Une habitation vivante – une énigme pour l’architecte – ( RC )

L’habitation est ce corps creux,
qui, à l’instar des coquilles,
se développe et s’agrandit
sans que l’on s’en aperçoive
de façon très consciente.
La nuit, les cloisons se déplient
pour correspondre au vide
qui se modèle sous le support des roches
lui servant de fondations.
Le matin, on a du mal à faire coïncider
son parcours avec celui de la veille,
car les escaliers ne sont pas à la même place,
les étages se sont inversés,
des pièces sont venues s’encastrer
ou sont en surplomb sur la falaise.
Des décalages sont inévitables,
des meubles sont hors d’atteinte,
sauf avec un échafaudage
ou des planches clouées
de façon à prolonger une mezzanine.
Les arrivées d’eau sont fantasques,
même si la tuyauterie suit, en souplesse.
On préférera pour cette raison, le puits dans la cave.
Mais, comme il fallait s’y attendre,
il n’est jamais à la même place,
d’autre part, il ouvre sur d’autres galeries souterraines
qui communiquent avec le fleuve.
De l’extérieur la maison
dont on trouve à l’occasion des photographies,
change d’aspect, varie selon les saisons,
s’élève ou se rabaisse, rétrécit à vue d’œil
ou s’enfonce dans ses soubassements.
Rien n’y est définitif.
Elle respire comme un corps vivant.
On ne sait même pas s’il lui prendra fantaisie
de s’allonger au gré des circonstances
comme un lézard, sur les roches voisines,
ou si la terrasse sera son tremplin
pour qu’elle s’établisse
au-dessus d’une base plus propice
à son développement.
Corps de Ménéham – ( RC )

photo RC Ménéham juillet 22
Corps de granit en bord de mer,
au hasard , tu verras des maisons minuscules
par rapport à ces géants de pierre.
Comme elles le peuvent, elles se dissimulent
tout en espérant
se mettre à l’abri du vent
et des embruns, derrière les roches.
Pas question pour un Petit Poucet
de s’égarer dans la forêt.
Même si l’océan est proche,
( la futaie est lointaine:
les rochers se referment
sur la terre ferme ):
Possèdes tu le sésame
qui permet d’ouvrir les demeures secrètes
du village de Ménéham ?
si tu veux je te le prête,
mais ne penses pas y trouver
un trésor caché
par les flibustiers :
on ne compte plus les heures
avec le temps qui passe
sur les légendes
parmi les herbes de la lande.
Seuls ces grands corps demeurent:
corps de granite
qui restent sur place
aux grandes formes insolites.
Ils ne confieront rien de leur âge
à ceux qui viennent visiter le village.
Nathalie Bachand – la table de cuisine

On est assise à la table de la cuisine, la nuit.
On observe des roches blanches. Il y a le thé et le napperon vert-de-gris.
Le thé dans la théière métallique et dans la tasse blanche.
Le napperon sur la table rectangulaire bois de pin et le cahier sur le napperon.
Le stylo à encre noire. On ne va pas écrire.
On a bu le thé et enlevé le napperon. Puis ses vêtements.
C’est le corps chaud qu’on s’est étendue sur le dos, nue, en étoile.
Le cœur en mouvance dans le corps immobile.
On a imaginé les étoiles par-delà le plafond, le stuc en donnait presque l’illusion.
Ce n’était pas spécialement singulier.
Simplement une façon comme une autre de se détacher de soi.
Coucher le corps plutôt que l’écriture, suspendue hors de soi pour un temps.
On a tenu deux roches: une dans chaque main, bras ballants dans le vide, les mains tournées vers la nuit.
Le corps étendu en étoile sur la table, un million de minuscules stucs de plâtre dans les yeux, deux roches froides et blanches dans les mains.
Une parfaite impossibilité d’écrire dans cette immobilité minérale et son cœur, d’un rouge éclatant dans la blancheur de cette cuisine devenue l’antichambre de soi-même.
Les roches sont devenues tièdes au creux des mains.
