Boris Vian – Triste Azor

Un chien vivait fort chichement
Dans une niche en bois de chêne.
Retenu sans cesse à la chaîne,
Il connaissait plus d’un tourment.
Mais le pire désagrément,
C’était la faim. Nourri de faines
Dont les malfaisantes akènes
Lui laissaient le nez tout saignant,
Il eût aimé jouir d’une table
Satisfaisante et confortable,
Lécher des assiettes, le soir…
Mais, pauvre, il mourut de la peste,
Et l’on grava sur le sol noir :
— Il est mort sans laper des restes.
extrait du recueil de B Vian ‘ sans sonnets »
Quelqu’un regarde par mes yeux – ( RC )
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Quelqu’un me regarde avec mes yeux.
Et ces yeux voient une pièce presque nue,
où la présence d’ombres se font et défont.
Des sons ne la franchissent pas,
et se répercutent d’un mur à l’autre,
indépendants.
Il se peut que ce soient mes propres phrases,
repoussées par les lueurs changeantes des lampes à pétrole.
Ainsi, quelqu’un parlerait par ma bouche,
et ce ne serait plus moi,
mais une mémoire de la nuit, enfermée ici ,
alors que de l’extérieur, le silence la compresse ,
comme sont compressés les jours.
Je ne les compte plus.
La nuit , aussi , ne compte pas les fleurs fanées .
Elles forment un tableau étrange,
celui d’un temps arrêté, nul,
saignant de ne pouvoir sortir, clos sur lui-même…
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d’après « Présence d’ombre » d’Alejandra Pizarnik
RC- nov 2015
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un texte-photo de Duane Michals, partage un peu ce thème:
Il rêva une nuit qu’elle vint et l’embrassa, et avec ce baiser entra dans son corps.
Elle regardait à travers ses yeux, et écoutait avec ses oreilles. Au matin, rien n’avait changé.
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Nabokov, —- la chambre ( 1950)
Grâce au blog de schabrieres ( beauty will save the world ), je me fais l’écho d’un beau texte de V Nabokov
Vladimir Nabokov – La chambre (The Room, 1950)
La chambre que prit un poète
mourant, un soir, dans un hôtel mort
figurait dans les deux annuaires:
celui du Ciel, celui de Perséphone.
Elle avait un miroir, une chaise,
et une fenêtre et un lit,
ses côtes laissaient entrer l’ombre
où la pluie luisait et saignait une enseigne.
Ni larmes, ni terreurs, un mélange
d’anonymat et de malédiction,
elle paraissait, cette chambre,
être l’imitation d’une chambre.
Chaque fois que, subliminale,
une auto déchirait la nuit,
aux murs, au plafond tournoyait
tout un squelette de lumière.
Peu après la chambre m’échut.
Bagnard rayé, cherchant la lampe,
sur le mur je trouvai ce vers:
« Je meurs sans amour, solitaire, anonyme »
au crayon au-dessus du lit.
On eût dit une citation.
Etait-ce une femme affolée de lecture,
Ou un gros homme au cheveu rare?
J’interrogeai l’aimable bonne noire.
J’interrogeai le capitaine et ses marins.
J’interrogeai le gardien de nuit. Obstiné,
j’interrogeai un ivrogne. Nul ne savait.
Peut-être, ayant trouvé l’interrupteur
avait-il vu le tableau sur le mur
et maudit l’éruption rougeoyante
se voulant « érables en automne »?
Dans le meilleur style artistique
de Winston Churchill à son faîte,
ils avancaient en double file
de Glen Lake à Restricted Rest.
Mon texte est peut-être incomplet.
Pour finir, la mort d’un poète,
c’est de la technique: un rejet
parfait, une chute harmonieuse.
Une vie s’était brisée là,
dans le noir, et la chambre était comme
un thorax de fantôme, avec un coeur
mal aimé, anonyme, mais point solitaire.
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