voir l'art autrement – en relation avec les textes

Articles tagués “sang

Ce qui renaîtra sous mes doigts – ( RC )


RC aquarelle 2022

Tout ce qui n’est pas
ne signifie pas la mort :
ce qui renaîtra sous mes doigts,
je ne le sais pas encore

– ce qu’il adviendra
est encore incolore
et me surprendra

comme une métaphore
de mon ignorance .

– Du devenir
je fêterai la naissance
des choses sans souvenirs -,
où circule de nouveau
le sang figé
à la pointe de mes pinceaux :

un être pas encore né ,
se fiera à ma bonne étoile :
traversera mon inconscient
pour apparaître sur la toile
d’abord vaguement …
… sans que j’y pense
pétri de son mystère,
affirmant sa présence

venu d’une autre sphère.
( Je n’y suis pour rien :
pour ce genre de choses,
je ne suis qu’un témoin
de la métempsychose
) :

– ce qui sommeille encore,
renaît sous mes doigts
il aura ce corps

que je ne pouvais décrire
un instant plus tôt
encore maladroit

– comme ce sourire
qui se dessine et éclot
dans ce visage
de l’inconnu qui vient vers moi
traversant l’image

depuis l’au-delà .


Benjamin Fondane – nos rides poussent dans la glace


Nos rides poussent dans la glace

et le monde se refroidit dans notre sang…


Je reconnais les cavaliers de l’Apocalypse – ( RC )


enluminure : vue de la partie supérieure d’une des pages du manuscrit du Beatus de Liébana – Codex de Ferdinand Ier et doña Sancha – Espagne – (art roman, date soumise à caution ) la totalité peut être vue à cette page

Tiens je les connais ceux-là,
les cavaliers de l’ Apocalypse
sur fond orangé.
Il n’arrêtent pas de courir de ci, de là,
se croisent mais ne se regardent pas,
même les jours de totale éclipse.
C’est comme deux équipes qui se rencontrent:
qu’il faut reconnaître sur le terrain :
c’est ainsi que le peintre nous les montre:
à chacune sa couleur et son fond de teint !
Le maillot jaune du Tour de France
avant que chacun s’élance,
le maillot à rayures
conforme aux Ecritures !

Pour l’instant tout est à peu près normal
même si les chevaux ont l’haleine un peu chargée:
de leur gueule quelques flammes et de la fumée,
mais leur queue porte des êtres plus que pâles
qu’on aurait imaginés plutôt noirs ou roses…
Ils semblent tenus par un cordon ombilical
et ont tendance à préférer l’horizontale:
c’est quand même une drôle de chose:
on se sait pas qui va l’emporter:

chacun a ses supporters
pour semer la panique sur la terre
d’ailleurs sous le cheval noir, on voit un petit pied
qui s’enfonce de façon irrémédiable
dans le bas de la page:
c’est sans doute un présage
car le choc semble inévitable
du fait que les bêtes ont maintenant les pattes croisées
( je suis sûr que vous ne l’aviez pas observé ! )…

je prévois bientôt la fin du combat !
Et que deviendront alors les innocents blancs
que l’on a privé de leur sang ?
Il est encore temps de miser sur l’espoir
contre le cheval noir !
Non, ce n’est pas votre cas ?
dans mille ans il sera trop tard
pour me faire signe
on aura interdit les paris en ligne
dans les versets de la Bible
et les imprécations qui s’égarent
ça c’était prévisible !

pour le guide illustré de l’Apocalypse, voir


Xavier Bordes – gravité folâtre


Vaillance du papillon dévoué à la rose
en dépit de ce monde qui depuis des âges
n’est plus un jardin
.                               Écoute le frôlement,
le froissement soyeux, mystérieux des années,
en organza de soleils à la moire fanée
Malgré le ciel – brûlant et glacé tour à tour –
elles ruissellent réfractaires aux ténèbres
comme à la lumière
.                                Telles ces fenêtres
en lesquelles s’éteint la fleur rouge du soir
indéfiniment au même instant où dans nos veines
le sang chasse le sang en réglant les secondes
sur le pas de l’inéluctable avenir
.                                                   Celui qui pétrifie
en une même inanité l’aimer le vivre et le mourir

extrait du site de l’auteur


Michel Foissier – hombres dans l’ombre des révolutions


hombres dans l’ombre des révolutions
il construit une échelle de bois blanc
une volée de marches pour voler à nouveau
escalier qui porte à la porte des femmes
chambre où se découvre le pot aux roses de la mémoire
aveugle écossant des images de papier glacé
ses doigts révèlent des héroïsmes de soldats de plomb
il rêve de ce miroir obscur où se reflète une étoile
araignée d’argent dans la gourmandise de sa toile
chapeau de feutre visage de plomb
il est cousu dans un linceul de silence
et puis dans la douleur d’un petit lit de fer
chemise tachée de sang
avec lui nous tombons la face contre le mur
dans le pressentiment du petit jour


