Armand Rapoport – sur une route blanchie par la lune froide d’hiver

Et femme et homme sur une route blanchie par la lune froide d’hiver
Portant aux épaules un enfant légendaire qui n’était pas de leur chair
Marchant dans la campagne nocturne comme si le son lointain d’un clocher
Accompagnait leurs pas résonnant sur la chaussée durcie par gel récent
Comme si la route pavée berçait l’enfant dressant la tête vers la galaxie
D’Orion où le balancement des étoiles emportait son regard tout ébloui
Par la nuit d’hiver comme s’il eût quitté un village un récit inachevé
D’une vieille grand-mère bredouillant près d’un feu à peine enflammé
Passant d’une épaule à l’autre sans dire mot la tête appuyée à la nuit
Les yeux toujours rivés aux étoiles comme si chaleur dût venir de si loin,
Réchauffant ses petites mains agrippées nerveusement au cou de celle celui
Qui allongeait le pas vers un autre village où joyeuses lumières dansaient.
Quand le matin trop clair rendait vaine toute impatiente longue vue
Sombres-Voyants, Clairs-Aveugles, Sourds-Entendants, Rêveurs si courts
L’Astronome les emportait dans son sommeil comme des valises-Optiques
Sucres ou Vergers trempés de pluie enfouis sous récits pauvres d’ici
Sans renier les malaises trop décrits ou gommés dans le Sous-Entendu
Le Trop-Su, comme si la planète tournait autrement dans l’incomparable
Hiver, loin des vareuses béates poudrées de gel de soleils trop fades
Comme si le rire d’une matinale musicienne égayait l’enfant-Orphelin
Par jeux ou ruses par gammes taquines quasi humaines afin que nul être
Ne soit ici montré du doigt comme surplus d’indifférence oeuvre pieuse
Où Absence de grâce se rattrapait en ricanements gras en défi charitable
Rendant la ville si inhabitable comme si des vents acides la corrodaient.
Else Lasker-Schüler – Écoute
peinture : Constant Detré : Kiki de Montparnasse ( années 20 )
Écoute
je vole dans les nuits
les roses de ta bouche,
afin qu’aucune femelle ne puisse y boire.
Celle qui t’enlace
me dépouille de mes frissons,
ceux que j’avais peint sur tes membres.
je suis la bordure de route
qui t’effleure,
te jette à terre.
Sens-tu ma vie autour
partout
comme un bord lointain ?
Aucune conclusion – ( RC )
Je ne tire aucune conclusion,
des lendemains qui s’annoncent .
Ils ont le côté gris des réveils après la cuite.
J’ai du mal à rassembler quelques idées,
à déceler le vrai du faux
dans ce qui passe à la radio .
Il y a un horizon bouché
par des barres d’immeubles .
Le corps semble peser plusieurs tonnes:
J’ai du mal à le rendre concret .
La matière s’oppose à moi, inerte
comme le grand réfrigérateur blanc
qui me barre la route .
Il va falloir que je le contourne .
Je pense à tous ceux
qui ont pris des chemins de traverse ,
les parfaits anonymes
convoqués à heure fixe au bureau
( et ceux qui ont sauté par la fenêtre … )
–
RC – juin 2018
Zbigniew Herbert – du dernier soupir à l’éternité la plus proche
art: tableau de fils huitchol ( Mexique )
Que la route est longue
du dernier soupir
à l’éternité la plus proche
Et lourdes sont les épines de la rose, le long du chemin tracé :
Saint Ignace
blanc et flamboyant
passant près d’une rose
se jeta sur le buisson
et meurtrit sa chair
avec la cloche de son habit noir
il voulait assourdir
la beauté du monde
jaillissant de la terre comme d’une blessure
gisant au fond
du berceau de piquants
il vit
le sang couler de son front
se figer sur ses cils
en forme de rose
et sa main aveugle
cherchant les épines
fut percée
du doux toucher des pétales
le saint dupé pleurait
au milieu des moqueries des fleurs
épines et roses
roses et épines
nous cherchons le bonheur
Une route perdue – ( RC )
Au bord du son déjà lointain
De la cloche fêlée
J’ai cheminé sous les brumes
Au bord des étangs remplis de nuages,
Essuyant leur camouflage.
