades jusqu’aux rivières, pour atteindre le grand fleuve étale.
Tu y entendras le bruissement de soie des eaux qui parlent de leur voyage tracé au flanc des collines , des rochers , des courants et des galets qu’elles ont porté.
Jusqu’à l’océan, elles accompagnent les vents changeants, qui dialoguent avec les nuages et parfois les bousculent .
Ne cherche pas à les comprendre : leur direction est fantasque, on ne sait jamais à quoi s’attendre ; mais les âmes arrivent toujours un jour ou un autre à revenir à leur point de départ pour continuer à chuchoter dans le cycle de la vie recommencée.
C’est quelque part, en avant sur une pointe de terre juste avant de plonger dans la mer, que les pierres affrontent le vent.
Au milieu d’elles des hommes ont construit cet abri contre la pluie une toute petite chapelle
coincée entre des rochers, infiniment solitaire, minuscule église de pierre, qui semble s’être échouée
un jour de grande marée . Des saints que l’on a vénérés s’y sont peut-être réfugiés après avoir débarqué .
Ils connaissent des langues mythiques surtout en Bretagne, ( elle qui fut très ancienne montagne où abondent mégalithes ) .
Il se peut que les pierres pensent par elles-mêmes, gardant la mémoire de contrées anciennes et des fêtes païennes où les dieux n’étaient pas les mêmes .
S’accommodant d’autres coutumes, épousant les mousses et les lierres, ce n’est pas seulement pour les prières mais pour combattre la brume
évoquer les diables et les sirènes et toutes les légendes des siècles passés : ces pierres, nous les avons caressées , et des âmes déposées, recueilli les joies et les peines .
Sur l’oxydation verte des rochers je me réserve, je le sais, une merveille. l’eau en images va et vient. Son écume bâtit des temples diaphanes. Des régions de diamants éclatent miettes dures contre le basalte noir laissant la brise constellée d’amandiers neigeux et tremblants. Leurs émaux à peine tournoient dans le miroir prodigue du soleil et retournent à l’eau comme pluie fourvoyée. Reviennent les chevaux en incessants suicides. Formant une unité parfaite. Un voisinage. Une haleine les guide, cristalline, qui s’avance vers moi, ailée et majestueuse.
Toutes couleurs se découvrant elle me dit : “Moi aussi je t’attendais. Prenons le temps de nous parler, mais d’abord rêve et vis pour moi cette journée, la tienne, chez les hommes… ”
Whitman écrit que l’herbe, c’est peut-être les cheveux des morts, il y a tant de monde en dessous qu’au bout d’un moment ils refluent, ils sont les arbres, le lierre, les roches, c’est pour ça aussi que la nature nous est si familière.
Je repasse inlassablement le même air, – comme pour vérifier que rien n’a changé. Ainsi, faisant face à un paysage renouvelé : je m’assure que les rochers sont bien à leur place.
Les accords se suivent, sans fausse note, et même, on oublie qu’il y a une composition, des musiciens, chacun à leur instrument, l’oeil rivé sur la partition, emportés par le flux de sons, s’y fondant littéralement .
L’oreille s’est faite familière , moulée dans la forme du concerto, les prestos , les andante , suspendue au défilé des mesures .
Il n’y a pas de surprise, – pourtant on attend le thème, sous les doigts du pianiste comme s’il venait de fleurir à l’instant, creusant son sillon d’une fraîcheur renouvelée .
Les cordes se superposent, s’entraînent l’une l’autre dans un entrelac, où les archets caressent la mélodie, ou lui répondent .
C’est un flux d’amour, d’une alchimie savante, qui parait pourtant spontanée , née du souffle des cuivres et du rythme lancinant des basses, comme un orgasme sonore qui enfle .
….enfle et finit par se déverser, à la manière de la grande vague d’Hokusaï : ( on en vient même à regretter la progression de la musique, lorsque le finale s’achève, et que le disque s’arrête ) .
photo: le vase de Sèvres – gorges de la Jonte, Lozère
Il faut écouter la poussée du vent, Bien sûr, parcourir sa transparence, Les secousses, qui bousculent, Les sommets des arbres, Et parfois les couchent.
