Saint-Pol Roux – Des flammes
Des langues !
Une fois la semaine, une douzaine de fantoches
(et ce citron de perspective qu’ils seront
pions de province demain) envahissent ma table.
Après qu’avec les tisonniers
jaillis de leurs yeux ils se sont réciproquement
écarté leurs cendres de moustache,
une flamme avivée rampe, se tord,
pétille, gicle en chacune des douze bouches
aux joues réfractaires,
et ces flammes tant s’expriment
qu’on ne distingue plus qu’elles bientôt
et que leur somme parvient
à symboliser un bûcher de sectaires ridicules,
martyrisant la pureté, la vaillance,
la gloire vraie, la merveille absolue,
et les femmes et les amis absents…
0 ces opiniâtres aspics !
Ce jour-là, le Supplice du Feu m’est familier
dans son intégrale épouvante.
Aussi passer devant un rôtisseur me rappelle que,
chez moi, l’on rôtit hebdomadairement,
et que ma patience (ô ma pauvre, ta lassitude ?)
m’y transforme en oie (suis-je modeste !)
de première grandeur.
D’écœurement mon front se dore,
de dépit mon foie se racornit,
de stupeur mes os craquètent…
A se jeter par la fenêtre dans la faim des mendiants qui rôdent !
Mais le devoir d’hôte me rive à la broche.
Des langues !
Paris, 1888 SAINT-POL-ROUX « Les Reposoirs de la Procession » (II)