Ce qui avait été une route
Traçait sa voie au milieu des sables
Fougères et terrains instables,
Se morphondait en plaies,
Les dents de cailloux sous la surface.
Cette voie je l’ai suivie
Aussi loin que le regard porte.
Elle se déroule toute droite,
Et absente des cartes…
Censée mener quelque part,
Maintenant plongée dans la forêt :
Une échancrure fine et rectiligne,
Qui pourtant s’essouffle,
Lorsque les îlots d’asphalte
Burinés de sable noir, se font rares,
Mangés par les flaques,
Aux bouches opaques.
Elle se rétrécit encore,
Serpente et se tord,
Et puis se perd,
Bue par la densité du vert,
Comme un vieux langage,
Dont on aurait perdu l’usage.
Transformée en chemin,
Celui-ci s’éteint
Au milieu des pins,
Cédant la place à une impasse,
Un rideau clos,
Un fouillis de végétaux
a reconquis la place,
fermant peu à peu l’espace.
Habitée par les ombres,
Des arbres sans nombre ;
une cabane abandonnée,
Où le chemin m’a mené :
cette petite cabane,
dont les couleurs se fanent
perdant peu à peu ses planches,
Masquée par les branches ,
c’est vers le sol qu’elle s’incline…
le temps lui fait courber l’échine .
.
–
juillet 2014 – fev 2018
Miquel Marti I Pol – Un jour, je serai mort …
.
–
Un jour, je serai mort
et encore dans l’après-midi
dans la paix des routes,
dans les champs verts,
parmi les oiseaux et au milieu de l’air
tranquillement en ami
et de passage parmi ces hommes
Je ne sais pas et je t’aime.
Un jour, je serai mort
et encore dans l’après-midi
dans les yeux des femmes
qui viennent et qui m’embrassent,
dans la musique ancienne
toute mise au point,
ou même dans un objet,
le plus intime et le plus clair
ou peut-être dans mes vers.
Dites-moi quel prodige
rend le soir si doux
et si intense à la fois,
et à quel champ ou à quel nuage
dois-je attribuer ma joie;
parce que je sais supporter
tout de mon entourage,
et que je sais que quelqu’un, plus tard,
saura préserver ma mémoire.
Les paroles au vent
Miquel Marti I Pol
Constantin Cavafy – Ithaque
Lorsque tu te mettras en route pour Ithaque,
souhaite que le chemin soit long,plein d’aventures,
plein de connaissances.
Les Lestrygones et les Cyclopes,
le farouche Poséidon – ne les crains pas;
de telles rencontres, tu n’en feras jamais sur ton chemin,
si ta pensée reste noble, si une émotion
de haute qualité anime ton esprit et ton corps.
Les Lestrygones et les Cyclopes, l’irascible Poséidon,
tu ne les rencontreras pas,
si tu ne les portes pas dans ton âme,
si ton âme ne les dresse pas devant toi.
Souhaite que le chemin soit long.
Que nombreux soient les matins d’été
où – avec quel plaisir, quelle allégresse!
– tu entreras dans des ports que tu verras
pour la première fois;
aux marchés phéniciens,
arrête-toi, pour acquérir la bonne marchandise:
des nacres et des coraux, des ambres et des ébènes
et des parfums voluptueux de toute espèce;
autant que tu peux, des parfums voluptueux en abondance;
visite de nombreuses villes égyptiennes,
afin d’apprendre, apprendre sans cesse auprès des sages.
Garde toujours Ithaque en ta pensée.
Y parvenir est ton but final.
Mais ne précipite point ton voyage.
Mieux vaut qu’il dure plusieurs années,et que, vieillard enfin,
tu abordes dans l’île,riche de ce que tu auras gagné sur ton chemin,
sans espérer qu’Ithaque t’enrichisse.
Ithaque t’a donné le beau voyage.
Sans elle, tu ne sortirais pas sur la route.
Elle n’a plus rien à te donner.
C Cavafy 1910
Un fil tendu dans le silence – ( RC )
Environnement plat, ( à peu près ),…
…brume,
– peupliers.
Le tout défile.
S’il fallait prendre la photo,
D’abord descendre la glace,
L’air humide tout à coup engouffré,
Et le flou de mouvement.