Comme la voile qui se tend, Offerte en sa béance, Ce cap, cette péninsule, Sous les rafales, se cabre , Tendue à l’extrême , farouche.
Puis, soudain, se déchire, Sur toute la longueur, Désormais livrée à elle-même, Lambeaux agités dans la tourmente.
Sans s’infléchir , > Si c’est un vent libérateur, Les graines se sèment, Dispersées en quantité, Comme une pluie bienfaisante.
Elle transmettent leurs gênes, Aux mains ouvertes de la terre, Toujours prêtes à les accueillir, Alors que les pierres chantent, De leur corps minéral.
Une réponse au chant des sirènes, Gardiennes de la mer, De la brise aimable et ses soupirs , Ainsi les rochers sur les pentes, Leur présence immémoriale …
Mais il arrive que par l’usure des temps, Ce qu’on croyait éternel, Selon notre mémoire, Même la plus ancienne, Un pan de montagne bascule…
Et si c’est la puissance du vent, Celle de l’eau et du sel, A conjuguer leurs pouvoirs, > L’histoire devient incertaine Equilibre précaire du funambule…
Des pas d’oiseaux dans la boue, eux qui mènent à la source, dont on perçoit le murmure contournant les rochers. Mais d’où vient-elle, cette eau, sinon du secret de la montagne obscure, des vallons habillés de mousse, du souffle du temps, – une résurgence mystérieuse. où s’étire le liquide ? et c’est le miroir facétieux des neiges dissoutes par le printemps : une langue muette qui se délie et s’infiltre dans toutes les failles, pour s’unir à d’autres langues, bruire comme un oiseau nouveau né, grossir son cours s’élargir, chanter, puis rugir à mesure que se dessinent les pentes. Elles n’en retiennent, une fois apaisées, que le reflet des arbres pensifs, les nuages qui se mirent, dans leur substance même courant et nourrissant le sol.
suite broutante – photo perso : le Beyrac Lozère 10/2015
–
C’est un troupeau dans un enclos en pente ; Il se gorge de l’herbe grasse, – un corps solidaire à têtes multiples – dont la masse dissimule ce qui reste de sol.
A les voir moutonner, se presser en vagues de laine à palper du regard, à défaut des doigts, dans la tiédeur confuse ondulée par le soleil .
Lui, rebondirait sur ces îles. Elles se séparent et gravissent ensemble la pente ; elles se suivent, et dessinent en beige clair le tracé du chemin , laissant sur place les têtes de rochers, nues .
Brebis et bêlements se déplaçant aussi. ( J’aurais voulu plonger dans leur manteau blanc, les boucles autour des doigts, connaître de mes paumes le museau fébrile de l’agneau ).
Mais du troupeau, maintenant hors de vue, stationné, peureux, sur une autre pente. Il n’est resté, quelques instants plus tard, qu’un enclos désert, derrière les mailles de son grillage .
Ecoute le tressage des abeilles
Le bourdonnement de la ruche,
L’alphabet des métaphores…
Je dois contempler la lumière ,
M’agenouiller pour regarder
Les gouttes d’étoiles prisonnières d’une toile d’araignée,
Après avoir suivi des cours d’eau
Leur course étalée comme les doigts
Ou les nervures d’une feuille sur le sol,
La palette du ciel abrite toutes les nuances du vent
C’est un haut clocher,
On ne peut pas l’atteindre sans s’arracher au sol
Et les strates empilées des terres et rochers
Une colline est une voix à l’intérieur ,
Les arbres essaient d’en saisir les mystères,
En creusant plus profond encore,
Et dialoguent avec l’appel des saisons.
Peut-être y a-t-il beaucoup à lire,
Sous l’écorce de la matière,
Les nuances de l’écriture qui y est cachée,
Passent de l’anthracite à l’ivoire,
En ne négligeant aucune couleur de l’arc-en-ciel.
Qu’est-ce que c’est, un fleuve ? Un peu de boue et beaucoup d’eau.
De l’eau.
Cette chose qui coule.
