Armand Robin – poème pour adultes ( XV )
XV
Il y a les gens à bout de force,
Il y a les gens de la ville de « Neuve-Usine »
Qui jamais ne sont allés au théâtre,
Il y a des pommiers polonais aux fruits inaccessibles aux enfants,
Il y a des enfants rendus malades par des médecins vicieux,
Il y a des garçons acculés au mensonge,
Il y a des jeunes filles acculées au mensonge,
Il y a des vieilles chassées de leur logement par de tout jeunes gens,
Il y a des épuisés mourant de caillots au cœur,
Il y a des calomniés, couverts de crachats,
Il y a des gens dévalisés dans les rues
Par de banals bandits pour qui on cherche une définition légale,
Il y a des gens qui attendent des paperasses,
Il y a des gens qui attendent la justice,
Il y a des gens qui attendent longtemps.
Nous réclamons ici, sur terre,
Pour l’humanité harassée,
Des clefs qui aillent avec les serrures,
Des logis pauvres mais avec fenêtres,
Des murs sans moisissure,
Le droit de haïr les paperasses,
De tendres claires heures humaines,
Le retour au logis sans danger d’être tué
Et la séparation toute simple entre ce qui est dit et ce qui est fait.
Nous réclamons ici, sur terre
(Terre pour laquelle nous nous sommes jetés en gage
Et pour qui des millions dans les combats sont tombés),
Nous réclamons les feux de la vérité, le blé de la liberté,
L’esprit en flamme,
Oui, l’esprit en flamme,
Nous le réclamons tous les jours,
Nous nous plaignons à partir du Parti.
(Armand Robin) (1955)
Jorge Luis Borges – les choses

photo: CoreyS5
Le bâton, les pièces de monnaie, le porte-clés,
la serrure docile, les lettres tardives
qui ne seront pas lues dans le peu de jours
qu’il me reste, les cartes de jeu et le tableau,
un livre, et, entre ses pages, la violette
flêtrie, monument d’un soir
sans doute inoubliable mais déjà oublié,
le rouge miroir occidental dans lequel
une illusoire aurore brille. Oh, combien de choses,
plaques, seuils, atlas, tasses, épingles,
nous servent d’esclaves tacites,
aveugles et si étrangement discrets !
Elles dureront au delà de notre oubli;
elles ne sauront jamais que nous sommes partis.
–
Traduit de l’espagnol par E. Dupas
–
Saïda Mnebhi – brûler les lourdes portes
–
image: volutes virtuelles – capture d’écran
-Saïda Mnebhi, opposante aux régimes d’oppression qu’elle vécut au Maroc, écrit, > une année avant qu’elle ne succombe, en 1978, à une longue grève de la faim :
–
« Je veux rompre ce silence, humaniser ma solitude
Ils m’ont désœuvrée pour que rouille ma pensée
et que gèle mon esprit.
Mais tu sais toi que je chéris, que tel un volcan qui est en vie
Tout en moi est feu… pour brûler les lourdes portes
Tout en moi est force…pour casser les ignobles serrures… et courir près de toi… me jeter dans tes bras ».
–
d’autres poèmes de cette auteure peuvent être consultés ici: A
——————-> et là; B
–