Abdelkhebir Khatibi – Etoiles du jour étoiles de la nuit ( 1ère partie)

Etoiles du jour étoiles de la nuit
Votre éclat est-il le garant de notre serment ?
De notre beau secret sur sa fleur vocale ?
Et qui peut m’assurer que l’illusion ne s’est pas évanouie ?
Ou que le vertige du litige n’est pas en instance
Dans la caresse d’aujourd’hui que tu nous prêtes ?
Va et viens dans le cycle de l’Aimance
Je te passe l’anneau au centre du cœur
Ce qu’il reçoit de noblesse et de grâce
Ne l’avons-nous pas risqué en sa pensée la plus légère ?
Qu’avons-nous rassemblé dans l’ivresse de l’irréel ?
Chante-moi la forme du Nom sous sa parure transparente
Mais à l’oubli du temps ajoute la moindre blessure
Nous habitons d’heure en heure une jouissance passagère
Et ce que j’en retiens je le pense tout bas dans son rythme
Peut-être sommes-nous allés trop loin dans l’insouciance
Laissant au temps la mesure de la dispersion
Nous sortons du rire de l’enfance et de ses voyances
Es-tu ma maîtresse ? mon élue ? mon amie du bel âge ?
Lorsque j’entre dans ce lit surpris par son orgasme
Je me demande vers quelle distance le corps appareille
Vers quelle contrée qui nous défende de nous égarer
Dans la déraison d’un sentiment si tôt chancelant ?
Sculpture – collage – dentelles – ( RC )

Nous voilà transportés à la plage
dans une écume beige
toute en dentelles.
Il y a cette demoiselle
sur fond de galaxies
parmi les tourbillons de neige,
avec ce ciel à la Pollock
qui fait un peu toc !:
c’est donc le grand départ
de l’histoire de l’art
qui s’en va visiter d’autres continents;
( ayant acquitté les frais de son voyage )
avant de se trouver prisonnière
dans les filaments gluants
de ton collage:
on la voit comme étrangère
à sa future mutation :
est-elle candidate à l’immigration
après avoir survécu pendant un millénaire
elle qui a été retrouvée sous la mer –
pour être exposée dans un musée
sans même l’avoir demandé ?
C’est que l’aventure esthétique continue
dans un monde qu’elle n’a pas connu
et ne connaîtra jamais
( mais ça… c’est ton secret ) !
–
collage Cathy Garcia Canalès
Yeux recousus – ( RC )

Il n’y a pas trop de choix,
dans la fuite du regard
quand les paupières se ferment
pour la dernière fois .
Le corps devenu froid
prolonge jusqu’à son terme
le secret de ce qu’ils ont vu
et que l’on ne connaît pas.
Leurs yeux recousus
regardent en-dedans.
On n’en saura pas plus
sur ce qu’ils voient.
C’est en dedans qu’ils s’égarent,
et leur nuit devient pâle
tout scintillants
de la lueur des étoiles.
–
« Où vont nos yeux quand les paupières se ferment pour la dernière fois ? »
est une citation de Max Jacob
Nelly Sachs – Tant de graines aux racines de lumière

Ascension enflammée d’Élie avec une vie (XVIIe siècle) (collection privée)
Tant de graines aux racines de lumière
qui arrachent aux tombes leur secret
et le confient au vent
pour parsemer d’énigmes en langues de feu les chevelures
des prophètes,
et apparaissent dans le bûcher blanc du mourir
avec tous les aveuglements de la vérité
quand le corps près de là repose
avec l’ultime souffle dans les airs
et ce bruit de chaînes dans le retour
et l’enfermement de fer dans la solitude
et tous ces yeux perdus dans le noir —
-extrait de Enigmes ardentes ( recueil re-publié chez Verdier sous le titre « Partage-toi, nuit )
Une pierre informe dressée dans un jardin- ( RC )
Il y a une pierre informe
dressée dans un jardin
et que chaque matin entoure,
comme des stries concentriques
tracées dans le gravier .
De la mousse s’incline
du côté où l’ombre persiste
avec l’aide de celle
de l’arbre qui s’épanche
en brouillon de branches .