Trop lourd, pour que je reste debout, à la surface du monde – ( RC )


gravure sur bois Lynd Ward

Le poids de ma tête est trop lourd
pour que je reste debout,
à la surface du monde.
Je le creuse avec les dents,
la face contre terre,
et il m’arrive de trouver,
quand je dévisse un membre,
mon double, sculpté dans le bois,
par ces racines revêches,
qui ont fini par absorber mon sang.


C’est ainsi que ma vue s’est brouillée,
sans doute à cause de la poussière,
qui, elle aussi encombre mon esprit.
Je ne pense qu’aux temps,
où, trop léger sans doute,
je planais à quelques mètres
au-dessus du sol.
Composé de plusieurs parties
prévues pour s’emboîter,
il a fallu les rassembler.


J’étais à la recherche de la pièce manquante,
qu’on déniche par inadvertance :
un visage à modeler,
qui, maintenant que j’y pense,
offre une certaine ressemblance
à celui qui me fait face et me regarde,
dans le dédale des racines .


Le poids de ma tête est trop lourd  :
je ne peux que supposer
que trop d’années l’ont plombée :
le jour se confond avec la nuit,
et je ne peux saisir aucune de ces lueurs,
enfouies dans la terre.


Je ne peux que les imaginer…
car, si j’y voyais encore,
je verrais croître les arbres
se nourrissant de morceaux d’étoiles.
La mienne doit être quelque part,
car un jour je l’ai perdue…


Roja Chamankar – Le neuvième jour de la mer –


Odilon Redon – Roger et Angelica
C’était le neuvième jour de la mer
Recroquevillée sur moi-même
Accompagnée du cri de la mère
J’ai glissé
Dans un bassin de cendres
Avec deux ailes blanches aux épaules
Comme un oiseau à la gorge coincée
La poche d’eau m’a mouillé les yeux

La mer était salée et grande
Le matelot frappait en cadence
Le tambour
Gitane solitaire
Une danseuse sans anneaux aux chevilles
Ni grain de beauté au coin des lèvres

Mes poupées
Ont grandi
Aux seins arides et au lait noir
Et un ruisseau de sang a brûlé leurs cuisses

Le neuvième jour de la mer
Aucun bruit d’applaudissements
Ni de you-yous
Quatre gouttes de sang tombent de ma gorge

Je m’offre...
La mer était salée et grande
Pour la gitane solitaire

C’est pour tes yeux que je suis devenue poète.

Je ressemble à une chambre noire

Traduit du persan (Iran) par Farideh Rava  

Ed. Bruno Doucey

A écouter , à lire :

Apéro-poésie avec Bruno Doucey #44 / Roja Chamankar (5 poèmes dits par Bruno Doucey)

