Yves Heurté – Magdala – 11
peinture: El Greco – Marie-Madeleine en pénitence
La sentinelle se moquait :
« Ton amant couche au Golgotha.
Ne le réveille pas ».
Joie de nos guerres parfumées
plaisir de l’âme en tous les sens
montez à son calvaire !
Que sa souffrance saigne
à l’ivresse des souvenirs.
Ne m’oublie pas.
Toute beauté du monde
intacte est dans mes bras.
Andrei Tarkovski – Premier rendez-vous
image: montage perso à partir d’oeuvres de Jamil Naqsh
Premier rendez-vous.
Nous célébrions comme une épiphanie
Chaque seconde de nos rencontres.
Nous étions seuls au monde.
Plus hardie et plus légère qu’aile d’oiseau
Dans l’escalier comme un vertige
Tu dévalais les marches deux à deux
Et à travers les ruisselants lilas
M’emmenais dans ton royaume
De l’autre côté du verre miroir.
Et quand la nuit advint
Me fut octroyée la grâce.
Les portes de l’autel s’ouvrirent
Et dans la pénombre s’allumant
Lentement ta nudité me salua.
« Sois bénie… », murmurai-je
A l’éveil, sachant bien téméraire Ma parole.
Car tu dormais
Et les lilas sur la table tâchaient
A poser l’azur du ciel sur ta paupière,
Et ta paupière d’azur touchée,
Etait sérénité, ta main était tiédeur.
Dans le cristal, le pouls des fleuves,
L’envol des monts, la houle des mers.
Endormie sur le trône, tu gardais
La sphère lucide au creux de la main.
Et – Juste Dieu ! – tu fus à moi.
Tu t’éveillais, transfigurant
Le quotidien vocabulaire d’homme,
D’accents pleins et forts de ta voix
S’emplit et le mot « toi » livra
Son nouveau sens et signifia « Roi »
Métamorphosé, le monde, jusqu’aux
Objets rustiques, cuvette, broc,
Quand entre nous s’interposa
Une eau veinée et dure, en sentinelle.
Alors nous fûmes emportés je ne sais ou,
Comme mirages s’écartèrent devant nous
Des cités bâties par miracle.
A nos pieds se couchait la menthe,
Les oiseaux se plaisaient à nous suivre,
Les poissons remontaient les cours d’eau
Et le ciel bascula dans l’instant
Où le Sort nous emboîtait le pas,
Tel un fou qui empoigne un rasoir.
Arséni Tarkovski
Embrasser le monde, même à courte échelle – ( RC )
–
Avec quelques idées, des pas hésitants sur la berge,
Il se hasarde sur le seuil de l’existence,
Et quelquefois trempe son corps en entier,
Ou juste un doigt, histoire de « tester ».
C’est sûr, sa vue ne porte pas loin, pas plus
que la lueur d’une lampe de poche, pointée sans grande portée.
Nous dirons que c’est la nuit, ou un soir bien avancé.
Ce n’est pas un phare, qui fend l’obscurité.
Mais plutôt une luciole .
Une pensée qui jouit de sa propre lumière .
L’étreinte de l’extérieur, est un espace .
qui semble se refermer sur lui à mesure qu’il avance .
L’arbre était immobile , sentinelle de plein vent .
Une présence, qu’il aurait pu ne pas voir ,
s’il était passé une dizaine de mètres sur le côté .
En fait, la marche porte son propre aveuglement .
Il est difficile d’embrasser le monde, même à courte échelle,
Sans se faire porter par la lumière d’un astre .
Celle d’un livre, par exemple .
Sans être universel, le regard en sera plus étendu .
—
RC – nov 2014
L’observateur du tournant – ( RC )

photo Annabelle Chabert
–
Il y a des lieux comme ça,
Qui nous sont familiers,
On les emprunte si souvent,
Qu’ils s’incrustent dans l’esprit :
Telle pente,
et la lumière qui la frôle,
Tel arbre, sentinelle,
s’étoffe de feuilles,
selon les saisons, – et le serpent grisé
de la route ici, dans cette épingle à cheveux,
- la première des trois avant d’arriver au plateau –
Où le virage prend les couleurs du destin,
Le passé, le futur…
C’est à droite ? : Il faudra descendre,
faire attention à ne pas freiner les jours d’hiver,
quand le verglas guette…
– Et puis se poster là,
selon les jours,
au même endroit.
Poser l’appareil sur son pied,
précisément à la même place,
marquée d’une croix rouge.
Enregistrer tout ce qui se passe,
Que cela soit au petit matin,
ou à l’heure verticale
quand le soleil ne fait presque pas d’ombre .
Attendre…
… attendre qu’il se passe quoi ?
Qu’une biche traverse la chaussée, juste dans le champ de l’appareil ?
Attendre que les motards se succèdent ( le week-end),
se penchent pour mieux aborder le virage,
et compenser la force centrifuge
> ( notions de physique me restant du lycée ).
Pouvoir comptabiliser le trafic :
combien de véhicules se sont succédé ce mardi,
combien montaient, et d’où venaient-ils ?
( leur immatriculation ), et s’il y avait des camions parmi eux.
Attendre que la pluie cesse,
attendre que les engins curent les fossés,
que les employés municipaux
consolident la murette ?
Qu’une pomme de pin se détache et roule sur la chaussée,
selon la pente …
—
Je ne sais pas si se poster là, équivaut à être un témoin,
si jamais il se passe quelque chose
à observer les passages, et les transformations, du temps…
Je ne sais pas….