C’est un monolithe griffé d’incidences,
fendillé de gel,
de lignes qui se prolongent,
et finissent par se perdre en segments
dont aucun n’est rectiligne .
C’est un temps indéfini
qui a mordu dans ce corps,
arraché sa chevelure ,
imprimé ses tangentes,
en rides et en fragments.
Peut-être était-ce une statue
qui a fini par perdre ses membres,
oublier son visage
et sa première apparence :
aucun indice ne la rend lisible .
Personne ne nous dit sa légende,
son histoire et le pourquoi
de sa présence :
elle est dans le jardin à la manière
d’un cœur entouré de ses graviers .
C’est juste une vielle pierre dressée,
que l’on dirait vivante ,
une vie y pulse encore , énigmatique ,
pour ceux que le temps dépasse :
personne ne pénètre dans son secret .
–
RC – janv 2019
Abdelkebir Khatibi – Dédicace à l’année qui vient
extrait du recueil » Dédicace à l’année qui vient »
peinture D G Rossetti – Matin musique – 1864
La blonde d’antan
Et la rousse d’autrefois
Tant de belles ténébreuses
Pour mes jours ensoleillés
Aux quatre points cardinaux
Chaque saison les étrenne
De quelques rayons de miel
Et chaque anniversaire
Renouvelle ma grande promesse
Oublier ce qui s’oublie
Et aimer ce qui se perpétue
Sur le cadran du Paradigme :
Pensée du jour retour de la nuit
Je ne sais
Si le partage d’un secret
Tresse
Comme un tapis déroulé
La posture du corps
Je ne sais doublement
Mais je sens le transport
D’un regard à l’autre
M’accordes-tu
Le rite de ta grâce ?
L’émerveillement du Nom ?
Leur procession ?
Trouver sa propre entrée – ( R C )
–
peinture: Raoul Ubac
Il doit bien y avoir quelque part,
une entrée gardée secrète,
qui mène vers un ailleurs
qu’empruntent des explorateurs,
et – dont ils n’ont jamais parlé :
C’est une parole mutique
dont chacun connaît la clef,
le sésame, pour y accéder…
se guidant peut-être à tâtons,
sur les parois de la conscience .
C’est difficile à expliquer…
Malgré toute la bonne volonté,
dont je pourrais faire preuve,
je ne peux rien dire …
Il faudrait que je trouve ma propre entrée…
Je suis dans un espace clos,
où nulle lumière ne pénètre,
juste guidé par le murmure familier,
du bruissement du sang
dans mon corps .
Peut-être verrais-tu dans le noir,
si tu étais à ma place,
quelque luciole voleter,
ou une étoile qui clignote…
( si c’est un signe …)
Mais ceux-ci sont trompeurs,
et finissent par s’effacer
aussi soudainement qu’ils sont apparus,
à la façon d’une cigarette
indiquant une présence,
et qui a fini de se consumer.
–
RC – avr 2016
L’intérieur du galet – ( RC )
Lorsque le flot s’épuise,
Et qu’on peut franchir de la rivière,
Son lit clair, sans crainte d’être emporté,
Je pensais qu’il était possible, en brisant un de ces galets,
Que leur peau recouvre des entrailles, un gemme
où se cachent cavités et cristaux,
à la façon d’un oeuf , ou de ces améthystes,
refermées sur leur carapace.
Une circulation mystérieuse,
un secret, un « être abstrait ».
Doué d’autonomie, clos sur lui-même,
comme de ces cloportes, et leur armure.
Mais le galet, ne livre que le semblable.
Habité par l’inertie.
Sa nudité lisse et ronde, portée sur l’extérieur,
N’est qu’un intérieur qui s’expose.
Un pur contenu, sans contenant,
sinon la forme,
Celle, modelée des usures,
de sables, de glaces et de pierres
Enfanté d’autres roches, dévalées de l’amont,
vers de liquides couloirs .
Des nuits épaisses, habitées de truites
ablettes et gardons, aux furtifs passages.
Les herbes ne fissurent pas le jour.
Le galet prend l’apparence de ton sein.
Il lui manque quelque part le battement du pouls.
C’est ce que trahit son poids de matière .
J’ai cherché au-delà du lit,
Et du brancard de boue,
Sous les joncs pensifs
De quoi reconstituer une paire.
