Gertrud Kolmar – Blason de Beckhum
Dans le rouge trois rivières d‘argent coulant à l’oblique
Allongée je dormais,
Cuite dans une pâte moite de terre ourse,
Profondément, si bien.
Des rubans de racines ornementaient ma nuque.
Allongée je songeais.
À ma bouche s’effritait la croûte brune.
Arriva un homme.
Il entoura ma pierre de lianes d’aristoloche.
L’aristoloche à siphons
Je la regardais depuis des paupières scellées.
Elle appelait vers moi
Agitant feuille douce : je ne pouvais répondre.
Je gisais dans le pain,
Et ceux qu’il nourrissait vinrent pour me manger ;
Car j’étais morte,
Cela m’apparut, longtemps je l’avais oublié.
Ma paire d’yeux :
Deux moignons de bougies consumées friables.
Ma souple chevelure :
Mixture de boue et fouillis de plantes marécageuses.
Lumière du langage :
La souris fouisseuse place son nid dans ma gorge.
Je ne la dérange pas. –
Une coulée blanche scintille depuis mon âme,
Elle plonge se ruant
Pour arroser la fleur verte de la tombe
Et se divise en trois
Pour irriguer de grands royaumes rouges.
La triple rivière s’enfonce.
Je suinte laminée chuchotante, disparaissant.
Mes restes sont bus
par une merlette et par l’aristoloche.
Source : Gertrud Kolmar : Preußische Wappen, Berlin 1934. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.
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Maurice Henry – la doublure de la nuit
Peinture: P Bonnard – le cabinet de toilette
Tes yeux ce ne sont pas tes yeux mais la doublure de la nuit
tes mains ce ne sont pas tes mains mais une virgule à collerette
tes cuisses ce sont des hélices pour chasser le mal de dents
et tes dents justement c’est un arbre dont les racines tiennent dans leurs mains mes oreilles
Ta chevelure pleut sur mes paupières quand il fait beau
tes pieds de suie fraîche descendent des cintres lorsque j’appelle un taxi
Sur tes ongles poussent se développent et se multiplient des plantes qui sont mes joues
Avec tes rubans tu lies nos étreintes et avec tes genoux c’est mon nez que tu nourris
Tes lèvres ce ne sont pas tes lèvres mais un troupeau de bœufs sur les pâturages de mon sang
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Spirales adhésives – ( RC )
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J’imagine, qu’il y a encore du chemin à parcourir.
Des obstacles à dépasser, des creux à contourner,
Des rocs dont les failles sont autant de pièges,
Sans compter la faune qui guette, toujours à l’affut.
La chevelure se confond avec celle des lianes,
Et il y a toujours une nuée d’insectes volants,
Ils semblent te suivre… une proie bien tentante,
Ils se sont extraits du plâtre?
Une génération spontanée – comme on disait,
Qui s’inscrit en biais des jointures de faïence.
Le chemin est d’autant plus long,
Que c’est un dédale de pièces, refermées sur elles-mêmes.
Un moment d’inattention, et ce sont des rubans,
Qui t’enveloppent à ton insu, tout droit descendus du plafond,
Déjà, ils ont fini par occulter complètement les fenêtres,
Et se dévident en spirales adhésives, dès que tu t’arrêtes.
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RC- oct 2014