Peut-être Van Gogh non plus ne savait pas pourquoi
le chemin se sépare en deux,
dans sa dernière peinture, devant son champ de blé.
> Il était là, et c’est tout.
–
RC – juin 2015
–
ceci est une réaction à l’article « photographique » de Jean-Marc Undriener http://www.fibrillations.net/GYAANDS-TOUYANANTS
Mémoire debout ( RC )
C’est une pierre
Qui s’endort
Sous le soleil
Lourde de mémoire
Ce sont des hommes
Qui la réveillent
Et la charrient
Contre les pentes
C’est une pierre,
Un esprit, une sentinelle
Qui est dressée, solitaire
Contre le vent
C’est une énigme
Sa présence, jetant un défi
A la physique de Newton
Mais tu t’endors,
A son ombre, et à la tienne
Les papillons se posent
Comme ils se sont posés
Sur le menhir dressé
Juste à côté.
RC – 15 Juillet 2012
–
Décennies verticales , sous l’écorce ( RC )
sculpture-installation Giuseppe Penone ( jeune arbre révélé dans arbre adulte )-
Cache toi derrière les feuilles,
elles se sont, depuis , bien ouvertes
L’abîme au centre de ton angoisse
Est tapie au coeur de l’arbre
Et parfois, on peut l’entendre gémir,
avec les branches qui se poussent toujours plus haut,
à écorcher le ciel.
Son tendre aubier tourbillonne, avec les gels, et les vents
Et je me confondrai avec, saignant avec , les jours de tempête,
ou quand les hommes viendront abattre mes voisins,
à grands han de hache et de morsures mécaniques.
Je connais au coeur du tronc, la jeune pousse,
qui devint brindille, puis arbrisseau…
Elle s’est cachée , de même, sous d’autres écorces,
On peut supposer qu’il en est de même chez l’humain,
avec ses saveurs barbouillées d’années.
Cache toi derrière le tronc, que les frissons parcourent,
Sous les branches, comme des bras, porteurs de mains larges ,
abri des oiseaux de la terre, tant qu’il n’est pas
l’heure de migrations vers un ailleurs plus clément.
Mon aubier accueille ton front et imprime sa sueur de sève,
et de mousses… – tu y as gravé ton nom…
Témoin des décennies verticales, relié au sol par mes racines,
sentinelle au creux de la clairière, …
–
RC 30 juin 2012
–
Et petit commentaire sur Giuseppe Penone, qui est un des artistes les plus importants de la nouvelle scène italienne, et justement, tout son travail autour de l’arbre, de sa croissance, de l’arbre jeune révélé à l’intérieur d’un plus ancien… une prise en compte du temps ( de la croissance), et de la nature qui se modifie et occulte son passé… G Penone, travaille donc à « rebrousse-temps »…
Matités et brillances ( Rodin) – (RC)
Le regard parcourt matités et brillances
Qui se lovent dans les empreintes des mains
Elles ont saisi le bloc, trituré la glaise
Torsadé les corps, modèles –

Rodin: Cathedrale
En tensions musculaires, en force figée de bronze
Des pesanteurs de bures de métal
S’assourdit en creux, dérapages de lisses
La lumière joue des creux et des têtes
Mais n’arrête pas l’homme qui pense
L’homme qui marche et – dense
Car dense , le corps dressé d’un bloc
Un homme, un bloc, Balzac
Bronze, sentinelle de l’esprit
Indifférent à l’oxydation verte
Au jardin du parc, présence
Intemporelle, comme celle des mains
Les mains-cathédrale, la sculpture du vide
La césure laissée au marbre
Pour qu’en creux, la pensée respire, et soit…
Celle de Rodin, – et nous accompagne.
–
RC 25 avril 2012
–
The eyes runs through shine and matte effects
Which are coiled in the handprints
They seized the block, triturated clay
Twisted bodies, models –
In muscle tension, static strength of the bronze
Weight of the metal burdens
Is deafening hollow, smooth skids
Light plays between heads and hollows
But the thinking man does’nt stop
The man who walks , and – dense
Dense,because, upright body as a block
A man, a block, Balzac
Bronze sentinel of mind
Indifferent to the green oxidation
In the garden of the park, timeless presence
like the hands
Hands-cathedral, sculpture of the emptiness
The break left in the marble
For that , hollows, thought breathes, and will be…
That of Rodin – who accompanies us.
Là où mon pays te chante – ( du blog de bleupourpre )-
Viens,
Là _ Il y a
Ce chapelet de lumière
Que les doigts du ciel égrènent
Eternité capturée
Aux filets de la seconde.
Et l’oiseau
Détroussant de son chant
Les violons de l’air .
Viens
Là – Il y a
Le chemin de nos voix –
Des étendues jaunes
Débordant de jarres
Offertes à l’oeil du jour ,
Et des mers aux gants rouges,
Gémissant sous la clameur
Des aurores peuplées.
Viens
Là où mon pays te chante
Dans son apocalyse de syllabes
Là
Où la tension des mains
Se décrispe
Et s’enroule aux baisers des fougères,
Entrelaçant
Les sentinelles vivaces
De la trame de nos sangs.
texte issu de http://bleupourpre.canalblog.com/archives/2011/04/index.html, avec l’aimable autorisation de Nathalie, l’auteur…
photo ; ( montage à partir de photos perso de cabanes de plage au Portugal. )