Mais nulle part,
Je n’ai trouvé le semblable,
Les mêmes cristaux, et encore moins,
– Le grain de ta peau.
–
RC – nov 2014
Pierre Schroven – Il y a en tout homme …

Installation: Klaus Pinter
–
Il y a en tout homme un secret inespéré
Qui s’étire dans le vide de sa poitrine
Comme une force souterraine et magique
Pour mettre fin à son exil intérieur
Et lui faire signe qu’il est l’heure de naître;
de « Chemins du possible » (2005)
–
–
Marcel Olscamp – Confidence
MARCEL OLSCAMP, poèmes, poésie, poétique
.
.

photo Nikole Ramsay
CONFIDENCE
Le siècle des passions vient mourir au chevet
d’un langage cassé qui perd jusqu’à mon nom
entre les draps trop blancs d’une chambre scellée
dans une ville éteinte aux rues déshabillées
comme une femme nue sous le regard d’un chat
qui serait mort d’ennui le jour de ma naissance
en lissant son pelage au fond d’un autobus
qui tournerait le coin de la rue pour de bon
Le père se déchire en tenant dans sa main
le chapelet noirci de ses jours de vivant
nous regardons les murs pour ne pas voir le mal
nous glisser sous les yeux de sa voix trébuchante
Mais dites aux coins des rues que je ne viendrai plus
voir mourir les années dans cette chambre blanche
la force m’est venue de porter mon regard
sur le désert de miel entre le monde et moi
la tempête est cassée, le monde est hors de lui
et tous les vieux secrets se déchirent au vent
Thomas Pontillo – extrait de « Carnet pour habiter le jour »
N’être que colère
et ne pas être colère,
avoir de l’appétit pour un mystère
qui provoque félicité.
Tu tourmentes le secret
puis reviens boire l’eau fraîche dans les arbres.
Gregorio Scalise – Que le monde suive une ligne verticale
–
Gregorio Scalise
( re-bloggé du site ‘une autre poésie italienne » )
Poète, dramaturge, Gregorio Scalise est né en 1939 à Catanzaro et vit actuellement à Bologne. Ses débuts sont sous le signe de la poésie visuelle et de la néo-avant-garde ; son premier recueil (A capo) est publié par la maison d’édition Geiger dirigée par Adriano Spatola. Avec Segni, présenté dans l’anthologie Il pubblico della poesia de A. Berardinelli e F. Cordelli (1975), il obtient une large reconnaissance de la critique, notamment de Fortini. Parmi ses recueils l’on peut citer aussi La resistenza dell’aria (1982), Poesie dagli anni ’90 (1997), La perfezione delle formule (1999).
1.
Che il mondo segua una linea verticale…
Que le monde suive une ligne verticale,
les nuages le font comprendre,
car les choses les plus belles
viennent à nous entre les failles de vent ;
si son esprit pouvait se délier
mais l’évocation est une zone sèche
où s’épuise le langage,
si au cours des siècles
les hommes décident toujours :
l’eau frappe de mille langues
une plage herbeuse
et les objets, réunis à la chose,
savent que les yeux ne suffisent pas
pour conserver un secret.
(Danny Rose, 1989)
–
Jean-Jacques Dorio – Je rêve d’abandonner là mes rêves
Je rêve d’abandonner là mes rêves
pour une machine à coudre
les champs magnétiques
Je rêve des grands commencements
du temps perdu et retrouvé
et des dialectiques féeries
Je rêve de tous les prophètes
dont l’on déjoue les prédictions
dans le secret des marges
JJ Dorio / Je T’Rêve / Edts Raphaël De Surtis … p.31
–
Jules Supervielle – C’est tout ce que nous aurions voulu faire..
–
C’est tout ce que nous aurions voulu faire
et n’avons pas fait,
Ce qui a voulu prendre la parole
et n’a pas trouvé les mots qu’il fallait,
Tout ce qui nous a quittés
sans rien nous dire de son secret,
Ce que nous pouvons toucher et même creuser
par le fer sans jamais l’atteindre,
Ce qui est devenu vagues et encore vagues
parce qu’il se cherche sans se trouver,
Ce qui est devenu écume
pour ne pas mourir tout à fait,
Ce qui est devenu sillage de quelques secondes
par goût fondamental de l’éternel,
Ce qui avance dans les profondeurs
et ne montera jamais à la surface,
Ce qui avance à la surface
et redoute les profondeurs,
Tout cela et bien plus encore,
La mer.