Une vallée paresseuse,
Bien pâle en ce novembre,
Et juste les ailes coassantes
des corbeaux.
La voiture progresse,
mange les kilomètres,
pour un paysage semblable
ou presque .
Une musique pulse,
C’est une chanson
à la radio
qui rape
La caisse fonce,
Du son plein la tête
Sur le ruban de la route,
luisante. Flaques.
A la façon d’un coin
Dans l’horizontale :
– Traversière,
Phares devant
Yeux fixés,
Droit devant,
Etrangement étrange
– Trait bruyant ( un fil tendu
Dans le silence . )
La plaine tolère juste
De ses champs gorgés d’eau
Son passage éphémère
Se refermant sur elle-même,
Lentement,
Le bruit s’efface comme il est venu.
Les corbeaux reprennent leur vol.
–
RC – sept 2015
Rabah Belamri – Les fenêtres sont vides
Les fenêtres sont vides… Pour Odile et Anne
les fenêtres sont vides
la pierre de la porte offerte au silence
retient le regard
les rideaux ne bougent plus derrière les vitres brisées
lourds de la cendre des cœurs
dans l’ombre des maisons nues
l’été dérive comme une mer de solitude
le passant se retourne et se tait
de l’autre côté de la route
le vertige des tournesols découpe
l’éternité en tranches
Rabah Belamri
Michael E Stone – Hiver en Arménie
photo Bradford Washburn
La terre s’est habillée d’ hiver.
Les peupliers sont nus.
Les sommets des montagnes arrondis
Blancs de neige,
un regard au-dessus
de noirs champs labourés
sur des collines roulantes.
D’ épars reflets d’obsidienne
Attrapent le soleil bas par l’ouest,
brillant comme des lumières de Noël,
dessus et en-dehors, dessus et en- dehors,
comme des vents de la route.
L’esprit de la brume
descend
de très loin .
photo du site « enrouesverslest »
Raymond Carver- Boire au volant
jeu simulateur de conduite
Nous sommes en août et je n’ ai pas
Lu un livre en six mois
sauf celui qui s’ appelle: la retraite de Moscou
par Caulaincourt
Néanmoins, je suis heureux
de monter avec mon frère en voiture
et de boire une pinte de Old Crow.
Nous n’avons plus de place pour l’esprit ,
nous sommes en train de conduire .
Si je fermais les yeux pendant une minute
Je serais perdu, encore
Je pourrais volontiers me coucher et dormir pour toujours
à côté de cette route
Mon frère me pousse du coude.
D’une minute à l’autre, quelque chose va arriver.
It's August and I have not Read a book in six months except something called The Retreat from Moscow by Caulaincourt Nevertheless, I am happy Riding in a car with my brother and drinking from a pint of Old Crow. We do not have any place in mind to go, we are just driving. If I closed my eyes for a minute I would be lost, yet I could gladly lie down and sleep forever beside this road My brother nudges me. Any minute now, something will happen.
Comme si l’humidité du monde transpirait dans un coeur d’argile .- ( RC )
peinture: Markino
—
On irait que le brouillard
s’étend jusque sur les yeux.
Est-ce un éblouissement,
Réparti entre les gouttelettes en suspension,
Qui ondule entre les immeubles ?
–
Les arbres sont comme des fantômes,
Leurs bras sont dressés,
Le ciel est orange,
Il est palpable
La ville transpire
–
Sous les lampes à iode,
Et se diffuse, si bien,
Qu’on n’a plus idée des distances.
Les routes quittent le sol,
Peut-être.
–
Les soleils artificiels se mêlent ,
C’est le lent cheminement des phares,
Rouges, jaunes,
Et les enseignes de néon,
Que l’on perçoit presque malgré soi,
–
On en a juste l’idée,
Comme si l’humidité du monde,
Transpirait dans un cœur d’argile,
Et peinait à s’imprimer,
Même sur la photo.
–
On en compterait les grains,
Un bruit dans l’image,
Le tremblotement des lueurs mobiles,
Qui peut-être ont froid,
Aussi.