 La pierre et le sel : 28 novembre 2018  Roja Chamankar


Herberto Helder – Les menstrues –


Arkhip Kuindzhi – Coucher de soleil sur la neige (1885-1890)
Les menstrues quand sur la ville soufflait
cet air. Les jeunes filles respirant,
mangeant des figues - et les menstrues quand sur la ville
filait le temps à travers les airs.
C’étaient des œillets dans la neige. Les jeunes filles
riaient, criaient - et les figuiers insufflaient
les figues, de leurs poumons d’éponge
blanche. Et les jeunes filles
mangeaient des œillets dans l’air.
Et elles riaient dans la neige et criaient : c’était
le temps des menstrues.
Les pommes roulaient dans la maison.
Quelqu’un disait : la neige. La nuit venait
briser la tête des statues, et les pommes
roulaient sur le toit - quelqu’un
disait : le sang.
Dans la maison, elles riaient - et les menstrues
ruisselaient par les cavernes blanches des éponges,
et les têtes des statues se brisaient.
Des œillets - quelqu’un disait cela.
Et les jeunes filles qui respiraient, mangeaient
des figues dans la neige.
Quelqu’un disait : des pommes. Et le temps était venu…
Le sang ruisselait des cous de granit,
l’enfant plaquait sa bouche noire
sur la neige dans les figues - alors elles criaient
dans l’ombre de la maison.
Quelqu’un disait : le sang, le temps.
Les figuiers soufflaient dans l’air
qui courait, les machines aimaient. Tandis qu’un poisson,
parole ancienne
et sensible, parcourait la page de cet amour.
Et quelqu’un disait : c’est la neige.
Les jeunes filles riaient dans leurs menstrues,
mangeant de la neige. Les têtes des
statues étaient pleines d’œillets,
et les enfants plaquaient leur bouche noire sur
les cris. La nuit approchait dans les airs,
dans l’ombre roulaient les pommes.
Et le temps était venu.
Et elles riaient dans l’air, mangeant
la nuit,
se nourrissant de figues et de neige.
Alors quelqu’un disait : les enfants.
Et les menstrues ruisselaient en silence -
dans la nuit, dans la neige -
pressées par les éponges blanches, là-bas dans la nuit
des jeunes filles
qui riaient dans l’ombre de leur maison,
roulant, mangeant des œillets. Alors quelqu’un disait
c’est un poisson qui parcourt la page d’un amour
ancien. Et les jeunes filles
criaient…
…Les jeunes filles, chantant leurs enfants,
mangeaient des figues.
La nuit mangeait du sable.
Et c’étaient des œillets dans les cavernes blanches.
Les menstrues - disait quelqu’un. L’air passait -
et à travers nuit, en silence,
les menstrues ruisselaient dans la neige.

.

Le Poème continu, somme anthologique,

traduction Magali Montagné et Max de Carvalho,

éditions Chandeigne

voir également : Esprits nomades


Kate Tempest – Ballade pour un heros – ( War music )


peinture M Gromaire

Ton papa est soldat, mon petit
Ton papa est parti à la guerre,
Ses mains fermes tiennent son arme,
Il vise précis et sûr.
.
Ton papa est dans le désert maintenant,
L’obscurité et la poussière,
Il se bat pour son pays, oui,
Il le fait pour nous.
.
Mais ton papa va bientôt rentrer à la maison,
Dans pas longtemps il sera là,
Je te mettrai ta plus belle chemise
Pour aller le chercher sur le quai.
.
Il te portera sur ses épaules et
Tu chanteras, tu applaudiras, tu riras,
Je le tiendrai par la taille,
Et je l’aurai enfin tout près de moi.
.
Ton père n’a plus quitté la maison,
Ton père ne se brosse pas les dents,
Ton père est toujours en colère,
Et la nuit, il ne dort pas.
.
Il fait sans cesse des cauchemars,
Et il semble faible et épuisé,
Oui, j’ai tenté de le soutenir, mais
On se parle à peine.
.
Il ne sait pas quoi me dire,
Il ne sait pas comment le dire,
Toutes ses médailles pour sa bravoure,
Il veut juste les oublier.
.
Il boit plus que jamais, mon fils,
Avant, il ne pleurait jamais. Mais maintenant,
Je me réveille la nuit et je le sens
Qui tremble à côté de moi.
.
Il m’a enfin parlé mon fils !
Il s’est tourné vers moi en larmes,
Je l’ai serré contre moi et j’ai embrassé son visage
J’ai demandé ce qu’il craignait.
.
Il a dit qu’il fait toujours plus sombre,
Quelque chose n’a pas disparu,
Il dit qu’il le comprend bien mieux
Maintenant que sable et fumée se sont dissipés.
.
Il y avait ce gosse qu’il avait appris à connaître,
Un jeune d’à peine dix-huit ans,
Brillant et gentil, il s’appelait Joe,
Il tenait son fusil bien propre.
.
Sa petite amie attendait un bébé,
Joe aimait plaisanter et rire,
Joe marchait devant ton paternel,
En patrouille sur un chemin.
.
Tout était calme jusqu’à
ce qu’ils entendent l’explosion.
L’homme qui a marché devant Joe
A été complètement soufflé.
.
Des éclats d’obus ont frappé Joe au visage,
Arraché les deux yeux à la fois,
La dernière chose qu’ils aient vue
C’est l’homme qui était devant :
.
Membres et chair et os et sang,
Déchiquetés, éparpillés,
Et après cela – juste la nuit.
Le goût, la puanteur, le bruit.
.
Je te dis ça mon fils parce que
Je sais comment tu seras,
Dès que tu seras assez grand
Tu voudras aller te battre
.
Qu’importe la bataille où tu t’engageras,
Tu donneras ton sang, tes os,
Pas au nom du bien ou du mal –
Mais au nom de ta patrie.
.
Ton père croit au combat.
Il se bat pour toi et moi,
Mais les hommes qui envoient les armées
Ne l’entendront jamais pleurer.
.
Je ne soutiens pas la guerre mon fils,
Je ne crois pas que ce soit juste,
Mais je soutiens les soldats qui
Partent en guerre pour combattre.
.
Des troupes comme ton papa, mon fils,
Des soldats jusqu’au fond de l’âme,
Portant fièrement leur uniforme,
Et faisant ce qu’on leur commande.
.
Quand tu seras grand, ma petit, mon amour,
S’il te plaît, ne pars pas à la guerre,
Mais combats les hommes qui les décident
Ou combats une cause qui est la tienne.
.
Cela semble si plein d’honneur, oui,
Si vaillant, si courageux,
Mais les hommes qui envoient à la guerre
Le font au nom de l’or
.
Ou vous envoie pour du pétrole,
Et nous raconte que c’est pour notre pays
Mais les hommes rentrent comme papa,
Et passent leurs journées à boire.