Jules Supervielle.
–
Sempre0allegra – j’aime quelq’un en secret
peinture-dessin: Odilon Redon, figure de profil
amo qualcuno in segreto / j’aime qq’un en secret
27 mars 2011
J’aime quelqu’un en secret
Un que je ne verrai jamais
Quand l’écran s’allume
Je crois de suite que c’est lui.
Ses mains dans ses cheveux
Me disent qu’il pourrait bien m’aimer
Il est dans mes yeux
Comme le soleil, lumineux
Illuminant mes pupilles
Je l’imaginais Or et Lumière
En réalité il est comme vous et moi
Dans ce caléidoscope je vois
Le contraire de ce je que je crois
Donc amour impossible
Parfums de pays lointains
Miettes de leurs pains
L’amour me fuit
Se faufilant entre mes doigts
Il m’abandonne, à la fin de la nuit
Me laissant seule face à moi
Cet amour – là est tel
Une douche glaciale, que rien ne dégèle
Peu importe, ce que je veux
Avant toute chose, c’est aimer
La douceur du danger
Car j’aime quelqu’un en secret
Quand vous verrez l’écran s’allumer
Vous croirez que c’est lui
Sa main dans son épaisse chevelure
Vous penserez, c’est sûr
Quelqu’un qui peut m’aimer
J’aime quelqu’un en secret
Oui un jour peut être il saura m’aimer
Ecrite en italien le 31/01/2006
Traduite le 27/03/2011
Amo qualcuno in segreto
Uno che non vedo mai
Quando si accende lo schermo
Credo sempre che stia lui
Le sue mani nei suoi capelli
Mi dicono che potrebbe ben amarmi
Sta nei miei occhi
Come il sole, Lucenti
Illuminandomi i pupilli.
Immaginavo L’oro e la luce
Invece è come voi o me
Tale un caleidoscopico
Il rovescio delle mie idee
Anche un amore improbabile
Profumi di paesi lontani
Bricioli di soliti pani
L’amore si fuga di me
Filando tra i miei dita
Abandonnandomi
alla fine della notte
lasciandomi sola alla porta
L’amore è tale
una doccia giaciale
Che nulla possa sbrinare
Ma cio che voglio amare
Prima di tutto,
è la dolcezza del pericolo.
Amo qualcuno in segreto
Uno che non vedo mai
Quando si accende lo schermo
Credo sempre che stia lui
Vedo la sua chioma spessa sotto i suoi dita
Che mi dice che saprà amarmi
semrpeallegra@fr martedì 31 gennaio 2006
–
JoBougon – suspendre le temps
Suspendre le temps — du blog de Jo chez wordpress: 1 juin 2011 par jobougon
Dans les ruines tu temps mon regard s’est posé en silence
Il laisse un peu la trace de mes insouciances
Mais elle est loin cette légèreté
Elle s’est perdue dans des gravats abandonnés
Et au milieu des vestiges oubliés
J’ai retrouvé le chemin des secrets
Ceux qu’on chuchote au creux de l’oreille
Que l’on ne dit qu’à ceux que l’on aime
Et ce n’est plus mon crâne fêlé
Qui laisse passer la lumière
Mais c’est mon cœur qui s’est fendu
Morfondu confondu éperdu C
’est mon cœur qui n’en pouvant plus
A laissé le temps suspendu.
Eugénio de Andrade – Les paroles
Eugénio de Andrade – Les paroles
Elles sont comme un cristal,
les paroles.
Certaines, un poignard,
un incendie.
D’autres,
seulement de la rosée
Grosses de mémoire, elles viennent en secret.
Incertaines, elles naviguent ;
navires ou baisers,
les eaux frémissent.
Désemparées, innocentes,
légères.
tissés de lumière,
Elles sont la nuit.
Même pâles,
elles rappellent encore de verts paradis.
Qui les écoute ? Qui
les recueille, ainsi,
cruelles, défaites,
dans leur nacre pure ?