le temps dépassé des châteaux – ( RC )

C’est le temps dépassé,
des habitats et châteaux
qui dominent les sommets
pour clore une partie du paysage.
Plantés sur des pitons inaccessibles,
qui fréquente aujourd’hui
ces demeures médiévales,
sinon les amateurs de cartes postales ?
Il faut longtemps pour que la nature
reprenne ses droits,
que la forêt vierge édicte sa loi
qui n’a que faire des siècles
de fiefs et quelques bouts de terre…-
J’enlèverais toutes ces pierres
qu’ignorent les rivières
et les oiseaux,
ou je laisserai ces ruines
pour les touristes
en mal de sensations
qui se font photographier
à côté d’un mannequin
paré d’une armure…
- c’est que la nostalgie des conflits
a la vie dure…-
Armand Robin – Varsovie
Les places ont des bras de cobras,
Les maisons des gorges de paons.
Donnez-moi quelque antique pierre,
Que je me retrouve en Varsovie!
Je me tiens en stylite absurde
Sur la place, sous le candélabre ;
Je louange, admire et maudis
Le cobra, l’abracadabra.
Tel un paladin je m’enfonce
Sous les pathétiques colonnes.
Que me font le « Hall de Luxe » et ses mannequins
Peinturlurés pour le sarcophage ?
Ici les jeunes courent acheter des glaces !
Ha! tous ici sont très jeunes,
Leurs souvenirs confinent à des ruines,
La gamine va bientôt enfanter.
Ce qui a poussé en pierre restera!
Le pathos avec la camelote!
Ici tu apprendras ton alphabet,
Futur poète de Varsovie!
Aime cela en coutumière ornière.
Moi, j’ai chéri d’autres pierres,
Grises, véritablement grandes,
En leur cœur le bruissement des souvenirs.
Les places ont des bras de cobras,
Les maisons des gorges de paons.
Donnez-moi quelque antique pierre,
Que je me retrouve en Varsovie!
Frederic Nietszche – Le signe de feu
Ici, où parmi les mers l’île a surgi,
pierre du victimaire se dressant escarpée,
ici, sous le ciel noir, Zarathoustra
allume son feu des hauteurs, —
signes de feu pour les pilotes en détresse,
point d’interrogation pour ceux qui savent répondre…
Cette flamme aux courbes blanchâtres,
— vers les froids lointains élève les langues de son désir,
elle tourne sa gorge vers des hauteurs toujours plus pures —
semblable à un serpent, dressé d’impatience :
Ce signe je l’ai placé devant moi.
Mon âme elle-même est cette flamme: insatiable,
vers de nouveaux lointains,
sa tranquille ardeur s’élève plus haut.
Pourquoi Zarathoustra a-t-il fui les animaux et les hommes ?
Pourquoi s’est-il enfui brusquement de toute terre ferme ?
Il connaît déjà six solitudes —,
Mais la mer elle-même ne fut pas assez solitaire pour lui,
il se hissa sur l’île, sur la montagne il devint flamme,
maintenant, vers une septième solitude
il jette son hameçon chercheur par-dessus sa tête.
Pilotes en détresse ! Ruines de vieilles étoiles !
Et vous, mers de l’avenir ! cieux inexplorés !
vers tout ce qui est solitaire je jette maintenant l’hameçon :
répondez à l’impatience de la flamme
péchez pour moi, le pêcheur des hautes montagnes,
ma septième, ma dernière solitude ! —
Frédéric NIETZSCHE « Dithyrambes à Dionysos » (1888) in « Poésies » (Mercure de France)
Ismaël Kadare – la locomotive
La locomotive (extrait)
Dans le calme de la mer, près des vagues
Ta jeunesse au milieu des flammes te revient en mémoire.
D’un bout de l’Europe à l’autre.
D’un front à un autre front,
En fonçant au travers des sifflets, des sirènes et des larmes
D’un sombre horizon à un sombre horizon,
Tu allais toujours plus loin au-devant des jours et des nuits,
En jetant des cris perçants d’oiseau de proie,
En sonnant de la trompette guerrière,
Dans des paysages, des ruines, des reflets de feu.
Dans les villes, dont tu prenais les fils,
A travers des milliers de mains et de pleurs,
Tu te propulsais vers l’avant,
Tu ululais
Dans le désert des séparations.
Derrière toi
Tu laissais en écho à l’espace,
La tristesse des rails.
Sous les nuages, la pluie, les alertes, sous les avions
Tu traînais, terrible,
Des divisions, encore des divisions,
Des divisions d’hommes,
Des corps d’armée de rêves,
A grand-peine, en jetant des étincelles, en haletant,
Car ils étaient lourds.
Trop lourds,
Les corps d’armée des rêves.
Quelquefois,
Sous la pluie monotone,
Au milieu des décombres
Tu rentrais à vide du front
Avec seulement les âmes des soldats
Plus lourdes
Que les canons, les chars, que les soldats eux-mêmes,
Plus encore que les rêves.
