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« Pas le temps » – ( Susanne Derève) –


Femme à la cigarette – Laurent Delhourme –

.

Ça crie, ça crie dans la rue

« Pas le temps, pas le temps ! » .

.

Silencieuse et grise,

tu tires frileusement une dernière bouffée de ta clope

dans l’encoignure d’une porte silencieuse et grise,

avant de rejoindre d’un pas traînant celui

qui de ses bras trop courts

mouline impatiemment le vide

et crie vers toi :

« Pas le temps , pas le temps ! ».

.


Aveugles portes – (Susanne Derève) –


Anto Carte – L’orgue de Barbarie (détail)

 

 

Si les portes sont closes je m’arrimerai

aux fenêtres avant que leur regard 

ne se referme sur la nuit .

 

Aveugles portes :

je déroberai au carreau

ce qu’elles me doivent de lumière,

 

– le jaune halo des lampes,

  le bruissement des voix

  et le cliquetis des couverts,

 

  les assiettes fumantes

  sur les toiles cirées, un clair babil

  d’enfant –

 

de ces lointains bonheurs  

dont j’égrène les ombres                               

et que j’abandonne au pavé ,   

 

à sa litanie de misère,

à sa fortune vagabonde.

 


Arcs-en-ciel – (Susanne Derève) –


Miguel Barcelo – Diluvio

.

Lumineuse est la vie  qui trace

de ses pinceaux de joyeux arcs-en-ciel

sur l’eau après l’orage

              ***

Mais j’ai vu  ce matin

à même le trottoir

sur le pavé luisant de l’averse

des hommes de carton

qui disent les chiens ont faim

.

Les chiens ont faim et les hommes se taisent

les chiens aboient   les voix s’aigrissent 

dans le cliquetis des chaines

Les hommes ont soif et les chiens traînent

des laisses inutiles

              ***

Que tout semble soudain dérisoire

de ce qu’on emporte avec soi

petites joies enrubannées

dans leurs pochettes de papier

chinées aux vitres lumineuses

aux enseignes dorées

douces fanfreluches de l’insouciance

innocentes peluches

              ***

Innocentes ?  Souviens-toi 

pareil à une pendule cassée

qui indiquerait obstinément l’heure

de l’éternelle enfance

ton vieil ours

dans le fauteuil de moleskine rouge

spectateur contraint  des années                                                         

              ***

Un paradis perdu l’enfance

S’en dépouiller , c’est comme un jour chuter

de l’arbre et ne plus pouvoir y grimper

Hâtons-nous, de faire provision de tendresse

               ***

Je nouerai les bras autour de ton cou

Dérobe-moi au monde

Ce soir, je ne veux  plus rien savoir

de la souffrance

Main dans la main elles vont

misère   douleur   souffrance

gâter la joie des gens heureux 

               ***

Eux qui n’ont pas d’histoire

J’en avais une pourtant à raconter

dont tu étais héraut

le pinceau à la main

– la valse des couleurs disais – je –

Tu savais peindre des musiques

le blanc velours du piano

et le bleu fluté des trompettes

le feu étincelant du saxophone

et le sombre rubis des cordes    

                                    

Big band – la dernière note ?

un habit d’Arlequin

un rire clair de Comedia del arte

               ***

Mais le  réveil du premier train

est d’un gris sale d’avant  le jour

coulant traîtreusement à travers les persiennes

dans le long chuintement des rails

Où auront-ils dormi ceux du trottoir 

sous la pluie fine

dans quelle noire encoignure de porte ?

               ***


Yannis Ritsos – le fou


 

Moholy Nage  -  ss  titre   1946.jpg

Photo: Moholy Nagy

Que de mensonges l’homme invente pour se ménager un  petit coin sur cette terre !

Le soir, les agents de la circulation se retirent, les magasins ferment
Les étoiles s’enhardissent du côté du couchant.
Et plus tard
on entend le fou du quartier avec son bonnet rouge
qui fredonne dans la rue boueuse une rengaine triste,
une rengaine  d’enfant chargée de beaucoup, beaucoup de rides

Karlovassi, 9. VII. 87


Carles Duarte – l’abîme


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L’Abîme

Au-delà de la mer
– je peux sentir son vertige -,
il y a un abîme.