Il y a, dans un fleuve, une multitude de vies et de morts, de chemins, une multitude de galets, de sable, de rochers, et tout ça se soutenant seul et formant une grande cicatrice où l’eau coule.
Et puis il y a les rives. Au-dessus de ce que nous sommes en secret, il y a les rives, où le fleuve quelquefois déborde, emportant tout ce qu’il peut, mais qui sont d’habitude libres, dans la lumière.
photo perso- Croix sculptée, Vallée du Lot, Lozère
–
Pierre sculptée avec croix
Dans les épines,
dans les rochers,
dans le vent,
dans les tempêtes,
à travers les neiges
à travers le grillage
inamovible
têtu
l’effritement
droit
indéchiffrable
simple,
seul et modeste
contre le ciel
contre le soleil
un pilier de la douleur
une colonne de conscience
contre le temps
, comme la beauté
crucifiée.
—
Stone Carved with Crosses Vahagn Davtian
In the thorns,
in the rocks,
in the wind,
in the storms,
through the snows
through the scorch
unmovable
stubborn
crumbling
straight
undeciphered
simple,
alone and modest
against the sky
against the sun
a pillar of grief
a column of conscience
against time
like beauty
crucified.
A l’ombre d’un arbre dont je ne saurais dire
Ni le nom, ni le dessin des feuilles,
Cet homme, un être sans âge,
Presque nu, immobile,
– Et peut-être aveugle
Gisant, endormi, sous la voûte des feuillages,
Sur un gros bloc
A l’entrée d’une cathédrale de rochers.
Des lianes pendaient dans l’ombre végétale,
Et m’habituant à elle, je la perçus moins obscure,
> Accompagnée du frêle murmure,
D’une eau, s’écoulant , paresseuse,
De bassins en vasques naturelles.
Dans cette espère ce château creux, inversé,
habité de relents lourds, gras, écoeurants,
Ne devant rien à la profusion végétale.
Il n’y avait pas d’idole incrustées dans les parois,
> Pas de sphinx de pierre, dans ce lieu reclus,
Isolé d’un ciel , qui claque sous le soleil,
Mais un sol presqu’entièrement couvert de plumes,
Et progresser parmi le chaos rocheux,
N’était possible, qu’en foulant aux pieds
De multiples ossements
S’affaissant sous mon poids.
Peut-être étais-je habité par le non-savoir,
Enfui trop vite de la lumière,
> Vers ces profondeurs
Où le ruissellement d’une eau rare
S’associant aux rituels millénaires
Où l’amour et le vivant, meurent
Tranchés, par la lame de l’officiant,
> Le sang se mêlant à l’eau lente…
Peut-être, n’ai-je pas dans l’esprit,
– Celui de faire un voeu
Quand on lit l’avenir
Selon , que la bête sacrifiée
Prolonge ou non son agonie
Sur le ventre ou le dos,
Et , que se vide son corps
Palpitant encore, au milieu des pierres.
Mais , l’homme endormi,
Au pied des carcasses suspendues,
> Et des toisons dépecées
Rêvait peut-être de la vie qui s’enfuit,
Et du murmure indéfinissable,
– Des dieux primitifs,
Offrant, dans ce lieu reclus,
Des promesses de prospérité.
A noter qu’à Dafra, le cours d’eau se continue en mares, où vivent d’énormes poissons chats ( silures), nourris avec les restes des animaux sacrifiés: voir photo de Brad 177:
A tous les rivages et au murmure des vagues
Les paroles croisées, le bonheur d’une inspiration
Ainsi, le ressac régulier, et l’écume
Qui prend et donne, reprend encore
L’appel des sirènes s’est perdu dans la brume
———Personne n’en propose de traduction.
Le pays s’est usé de son voisinage,
Pour tatouer la mer de rochers,
C’est une lente métamorphose,
Qui transporte les éléments
Sous les yeux fertiles du temps
Au-delà du plein chant du soleil
Les falaises parait-il reculent
Et cèdent au liquide des arpents de prés,
Les remparts de la ville s’approchent du bord
Et seront un jour emportés,
Comme le sont les siècles
Aux haleines des brises et tempêtes.
