Kenneth White – la porte de l’Ouest

L’échappée, ah – cette lueur bleu sombre
le long du fleuve puis
l’éclair d’ambre doré puis encore
la lueur bleu sombre tout le long du fleuve
( vieux rafiot noir là-bàs traînant
près d’un gros paquebot blanc )
et les nuages filant bas
au-dessus des vagues grises aux crêtes
écumantes ( ah cette courbe qui se brise ) et en haut
le vol noir des goélands
Puis les collines, fougères rousses entre-
mêlées et les ronces et les roses sauvages et
le houx rouge-sacré dans la neige
et les arbres dégoulinant de pluie –
marchant sur les chemins de glace bleue les
ruisseaux impétueux l’air mordant
et cette lumière d’une clarté folle
cette lumière abrupte angélique démentielle
qui fait surgir le monde dans sa nudité
réel toujours changeant clair-obscur perpétuel.
La maison de l’ombre – ( RC )

J’ai touché l’ombre de mes doigts,
et elle n’a pas bougé.
La maison était dans une couronne de ronces,
ses fenêtres closes ne parlaient plus .
Ouvertes , elles n’auraient pu qu’être muettes
dans l’oubli des étés et des rires.
Qu’elle gémisse de fatigue dans ses fers
– de rouille – , écrasée par le poids du ciel,
qui n’est qu’indifférence…
J’ai touché du doigt
son triste corps de pierre.
Elle ne m’a pas répondu.
Si j’étais resté plus longtemps,
elle m’aurait mordu
me lançant ses ronces au visage .
RC – nov 2020
Quine Chevalier – Au bord du feu
I
Au bord du feu, au ban des ronces
entre les plaines délétères,
corps de naissance
en rien vêtu
les hardes ouvertes de lumière,
tu jettes un corps sur tes épaules.
Lequel des deux infanticide ?
Le vent rafle les chevaux sans territoire.
Nuit sacrificielle
sur les cerceaux hantés
du grand portique :
danse.
II
Par la vraie nuit
à ses textures de silence
au bord du feu
au ban des ronces
porter un corps
et son vertige
un corps jeté
hors la nuit
sur les épaules
Gerard Pons – que nous reste-t-il ?
Que nous restera-t-il
sur l’autre rive
qui attendrisse notre exil ?
Sur les rives de nos fleuves
ne tomberont à l’automne
que feuilles de repentir
et sur nos monuments
encadrés par les ronces
d’autres feuilles d’oubli.
L’ép(r)ouvante – ( RC )
peinture – Frida Kahlo
—
Epouvante,
qu’il pleuve ou qu’il vente,
tu t’échappes des contes pour enfants,
et ris de toutes tes dents:
et si c’était une comptine,
on verrait luire tes canines …
Et encore, l’épouvante , chante
comme la cigale de La Fontaine,
mais trouves avec peine
l’hiver étant venu, ( air connu ),
où se loger dans les arbres dévêtus
que l’on sait trouver fort dépourvus.
Voila qu’elle a caché la lumière,
et qu’elle effraie la bergère,
avec des histoires de loup,
ou à dormir debout :
on peut presque palper la peur,
distinguer au loin le château la Terreur.
Pendant que tes pas s’égarent
tu erres dans les idées noires :
Si les arbres ont perdu leurs feuilles,
l’épouvante a répandu son deuil,
et les racines d’une forêt ingrate,
multiplient les croche-pattes .
La fontaine s’est refermée,
oubliée dans les ronces et l’églantier :
les fées sont capturées
pieds et poings liées
prisonnières
au coeur de l’hiver.
- Les eaux obscures m’ont bu
tu n’en as rien su :
je me suis noyé
dans l’eau glacée :
mes yeux te regardent
et ma peau est blafarde:
elle a pris les couleurs de la cendre
dans le long bain de décembre :
il m’a été ôté la joie :
nous n’irons plus au bois :
j’ai pris pour compagne l’épouvante ,
dans la forêt – – désormais je la hante.
Mais les années s’étant écoulées,
et tu m’as désormais oublié:
tu as délaissé tes terreurs d’enfance :
la vie a pris une autre consistance,
elle t’emmène vers d’autres horizons,
( c’est maintenant une autre chanson ) .
Tu as remisé toutes ces fadaises,
et t’en vas cueillir des fraises :
Cigale, cigale, il te faut rechanter :
les lauriers des bois ont bien repoussé !
la fontaine est garnie de fleurs d’églantiers,
… tu en accroches une sur ton chemisier…
Attention quand même aux épines :
elles sont restées assassines ! ,
voila qu’une fleur de sang grandit sur ta poitrine ,
alors… te revient en tête la comptine :
l’épouvante et la peur de mourir…
( je me rappelle à ton bon souvenir… )
–
RC – mars 2018
Yannis Ritsos – Inévitable
photo: Lydia Roberts
Ils sont partis, l’un après l’autre.
Nous avons attendu.
Ils ne sont pas revenus.
Comment peut-on s’habituer à tant d’éloignement ?
Ni montagnes, ni arbres, ni maisons,
ni gens du tout, et les noms oubliés,
et la cendre répandue jusque dans les pages vierges.
Seulement dans le champ sec aux ronces jaunes,
a poussé une rose comme par erreur. La nuit,
souviens-t’en quand tu regarderas au loin, vers le large,
les trois petits feux errants. Souviens-t’en.
O, triste, inconsolable clair de lune, garde-moi.
Karlovassi, 10. VII. 87
Jacques Dupin – Romance aveugle
–
—
–
Je suis perdu dans le bois
dans la voix d’une étrangère
scabreuse et cassée comme si
une aiguille perçant la langue
habitait le cri perdu
coupe claire des images
musique en dessous déchirée
dans un emmêlement de sources
et de ronces tronçonnées
comme si j’étais sans voix
c’en est fait de la rivière
c’en est fini du sous-bois
les images sont recluses
sur le point de se détruire
avant de regagner sans hâte
la sauvagerie de la gorge
et les précipices du ciel
le caméléon nuptial
se détache de la question
c’en est fini de la rivière
c’en est fait de la chanson
l’écriture se désagrège
éclipse des feuilles d’angle
le rapt et le creusement
dont s’allège sur la langue
la profanation circulaire
d’un bout de bête blessée
la romance aveugle crie loin
que saisir d’elle à fleur et cendre
et dans l’approche de la peau
et qui le pourrait au bord
de l’horreur indifférenciée
[…]
Un jupon d’un buisson de ronces – ( RC )
Pripiat – Ukraine – provenance photo: http://machbio.blogspot.fr
–
J’ai fait un jupon d’un buisson de ronces,
Pour aller avec la robe de plomb,
Habillant si bien les bois morts,
Et la langue affligée ( celle qu’on ne peut plus traduire ).
Une cérémonie où les statues sont de sortie,
Alignées, immobiles,
Conformément au protocole ,
Attendant un signe qui ne viendra pas.
Un premier plan de givre, un alphabet en désordre,
Et les arbres, libérés des contraintes ordinaires
ont commencé à crever le ciment de la place du Champ de Mars .
Tous les habitants ont fui une menace qui ne dit pas son nom .
–
RC- juin 2015
–
–
En rapport avec la ville Pripiat ( à 3km de la centrale de Tchernobyl ).
A voir au sujet des conséquences de l’explosion
de la centrale nucléaire, sur la ville de Pripiat,
le film » la terre outragée »
–
Petit commentaire perso: Daugavpils, est une ville de Lettonie, proche de la frontière de la Russie . Elle comporte une citadelle militaire qui a été laissée complètement à l’abandon, et dont l’enceinte abritait en 2004 également une série de hlm vétustes.
L’abandon n’a pas ici de cause consécutive à un accident nucléaire, mais on observe le même phénomène, à savoir que les places d’armes ( où trônent encore des canons) sont envahies progressivement par la végétation: par exemple des arbres qui masquent presque totalement de hauts lampadaires destinés à éclairer la place.
A noter qu’au côté sinistre de l’abandon, se joint le côté historique, puisque cette ville a servi de ghetto concentrationnaire pour les juifs… lire cet article corrrespondant…..
Colette Peignot (Laure ) – d’où viens-tu ?

