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Au-delà des fenêtres – ( RC )


Peinture Andrew Wyeth

Personne ne convoite l’hiver.
Lui se cantonne sous tes fenêtres,
et ton royaume est étanche.

Il y a de ces frontières
qui dépassent les saisons,
amidonnées de givre et de silence.

Il faudra bien cependant un jour
sortir de ta bulle
pour affronter l’avenir.

L’enfance s’est rétrécie toute seule,
et tu l’a perdue de vue,
pourtant tu n’as pas froid

Car insensiblement tout s’est transformé,
et la vie, dans son royaume , s’étend
bien au-delà des fenêtres .


Un sphinx contre une intrusion – ( RC )


Viendras-tu risquer quelques pas sur le fond sableux,
sous un lourd scaphandre, chercher les traces d’une épave endormie ,
jouir des reflets changeants des poissons aux milles couleurs,
des dentelles de coraux , et du mouvement lointain des vagues,
qui filtrent la lumière venue de haut ?

Mais c’est un monde qui nous est étranger, même s’il est proche.
Des animaux aux formes curieuses se dissimulent sous les rochers,
ils gardent un domaine, dont on ne sait s’il y a une entrée,
et où elle peut nous conduire .


Avant d’aller plus avant, il faudrait cependant répondre à plusieurs questions,
un peu comme les candidats à un emploi, qui doivent, en outre afficher leurs motivations.

J’imagine un jour être face à face avec un poulpe,
agitant de multiples bras, peut-être en guise de bienvenue.

Mais personne, à ma connaissance, n’est un nouvel Oedipe et le poulpe, – en Sphinx des eaux- , barre le passage .
S’exprimer dans un langage qu’il puisse comprendre, présente déjà une certaine difficulté ,
bien que sa tête volumineuse semble contenir ce qui doit être un cerveau, vraisemblablement doté de capacités dont on n’a pas idée.

Deux yeux sévères nous fixent, et dans chacune des tentacules,
les ventouses rieuses montrent des signes d’impatience .
Il semble s’étonner de notre intrusion, contemple notre rigide apparence,
inversement proportionnelle à sa souplesse .


Il nous parle peut-être, mais nous n’entendons pas .
S’offusquant de notre esprit obtus, il nous fait comprendre que le royaume des mers est sa demeure.
Il nous entoure de ses bras élastiques , sans agressivité, et nous ramène à la surface, dans le monde du dessus, que nous n’aurions jamais dû quitter.


François Corvol – Langue


 

A fortune teller  - diseur de bonne aventure - photographe non identifié

A fortune teller –  diseur de bonne aventure         – photographe non identifié

Les paroles persistaient et mes yeux, certainement moins
dans le vague, s’étaient repositionnés dans les siens, semblables
aux oiseaux qui vont, pour une raison que j’ignore
se poser sur un fil électrique au-dessus de ma tête
puis observent, gazouillent, manifestent leur présence
avant que le désir de se mouvoir n’émerge à nouveau.
Ils sont pressés de retourner librement dans le ciel.
Décontraction du château intérieur, fluctuations sereines et solides
des joies du dedans, lesquelles, s’exilant du royaume
laissaient échapper un rire innocent et sincère
attiré à soi comme un enfant qu’on extrait de son instinct de fuite.
Ceci ne m’importait guère
étant son visage caché, le langage secret que seul j’honorais
par lequel je m’évadais, avec l’espoir qu’elle me suive
et se détache d’elle-même.

 


Nimrod Bena Djangrang – le cri de l’oiseau


Nimrod Bena Djangrang (auteur né en 1959, au Tchad)

 

 

peinture: P Picasso - sans titre 01-1939
peinture: P Picasso –     sans titre        01-1939

“The Cry of the Bird”

(for Daniel Bourdanné)

.

