Brassens et les poètes – (Susanne Derève)

Chante, Brassens, la plage de Sète
et le mistral
le cimetière marin dévisage la mer
de ses pierres gravées
et la mer immobile vibre
sous le grand ciel aveugle de l’été
Chante, et que chantent après toi
dans les jardins de Sète
les poètes de Méditerranée
El-Atat, Al Hamdani, Karaçoban
De leurs lèvres naissent les failles de l’enfance
la source et l’embouchure du fleuve *
les Mille Nuits de Bagdad et les murs des prisons
le nœud coulant de la sueur
la poignée d’eau sur le visage **
Le vent porte un parfum de grenade et de rose
et roule sous mes doigts le grain des pierres
de Baalbek,
volent les cendres de l’exode
Chante, Brassens, la plage de Sète
et le mistral
et que ta voix, avec leurs voix mêlée,
tisse une longue villanelle
un cantilène de mots que rebattra la mer
pour n’en conserver que l’écume
l’hème brillante du poème
* Rabih el- Atat Humeurs vaganbondes https://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2019/03/rabih-el-atat-dans-l%C3%A9mail-de-la-tasse-une-fissure.html
** Aytekin Karaçoban Images instantanées Revue Ayna http://revueayna.com/portfolio/aytekin-karacoban-2015/
Salah Al Hamdani – Entretien avec Bruno Doucey https://www.youtube.com/watch?v=tWgGhx9pSJw
Salah Al Hamdani – Lanceur de cailloux
À force d’espérer te revoir je vais reconquérir ton aube
Je vais ramasser les dattes gorgées de balles
et la main pleine
ne sacrifier à ta lumière
Aux nuits de l’exil
je vais jeter un pont de regrets sur le fleuve
et ensemencer les clos .
Salah Al Hamdani – Sagesse sur le coeur
Premier pas .
lorsque les souvenirs se dissipent dans l’absurdité de l’éloignement,
et que les saisons d’autrefois n’ont rien dire… pas d’affolement
c’est le cœur qui prendra en charge de souffler l’âme
de la vie du passé le plus reculé.
Deuxième pas
Quand on ne trouve plus l’amour en imagination
il faut laisser le cœur imposer à l’esprit sa conduite.
Salah Al Hamdani – Le jour se lève sur Bagdad
Avant l’Euphrate il y avait un horizon
qui guidait le nomade
une larme au-dessus d’une dune
une averse sur les falaises
une grêle d’enfance
une lumière qui inondait l’argile
L’Euphrate est ma mère
et je le reconnais comme on enjambe son matin
pour un tatouage de soleil
sur un palmier
dans une vieille cour.
Salah Al Hamdani – Rencontre
peinture: P Picasso: Fernande à la mantille noire, 1905-06
Le corps de la lune
Bondit à cette heure
encore une fois
par-dessus la tempête des guerres passées
et scande mon regret de ne plus revoir ton châle
suspendu aux années de l’exil
Ton châle mère…
Mère… regarde-moi !
( extrait de « Bagdad mon amour » )
Salah Al Hamdani – Centré
À genoux
Oui
à genoux dans la cruauté calme du jour
et cette absurdité sans limite
Marche, marche pauvre type
jusqu’à l’extrémité de l’ombre
et rejoins tes rêves
ensevelis sous la lenteur ridicule de leurs nuits
Laisse tes souvenirs à la traîne
l’éblouissement d’un quai désert
et au-delà
emprunte la courbe de ton exil
La gloire du couchant est là
sans écho
esseulée sur le lit de l’étranger
comme un appel de la falaise .
( extrait du recueil – « Rebâtir les jours « : ed Br Doucey )
Salah Al Hamdani – Rêve fossoyeur

photo d’actualités – Syrie provenance – le télégramme.com
Aux victimes du tyran en Syrie
Un coucher de soleil froid
sur le seuil d’un jour vibrant
le ciel ensanglanté
comme un nuage épais qui s’effrite à l’infini
et la crainte de mon propre destin
Devenir un arbre
ma tête à la renverse
et l’horizon des hommes là-bas
La lumière dans mon crâne comme un souffle
accent sur mon visage
Je me suis enfin échappé
et le rien ballotte au bord de mon matin
morceau de lune
Dans ma cellule étroite
chaque nuit
l’Euphrate me rend visite
Il y glisse délibérément
un écho de l’enfance
Sa voix pénètre le bruit de l’eau profonde
comme une lamentation
ainsi que l’innocence du jour orphelin
et ce frisson sublime
Je suis un détenu pour moi-même
mémoire dans cette cellule
Soudain je déplie ma voix
et une lourde obscurité
de gorge fracturée
emplie de mots coagulés
perle de ma bouche
Entre l’éveil et les sacrifiés de la Syrie
le silence des lâches et les saisons abasourdies
saisissent mon cœur
Leurs coups pleuvent sur mon visage
je les vois en rêve
Ils laissent des traces de sang le long de mon matin
et des chevaux coupés au jarret
peints sur la face du jour
Je suis un accusé
ligoté dans l’arène de ce monde
face à des questions sans lendemain
Et voici mon exil
Il reçoit votre révolte
Et le ciel
un témoin
suspendu au-dessus de ma tête
creuse loin dans le temps
Je crains la panique de l’âge
ainsi que l’humiliation de la rivière
le mystère
et l’ailleurs qui meurt au pied du mur
J’étais dans le sommeil. Je voyais les veines de vos morts toucher mon visage, ma poitrine, mon dos, mes jambes et mes bras. Alors, calmement, j’ai compté ces vaisseaux qui pénètrent la peau et la pensée, et vont s’écraser finalement contre un rêve
Rêve fossoyeur
odeur d’herbe fraîche autour de mes sueurs froides
épine d’un souvenir informe
dans une obscurité polie
Ne faut-il pas se réveiller en sursaut
pour ôter l’épée du corps du sacrifiés ?
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Poème publié dans l’anthologie permanente de la revue « Les Cahiers du Sens 2012« (page 103)
cf » ce qu’il reste de lumière »
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Salah Al Hamdani – Seul le vieux tapis fleurissait le sol
Seul le vieux tapis fleurissait le sol
La maison avait changé d’adresse
ma photo avait changé de place
la table avait été pliée derrière la porte
la chaise de mon père, aussi,
seul le vieux tapis fleurissait le sol
Je t’ai trouvée enfin
dans un jardin nu
avec ton grand châle noir
l’esprit en dérive
enfilée dans tes prières
l’âge cousu sur le visage
J’ai cru serrer un palmier agonisant
Puis dans mes bras,
j’ai reconnu ma mère.
Salah Al Hamdani – ( Irak)
2004 (« Poèmes de Bagdad »,)
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