peinture – Ferdinand Hodler Dents-du-Midi- dans les nuages (Jungfrau )
D’où viens-tu avec ton cœur
déchiré aux ronces du chemin.
Les mains calleuses de casseur de pierre
et ta tête gonflée comme une
outre piquée ?
.
Nous sommes ceux qui crient dans le désert
qui hurlent à la lune.
.
Je le sens bien maintenant : « mon devoir m’est remis. » Mais
lequel exactement ?
C’est parfois si lourd et si dur que je voudrais courir dans la
Campagne.
Nager dans la rivière
oublier tout ce qui fut, oublier l’enfance sordide et timorée.
Le vendredi saint, le mercredi des cendres.
l’enfance toute endeuillée à odeur de crêpe et de naphtaline
L’adolescence hâve et tourmentée.
Les mains d’anémiée.
Oublier le sublime et l’infâme
Les gestes hiératiques
Les grimaces démoniaques.
Oublier
Tout élan falsifié
Tout espoir étouffé
Ce goût de cendre
Oublier qu’à vouloir tout
on ne peut rien
Vivre enfin
« Ni tourmentante
Ni tourmentée »
Remonter le cours des fleuves
Retrouver les sources des montagnes
les femmes les vrais hommes travailleurs
qui enfantent
moissonnant
M’étendre dans les prairies
Quitter ce climat
Ses dunes, ses landes sablonneuses, cette grisaille et
ses déserts artificiels,
Ce désespoir dont on fait vertu,
Ce désespoir qui se boit
se sirote à la terrasse des cafés
s’édite… et ne demanderait qu’à nourrir très bien son homme
Vivre enfin
Sans s’accuser
ni se justifier
Victime
ou coupable
comment dire ?
Un tremblement de terre m’a dévastée
.
On t’a mordu l’âme
Enfant !
Et ces cris et ces plaintes
Et cette faiblesse native
Oui –
Et s’ils ont vu mes larmes
Que ma tête s’enfonce
jusqu’à toucher
le bois
et la terre
LAURE (Colette Peignot)