traduction M Bertoncini dans « jeudi des mots »

une musique lancinante qui a quelque chose à dire…et qui retrouve une certaine actualité ( en faisant le pont entre le souvenir de la guerre de 14, finalement assez peu évoquée ces derniers temps juste après le 11 novembre…, et l’actualité ukrainienne…………………………….sans parler des autres… )


Azem Shkreli  – Le baptême du Verbe




peinture :Ilya Repin – la fille du pêcheur (1874)


Je n’ai pas fait de toi une poupée mais conçu un enfant

Sous le fouet de ta peine étant peut-être torturé moi-même
Tu béniras comme une offrande la soif et la faim
Que te donna un messager attardé, roulant sans amertume

J’ignore les caresses car je t’ai tiré d’un sang
Acre, ce qui rendait vaines les sages leçons
A présent, tu ne souffres pas de ma plaie à moi, mais
De ce qui cause ton désespoir et mes désillusions

Tu suscites et supplies sans fruit
Le silence automnal qui s’insinue de par mes membres
En cette folie qui nous habite tu peux te jeter à ta guise
Mais en aucune façon te soustraire au destin de ta ville de Troie

texte issu du recueil  » Kosovo dans la nuit « 


les grands ifs – ( RC )


ifs de la place de l’église d’Hurigny

Regrettes-tu de n’être
pas immortel ?
Où tu pourrais côtoyer peut-être
au milieu des cieux
les demi-dieux ,
les voir de près
si tu décollais de terre
si , aussi, tu t’élances
au-dessus des cyprès

et redoubles de patience –

Les grands ifs
puisent leur sang
dans la terre…
ils ont le temps
de balayer la lumière,
de leur tête verte.

Leur règne est végétatif ,
leur vie est ouverte
à tous les temps
tous les dehors.
Ils ont bien autre chose à faire
que de t’écouter,
toi qui voulais leur parler
depuis le cimetière
et te lamentes sur ton sort…

Il est vrai que ta vie n’est pas parée d’ailes,
et ne possède qu’un court avenir …
mais qu’y faire ?


Robert Piccamiglio – Ensemble, Jésus et moi


extrait  de  « Chemin sans  croix »   ed  Encres et lumières   2005


Michel Hubert – paysage de chutes


8-

Paysages de chutes

paysages extrêmes à suivre du doigt d’un torrent/jet la pliure rétinienne

Alarme
-hors ce bruit de fondation qu’on coule dans sa gorge béante-alarme
du plus profond de l’être rompant soudain l’intime indifférence
(sans excuse
à quoi tiendrait encore sur le triangle
de houle
l’assiette blanche du bassin ?
déjà ne fait-elle pas la roue
de ses dix doigts

comme pour relever jusqu’au dernier créneau
la brume froufroutante de ses mousselines ?)
ah ! quelles marées d’équinoxe
aux aines de la mer
ne cédèrent pas à ce violent divorce
du bonheur
en limite du désirable des algues
dans un dernier mouvement de l’aube ?