–
RC – mai 2015

Glasgow
Ticket pour un monde meilleur – ( RC )
–
Il faut entrer à pas feutrés,
Ne pas faire craquer
Les marches d’escalier,
Nous n’avons pas de ticket …
L’entrée est surveillée
Par des hommes aux aguets.
Dans ce monde meilleur,
Pas de resquilleurs !
On les dit , de confiance,
Des sortes de cerbères,
Marqués d’arrogance.
On y voit Saint-Pierre,
C’est le gars musclé,
Une sorte de magicien,
Celui qui a les clefs,
( c’est lui le gardien),
Voyez comme qu’il se morfond !
Il prend racine comme l’arbre,
Les yeux au plafond,
Dans sa robe de marbre,
Dressé contre une colonne,
Pour y prendre appui,
Faut dire qu’il n’a vu personne,
Et cultive son ennui.
Et il y a Saint Paul,
Posé tout de guingois,
Dressé sur ses guiboles,
A lire le mode d’emploi,
Du parfait prieur,
Réglant les destinées,
( à apprendre par coeur),
Cà, vous l’aviez deviné…
N’étant pas très concentrés,
Sur leur mission,
On voit au fond, l’entrée,
– ce qu’on appelle une omission –
Et personne pour donner l’alerte,
…..Je vous assure
Que la porte est grande ouverte,
Les clefs ne rentrent pas dans la serrure,
Entre la foi et le doute,
Il y a si longtemps,
Que nous sommes en route,
Personne ne nous attend,
Après ce long voyage,
Qui nous aurait dit,
Qu’après ce carrelage,
S’ouvrait le paradis ?
C’est peut-être bizarre,
Mais, au terme de notre mission,
– c’est sans doute dû à notre retard –
J’ai une drôle d’impression…
Non mais sans déconner,
On ne voit pas de nonnes,
Cet endroit est-il abandonné ?
On ne voit personne …
Nous sommes les heureux élus,
…. Pas de remords…
On entre ici, et on ne sort plus,
Ce qui se passe dehors,
Maintenant, on s’en fiche !
Vois donc les statufiés,
Collés dans leur niche,
( Que leur nom soit sanctifié !).
Bon, ça manque de confort….
Je verrais bien un peu d’rénovation,
Le ménage n’est pas leur fort..
Les saints manquent d’ambition.
Faut dire que les prières,
Les ont un peu éloignés,
Des choses de la terre,
Ce qui plaît bien aux araignées.
Ou, je sais, c’est un détail,
Il faut pas trop s’en faire,
Les pieds en éventail…
Déjà nous avons évité l’enfer,
Et nos gardiens, même avec des habits mités,
Ou vieux comme ceux d’Hérode,
On voit qu’ils sont ici, pour l’éternité,
Avec leur tenue passée de mode.
Maintenant, dans ce lieu,
Qui ressemble à un couvent,
On dit …..que c’est la maison de Dieu,
On va le croiser – c’est pas si souvent …!
Nous en sommes déjà fiers,
Cela nous conviendrait
Même à se laisser couvrir de poussière,
Dans le file d’attente, s’il faut un ticket .
–
RC- sept 2014
Quand on n’a plus le sentiment, de l’heure et des choses ( RC )
–
–
Ce qu’il était d’un bleu,
Sous la touffeur commune,
Et les blés secs, étalés ;
Champs juste entaillés,
De chemins de poussière pâle,
L’après-midi tarde,
Au silence têtu,
Quand on n’a plus le sentiment,
De l’heure et des choses,
Et qu’on recherche l’ombre.
Il n’y a plus,
De l’horizon indécis,
Que les toits du village,
Lointain,
Dans la brume de chaleur .
S’étire le ruban de la route,
Même , suinte son goudron,
Dans le temps immobile …
L’espace se prolonge,
En de molles collines,
Adossées au ciel, à peine différent
Et les vrilles sonores,
Des mouches de l’été…
> Les déchirures tardives des avions.
