Plume – (Susanne Derève) –

Gratte, gratte le papier plume bavarde tandis que je griffe la terre froide pour y enfouir la promesse de vie. Sève, qui cheminera vers le soleil tandis que tes mots candélabres s’abimeront dans l’encre noire du poème.
Pierre Bergounioux – Liber

Des acceptions primitives du mot liber, un seule a survécu : le livre.
Mais elle combine toutes les autres. C’est à la chose de papier de dispenser l’ivresse, la sève, la liberté que la réalité contemporaine a exilées.
Il y a un goût amer au temps que nous vivons. Mais il contient, comme chacun des moments dont notre histoire est faite, une requête intemporelle.
Il exige que nous tâchions à réaliser, quoiqu’il advienne, la forme entière de notre condition.
Quand les choses qui exaltèrent Rimbaud, l’oiseleur, l’enfant-fée, ont déserté le paysage, c’est au livre qu’il appartient de prodiguer aux enfants leur dû imprescriptible d’images, d’errances, de rêves et de beauté.
Élagueur des clairières – ( RC )

Élagueur des clairières,
sais tu que tu défriches
le langage
autant que le feuillage ?
Tu puises tes mots
dans la lumière accrue,
et fixe l’ombre des ramées.
Il faut goûter la rigueur des hivers,
réciter les strophes
comme autant de bois coupé,
tout ce qui a subi les songes
et la pluie ;
violence du gel
traversant le chant de plume,
sa violence sourde
qui détache l’écorce
et retire la sève
pour n’en garder
que l’essentiel.
Et les oiseaux strieront
de nouveau
la peau du ciel.
Répandre des étoiles – ( RC )
L’origine des temps
se perd dans le lointain,
et la nuit clignote
de myriades d’étoiles,
qui nourrissent les rêves.
Tu as arpenté les terres nues,
les chemins creux,
en recueillant dans tes bras,
comme tu le souhaitais,
les moissons du ciel.
As tu réussi à capter
l’un d’entre ces astres
lors de tes dérives buissonnières,
qui t’emportent
loin de la lourde glaise des jours ?
La bonne étoile te suit alors,
et la bonne fortune
te précède dans le parcours des dunes
même dans la nuit la plus noire
juste quand tu t’endors…
Tu confies tes espoirs
en traçant un bout de route
dans les figures de zodiaques,
qui se reflètent ( on s’en doute )
dans des flaques.
Mais le lendemain
fait pâlir les rêves,
comme si des branches,
se retirait la sève
au petit matin…
Crois-tu que c’est lui qui les a tués
et que les étoiles s’enterrent,
de façon que la journée,
ne puisse les toucher,
ni personne les atteindre ?
En fait ils ne vivent que la nuit,
lorsque disparaît le soleil
et il n’y a rien qui les remplace
jusqu’à ce que le sommeil
arrive pour les repeindre
mais l’étoile que tu as choisie
va te guider sur ton destin
même si on ne la voit pas,
tu répands des fleurs avec tes mains
et la glace fond sous tes doigts.
Sylvia Mincès – cauchemar en paradis
Peinture: Maria Brzozowska faiseurs de vent
flèche ambrée transpirant d’une sève agonisante tandis qu’elle est broyée…
Sillon de disque gémissant sous la brûlure su saphir…
Prairie de trèfles sanglotant, en proie à une monstruosité carnassière de tondeuse…
Camel entre deux doigts expirant, sitôt ses volutes de souffrance évanouies…
La porcelaine, délicatesse lunienne, se contracte sous l’étreinte violente
d’un potage d’hiver cependant que la cuillère à dessert
frissonne dans la splendeur fondante d’un sorbet à l’orange…
Un caillou de conte de fée tué sur le coup par un dunlop sp sport :
« Petit albâtre, tu as eu de la chance ! »…
…Bouquet d’horreur titanesque qui s’ouvre