I wanted to be overcome with silence

I abandoned the woman I love

I closed myself to the bird of hope

That invited me to climb the branches

Of the tree, my double

I created havoc in the space of my garden

I opened up my lands

I found the air that circulates between the panes

Pleasant. I was happy

To be my life’s witch doctor

When the evening rolled out its ghosts

The bird in me awoke again

Its cry spread anguish

In the heart of my kingdom.

.     .     .

“Le Cri de l’Oiseau”

(à Daniel Bourdanné)

.

J’ai voulu m’enivrer de silence

J’ai délaissé la femme aimée

Je me suis fermé à l’oiseau de l’espoir

Qui m’invitait à gravir les branches

De l’arbre, mon double

J’ai saccagé l’espace de mon jardin

J’ai ouvert mes terroirs

J’ai trouvé agréable l’air qui circule

Entre les vitres.  Je me suis réjoui

D’être le sorcier de ma vie

Alors que le soir déroulait ses spectres

L’oiseau en moi de nouveau s’est éveillé

Son cri diffusait l’angoisse

Au sein de mon royaume.

 

 

.     .     .

 


Jorge Luis Borgès – Je suis


image: montage perso

 

 

Je suis le seul homme sur la Terre et peut-être n’y a t-il ni Terre ni homme.
Peut-être qu’un dieu me trompe.
Peut-être qu’un dieu m’a condamné au temps, cette longue illusion.
Je rêve la lune et je rêve mes yeux qui la perçoivent.
J’ai rêvé le soir et le matin du premier jour.
J’ai rêvé Carthage et les légions qui dévastèrent Carthage.
J’ai rêvé Lucain.
J’ai rêvé la colline du Golgotha et les croix de Rome.
J’ai rêvé la géométrie.
J’ai rêvé le point, la ligne, le plan et le volume.
J’ai rêvé le jaune, le rouge et le bleu.
J’ai rêvé les mappemondes et les royaumes et le deuil à l’aube.
J’ai rêvé la douleur inconcevable.
J’ai rêvé le doute et la certitude.
J’ai rêvé la journée d’hier.
Mais peut-être n’ai-je pas eû d’hier, peut-être ne suis-je pas né.
Je rêve, qui sait, d’avoir rêvé.

Jorge Luis Borgès
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Hans Christoph Buch – Savane Zombi


Hans Christoph Buch

 

un extrait ( début) de son texte  SAVANE ZOMBI, paru au « Serpent à Plumes) revue: n° 15 – Printemps 1992

 

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« Il n’est pas mort, il dort ; il ne dort pas, il est mort. »

(Épitaphe anonyme)

 

HAÏTI, J’AI RENCONTRÉ MA MORT. La mort est un travesti ; son visage est maquillé en noir et blanc et il porte un frac noir avec une veste blanche sous laquelle se dessinent des seins de femme, un chapeau melon et de brillants souliers vernis à la mode du siècle dernier.

Entre les doigts de sa main droite où des bagues étincellent, il fait tournoyer une canne tandis que de la main gauche il ôte son chapeau, un sourire découvrant ses dents, pour saluer les participants du cortège de carnaval ;

 

 

peinture : F de Goya l'enterrement de 1793

tambour-major il défile à leur tête sous un calicot portant l’inscription : « Le peuple s’amuse trop ! » *, suivi par gardiens du cimetière et fossoyeurs qui, avec des pelles et des seaux vides,. font une musique à vous fracasser les oreilles. Son nom est le Baron Samedi et il est le seigneur de cette folle agitation, un roi sur le royaume duquel le soleil se lève et se couche sans relâche, car en Haïti le carnaval ne connaît pas de trêve, fête bruyante où, en guise de caramels et de confettis, pleuvent le sang et l’excrément, et au point culminant de laquelle la mort enceinte accouche, sous les applaudissements du public, d’une foule de  morts minuscules, jusqu’à ce qu’une averse tropicale

 

emporte les ordures dans l’égout afin que puisse recommencer la ronde de mort et de naissance.

 

 

 

peinture : Francesco Del Cairo