Georges Jean – dans le désordre des choses

Les fruits sur la prairie pourrissent
Les sentiers mènent aux étangs
Où le ciel ouvre sa pulpe
Les dernières roses construisent
Le réseau profond de la mort
Les maisons prennent dans leurs mains
Les personnages de la brume
Nous sommes dans la chair du temps
Les arbres noirs de la nuit
Les oiseaux gris dans le matin
Il semble que le soleil
Va déchirer ces voiles blancs
Ainsi dans le matin du temps
Les paroles simples se lèvent
Alors éclatent les ailes
Se fendent les rameaux
Saigne l’Orient
Et quelques mots dans le silence
Permettent d’entendre la danse
Et rêver de l’Océan
Pour les regards du dedans
Les pierres sont en gésine
Au cœur de la forêt proche
Là dans les sentiers de silex
Le plaisir bat comme le cœur
Voici les traces les sillages
Les filles des longs retours
Et dans l’ombre d’alentour
Les absents se sont levés
Et le jour ouvre nos lèvres
Et les mots entrent dans les choses.
–
extrait de « parcours immobile »
un poisson au-dessus des dunes – ( RC )

Je me roule dans les mains de lune
glisse dans l’océan des rêves
je suis un poisson qui s’envole
au-dessus des dunes.
Ta poitrine de sirène
blanche et ta chevelure brune
sont celles d’une reine
au regard limpide.
Je vais planer, planer encore,
puis je retomberai
dans l’étendue liquide
l’instant d’une petite mort.
Ton corps d’or,
en devenir
connaît les sentiers secrets
des ressacs du désir.
Tu sais que l’on se noie
dans le plaisir,
mais je survivrai,
rien que pour toi.
RC – août 2021
Comme dans tes vers – ( RC )
Comme une grande forêt,
les arbres se cachent les uns les autres.
Je n’en vois que quelques uns,
d’autres se développent
et ont des formes étranges,
des couleurs insolites, ,
et je me perds
dans ses obscurs sentiers.
Comme dans tes vers,
une forêt de mots
où je me fraie
dans les petits espaces
que tu laisses découverts,
et je savoure un univers
en m’y glissant doucement,
et peut-être en m’y perdant.
–
RC- avr 2019
Formant une colonne chantante – ( RC )
photo perso – Burkina Faso
Il fallait que je marche
sur les sentiers secs
parsemés de pierres
et d’herbes sèches,
longtemps ,
depuis le village
– je n’en ai plus la notion –
pour arriver jusqu’au puits.
Il y avait un cercle de béton:
une rondelle comme une estrade,
où des femmes en pagnes
s’activaient à la pompe,
en exprimant la soif du monde :
il y a au village
toujours des bouches
qui demandent à boire…
Sous le soleil de l’Afrique.
l’ombre des manguiers ne suffit pas
à en tempérer l’ardeur….
Elles avaient la peau luisante
d’éclats d’eau et de sueur,
et riaient de me voir attendre,
empoussiéré,
une bouteille en plastique vide, à la main .
Elles s’apprêtaient,
quelquefois avec un enfant accroché au dos,
à prendre à leur tour
les sentiers secs
parsemés de pierre,
un gros bidon jaune,
en équilibre sur la tête
formant une colonne chantante .
–
RC – nov 2017
Roger Cibien – Où êtes-vous, bergers
J’aimais, j’aimais beaucoup rencontrer sur ma route
Les vénérables pâtres, lents à se confier,
Parlant à petits mots, avec des gestes de sorciers,
Dans l’immense silence, ils me disaient… Ecoute !
Et alors subjugué, effrayé par mes doutes
J’écoutais, le vent, la terre, les sentiers
Parler, jaser, siffler.
Le grand monde alors m’épiait
Mais le pâtre était là, expliquant ma déroute.
Mais les bergers sont morts …
C’est un fil électrique
Qui garde le troupeau.
Finies les images d’Attique,
Rompu le trait d’union de Dieu et des Bergers.
Les secrets de la terre, les mystères du ciel
S’arrêtent à un fil invisible et cruel !
Où êtes-vous Pasteurs ? Où êtes-vous Bergers ?
Roger CIBIEN ( extrait d’une anthologie de la poésie lozérienne )
Quelques pas vers les dentelles -1 – ( RC )
photo perso : « lieu dit « la grande Montagne »
J’ai risqué quelques pas
Sur les sentiers pierreux
S’écartant des voies tracées.
La végétation soufflait ,
Se reposait de l’été.
Même les vignes sommeillaient,
Et se paraient
d’ors et de rouges.
Les petites grappes tardives encore suspendues
attendaient les oiseaux de passage.
On ne pouvait les saisir
sans que les grains éclatent dans les doigts.
Il fallait les porter à la bouche
pour se gaver de leur suc épais,
Ne tardant pas , comme à aux doigts,
A poisser la bouche.