Mais elle
l’affileuse d’ombre
soumise aux neiges dans son corps
-abstraction progressive et diffuse
d’une inguérissable pâleur
que je croyais voir fluer

de la nuit du sexe dans mes mains-
plutôt que de condescendre à sa métamorphose
en telle image multiforme
de l’Arche fabuleuse
préférera briser sa lame fine
d’arme blanche
sur la couleur trop faste de mon sang
la délivrance ne porte plus seulement
sur l’infini
qui infuse la montagne des douleurs
au-delà de tout lieu signifiant
demain

et si jamais l’inconnu dans son corps se cherche au jour des liens du sang
-comme ces forêts que traverse
en d’impulsifs mouvements
de leurs branches
la mystérieuse matière d’ombre-tout faire pour que ses mains déjà refermées sur leur vrac de cendres
s’embrasent encore une fois -ô prodige des légendes-dans la bouche-même d’intouchables cracheurs de feu

Plus au sud du rêve
ah pas qu’un soleil plus au sud du rêve :
certes
rien n’est si simple
aussi simple
que la géométrie bleue
d’un ciel andalou
c’est d’Arcos a Ronda pourtant dans la Serrania que l’homme sculpté dans les troncs d’oliviers se tord en ombre des mille scolioses du sud

( extrait de « captif d’un homme  » )


Sandrine Davin – Lettre d’un soldat


Les animaux, ces héros de l'ombre de la Première - Ville de Paris

photo : les animaux de l’ombre de la Première

Sur un sol nauséabond

Je t’écris ces quelques mots

Je vais bien, ne t’en fais pas

Il me tarde, le repos.

Le soleil toujours se lève

Mais jamais je ne le vois

Le noir habite mes rêves

Mais je vais bien, ne t’en fais pas …

Les étoiles ne brillent plus

Elles ont filé au coin d’une rue,

Le vent qui était mon ami

Aujourd’hui, je le maudis.

Mais je vais bien, ne t’en fais pas …

Le sang coule sur ma joue

Une larme de nous

Il fait si froid sur ce sol

Je suis seul, je décolle.

Mais je vais bien, ne t’en fais pas …

Mes paupières se font lourdes

Le marchand de sable va passer

Et mes oreilles sont sourdes

Je tire un trait sur le passé.

Mais je vais bien, ne t’en fais pas …

Sur un sol nauséabond

J’ai écrit ces quelques mots

Je sais qu’ils te parviendront

Pour t’annoncer mon repos.

Je suis bien, ne t’en fais pas …


Alain Leprest – J’ai peur


montage RC

J’ai peur des rues des quais du sang
Des croix de l’eau du feu des becs
D’un printemps fragile et cassant
Comme les pattes d’un insecte

J’ai peur de vous de moi j’ai peur
Des yeux terribles des enfants
Du ciel des fleurs du jour de l’heure
D’aimer de vieillir et du vent

J’ai peur de l’aile des oiseaux
Du noir des silences et des cris
J’ai peur des chiens j’ai peur des mots
Et de l’ongle qui les écrit

J’ai peur des notes qui se chantent
J’ai peur des sourires qui se pleurent
Du loup qui hurle dans mon ventre
Quand on parle de lui j’ai peur

J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur

J’ai peur du coeur des pleurs de tout
La trouille des fois la pétoche
Des dents qui claquent et des genoux
Qui tremblent dans le fond des poches

J’ai peur de deux et deux font quatre
De n’importe quand n’importe où
De la maladie délicate
Qui plante ses crocs sur tes joues

J’ai peur du souvenir des voix
Tremblant dans les magnétophones
J’ai peur de l’ombre qui convoie
Des poignées de feu vers l’automne

J’ai peur des généraux du froid
Qui foudroient l’épi sur les champs
Et de l’orchestre du Norrois
Sur la barque des pauvre gens

J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur

J’ai peur de tout seul et d’ensemble
Et de l’archet du violoncelle
J’ai peur de là-haut dans tes jambes
Et d’une étoile qui ruisselle

J’ai peur de l’âge qui dépèce
De la pointe de son canif
Le manteau bleu de la jeunesse
La chair et les baisers à vif

J’ai peur d’une pipe qui fume
J’ai peur de ta peur dans ma main
L’oiseau-lyre et le poisson-lune
Eclairent pierres du chemin

J’ai peur de l’acier qui hérisse
Le mur des lendemains qui chantent
Du ventre lisse où je me hisse
Et du drap glacé où je rentre

