Jorge Carrera Andrade – poussière , cadavre du temps
(Polvo, cadàver del tiempo)

Tu es esprit de la terre : poussière impalpable.
Omniprésente, impondérable, tu chevauches le vent,
tu franchis des milles marins, de terrestres distances
avec ta charge de visages effacés et de larves.
Oh des appartements visiteuse subtile !
Les armoires closes te connaissent.
Dépouille innombrable ou cadavre du temps
ta ruine s’écroule comme un chien.
Avare universelle, en des trous et des caves
sans répit tu entasses ton or léger et vain,
folle collectionneuse de vestiges et de formes,
tu prends des feuilles l’empreinte digitale.
Sur les meubles, les coins, les portes condamnées,
les pianos, les chapeaux vides et la vaisselle,
ton ombre ou vague mortelle
étend son morne drapeau de victoire.
Tu campes en maître sur la terre
avec les pâles légions de ton empire dispersé.
Oh rongeur, tes dents infimes dévorent la couleur,
la présence des choses.
La lumière elle-même se vêt de silence
en ton fourreau gris, tailleuse des miroirs,
Ultime héritière des choses défuntes,
tu gardes tout en ton tombeau errant.
extrait de l’anthologie J C Andrade coll Seghers poètes d’aujourd’hui
Thomas Duranteau – Ruine
( extrait du recueil Gastrolithes)
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Ruine posée au bord des routes
pour dire l’absence
photo laissée à la poussière
Serrer trop fort
l’ombre d’une empreinte
Pentti Holappa – Parole de ruine
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Parole de ruine
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Je veux venir près de toi.
Je ne trouve vrais
ni la pierre, ni le monde ni les distances.
Le coup d’aile d’un oiseau dans le ciel de grand gel dure
aussi longtemps que la ville aux murs coulés de béton
Il m’a fallu me briser avant de perdre mes illusions
Aujourd’hui,
je suis certain que tes cellules m’entendent quand je parle
la langue aux mille sens des ruines
en moi-même, mais rien que pour toi en vérité.
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Pentti Holappa
Départ vers une fête dans un monde de roche et de lumière (RC)
Site ruiniforme des causses ( cirque de Mourèze) 34
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Quinze ans que le train se rue …..
et le vent racle
et les perles brillantes des autos se croisent sur les routes.
Il fallait que je m’en défasse, ——- il m’en reste quelques autres d’ailleurs.
Pourquoi avoir gardé çà tout ce temps.
C’est devenu une fête potentielle,
j’en conserve les confetti et rubans colorés –
peut être aussi quelques cotillons.
Il va falloir tout emporter.
Sur l’île des elfes ? -sur l’île déserte ?
Mais dans cette île des elfes vers laquelle je me dirige.
Qui aurait pu être une fête dans un monde de roche et de lumière, -qui le sera peut-être,
Il y aura en moins le racloir du mistral et la vitesse y sera dominée par les serments géologiques. Silhouettes sentinelles de vieilles villes ruinées,
RC Juillet – 2003
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Zbigniew Herbert – Un nuage rouge

Un nuage rouge de poussière
provoqua cet incendie –
le coucher de la ville
au-delà de l’horizon
il faut abattre
encore une cloison
encore un choral de brique
pour effacer la douloureuse cicatrice
entre l’œil et le souvenir
les ouvriers du matin
avec leur café au lait et leurs journaux bruissant
ont ranimé l’aube et la pluie
qui tinte dans les gouttières de l’air sans vie
avec un filin d’acier
dans un silence chargé
ils hissent le pavillon
d’un espace déblayé
le nuage de poussière rouge retombe
passage du désert
à la hauteur des étages disparus
ont surgi des fenêtres hors de leur cadre
quand s’effondrera
la dernière pente
le choral de brique tombera
rien ne ruine les rêves
de la ville qui fut
de la ville qui sera
qui n’est pas
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Nath -Il sera deux fois à la conjugaison des dunes
Après Marina Tsvetaïeva et ses « tentatives de jalousie »…
un retour vers les « tentatives de lumière » de Nath…, qui je ne sais pourquoi, m’évoque un de mes peintres « phare »: Chaïm Soutine
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peinture – Chaïm Soutine: la folle
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Il sera deux fois à la conjugaison des dunes
Je ne sais quel jour
Tu t’es arrondi à mon épaule
– tes doigts de poussière ayant cerné
L’instant d’un œil.
Tu as germé ainsi
Sous mon omoplate
Et pousse rouge
L’aile d’un papillon .
La mer est grosse dans la bouche
Du temps.
Vois, frère debout ,
Ton bagage dans mon sang
Tu as décrispé la torpeur de ma poitrine
Lorsque ta cellule
A rejoint la collerette des jonquilles.
A
Mon sang anobli
Gigantesque poudrière,
Des sommeils de ruines,
Des fleurs coupées
Aux verres des convives
Et à droite,
Ton sourire de pierre
Laissant s’échapper les particules de ta cellule.
Je crois que j’entends dans le chant matinal du merle
Quelques lettres tombées du ciel :
« Il sera deux fois
A la conjugaison des dunes. »
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Nath 29 mars 2012
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mais évidemment un Soutine, sans la présence marquée du rouge ( puisque le mot sang revient plusieurs fois), cela évoque aussi ça…

peinture: Soutine: dame en robe rouge
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