Candice Nguyen – la nourriture des méduses

Ces mots prisonniers des rochers et l’eau qui bat entre, inlassablement.
C’est une lumière noire qui décline sur la peau de visages rougis par le froid et les sourires piqués par les sels sont laissés là en feu sur la route des marées. Ils flotteront dans le bleu de l’obscurité toute la nuit et disparaîtront dès les premières agitations au matin. C’est la Baltique, en octobre, une nuit, c’est un silence lourd cassé par le ronronnement des machines et le reflux des méduses qui capturent en leur ombrelle toute la lumière des étoiles dont elles se repaissent avides, exclusives, affamées, en ces heures creuses du monde. Elles ne partagent pas. Elles conservent jalousement le trésor précieux et dans une lenteur agressive et gracieuse, elles attendent la mort pour renaître. Les méduses se reproduisent lors de leur mort. Coefficients, force des vents et l’écume blanche qui dégouline alors de nos corps mouillés, souillés, à bout, c’est dans la vase maintenant que nos lèvres se débattent et nos langues abandonnées au vide et l’absence de sens fouillent et triturent la nourriture des méduses en espérant y retrouver leur jeunesse et les balbutiements des premiers instants, des premiers jours – les premiers mots, inlassablement.
Robert Piccamiglio – Le jour la nuit

Edward Weston – Fabrique de plâtres
je me souviens
il faisait froid
je dormais dans une chambre
de bonne
dans le quinzième
la journée
la nuit
je marchais dans les rues
je faisais les bars
les stations de métro
les quartiers à putes
à la recherche
de ce qui me semblait être
la vie
je ne l’ai pas rencontrée
souvent
alors je suis allé
demander à Dieu
pourquoi tout ça
pourquoi toute cette vie
en bas
froide et bruyante
Dieu n’a pas répondu
peut-être même
qu’il ne connaissait pas la réponse
il se contentait juste
de regarder ses souliers
propres et cirés
j’ai alors pensé
qu’il s’était
foutrement gourré
en inventant
ce que moi je voyais
toutes les nuits
mais comment lui expliquer
puisqu’il ne répondait pas
à mes questions
que personne n’était capable
d’y répondre
alors j’ai changé de chambre
j’en ai pris une
plus grande
avec plus de lumière
dedans
j’ai dormi la nuit
je suis sorti le jour
pour voir
si il y avait une différence
il n’y en avait pas
Xavier Galaup – Danse des sens
( Tikopia ( l’île aux images ), publiait en 2007, ce très émouvant « Danse des sens »
Je regarde tous ces visages de toi
nostalgie de ta bouche
Je regarde tous ces mots de toi
nostalgie de tes murmures
Je regarde tous ces habits de toi
nostalgie de tes courbes
Je regarde toutes ces photos de toi
nostalgie de ton insouciance
Je regarde toutes ces traces infimes
nostalgie de tes danses impromptues
se sont tues
sans un frôlement d’adieu
la détonation finale est venue avant
que je puisse reprendre ma respiration
tes phrases dansaient comme une marche militaire
mon corps courait pour s’asphyxier, refuser,
jusqu’à ce que la moindre forme de toi ait disparue
nostalgie de mes mots qui savaient te faire danser les sens
D’Reality – L’inévitable évidence
Voir le blog récent de D’Reality

peinture: Marlène Dumas - qui a eu une exposition importante à la dernière Biennale d'Art Contemporain de Lyon
L’inévitable évidence
février 21, 2012 in Du Velours et du Satin |, poésie
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En un instant je suis là, nue sous la pluie. Perméable au désir. Sans armes face à l’inévitable évidence.
En un instant, tout est compris, sans armure et sans peur. Les sens en éveil au silence, à la nuit.
Ce soir, les forces s’affrontent et nous épargnent leur lutte. Nous sommes hors du temps, là où le réel n’a pas d’emprise, là où se cacher est dérisoire, là où le mensonge est démasqué.
Nous sommes nus face à l’illusion. Plus présents que jamais.
Le corps comme seul carte, comme seul chemin. Sans obligation ni devoir, à l’instinct, à l’écoute… l’œil qui se perd et s’oublie. La main tendue sans attentes. Le frisson perdu sur la peau. Tout est neuf et tout est beau comme le secret éclos sous la caresse. Comme la vérité s’illumine à la vie.
Dans un souffle la clé du temps ouvre la porte et tout est comme avant, et rien n’est plus pareil. Dans nos yeux, l’élégance du silence… sans espoir ni oubli.

peinture: Richard Diebenkorn: l'homme à la fenêtre 1958, - à noter que ces deux reproductions proviennent du très beau blog de Weimar, qui associe art, photographies, par thèmes, vivement conseillé à la visite
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