En longs tracés blancs…
RC – 25 septembre 2013
–
Claude Esteban – Récit
–
Récit
Voilà que je reprends tout
par le début comme
s’il me fallait une fois de plus
traverser le silence
et c’est d’abord beaucoup
de bruit dans la tête
sans doute les restes d’un vieux rêve
que je ne parviens pas
à séparer de moi et c’est encore
la menace d’un cri toujours
plus loin sur la route et les pierres
(…)
–
La mort à distance, chez © Gallimard 2007,
–
Sans choisir forcément la couleur – ( en évoquant Bukowski ) – ( RC )

photo: Guillaume Gaudet voir son site
–
Sans choisir forcément la couleur,
Tu serais là, au volant d’une vieille Chevy,
Avançant – comme il se doit –
Sur l’asphalte, qui n’en finit pas.
Sans choisir forcément la couleur,
Il se trouve que tu es né blanc,
C’est un bon choix aux ZétatsZunis,
> En dehors des imprévus.
Ainsi va la vie, ça roule,
Ca cahote aussi, la route,
Elle a ses trous, la carrosserie aussi,
Elle tient la distance – jusqu’à quand ? –
Toi aussi, dans ta vieille Chevy.
> Il s’avère que t’es poète,
La poésie l’a signé, toi, désigné,
– Charles Bukowski.
Bon, ok, tu vas comme tu picoles,
Dans la caisse dont tu ignores la couleur,
( la Chevy, plusieurs packs de bière ),et seul
– Tout ce qu’il faut d’alcool
Pour tenir la route,—- qui n’en finit pas,
Enumérer les états: Ohio, Idaho, Oklahoma
> Tous ces noms rappelant
Ceux des peaux-rouges
– Y en a plus beaucoup d’ailleurs,
Très gênants pour la ruée vers l’or
Sans avoir là, la bonne couleur,
Mais , leurs noms marquant le décor,
Tandis que se déroule,
Sur l’horizon, le ruban des heures,
Eteignant progressivement ses couleurs,
Des bouteilles, on distingue à peine … les étiquettes.
–
RC – 10 août 2013
–
Heures obliques à Prétoria ( RC )

photographe non identifié, bidonville à Wonderkop ( Afrique du Sud)
–
Rochers convexes, dédales tracés à travers
Les rêves , les champs d’orge, encore couchés,
Sous les doigts de l’orage.
La poussière de l’été s’étale, et recouvre
Aussi les abris d’autobus, et les sacs de plastique
Eparpillés de part et d’autre de la route,
Désertée, et ne menant nulle part,
Tant les banlieues se ressemblent,
Les panneaux publicitaires en décor,
Le soleil mouvant jouant
Avec les flèches sur la chaussée,
Aux heures fanées d’obliques,
Des cabanes aux tôles éventrées,
Se pressent à quelque distance,
De blanches villas cossues…
A Pretoria
–
RC – 6 août 2013
–

Une femme de mineur vivant dans les bidonvilles près de la mine de platine de Marikana, le 30 octobre 2012 en Afrique du Sud
Alessandra Frison – Le repas attend
–
Je me laisserai déborder
aujourd’hui sur la route jusqu’à chez moi
jusqu’au repas qui attend
comme chaque soir ses bouches
ce que l’on appelle vie
est de se reconnaître doucement
dans les comptes de toujours
dans les poches ou
les couloirs arrachés aux visages,
après que même le train
aura rendu amers les souvenirs
avec les voix brisées aux téléphones
les assauts de noir dans le noir,
ouverte cette unique douceur, un mot,
l’ironie la plus vulgaire se déplie en art
entre les mains quand même vertes
quand même de l’autre côté du temps.
–
Et toujours attendant
le son âcre de la mi-journée,
les mobylettes entichées, les maisons à la frontière du soleil,
la vie suspendue
à ce repas devenu inutile,
nous saurons que l’été
est une surprise de lumière dans le sous-bois.
——–
Mi lascerò diluviare
oggi sulla strada fino a casa
fino al pasto che aspetta
come ogni sera le sue bocche
quello che si chiama vita
è riconoscersi piano
dentro i soliti conti
dentro le tasche o
i corridoi strappati dalle facce,
dopo che anche il treno
farà amari i ricordi
con le voci frante dai telefoni
gli assalti di buio nel buio,
aperta quella sola dolcezza, una parola,
la più volgare ironia si dispiega arte
tra le mani comunque verdi
comunque dall’altra parte del tempo.