J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur

J’ai peur de pousser la barrière
De la maison des églantines
Où le souvenir de ma mère
Berce sans cesse un berceau vide

J’ai peur du silence des feuilles
Qui prophétise le terreau
La nuit ouverte comme un oeil
Retourné au fond du cerveau

J’ai peur de l’odeur des marais
Palpitante dans l’ombre douce
J’ai peur de l’aube qui paraît
Et de mille autres qui la poussent

J’ai peur de tout ce que je serre
Inutilement dans mes bras
Face à l’horloge nécessaire
Du temps qui me les reprendra

J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur


Raymond Queneau – L’ouverture –


Gaston Phébus – Le livre de chasse –
Sang fumée ce sont les chasseurs 
qui jouent du cor, de l’arbalète 
autour d’eux sont les corps morts 
               de bêtes

d’animaux qui jouaient et mangeaient 
dans les taillis dans la luzerne 
et qui point ne se doutaient 
               de la giberne

adieu la vie adieu l’amour 
le gibier gît devant les gîtes 
des reîtres et des pandours 
               cyniques

oiseaux oiseaux que je déplore 
tout ce mal qui vous assiège 
ces gens qui veulent la mort 
               de vos arpèges

lièvres dansant dans la rosée 
biches bramant au fond des bois 
la guerre vous est déclarée 
              au mois

de septembre




Courir les rues

Battre la campagne

Fendre les flots

nrf Poésie Gallimard


Sophie Fauvel – la pierre


Afficher l’image source

photo George Priebus – Cleons – Grèce

J’avais posé naguère
Sur  cette sombre pierre
Un souvenir présent,
Un brin de coquelicot,
Un parfum de sanglot,
Pour que jamais le vent
N’efface nos mystères.

J’avais posé naguère
Sur cette sombre pierre
Fleurie de nos amours
Des secrets interdits,
Des verbes alanguis,
Des nuits comme des jours,
Une lune coquine,
Des soupirs d’amour.

J’avais posé naguère
Sur cette sombre pierre
Une douce caresse,
Nos plus belles promesses
Epargnées par le temps.

J’avais posé naguère
Sur cette sombre pierre
Mon corps  à moitié nu
Drapé de la lumière
De tes soleils perdus
Et pour te réchauffer
Embrassé la terre brune.

Elle vogue ta galère
Toutes voiles dehors
Gonflées de nos instants
En Toi coule mon sang.

J’avais posé naguère
Sur cette sombre pierre
Le rire de nos 20 ans.    

Sophie FAUVEL ( provenance: le manoir des poètes)


Gaston Miron – La braise et l’humus


photomontage RC

Rien n’est changé de mon destin ma mère mes camarades
le chagrin luit toujours d’une mouche à feu à l’autre
je suis taché de mon amour comme on est taché de sang
mon amour mon errance mes murs à perpétuité
un goût d’années d’humus aborde à mes lèvres

je suis malheureux plein ma carrure, je saccage
la rage que je suis, l’amertume que je suis
avec ce bœuf de douleurs qui souffle dans mes côtes
c’est moi maintenant mes yeux gris dans la braise
c’est mon cœur obus dans les champs de tourmente
c’est ma langue dans les étapes des nuits de ruche
c’est moi cet homme au galop d’âme et de poitrine

je vais mourir comme je n’ai pas voulu finir
mourir seul comme les eaux mortes au loin
dans les têtes flambées de ma tête, à la bouche
les mots corbeaux de poèmes qui croassent
je vais mourir vivant dans notre empois de mort

extrait de « la vie agonique »


Tsadur Berberian – au cimetière du quartier arménien


photo Massimo Ferrero

Quand je mourrai un jour, emmenez-moi dans le cimetière du quartier arménien
et en silence, rendez-moi à la patrie.
Car elle est sainte, pure, comme mon sel et le sang
Elle le gardera dans son sein jusqu’à sa mort.

Quand le cercueil descendra dans le trou glacial,
Semez de la terre sur le côté et laissez-la telle quelle.
Pas d’oraison, pas de prière, pas de cris d’angoisse,
mais mettez seulement une rose sur ma tombe pour me sourire en silence.

Parce que je n’ai jamais vu un sourire ou un mot ,
qu’il soit important, pour eux d’essayer d’apaiser ma douleur en silence.
Mais malgré ma bonté, j’ai reçu des flèches acérées.
Des flèches pointues, des agrafes, qui m’ont transpercé sans pitié.