Tu rentrais tristement
Et ton hurlement était plus déchirant,
Et tu ressemblais tout à fait à un noir mouvement,
Portefaix terrible de la guerre,
Locomotive de la mort.
Ismaîl KADARE in « La nouvelle poésie albanaise »
–
voir aussi sur le thème de la déportation « trains sans retour »
Jean-Claude Xuereb – Ggantija
photo – cercle mégalithique de Loch Buie – Ecosse
Peut-être un jour la profondeur ignorée d’une caverne dégorgera-t-elle les reliefs d’animaux fabuleux égarés en lamine sur les débris rocheux d’une terre engloutie ?
Des hommes transportant leur frêle savoir dans des pots de terre échouèrent leur barque sur un rivage boisé. La subsistance une fois assurée, fut dressé en Heu de sacrifice et d’offrande un cercle de mégalithes qu’aucune force humaine en sa nudité ne saurait mouvoir. Des cultes y furent célébrés dont le sens s’est perdu. Les dieux se sont succédés, tour à tour sommés de répondre à l’obsédant questionnement.
Et voici que nous errons parmi les ruines illisibles de l’avenir, aussi désarmés devant la mort que ceux qui nous précédèrent dans l’oubli
Teintes d’apocalype – ( RC )
–
Tant d’eau rassemblée,
n’attend pas le jour
pour se teindre d’oranges.
Le soleil n’y est pour rien,
Ayant sombré bien avant
Il était quelque peu ivre,
ayant dépassé les bornes,
perdu derrière l’horizon.
Ce n’est pourtant pas une éclipse,
mais l’accomplissement du présage
où le paysage
bascule dans l’apocalypse.
Le reptile se déploie,
dénoue ses collines,
délègue des îles
derrière un rideau de fumée.
Et c’est d’un ciel chargé
de cendres et de gris,
que surgit la girafe enflammée,
espérant, de son grand cou
dépasser les nuées,
déplacer la solitude,
renverser les ruines,
boire les étoiles.
Le réveil des volcans
secoue le continent,
illumine l’océan,
transforme les îles en montagnes
s’échancrant de couleurs factices,
rumeur de colère de la terre,
soudain prête à l’effusion des pierres,
le rideau des feux d’artifice,
des entailles profondes,
à la surface du monde,
où la mer s’engouffre,
sous l’acre odeur de souffre…
RC
dessin :Salvador Dali dîner dans le désert avec girafes en feu 1937
Le temple qui fut – ( RC )

peinture Yan Wang–
Ruin of England |
–
Du temple qui fut
Il y a l’ombre des colonnes
( ce qu’il en reste )
qui s’étend sur le sol
et se déplace petit à petit
avec la trajectoire du soleil;
Un astre qui revient avec obstination
caresser chaque jour la planète.
Bien entendu, il y a
tout ce qui se dresse:
des montagnes sévères
au plus petit végétal
qui profite de la chaleur
et se révèle à sa lumière.
Les grands immeubles des villes
en semblent saturés,
au point qu’ils renvoient,
étincelants de leurs glaces
les rayons, et l’image déformée
de ce qui les entoure.
Leur présence hautaine se rapproche
pourtant du temple qui fut.
Avec de futures civilisations,
on peut imaginer ce qu’il en restera .
Les ombres sur le sol à leur tour
s’étendront sous l’orbite
de l’étoile la plus proche;
Le futur gardant,
en une sorte de persistance rétinienne,
Le support des ruines des jours , qui ont précédé.
–
RC – fev 2015
Luis Cernuda – Je dirai la naissance
–
Je dirai la naissance
Je dirai la naissance des plaisirs interdits,
Comme un désir qui naît sur des tours d’épouvante,
Barreaux menaçants, fiel décoloré,
Nuit pétrifiée sous la force des poings,
Devant vous tous, même le plus rebelle,
Qui ne s’épanouir que dans la vie sans murs.
Cuirasse impénétrable, lances ou poignards,
Tout peut servir à déformer un corps ;
Ton désir est de boire à ces feuilles lascives,
Ou dormir dans cette eau caressante.
Qu’importe;
On l’a proclamé : ton esprit est impur.
La pureté, qu’importe, les dons que le destin a portés jusqu’au ciel, de ses mains immortelles ;
Qu’importe la Jeunesse, un rêve plutôt qu’un homme,
Au sourire aussi noble, plage de soie dans le déchaînement
Ces plaisirs interdits, ces planètes terrestres ,
Membres de marbre à la saveur d’été,
Suc des éponges abandonnées par la mer,
Fleurs de métal, sonores comme la poitrine d’un homme.
Solitudes hautaines, couronnes renversées,
Libertés mémorables manteau de jeunesses;
Qui insulte ces fruits, ténèbres sur la langue.