*
E sempre aspettando
il suono acre del mezzogiorno,
i motorini invaghiti, le case alla frontiera del sole,
la vita sospesa
in quel pasto ormai inutile,
sapremo che l’estate
è una sorpresa di luce nel sottobosco.
. . . . . . . . . . … . .. . . . . . . .De : Assaggi Generali
–
Feuilleter le recueil des causses ( RC )
–
Texte en rapport avec « A la mer retirée »
Causse Méjean – reliefs et neige – ( toutes photos présentes ici : perso – me contacter pour une réutilisation éventuelle )
–
Des bouffées de lumière,
décrivent ,mieux que je ne ferais,
le recueil des causses.
Encore striés sous les neiges,
piquetés d’impatientes pousses, et de bruns.
A chaque détour, le savoir lire ,
du vent de l’ivresse,
épouse les accidents des collines,
chapeautées de bois sombres.
Le dialogue menu des eaux, serpentant dociles,
puis, rassemblées, mugissantes,
De chants clairs cascadeurs,
et résurgences vertes.
Le pied des pentes abruptes,
surplombées de témoins sévères, verticaux
Une route mince, s’essaie à contourner
ces vases de pierre,
Pour plonger dans une vallée étroite,
encore habitée par l’obscur,
Dispensée des lignes orgueilleuses,
des ponts de béton.
Et le silence matinal, n’est habité
que de spirales lentes
Des vautours, glissant sous des écharpes
blanches, effilochées ,portées par la brise.
Peu importe la route
Ses dévers et sa course,
Soumise au caprice de la rivière,
Ou lancée sur les plateaux.
La constance du roc
Ou le moelleux des terres.
Le paysage reste une porte
Feuilletant le passé calcaire
D’un océan, son souvenir
Enfui
–
RC – 19 mai 2013
–
Causse Méjean – restes de neige
Causse Méjean – restes de neige
Causse Méjean – restes de neige
Causse de Sauveterre, vers Montmirat
Vallée du Tarn au dessus de St Chély
Arbre illuminé entre rocs St Chély-du-Tarn
« couple »: rochers ruiniformes vallée du Tarn
Sainte Enimie, Vallée du Tarn, résurgence de la Burle
Sainte Enimie, Vallée du Tarn
![]() |
Causse de Sauveterre, environs de Champerboux |
![]() |
Causse de Sauveterre, environs de Champerboux
Article visible aussi sur mon site de photos des causses .
–
Plutôt prendre le train ( RC )
De légères gouttelettes, prises en tempête,
Se précipitent en gros flocons d’avalanche
Habillent une montagne blanche
S’accrochent aux reliefs, et font paillettes
Qu’aussi des voiles de brume drapent,
Avec les caprices du temps, survenus,
de mystère les endroits connus…
Les contours familiers s’échappent.
Les horizons nappés voilés de la pente
Un mur d’incertitudes imagées,
Où rien n’est dégagé
Et la route qui serpente.
Dans l’univers ouaté, les voitures qui glissent…
Engagées sur la descente
Pourtant en allure lente
Soudaine nostalgie , des pneus qui crissent..
Si rien n’est stable
Et que tout à coup, rien n’adhère
Le conducteur le plus téméraire
Penserait plutôt : siège éjectable
Surtout quand au prochain virage
– on dit d’une route qu’elle n’est plus carrossable –
Obstacle inattendu , et collision inévitable
Précédé d’un lent dérapage,
Un bruit mat, et tout bascule
En doux regret , vers le ravin
…. J’aurais dû prendre le train
Et laisser au repos, mon véhicule…
A la chute lourde, aux bruits discordants,
Les roues tournent encore dans le vide, succède le silence
Ensuite, …. c’est l’affaire des assurances…
– Statistiques, et accidents…
…. On se raconte toujours des histoires
Quand on côtoie l’enfer
Tant pis, je n’serai pas centenaire
L’avenir ne se marie pas avec « trop tard » .
–
RC – 25 janvier 2013
–
Mobile ( RC )
–
Il y a des perles rouges
Que l’on suit à distance
Et des étoiles de lumière
Filant de l’autre côté
Avec leur traînée blanche
Qui balaie un instant la route
En courbes pointillées,
Du contour des collines.