Faute d’apprivoiser le temps
Il faut faire avec son souffle
Et le berger pousse ses troupeaux sur la plaine
Puis les plateaux, qui offrent
A toutes les transhumances, leurs drailles séculaires
D’un parcours recommencé, au cycle des saisons.
photos et montage perso… viaduc de Douvenant, st Brieuc, Côtes d’Armor août 2012
Des verticales rares, fichées au sol,
suivent les partitions lentes,
celles des portées électriques,
Celles des portées électives,
Je me souviens, comme elles dansaient
Lorsque le regard restait sur l’horizontale
Et que défilait le paysage du point de vue ferroviaire
Au « Cloc-loc », régulier, des interstices des rails.
Je vois maintenant le plateau
Caressé par la lumière du soir
Qui déborde des stries des plantations
Et prend vie des ondulations douces,
Presque un soupir, au sens musical
Quand la terre reprend son souffle
Après une journée torride, juste apaisée
Par un léger mouvement des airs.
Il y a l’ombre portée des arbres
Sur le sol, qui s’allonge démesurément.
Il y a encore, plus loin l’étendue qui varie
Et qui d’une autre lumière aussi, se marie
Et qui fait suite, avec ,on s’en doute,
Des transitions brusques, celles, qu’on ne voit pas
Qu’on ne vit pas avec nos yeux,
Car buvant une ombre déja profonde.
Puis, les messagers ailés, tirent des traits
En s’appuyant sur l’air, ne craignent pas la chute
Et encore viennent, virevoltent et volutent
Franchissant d’élans plus faciles
Espaces et distances que de plus audacieux ouvrages
Appuyés sur le sol, l’épaule des rochers,
Quelque part, au souvenir des courbes et des contours,
En progression obstinée, dans la paume d’ocre,
Le pays, sans doute s’arrondit plus loin
Au vécu tragique, d’un ciel antique
Lorsque le disque solaire
Masqué de temps en temps par les collines
Qui dansent aussi, à notre trajectoire
Finit par quitter la scène
Et que les oiseaux fuient
Au prélude à la nuit .
les insectes ,les lézards, qui se chauffent au soleil
ou bien aux bassins souffrés encore fréquentés de fumerolles…
Où cette jeune pousse a –t-elle bien pu trouver à survivre et s’accrocher ?
–
D’où est venue la graine ? échappée du bec d’un oiseau venu de l’autre rive ?
De la poche du scientifique venu mesurer la densité des gaz, rôdant encore dans les poches ?
De la même façon que le soldat mort, allongé, déchiqueté, dans le Guernica de Picasso, tient, avec son épée brisée, la jeune fleur qui donne tout son sens au tableau…
Comme il est écrit que la vie récuse la crasse et les vertiges du néant
Altazor pourquoi as-tu perdu ta sérénité première
Quel mauvais ange s’est arrêté à la porte de ton sourire
L’épée à la main
Qui a semé l’angoisse parure divine
Sur les plaines de tes yeux
Pourquoi un jour subitement en toi la terreur d’être
Et cette voix qui t’a crié vis
Le diamant de tes rêves s’est brisé dans une mer de stupeur
Tu es perdu Altazor
Seul au milieu de l’univers
Seul
Comme note qui fleurit sur les hauteurs du vide
II n’y a ni bien
ni mal
ni vérité
ni ordre
ni beauté
Où es-tu Altazor
Tombe
Tombe éternellement au fond de l’infini
Tombe au fond du temps
Tombe au fond du Je
Tombe au profond du fond
Tombe sans vertige
Au travers de tous les espaces et de tous les âges
Au travers de toutes les âmes de tous les désirs
De tous les naufrages
Tombe brûle au passage les astres les mers (…)
C’est fini
La mer anthropophage bat la porte des rochers impitoyables
Les chiens aboient sur les heures qui meurent
Et menacent les heures à l’heure de leur mort
Le ciel écoute le pas des étoiles qui s’éloignent
Tu es seul
–
V. HUIDOBRO (1919)
» Altazor » ( » Manifestes « )
(Trad. G. de Cortanze, Champ Libre 1976)