Est aussi vil qu’un roi, ou qu’une ombre de roi
Qui se traînerait aux pieds de la terre
Pour ne quémander qu’un lambeau de vie.
Il ignorait les limites dictées.
Limites de métal ou de papier,
Car le hasard lui fit ouvrir les yeux sous un jour si intense
Que n’atteignent pas des réalités vides,
D’immondes lois, des codes, des rues de paysages en ruines,
et si l’on tend alors la main,
On se heurte à des montagnes d’interdits.
Des bois impénétrables qui disent non,
Une mer qui dévore des adolescents rebelles.
Mais si l’opprobre et la mort , la colère et l’outrage ,
Ces dents avides qui attendent leur proie,
Menacent de déchaîner leurs torrents,
Vous autres, en revanche, mes plaisirs interdits,
Orgueil d’airain, ou blasphème qui ne renverse rien,
Vous offrez dans vos mains le mystère.
Un goût qui n’est souillé par nulle amertume,
Un ciel, un ciel chargé d’éclairs dévastateurs.
A bas. statues anonymes,
Ombre de l’ombre, misère, préceptes de brume
Une étincelle de ces plaisirs
Brille en cette heure vengeresse.
Son éclat peut détruire votre monde.
——
extrait de » Plaisirs interdits »
–
Sur le fil, d’une rencontre invisible ( RC )
–
Je suis sur le fil, d’un tracé invisible.
Il est sous mes pieds, mais abrité d’ombre
Et de terres, croisées sous la coupe de l’hiver.
La mer y a habité, pesé de son poids de vagues
Contourné des falaises et des îles
Déposé son lit de calcaire, sous des ciels de plomb,
Avant que le sol ne penche, et que l’eau ne reflue,
Comme ont reflué les siècles, perdus dans la mémoire du monde…
Je suis sur le fil, d’une rencontre invisible,
Où les pierres se confrontent, les torrents se ruent,
Et les chemins s’enroulent, sur les crêtes de vertiges,
Si nous allons de ce pas, sur la croupe ouverte,
Où la droite, n’a jamais de prise, aux chutes des pentes,
De l’Aubrac aux Cévennes, que parcourent, attentifs,
Beaucoup plus souvent, vautours que goélands,
Au dessus des lèvres ouvertes, des méandres du Tarn…
Ce ne sont pas les amours splendides
Des légendes bretonnes, marquées de la rage des pluies,
– Et des voiles qui claquent,
Au plancher liquide, d’une mer grise,aux promesses de pêche
Mais le territoire, tourmenté de vallées profondes,
> Disputant ses ombres à la rudesse du causse,
Où de fermes de pierre, en vaisseaux désertés
Sont gardés de ruines rocheuses, les lèvres hautaines.
–
en « réponse », à un texte de Xavier Grall
–
ESCALE EN LEON
A Aline
Dans ma mémoire blanche, seules chantent les pierres
de faux poètes ont dit mon pays joliment
je le dirai avec l`effarement de l`hiver
Ah les navrances en décembre des rivières et des moles !
Que ragent les pluies dans les carrières stridentes
que battent les vents dans les rades
que hurlent les toits et les pôles !
Nous irons plus haut que les fades
aurons des fureurs de goélands
dans la mouvance des
chantonneurs de la matière bretonne
rengainez vos guitares
les gabarres sur la mer créent des zones de sang
Dans les masures désertées nous prendrons des femmes cruelles
nous dirons les lèvres amères et les amours splendides
Finistère
Ici commence le monde et la musique du monde
les morts du Chili rêvent dans les villages
et crient
Il y a des Orients rêveurs dans les chaumes pourris
Il y a les loch des océans Pacifiques
Il y a des peuples et des nations dans la prairie
Thomas Pontillo – Incantation 01
–
J’étais si près que je me perds auprès de moi,
j’ai dans mes bras les ruines du bonheur,
et les draps mon seul repos mon seul tombeau
sont vides et humides de toutes les larmes versées
en souvenir du temps qui déborde des mots.
–
voir , de Thomas Pontillo « présence poétique »
–
JoBougon – suspendre le temps
Suspendre le temps — du blog de Jo chez wordpress: 1 juin 2011 par jobougon
Dans les ruines tu temps mon regard s’est posé en silence
Il laisse un peu la trace de mes insouciances
Mais elle est loin cette légèreté
Elle s’est perdue dans des gravats abandonnés
Et au milieu des vestiges oubliés
J’ai retrouvé le chemin des secrets
Ceux qu’on chuchote au creux de l’oreille
Que l’on ne dit qu’à ceux que l’on aime
Et ce n’est plus mon crâne fêlé
Qui laisse passer la lumière
Mais c’est mon cœur qui s’est fendu
Morfondu confondu éperdu C
’est mon cœur qui n’en pouvant plus
A laissé le temps suspendu.