Herberto Helder – Do Mundo 01
Do Mundo (extraits)
Si tu te penches par les jours intelligents
regarde comment se forme la soie en eux, comme
le vêtement se forme sur le corps.
La soie et la chair fondues dans l’outre de sang.
Le nom : pulsation de la mémoire.
Et tu danses à quelques encablures des flammes
la zone ouverte, mais fermée,
spasmodique ; l’air retourné
autour des pierres en feu.
Le regard est pensée
Tout se fond en tout, et je suis l’image de ce tout
La roue du jour de dos montre ses blessures
la lumière trébuche
la beauté est menace –
– Je ne peux plus écrire plus haut
les formes se transmettent, intérieures.
—
Claude Saguet – A ma mère
à ma mère
Mon délire vient
d’un grand orage,
d’un lieu inexploré
à l’Est de l’Angoisse.
Tendresse verte aux carrefours
je le retrouve, couleur d’émeute,
en de lointains faubourgs
noyés de linges tristes.
Le soir peut faire la roue
quand j’écarte les branches,
ou vêtir de neige
la soif des oiseaux,
il assiège mes oreilles
plein de détonations.
En vain la mer efface
le bleu sourd du brouillard,
et griffe de ses sources
les filets de la pluie,
il balise d’injures
la nuit qui me ressemble.
Mon délire vient
de mille chaînes
coulées dans le regard
où tout se contredit.
(Terre de fièvres éditions Tribu juin 1984)
–
Cathy Garcia – Serre-gorge
La pluie laisse des copeaux
au creux des abreuvoirs
Les yeux des oiseaux le disent
le ciel devient trop noir
Octobre enragé déchire les arbres
cochés de rouge les crapauds pleurent
sur la vieille margelle
tu le sais
jamais tu ne retourneras
sur tes pas
ou ceux d’un autre
et ta main lasse
s’entrouvre
pour laisser couler
la miellée
les regrets se laissent compter
un par un
à ton serre-gorge
tu sais
le sang
l’aube
la fêlure du regard
où s’engouffre
la lumière
et sur le trou sur le
manque
tu poses la première syllabe
d’un nouveau cycle
de sable
tu sais
tu sais la roue qui
éparpille
dissout
tu sais l’alternance
la vanité
puis tu oublies
et courbée sur l’enclume
commences à forger
ton prochain
serre-gorge
————
–
Goutte-à goutte des pages et légendes ( RC )
–
C’est un goutte à goutte qui lentement remplit la jarre,
Une épopée, un chapitre qui démarre
Cette eau, qui peu à peu s’ajoute, autour de l’ile
Ce sont des larmes qui murmurent, aux places de la ville
Le nom d’un ciel, qui se vide et pousse ses ombres
Les fontaines qui tournent, autant qu’elles encombrent
Les mots qui cascadent, dont le poids fait bascule,
Leur addition, récit de vie, nous bouscule
Comme des roues à aube, le mouvement,
Toujours porté, vers l’avant
Fait tourner une partie du monde, ou davantage
Chaque fois effeuillant une page.
Ce sont des légendes qui se chantent.
Des histoires qu’on enfante
Que l’on écrit ou que l’on porte
Dans les mémoires, peu importe
Au parcours qui ne s’explique pas
Dont on garde la trace, pas à pas.
C’est, portés par les mots
Au vent portant aussi les eaux
Un mouvement qui va au ciel
Que l’on dit perpétuel
Une nouvelle page avancée
Sans cesse recommencée
De celles qui se ressemblent
Autant qu’elles s’assemblent
Même si, de pente, elles dévalent
Ou bien qu’elles s’étalent…
Aux histoires décrites plus haut
Différentes en celà, des deux gouttes d’eau.
S’accumulant sur la table
Sans être pourtant semblables…
Chaque livre offre son voyage
De bibliothèques, en rayonnages
Pris dans la main, ces écritures
Donnent à l’esprit de l’aventure;
Et gouttes de littérature habitées
D’histoires d’humanité,
Un tonneau des Danaïdes
Qui jamais ne se vide..
RC- 10 juillet 2012
–
Bernard Noël – la face du silence
la face du silence
—
au ciel de tête
mon ombre mûre a fait mûrir l’oubli
qui fut moi
cet autre attaché à la roue
ou ce sourire pour mémoire
flottant
laissé
quelqu’un rêve d’une journée durable
vague culminante qui ne retomberait
mais le sang s’arrête à la lisière
et l’idée recule
amer repli
qui préfère la cendre
au diamant immobile
et le seuil aperçu se vitrifie sous l’ongle
tandis que la nuit close se transforme en cri blanc
Bernard Noël, la face du silence [1963-1964], dans Poèmes 1,
photogramme – Eugène Studitsky – voir ses photos sur flickR
—
et je complète par une autre parution de Bernard Noël, qu’on l’on peut voir dans la « petite librairie des champs »…
un extrait de La fable et le vent de Bernard Noël
pluie d’espace poudre ou poussière