La nuit est tombée doucement,
Enveloppant le parcours,
L’habitacle, une bulle bercée
Du ronronnement du moteur…
Les kilomètres s’alignent,
Les villages lentement bougent
De l’autre côté de la vallée,
Et défilent en nombre.
Les maisons alignées,
Les tours illuminées,
Les avenues orange, et
Les néons des enseignes,
Bataillent contre le sombre,
Et disparaissent soudain
Au détour de la route,
Ou derrière un rocher,
Avalés par la distance
Et le sillon goudronné
Qui, lentement se déroule
En suivant le fil du temps,
Frêle ruban de la nuit
Se déplaçant, parallèle,
Aux efforts mesurés
De mon automobile.
–
RC – 9 novembre 2012
–
Ps : « au fil du temps », est un film ancien de Wim Wenders

photo; grandereveuse
Journée immobile ( RC )
–
La muse est malade
Conduit un astre ,pâle
Couleur de fiel
En coulures de miel
Une vague d’argent déferle
En un éclair, pareil
Confisque un soleil
D’or et de perles
La lune reste fade,
Une journée lointaine, râle
Laissée en rade
Aux couleurs sales
Les navires sont immobiles,
Se découpent en nombre
De coques sombres
Tout près de l’île.
Ma terre est encore si lointaine
Quand je revois son éclat
Malgré le soleil là;
Si las – et la route qui y mène.
–
RC – 30 septembre 2012
–
Patrick Laupin – La rumeur libre
La rumeur libre
Salué par les armes de la pluie
et de la peur
on ne peut pas défaire la folie
meurtrière du monde
si j’aime encore quelque chose
c’est tout juste
les pierres et la lumière
des visages inconsolés d’univers
des sols errants en mal de preuve
étymologique
le cri du milan pilleur d’épreuve
l’illuminante pitié pétrifiée
des oiseaux de l’orage
leur détresse leur désarroi
dans l’aube
le malheur donné pour personne
la foule incarnée du mensonge
tout ce qui n’existe pas
celle qui se jeta de si haut
et détruisit en une seule fois
le lien unique qui la liait
au soleil
tes yeux ravin d’averse
le péril d’or cru dans la lumière
une sainte pitié dans les églises
de pierre
le manège machinal des arbres
sous les remparts
le mal d’aurore ébloui dans l’aube
unique délivrance
des noms de ville très loin
très seul dans leur sainte
sévérité lasse
Valparaiso Vancouver
un coeur couvert et muet
qui ne s’explique pas
des cimes à mi-chemin
la terre et la lumière
dont je ne dis rien
des roseaux sans geste
le grand ciel lavé des eaux
dans la pâleur usée d’octobre
des linges esseulés dans la magie
blanche du matin
le grésil des syllabes
reposoir ému de mes pas
le brûleur qui passe d’un trait
c’est rapide impitoyable au coeur
déchire collines au temps rompu
et l’once friable des ciels de marne
ce mal infini fermé terrestre
vingt mille mineurs en grève descendant
à pied le bassin houiller des Cévennes
des livres de métaphysique sacrés
dans le désordre de mon esprit
Jacob Boehme Vico Giordano Bruno
le cimetière où tu reposes
l’immense peine et la fatigue de ceux
qui désirent encore vivre
le roc inamovible de l’été
le prieuré rose sur le chemin
du val d’Aoste
cette route départementale bordée
d’arbres où je reste
la craie murée qui pense
et le bruit d’eau claire précipitée
dans la rivière froide
ton visage à la lumière du torrent
quelque règles d’or équanimité parfaite
Rimbaud obstiné et tendre définitivement
enragé « écrire maintenant jamais
je suis en grève »
on massacre à Satory
Louise Michel est déportée à Cayenne
Saint-Just immobile et silencieux deux heures
durant le discours du neuf Thermidor
« je voudrais vous parler mais quelqu’un
cette nuit a flétri mon coeur »
il sera guillotiné le lendemain
les grands poètes espagnols qui ont donné
leur écriture et n’ont pas eu peur
Miguel Hernandez Antonio Machado Gabriel Celaya
« La poésie est une arme chargée de futur »
Blas de Otero unique douleur de parler clair
« Je demande la paix et la parole
j’ai dit justice Océan Pacifique etc. »
Germain Nouveau devenu mendiant sur les routes
du Sud sa doctrine de l’amour
le vieux Cézanne lui fera l’aumône longtemps
sur le parvis de l’église d’Aix-en-Provence
et le visage de mon frère que j’aime encore
par les larmes
la brûlure de chaux vive aux portes de l’usine
la douleur physique de ce qui a péri
avec le rythme.