On aurait dit deux cœurs ossifiés: tout le corps comme un os.
On est longuement restée ainsi.
Et puis, les bras engourdis, on a légèrement retourné les mains vers le bas.
On a lâché les roches sous la table.
C’est dans le vide quelles sont tombées.
origine du texte revue québécoise « Jet d’encre n°9 »
Nathalie Bachand est diplômée en pratique des arts à l’université de Québec Montréal et s’intéresse à la relation entre l’art et l’écrit.
Anne Salager – Le grand sommeil

Des roches liquéfiées balbutient
pour elle d’anciens mythes grecs
pour son troisième œil de sphinx
&
Elle vient d’épouser les dernières
lueurs du couchant où s’affirme
la brève embellie des passages
&
La voilà nue seins d’hirondelles
au naturel de sa pâleur
Je sens qu’elle va s’endormir…
Pierre Mhanna – La rue et ses passants
Ma vie entière est une lettre écrite pour vous dans une langue que seul l’amour peut comprendre.
My whole life is a letter for you written in a language only love can understand.
~
By the candlelight
I loved to read her poems
and gaze, every now and then,
into her eyes,
at the way the flame flickered
and danced upon
the page of her face,
the poem of my life.
À la lueur des bougies
J’aimais lire ses poèmes
et le regard, à chaque instant et puis,
dans ses yeux,
à la façon dont la flamme vacillait
et dansait sur
la page de son visage,
le poème de ma vie.
~
With the patience
of the river
dissolving rocks
and carrying them to the sea
my touch will have her skin
dissolved in poetry.
~
Avec la patience
de la rivière
dissolvant les roches
et les transportant vers la mer
mon contact verra sa peau
dissoute dans la poésie.
–
traduction RC de cette toute récente parution sur le blog de Pierre Mhanna ( english )
–
Absorber l’idée même de la nuit – ( RC )
Les bois se taisent
quand les noces des vents s’apaisent,
et c’est la nuit
qui emporte tous les bruits …
( mais pas une nuit rêvée,
celle que l’on peut trouver,
quand une partie de la terre,
effacée de la sphère
plonge dans le sommeil,
en absence de soleil ).
Les criquets et les cloches des villages
cessent leurs commérages
à partir du moment où l’obscurité
étend son royaume indompté
dont la noirceur
occupe l’intérieur,
et celui des gouffres
à l’odeur de soufre,
et les grottes cathédrales,
dont le noir total
est un monde à part entière,
se tenant éloigné de la terre.
C’est comme si l’extérieur,
ses joies et ses peurs,
n’avaient jamais existé,
jamais vécu, jamais été,
> juste une existence
remplie par le silence ,
elle , pourtant si proche,
cachée derrière une paroi de roches,
jusqu’à en devenir une idée d’infini,
absorbant l’idée même de la nuit .
.
–
RC – janv 2016
Nouveaux parcs d’attraction ( sur une peinture de Dirk Bouts ) – ( RC )
Peinture: D Bouts: le chute des damnés
Voila le choeur des réjouissances,
où tout bascule, d’une autre planète.
– Elle frôlerait celle-ci,
et c’est un échange des mondes,
celle où l’attraction aurait raison
du poids des péchés.
Les hommes attirés comme des mouches,
engluées sur leur spirale collante.
Et de petits monstres
– un rien préhistoriques –
comme nés d’entre les roches,
enfantés par
l’imaginaire débridé,
s’en donnent à coeur joie,
échangent les corps blafards,
dans une folle farandole.
C’est sans doute la ration quotidienne,
les sortant de l’ennui,
– la grande roue, que l’on aperçoit,
ne suffirait-elle pas ? –
de quoi aiguiser l’appétit,
et quelques canines,
– mais jamais rassasiés –
leurs petits yeux stupides,
tout à leur tâche,
éternellement recommencée :
( quelles nouveautés nous sont donc données,
avec les derniers damnés ? )
C’est un parc d’attractions .