Entre les rangées,
des herbes farouches,
Heureuses de la suspension des traitements,
Recommençaient à pointer,
Se bousculant entre les blocs de pierre,
Eux, portant parfois
la trace d’anciens occupants,
Morceaux de fossiles en empreinte,
Comme pour dire la présence continue
D’une vie inscrite
en filigrane
dans les siècles.
–
RC – oct 2015
Ali Chumacero – De l’amoureuse racine
–
Avant que le vent fût mer chavirée
que la nuit eût attaché son vêtement de deuil
que les étoiles et la lune eussent établi dans le ciel
l’incandescence de leur corps.
Avant que la lumière,
ombre, montagne
eussent vu se lever les âmes de leurs cimes,
avant que quelque chose eût flotté sur l’air;
temps avant le commencement.
Quand l’espérance n’était pas encore née
et que les anges n’erraient pas dans leur fixe blancheur;
quand l’eau n’était pas même dans le savoir de dieu;
avant, avant, bien avant.
Quand il n’y avait pas encore de fleurs
sur les sentiers parce qu’il n’y avait ni sentiers ni fleurs ;
quand le ciel n’était bleu,
ni rouge la fourmi :
toi et moi nous étions déjà là.
–
Ali Chumacero dans dans Poésie du Mexique, traduite et présentée par Jean-Clarence Lambert
–
Irène Assiba d’Almeida – Ici et les ailleurs du monde ( africulture )
Ici et les ailleurs du monde
Lorsque tu auras parcouru
Tous les ailleurs du monde
Tu découvriras que le meilleur ailleurs
Est encore ici
A la fois appauvri
Et plein de richesses
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où naissent les Bouts de bois de Dieu
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où poussent les augustes baobabs
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où reposent les ancêtres protecteurs
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où bat ton cœur-soleil
Où vit ton âme-ébène
Où tes pieds connaissent les sentiers
Le meilleur des ailleurs
Est encore ici
A la fois appauvri
Et plein de richesses
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Et tu songeras
Qu’au fil du temps
On devient plus profondément
Ce que l’on est
Au fil du temps
On devient plus profondément
Ce que l’on est
Et tu comprendras enfin
Que le mot « racines »
Est loin très loin
D’être un *canari percé.
*canari : Afrique : récipient en terre cuite dans lequel on conserve ou transporte des liquides.
–
visible sur le site africultures.com
–
Bassam Hajjar – voyages et funérailles
Il n y a personne ici,
et ici
on n’appelle pas les tombeaux même
habités par les morts ceux
que les voyageurs laissent derrière eux tombeaux
mais points de repère
pour des voyageurs qui passeront par là
après eux
et laisseront à côté
une gourde, des vivres, des couvertures, et des traces de pas.
les Processions vers eux ne s’appellent pas funérailles
mais voyages,
les tombeaux au bord de la route
-mêmes inhabités ne s’
appellent pas tombeaux
mais mausolées.
(Comme si se présentait l’étranger, le passant, et laissait a
côté d’eux un foulard, un châle, un mégot, ou un caillou qu’il
choisit soigneusement comme souvenir, et puis qu’il jette sur
le tas de graviers et de pierres non pour laisser une trace mais
pour l’effacer car ni le mausolée n’est un point de repère, ni le
caillou ni l’étranger.)
Maisons improvisées dans l’étendue vide
pas encore achevées
et vides encore
d’ habitants.
Mais elles sont, depuis le commencement, habitées par le personnage
des souvenirs.
(Comme s’il n’y avait pas de mur et qu’avec cela, malgré cela,
on y ouvrait une porte. Comme s’il n’y avait pas de père, de
mère, d’enfants, et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
lits, des vases, des livres et une table. Comme s’il n’y avait pas
de salle de séjour et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
canapés, une table basse, une lampe, une télévision, des tiroirs
pour le papier à lettres, les journaux intimes, les numéros de téléphone,
les adresses postales, la note de l’épicier, la facture
d’électricité, la boîte d’aspirine, les stylos à encre, les crayons
à papier, le livret de famille, le vieux passeport, la boîte de
dragées et la vieille montre, la boucle d’oreille qui reste en
attendant de retrouver l’autre, le carnet, beaucoup de clés,
dispersées ou reliées par un anneau et personne ne se souvient
maintenant si elles ouvraient des portes et où sont ces
portes…)
ils ne s’appellent pas des tombeaux car personne n’y repose
de simples signes
celui qui passe, rapide dans sa voiture, tourne la tête vers eux
ou bien celui qui marche à côté d’eux,
distrait,
pas d’arbres hauts et plaintifs pour les entourer et les ombrager
pas de pierres debout
pas de noms
pas de murailles •
pas d’insignes
pas de sentiers.
Edifice d’un passage fugace ..
lorsque tu passes à côté de lui en t’éloignant
il s’amenuise doucement avant que le carrefour ne le dérobe
à tes yeux
avant que ne te dérobe à ses yeux
le carrefour.
Tu n’es rien
et ta parole est passagère, comme toi,
parmi des gens de passage
c’est pourquoi
je parle de moi,
moi,
qui ne passe pas souvent
dans ton horizon.
–
extrait final de « tu me survivras » ed Actes/sud 2011
–