J’abrite mes regards
derrière mes paupières fatiguées.

Tandis que j’observe les vagues,
j’écoute le corps,
sa routine incessante
chaque fois que je respire.

Je suis ressorti dans la rue.
Je tente en vain d’y retrouver des images.
Je n’y reconnais pas cet enfant blond,
ni la cour pleine de lumière.

Il me reste, pourtant, des miettes bleues
et les visages des mes parents que j’imagine.

Je m’assieds sur le sable
pour refaire les châteaux d’autrefois,
pour me rappeler.

Au-delà de la porte de l’air,
de la lumière primordiale de cet après-midi,
d’une joie que je regrette,
l’océan transparent de l’oubli
me détruit.

 

Traduit par François-Michel Durazzo
Le centre du temps, Fédérop, 2007

L’abisme

L’albada és de cristall
i una Lluna de marbre
s’allunya pel ponent.
Dins els teus ulls
viu un silenci dens,
un fred precís
que ens pren la mà
i ens duu molt lentament
fins al llindar,
sense passat,
sense futur,
on tot és fet d’abisme.
T’abraço fort,
m’abraces,
vençuts per aquesta set,
per aquest dolor
que es torna inextingible.
Aprenc a abandonar-me.
La mar i jo
ja som només
la llàgrima.

Extrait de: El centre del temps
Edicions 62, 2003

Eugenio de Andrade – Avec la mer


 neuf rectangles de mouvements   d'eau.jpg

J’apporte la mer entière dans ma tête
De cette façon
Qu’ont les jeunes femmes
D’allaiter leurs enfants;
Ce ne qui ne me laisse pas dormir,
Ce n’est pas le bouillonnement de ses vagues
Ce sont ces voix
Qui, sanglantes, se lèvent de la rue
Pour tomber à nouveau,
Et en se trainant
Viennent mourir à ma porte..


Brigitte Celerier – sur une photo d’August Sander


Je reprends une partie de son article  visible ici,

Qui nous évoque cette  photo d’August Sander :

 »  je ne sais où est conservé ce tirage, juste qu’il est mentionné unemployed man 1928, et que j’ai pensé que cette expression était beaucoup plus forte que notre chômeur.
Parce que ce serait cela, un homme qui n’aurait plus d’existence puisque non employé.
Et pourtant il serait là, présence haute et mince comme l’indique son visage aigu, mais rendue massivement évidente par le volume du court manteau noir, il serait là droit et réservé, les bras appliqués au corps, tenant son chapeau pour occuper ses mains, les maintenir dans cette discrétion sage, et le monde autour de lui s’absenterait dans le flou.
Il serait là avec sa chemise sans col ouverte offrant le fragile cou tendu, le visage si retenu que les lèvres disparaissent, les yeux fixes dans le vide de la rue déserte, absent et disponible.
Il serait là et nous serions passés devant lui, pensant ne pas lui avoir prêté attention, ou ne le montrant pas, faute de pouvoir lui porter aide, désir de ne pas envahir sa sphère, mais pendant que nous nous enfoncions jusqu’à ne plus être que silhouettes dans le flou du lointain, il nous resterait, rodant quelque part à la limite de la conscience, quelques questions silencieuses, à peine pensées, un vague besoin de savoir s’il a le souci inquiet et tendre d’une famille, si, peut-être, volontairement ou par décision extérieure, ce lien a été tranché le laissant à cette solitude, à moins qu’il n’ai jamais connu que cela.
Mais bien sûr, en tournant le coin de la rue, en abordant la vie du boulevard, nous ne penserions plus à lui, et il resterait, là, neutre, planté, n’osant penser, dans le vide de l’espoir, dans le vide de la rue, à l’abri des regards. « 

Refaire ses premiers pas ( RC )


peinture; Francesco del Cossa - Triomphe de  Vénus  - détail

peinture;        Francesco del Cossa –     Triomphe de Vénus –      détail

Avec l’impression de ne plus savoir rien faire.
Etat stationnaire.
J’ai dans l’esprit, les bruits et saveurs de la rue.
Et la nuit des fourmis, trottent menu.