photographie – Garry Winogrand – El Morocco, 1955
–
Brigitte Tosi – Les mains griffées
Les mains griffées
De tous ces mots, là-bas, jetés au bord du monde,
Du verbe inachevé au point figé du bleu,
Du rêve inabouti noyé dans l’eau dormante,
Ne restent que nos mains emprisonnées de ronces
Gravant l’espoir aux murs de nos jardins secrets.
© B. Tosi
–
Futurs en flaques , déviations au même endroit (RC)

peinture S Dali :Dalì à 6 ans, quand il pensait d’être une fille qui soulevait avec précaution la peau de la mer pour voir un chien endormi au-dessous de l’ombre de l’eau, 1950
–
Je prends les flaques, à l’envers, en plaques, modèle l’impensable et découpe de l’ombre, la tienne, et celle qui me vient de l’obscurité des jours.
Un bon coup d’éponge, et j’efface, de ton visage, la météo des orages qui se préparent.. je déforme l’incassable, l’impossible distance qui sépare le soleil de son ombre.
A portée du futur , à portée demain, la palette du passé, porte en son sein les fleurs fanées qu’une gorgée d’espoir ne peut ressusciter.
C’est alors en tous sens, que j’inverse la course des sans interdits dans la course de l’espace, et la faille de ta naissance, bordée de fronces ( aux fruits dans les ronces ).
Y a –t-il de portée plus lointaine, qu’il faille que je renonce, et que la source de ta lumière ne m’atteigne, aux jours de la semaine, en en multipliant les dimanches ?
La ligne d’horizon, que je recourbe, me fait sans cesse repasser à tes côtés, au même endroit.
RC – 15 juin 2012
en écho à lutin avec « le ‘regard du ciel »
–
–
Béatrice Douvre – Le jardin
en provenance du site » la pierre et le sel »
Le jardin
Arrête-toi au fond de ce jardin
Pour l’air et pour le peu de roses
Arrête-toi, je te rejoins
Tu es plus belle que mon attente
Plus terrible encore quand le temps cesse
Car tu as cessé de vivre dans le temps
Mémoire
Poussant le grillage de fer
Pas à pas sur les terres humides
De la rosée plus que le jour
Je te rejoins
Il n’y a plus personne dans ce jardin
Les quelques pas avaient gravé la terre
C’était mon pas
Ô disparue derrière les ronces.
Poème isolé, écrit en 1989 et 1993, publié par la revue Linea, n° 4, été 2005, p. 14
–
Franck Venaille – J’avais mal à vivre
J’avais
mal à vivre
ô
que j’eus peine
à trouver mon chemin
parmi
ronces et broussailles
tous ces fruits rouges que je
cueillais
avec élégance
avant
de leur confier
écrasé dans ma paume
mon
désespoir d’enfant.
Frank Venaille
–
Chantier fossile ( RC)
Dans la lumière ruisselante,
Le vent d’un royaume de lumière
Filtre au creux du vallon
Et des pépites de joie scintillent
Entre les barques, et la chevelure des saules
Caressant le printemps du courant
Lilas et espèces légères, s’entrecroisent
De joyeuse croissance, sans peine, sont parvenus
A masquer les panneaux du chantier, laissé au silence
Les engins immobiles, leurs griffes de fer déposées au sol
Voient leurs chenilles empêtrées de ronces,
L’ œil mort d’un phare, les pistons interdits d’action
Le peint qui s’écaille, en plaques jaunes ternes
Où serpente en ponts de rouille,
Une colonie de fourmis qui en fait son domaine.
Les herbes hautes, sont une reconquête,
Le couvert des arbres a bientôt achevé
D’effacer la trace du sentier, …et celle des hommes.
RC 10 mai 2012
–
Marie Bauthias – Bleu sur bleu
Découverte dans l’exploration des nombreuses parutions des « révélations poétiques de chez amicalien », voila une nouvelle parution de textes de Marie Bauthias, que l’on peut trouver – avec d’autres, ici ( la poésie comme théorème premier)
—
Bleu sur bleu. La mer dans le regret de l’aube. Plaie sans nom et lointaine. Offerte.
niveau de ronces où de terre
de miel le sang se panse de
milles traces. Par elles le jour aime. A fendre l’œil.
……………………………………….
C’était un carré bleu. A plat sur le mur qui prenait quand il le
voulait figure de haute mer. De plus en plus. On lissait chaque jour ses bords. II bougeait.
C’est certain. Comme les fables dans la nuit de l’homme bougent.
—