Je ne veux pas qu’ils s’approchent de mon monticule,
Et avec des mots maquillés , me transpercent à nouveau.
Qu’ils me laissent partager ma douleur avec nos saints,
Qui sont tombés menottés pendant les jours sombres d’avril.

voir le site de poésie arménienne


Nicolas Jaen – l’ange frappera


photo Jakob B

Au teint de vieux noir et blanc.
( Oui j’ai de la chapelle de l’hôpital des poussières d’hosties encore dans la gorge.)
On lavera au sang. On ouvrira nos écorchures.
On se baignera en nous.
Et l’ange frappera. Par sa nervosité.
Son œil boira les couleurs.
À peine recommencées. Esquives.
Et coups bas. Oui, la folie reprisée.

D’avoir à consumer d’êtres l’urne, lente, fourragée, d’éternité.
(Oui j’étais la pierre la dune le sable le soleil)


La porte étroite – ( RC )


 

image_2021-06-15_202827

Tu ne regarderas plus sur mon épaule :
trop de larmes ont dévalé les pentes :
mon existence a suivi une courbe lente,
trop d’eau a coulé sous le saule.

J’ai refermé sur moi la porte étroite :
il n’y a plus de place à la lumière ;
ni aux infimes grains de poussière :
je sens déjà l’usure du temps avec ses grosses pattes.

Ma respiration se voile en suspends,
léger sursis à ma lourde peine,
au souffle ténu d’une légère haleine,
avant que se glace mon sang.

RC – août 2020


Denise Le Dantec – sept étoiles à la Grande Ourse


Le chant liturgique - Découvrir la musique médiévale

Les Hyperboréens ont compté sept étoiles à la Grande Ourse
Lié l’amour à l’adieu dans le champ des pommiers
Nos têtes sont devenues sourdes
Batailleuses nos mains dans l’eau des rocs

Le long de la côte
L’ombre enroule les fils du soleil
Et tire les images de la lumière dans l’herbe
la cendre et la fumée

Face au Nord sur la roche l’Ange s’assied
Et comme un oiseau qui prend son vol,
couleur de soleil, il s’élève

Sourds et nus sont le sable et le poisson sur le rivage

Et comme l’aiguille entraîne le fil le vent
entraîne les nuages
Sous l’archivolte du porche orné de fleurs-paratonnerre
L’Ange pénètre ma chair

Au fond des nuits il y a d’autres nuits
Sous l’ombre des feuilles d’akènes pourries
d’autres ombres

O les repaires insaisissables des bêtes
Dans les tourelles du givre et les rouelles du froid

Les mûres de mes seins sont devenues noires

Plus loin il y a un bois d’hiver noir et profond
qu’on nomme Bois des Loups
Les sentiers sont coupés de branchages si hauts
qu’on les dirait prêts aux bûchers
En novembre les fileuses d’étoupe filent leurs
manteaux de brindilles et de cheveux,
sur les troncs équarriés
Leurs yeux épèlent l’alphabet des étoiles,
Leur écheveau est une torche d’où s’échappent
les mèches de leurs crânes tondus
De leurs bouches s’égoutte le sang de leurs
engelures

L’Ange apaise ma blessure et me porte

Jusqu’à cette église, ô la Sainte,
Aux portes de digitales et de poison

Pour te battre
Comme la mer sur les côtes

Aux portes de misère et de foudre

Où, pour plus de mal encore, tous mes sens m’abandonnent


Jean-Pierre Rosnay – À Tsou l’Egyptienne


Par-dessus le toi des guitares
Ses yeux et son sourire bleu
La nuit mêlée à ses cheveux
Chaque train oubliait sa gare
Le flux et le reflux de la mer intérieure
Qui animait mon coeur à la cause du sien
Me faisait ressemblant à ces ombres de chien
Qu’on voit laper la nuit des restes de lueurs
Mon égyptienne ma mythique
Quand nous baignerons-nous à nouveau
Au port d’Alexandrie entre ces vieux rafiots
Dont la voile crevée donnait de la musique
Du haut de la plus haute pyramide
Léchée par des millions de regards touristiques
Entre Son Lumière légendes et cantiques
Je t’apporte ces mots de sang encore humides
Ces inhumains versets d’amours supra-humaines
Quand le poète écrit d’amour à son aimée
Il charge son stylo d’encre à éternité
Puis lui dit simplement Madame je vous aime
Et je vous saurais gré de l’avoir remarqué


Mohammed Khaïr-Eddine – Nausée noire


photo J Marc Rocfort

Mon sang noir plus profond dans la terre
et dans la chair du peuple prêt au combat
mon sang noir contient mille soleils
le champ tragique où le ciel s’entortille
je ne veux plus de couleurs mortes
ni de phrases qui rampent
dans les cœurs terrorisés
vous êtes pris entre moi et mon sang noir
coupables
de meurtres tournés traîtreusement
à quelque phase obscure
mon passé se lève aussi égal
à ma hauteur
foudroyant
pareil au jour qui reparaît
ruisselant d’encres noires
mon sang noir sur une colline
je vous traînerai dans la boue
faite de mon sang noir
vous et moi jadis porteurs de mythes
mon sang noir
était le lait ardent des mamelles du désert
vous et moi comme un vent inconciliable
des tonnes de sable
des éternités de molécules
nous séparent à présent
car je suis le sang noir d’une terre
et d’un peuple sur lesquels vous marchez
il est temps le temps où le fleuve crie
pour avoir trop porté
comme un serpent noir

il broie roches et cèdres
jusqu’à la mer qui le comprend
debout
présent
ensemble
vous en face des cadavres
dont est lourd mon passé
des cadavres dont les vers
ne sont pas desséchés
moi juge pour avoir été victime
car mon sang noir
coule dans la terre
et au tréfonds du peuple
seuls témoins
et mon passé surgi
du plomb qui l’a brisé


Un mur, selon Tapiès – ( RC )


Antoni Tàpies, poète de la matière

peinture « matière »   Antoni Tapiès

Si tu dresses un mur de silence,
que tu tentes d’effacer le langage,
celui-ci resurgit un jour
malgré les cicatrices.

Certains ont gravé leur nom
sur les murs des cellules.
Il y a des lettres de sang
et parfois des croix
– autant de baillons
sur des bouches qui hurlent encore –

C’est un ensemble de métaphores,
qui parle dans la matière:
une matière crucifiée.
Un autre Guernica,
une autre façon
de traduire l’oppression,
dans les oeuvres de Tapiès .

RC-  avr  2020


Leon Felipe – Je ne suis pas venu chanter


 

Gravure  MC Escher  (  partielle):  goutte de rosée

 

Je ne suis pas  venu chanter,             vous pouvez remporter votre guitare.
Je ne suis pas non plus venu et je ne suis pas ici pour remplir mon dossier pour qu’on me canonise quand je mourrai.
Je suis venu regarder mon visage dans les larmes qui marchent vers la mer,
Le long du fleuve,
et le nuage…
et dans les larmes qui se cachent
dans le puits,
dans la nuit
et dans le sang…

Je suis venu regarder mon visage dans toutes les larmes du monde,
et puis aussi pour mettre une goutte de mercure, de pleurs, ne serait-ce qu’une goutte de mes pleurs
dans la grande lune que fait ce miroir sans limites où ceux qui viennent me regardent et se reconnaissent.
Je suis venu écouter encore une fois cette vieille sentence dans les ténèbres :
Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front
et la lumière à la douleur de tes yeux.
                  Tes yeux sont les sources des pleurs et de la lumière.


Benjamin Fondane – toute la douleur du monde


06-04-2010_4684382436_o

C’est toute la douleur du monde

qui est venue s’asseoir à ma table

– et pouvais-je lui dire : Non ?

Je m’étais fait si petit,

une petite chenille, et j’ai éteint la lampe

–         mais pouvais-je savoir qu’elle mûrissait dedans

et pouvais-je m’empêcher     qu’elle sortît un jour,

une chanson entre ses ailes ?

J’ai dit à la douleur du monde

qui s’est couchée sous mon ventre :

N’ai-je pas assez de la mienne ?

Vois : j’ai ma propre soif !

On ne peut pas toujours demeurer une chenille

la terre m’est rugueuse au ventre

elle me fait mal votre terre

je suis né pour voler…

D’un bond je lui tournai le dos –

mais elle était déjà dans mon songe.

– Est-ce mon sang qu’elle voulait ?

J’ai dit la douleur du monde

– C’est une ruse, une sale ruse.

Voilà que tu chantes en t’en allant…

-Mais à ma place,        dites,        l’auriez-vous oubliée ?

 

 

(1944, Au temps du poème)