On viendrait presque, muni d’un ticket,
y réserver une place, pour se faire une frayeur,
comme en empruntant le train fantôme,
se faire balayer le visage,
avec des toiles d’araignées :
– Il y en a bien qui réservent des places,
pour fréquenter sans risque,
les geôles communistes…
bientôt quelque camp de concentration,
pour le touriste de l’histoire ,
spécialement aménagé.
Indispensables : uniforme et matraque,
pour » consommer » quelques émotions fortes .
On demanderait presque,
si c’était possible : – « aux vrais «
à ceux qui n’en sont pas revenus ,
de participer à une reconstitution,
Télé-réalité oblige :
la cote de l’angoisse et du frisson
monte avec l’audimat .
–
RC – mars 2016
–
voir aussi ce qu’a écrit Michel Butor, par rapport à cette peinture de Bouts…
Vers où pèse ta lumière ( RC )
–
Si tu remontes, les mains ouvertes,
– Poussée d’Archimède,
Vers où pèse la lumière,
Et les roches posées,
Toujours prêtes à s’envoler,
Sans scaphandrier…
–
Si tu déménages,
Dans un coin de ciel,
Tu croiseras peut-être
Le char d’Apollon ,
Déplaçant des colis ,
Pour repousser la nuit.
–
Et tu m’écriras
. De longues lettres,
Enfermant un tout petit peu ,
> De l’air de ta vie,
… Tu aurais collé un timbre,
. Avec ton sourire.
–
RC – 22 août 2013
–
Course recommencée de la rivière ( RC)
aquarelle- Shay Clanton
–
A l’abri des saules,
L’ombre légère se courbe,
Et effleure le courant,
Où passent furtifs,
Des éclairs d’argent.
Des feuilles jaunies
D’un calme après-midi,
Suivent à quelque distance,
Le défilé des heures
Qui les portent au loin.
Il n’ y a de bruits,
Que l’envol des oiseaux,
L’écho du bruissement des flots,
Contournant les branches,
Dépassant de l’onde.
A peu de distance de l’île,
Le pêcheur immobile,
Reste debout
Dans ses bottes de cahoutchouc,
Et laisse filer le temps.
Dans un autre univers,
D’ors et de verts
Les points de soleil ricochent,
Autour de quelques roches,
Que les truites contournent.
La lumière invente ses fins de jours,
Et se pose en détours,
< Sans se souvenir d’hier,
Ni des poissons, des hameçons,
La course recommencée de la rivière..
Les pieds dans les bottes, humides,
Le pêcheur , son panier vide,
Ne veut pas forcer la chance
Que la ligne se tende et mouille,
Qu’importe de rentrer bredouille…
RC – 17 juillet 2013
–
Ta voix franchit l’épaisseur de la nuit ( RC )
–
> Pourtant marchant dans une vallée d’ombre
Où aucune chose ne m’atteignait , cette vibration en moi,
L’onde de ta parole, toi que personne n’écoutait, et n’entendait
Je l’ai entendue, au travers de ta poésie torturée,
Les cris franchirent l’épaisseur de ta nuit,
L’oppression des vagues,
Sous leur fracas contre les roches
Noyant le sentiment commun, fermant les yeux à chacun,
> Mais pas ta voix…
Elle s’élève , au-dessus de la masse indistincte,
Comme un point lumineux, clignotant, fragile,
Mais têtue, … tel un phare vers lequel je me dirige .
–
RC – 20 mai 2013
Rabah Belamri – Cette nuit
1
cette nuit
la mer manque de tendresse
horizon de roches
afflux de rouille dans les membres
le pêcheur s’épuise à capter son visage
si près de l’abîme
2
les terrasses du sommeil basculent
l’écume se fait banquise
je reviens néanmoins contre ta hanche
dénudé par la rumeur de l’aube
3
même le ciel des prophètes prend feu
à ta crinière
ô Boraq de désir
tes ailes bleuies d’audace
inversent l’oeil de la mort
4
ce matin
l’île penche sous son poids de lumière
une fillette court sur la dalle des prières
je reçois les embruns de son rire
Rabah BELAMRI