In La rumeur libre, Éditions de l’Aube
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Jean-Baptiste Tati-Loutard – Voyage dans la nuit
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Voyage dans la nuit
J’ai marché seul longtemps dans la nuit.
Où est le phare qui tourne et donne loin ?
Je suis plus aventurier que les arbres
Qui vont à grand pas dans les savanes
A petit pas dans les bois.
J’ai quitté tôt la bordure du jour
Et j’ai pris le soleil couchant
Pour ma première borne de ma route ;
Je n’ai pas vu l’étoile qui guide
Le berger de la nuit
J’ai plongé dans le temps pour retrouver
Mes ailes perdues au fond des âges ;
En oiseau diurne amoureux de ténèbres,
J’ai parcouru le terrain vague de la nuit.
Je suis presque un vampire,
Je ne demande plus que les antennes.
La vie est parfois plus obscure que le fond
……de ma gorge,
Et je vais par tous monts et vaux de la nuit (…)
Jean-Baptiste Tati-Loutard
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voir aussi la publication de ‘la révolte gronde » du même auteur.
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Si tu manques de souffle (RC)
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Si tu manques de souffle, c’est parce que monte la route
Et qu’en début de printemps, l’oiseau picore du doute
S’il a laissé ses ailes trop longtemps pliées
Alors que la vie bruisse , dans l’éveil des insectes ailés
Et l’ours brun en sortant de sa tanière, ébloui par le soleil
Sorti de somnolence, a même oublié, jusqu’à la saveur du miel
Ainsi, en se réveillant d’une parenthèse que nul n’habite
Tu retrouves avec elle le sourire, que sa bouche abrite
Le son de sa voix, sa parole et ses gestes aimants
Qui délaissent le triste et font revenir, du passé, l’avant.
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If you run out of breath, it is because the road goes up
And in early spring, the bird pecks of doubt
If he’d left its wings, too long folded up…
While life rustles, in the wake of winged insects
And the brown bear coming out of his den, dazzled by the sun
Out of sleepiness, even forgotten, until the taste of honey
Thus, waking up for a break , that no-one dwells
You find her mouth again , where shelters her smile ,
The sound of her voice, her loving words and gestures
Who leave the sad, and makes the past forward.
RC 9-avril 2012
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en écho à Tikopia… sur son tout récent post
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La vie chrysalide (RC)
La vie chrysalide-
Ma chrysalide je me la suis construite
Modelée de cœur et de pensées, —– j’y habite
Un cocon tapissé de musiques, de toiles en attente
De travaux en cours, la truelle pour modeler les fentes
Mais au cours des années, dans ce petit endroit
J’y ai mis tant de choses, que je suis à l’étroit
Mes chapitres s’entassent, les écrits s’empilent
Mon histoire, je l’ai peinte, et les années défilent
Quand il faut qu’je respire, je sors une antenne
Je prends tous les mots doux, et ceux de la peine
Je sais donc qu’existe, un plus large espace
Qui souvent me suggère, d’autres pays, d’autres traces
A trop me gaver, le sol a tangué, je suis mal assis
Chaise prisonnière des colonnes de livres, les murs ont rétréci
Il s’abat sur moi, en un vol gracile, des milliers de pages
A cette avalanche j’ai compris soudain , que j’étais en cage.
J’aurai pu aussi, tricoter malin, un feu d’cheminée
Pour faire du vide, et organiser, mon autodafé
Ma mémoire pourrait , en un court instant , partir en fumée
Resterait, l’usage du cœur, le reste éliminé
Mon ptit doigt m’a dit, ça n’peut plus durer
Tu vas prendre la route, et ton balluchon, et déménager
J’ai fermé à clef, et je suis parti, avec esprit avide
Conquérir le monde, pour laisser ici, ma vie chrysalide.
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