Antoine Jean-Baptiste Roger – Sonnet romantique

J’attends l’amour, le grand amour que ne déparent
Ni les doutes, ni les dégoûts, l’amour tardif
Dont le flux submerge le cœur, ce vieux récif,
L’amour, mer d’Orient suit la côte barbare !
Aussi pardonne-moi si ma bouche est avare,
Tu n’es pour moi qu’un rayon de soleil furtif.
Je rêve par-delà notre baiser passif
Un roman beau comme un poème… et m’y prépare.
Cependant si déçu, je ne le vivais pas,
Pour te frôler encore je hâterais le pas
Dans ce brouillard d’hiver où la lumière est jaune…
Et malgré cet orgueil qui me ronge en secret,
Ton sourire est si doux qu’il me consolerait…
…Dieux ! L’amour serait-il si triste comme une aumône ?
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Antoine Jean-Baptiste Roger – ( plus connu sous le nom de Saint-Exupéry )
Charles Dobzynski – Un cheval juif –

Un cheval juif ça n’existe pas pourtant j’en ai vu un. Tête noire et crinière blanche qui ne s’était pas enfui d’une écurie de Chagall. Cheval aveugle qui pleurait paupières lourdes de toutes les larmes du monde. Hirsute échappé soudain du visible peut-être de la Bible ou d’une énigme du Zohar. Il avait fléchi son allure oublié son galop et ne portait pour cavalier qu’un maigre halo de lune. Il ressemblait au portrait d’un aïeul désolé incarcéré dans les fissures de son image. Tressaillement des naseaux et sous sa robe tremblante une douleur insatiable. La douleur qui est l’azote des âmes tombées d’un trou de l’ozone. Le cheval ne se cabrait pas face au destin déserté il flairait les lointains. Il humait dans l’herbe rêveuse une rosée millénaire l’histoire volée en éclats. Le cheval traverse la nuit sans la voir et puis il entre dans le jour à son insu comme on entre dans un miroir. Je l’enfourchais parfois sa tendresse me soulevait je le tenais par le mors. Il me tenait par la mort.
Je est un Juif, roman
nrf Poésie/ Gallimard
Marcel Olscamp – Piazza Navona
photo : Emanuel Tanjala – fontaine des 4 rivières piazza Navona Rome
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Les bruits des rues séchaient déjà
fragiles dans leur nuit de pluie
lorsque l’amant de ton roman
sortit transi de ta valise
en répandant sur le trottoir
la rumeur douce de ces heures
où tu lisais en m’attendant
Alors j’ai roulé les rues
comme une langue amère
et j’ai relu ma chambre
avec mes draps sans toi
presque sans moi
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Robert Piccamiglio – roman japonais
- photographie : Steven Cook
Un autre des « poème-affiche » de l’écrivain et dramaturge Robert Piccamiglio
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Elle se baigne
avec dans les mains
un roman japonais
qui ressemble à un champ
de peupliers très haut
vers le ciel
Et quand sa tête
est sous la surface de l’eau
le roman japonais la suit
et s’inquiète de savoir
quand elle va remonter
pour continuer à caresser
ses pages
Ensuite le roman japonais
qui ressemble à un champ
de peupliers très haut
vers le ciel
lui passe sa sortie de bain
et essaye au passage
de toucher une partie
de son corps très blanc
Alors la jeune femme
une fois de plus déchire
une page de son roman japonais
qui s’en va rejoindre
dans la poubelle sous le lavabo
une de ses serviettes hygiéniques
parfumée à l’encre de chine
bleu comme le ciel
— à découvrir aussi ( lire ou relire), les extraits précédents de « Midlands » et Smith & Wesson: