Tirer de l’eau du puits – ( RC )

Se pencher par dessus la margelle,
tirer sur la ficelle,
au milieu même du petit oeil rond
– découpe du ciel tout au fond -.
Lui, renvoie mon reflet,
jamais je ne ferai
taire cet éclat de lumière,
même en lui jetant une pierre.
Un reflet minuscule
tout au fond du noir
d’où je crois voir
crever quelques bulles
Il faut hisser le seau
du puits le plus profond.
Remonterai-je quelques poissons
voulant voir à quoi ressemble en-haut ?
Que ce seau est donc lourd !
est-ce seulement de l’eau
ou un chargement de lingots,
qui me vient en retour ?
une eau si précieuse
valant son pesant d’or,
comme un trésor
tapi dans l’ombre ténébreuse.
… Se pencher par dessus la margelle,
mais voilà qu’une main invisible
me fait perdre l’équilibre :
je bats des bras et chancelle ,
chute brusquement dans l’obscur,
à toute allure .
… au fond du puits
me saisissent soudain, les griffes de la nuit.
Une infime parcelle- comme une découpe du ciel – ( RC )
–
A l’extrème limite de la conscience,
une bouche balbutie,
sur une surface horizontale..
une couche de glace,
dont on ne sait encore l’épaisseur,
mais bousculée par les courants de l’intime,
d’une profondeur insondable.
–
J’imagine le violoncelle de Yoyo-Ma,
Jouant Bach, sur une pellicule de glace,
la pique s’enfonçant peu à peu,
à chaque coup d’archet,
pour retrouver,
une fois la suite achevée,
l’essence même de la musique.
–
Et , de même la page d’écriture,
Qui se révèle :
une façon de communiquer son sang
à l’encre :
une mémoire magnétique,
venant de régions inconnues
avant que celle-ci ne fige .
–
Bien sûr, on peut rester
la plume en suspens,
au point de laisser les oiseaux
dessiner, écrire à notre place,
le geste immobilisé,
pour des récits qui resteront
à jamais non écrits …
–
Faut-il se révéler à soi-même,
Et remonter du lac,
sous nos pieds,
un seau d’eau glacée
dans laquelle nous mirer ?
Reflétant aussi les oiseaux ,
et l’encre transparente du silence …
–
De toute façon,
ce qui est puisé,
n’est qu’une infime parcelle,
comme le serait la découpe du ciel,
visible dans le seau,
mais il contient une voix,
avant d’être naufragée, gelée …
–
la nôtre .
_
RC- sept 2015
( variation sur un texte de Michèle Dujardin, tiré de « Abadôn » elle-même évoquant Henri Thomas avec cet extrait : « Je n’ai le goût de rien exprimer, si ce n’est ce noyau d’obscurité tenace qui est mon être même, ma substance morale et poétique. »
Henri Thomas )
S.M.Roche – Nocturne
Des ailes bruissent au fond d’un seau,
des formes surgissent de la terre,
d’autres sont accroupies.
La rumeur de leurs mains nappe la ville.
Un dernier fruit tombe du ciel
sur la tôle du poulailler
et les coqs sont réveillés.
Personne ne pense aux étoiles,
il a fait trop chaud tout le jour.
Le dormeur amène la voile,
le songe s’engrave sur le lit,
le poème s’est perdu.
Il reste le bois fendu
d’une nuit sans sommeil.
– A lire, avec beaucoup d’autres sur le site « chemin tournant »