Je voisine  la nuit et la fatigue,
et les fantômes du matin, qui se liguent,
Ou combattent mon existence.
Le doute de soi , avancer avec méfiance,

Et se posent, et les jours  s’engluent….
Il est toujours un inconnu
Qui chante le même  refrain
En me demandant le chemin,

En équilibre sur le hasard
Parfois à la sortie du bar.
Se hasarder dans le monde
Funambule des ères vagabondes

Fil à couper  les largeurs
S’étirer au fil des heures;
…..Ce qu’il faut de vouloir …
Pour franchir,   l’obscurité du couloir  !

Les équivalences des saisons
Qu’on lit encore, sans comparaisons;
Si encore, tout est étal
…Que l’on poivre ou on sale

A sentir la différence
Je dirais  –         convalescence,
Et refaire ses premiers pas
Sur un chemin étroit —–

S’il faut quitter               le chant des ruines
Distinguer            son reflet dans une vitrine,
Je suis sans doute        sous influence
Celle même , d’une naissance…

Au seuil de nouvelles portes,
Ces autres sensations, qui se heurtent
Et ces nouveaux premiers pas,
– …  Me rapprochent peu à peu de toi

RC-  26 janvier 2013

en relation avec un extrait de  « on a affaire à l’existence » …  de Robert Piccamiglio, dont on sait,

par mes articles précédents, notamment les extraits de « Midlands », mon attachement.

8/ Plein d’images

Je laisse venir plein d’images dans ma tête. La petite vitrine du cerveau est toujours bien propre. Nettoyée chaque matin au lever et le soir au coucher. Parfois tour de même, il faut bien l’avouer malgré la transparence, c’est difficile de voir à travers la petite vitrine. Toujours la pluie. Toujours novembre qui file des coups de balai répétés sur le paysage tout en équinoxes et qui fabrique tranquille des équivalences et des saisons. Le ciel est un voisin souriant ainsi que la tête en délicatesse avec la nuit et la fatigue. Dormir les yeux ouverts pour laisser entrer quelques rêves qui font la part belle au hasard que je n’arrête pas de transformer en destin. Encore à me dire que tout est déjà écrit par avance et qu’on ne fait que suivre le mouvement des jours, bons ou mauvais. Les images s’impriment dans la tête. Mécanique compliquée et évidente tout à la fois. Comme pour les femmes qu’on quitte et celles que plus tard on aime pour ce qu’elles portent gracieusement dans. leurs ventres et dans leurs yeux dénudés où la beauté s’aventure.


Boris Vian – la rue traversière


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Dans la rue Traversière
Il y poussait des roses
Et tout un tas d’aut’ choses
Que personne ne voyait.

Dans la rue Traversière
Y avait un vieux bébé
Qui pleurait à la f’ntre
Pac’ qu’il allait tomber.

Dans la rue Traversière
Y avait un’ grand’maman
Qui montrait son derrière
Pour deux cent trente-cinq francs.

Dans la rue Traversière
Silencieux près d’une borne
Y avait un militaire
Les pieds dans son bicorne

Dans la rue Traversière
Y avait un inventeur
Qui f’sait des montgolfières
En noir et en couleurs.

Dans la rue Traversière
Y avait une guillotine
Qui coupait des cigares
Pour le papa d’Aline

Dans la rue Traversière
Y avait des amoureux
Sous les portes cochères
Qui se comptaient les yeux

Dans la rue Traversière
Y avait des lions féroces
Habillés en cosaques
Pour aller à la noce.

Dans la rue Traversière
On n’y passait jamais
C’était pas une vraie rue
Et tout l’monde était mort…


Jean-Claude Pirotte – le temps c’est une perte de temps


pieuré de Pommiers ( Loire). Photo et montage persos

 

 

 

 

le temps c’est une perte de temps et la vie c’est pareil

.je n’y suis pour personne à commencer par moi-même

tant pis si la pluie chante

doucement dans la rue dans novembre

et l’aube qui ne voit rien de rien,

la pluie elle peut chanter je sais

qu’elle n’est pas une jeune fille

ni la veuve d’un dieu ni l’âme

d’une dernière nuit d’amour

 

 

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texte  extrait  du « pavé » de JCl Pirotte  ( plus de mille pages »)…    « le promenoir magique »…- – voir  l’article  de Poezibao à ce sujet…

 

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