et se referme, au gré de convulsions insaisissables..
Silencieuse, j’attends…
Je ne m’étendrai pas sur mon lit, il va hurler.
Marine Laurent – Femme de papier
peinture: Egon Schiele
–
Suis une femme de papier
De celui dont on fait les arbres
Et j’ai puisé à leur aubier
Et mangé leurs feuilles vivantes
Arraché l’écorce du fût
Pour tenir debout à ma table
L’hiver sur du papier glacé
Je laisse mes traces effaçables
La sève qui coule des doigts
Trace des mots sans importance
Je flotte au vent car mes racines
Courent à peine sous le sable
Suis une femme de papier
Qui se froisse à moindre risée
Qui brûle à petite flambe
Dans un foyer désaffecté
Mais si l’oiseau à ma fenêtre
Vient poser une plume blanche
Je sens mes folioles renaître
Et la plante à mon encrier
Je partirai sur une branche
Emportée par nuit sans étoile
Et vous dirai dans mon absence
Ce que j’ai laissé sur la toile.
Greffées contre le mur de la nuit – ( RC )
–
Tu pénètres dans une forêt particulière,
où les arbres sont des mains
fichées dans le sol,
remuant dans le crépuscule du quotidien.
Et le fil tendu des lignes blanches,
des tracés des avions,
que les doigts ne peuvent pas attraper .
Ils saignent d’une sève incolore,
ne pouvant se refermer que sur l’air,
dont l’atmosphère trompe sur son épaisseur,
habitée des ombres du soir.
Il reste le vol noir des oiseaux
qui ne renonce pas, à leur échappée,
et se joue du mouvement maladroit des mains .
Elles se referment de lassitude,
comme ces fleurs lorsque la lumière s’éteint ;
Plantes étranges rétrécies d’un coup par la terre ,
Le corps dissimulé.
Peut-être incarné dans un sol,
parcouru de longs filaments sanguins,
racines bien fragiles, prolongements d’un coeur lointain .
Il faut s’attendre à ne trouver demain,
que des manches , au tissu raidi par le froid,
et des gants vidés de substance,
mous et inertes ,
Comme si la greffe
n’avait pas réussi
à franchir le mur de la nuit.
–
RC – juill 2015
Le cŒur dessiné me souriait , de ses larmes de sève – ( RC )
La chevelure sauvage des arbres
s’est couchée sur le sol.
D’autres se consument
en fumées bleues.
Des branches sectionnées en petit tas ,
j’ai vu, au milieu de la sciure,
Les billots du grand platane,
Où nous avions gravés nos noms.
Le cœur dessiné, me souriait,
Même avec ses larmes de sève,
de l’aubier blessé,
en une sorte de dernier adieu.
–
RC – mai 2015
Deux-bout dans le vent – ( RC )
—
Debout dans le vent
Tronc contre tronc,
Deux arbres —
Marient leurs branches,
Echangent sans doute,
Un dialogue que l’on n’entend pas,
Ecorce lisse,
Contre peau rugueuse
Deux espèces,
deux langages cohabitent,
Par leur sève
Racines imbriquées,
Les unes dans les autres.
Ou bien s’agit-il
D’une lutte silencieuse,
A longueur de siècle,
Un seul sortira vainqueur,
Se nourrissant de sa mémoire,
Laissant ce qu’il en demeure,
Aux insectes,
Découpe d’une silhouette
Libre de ses feuilles,
Sculpture éphémère,
Dans un ciel,
Ou l’orage succède à l’azur,
Le jour, à la nuit ( comme il se doit ).
–
RC- août 2015
Marie-Madeleine Machet – la fête du monde
peinture : P Bruegel le jeune
Tous les printemps aujourd’hui sont éclos
Mille ans d’espoir entr’ouvrent leurs paupières
Mille ans pour le bonheur de sèves éclatées
à la fontaine où s’épuise l’hiver,
Le jour ondoie et lustre
les vivants nouveau-nés.
La fête est commencée.
Le monde-roi danse avec la lumière
s’enivre de soleil.
Les fleurs animent leurs couleurs
les vents soufflent sur la terre
les nourritures du ciel.
Hâte-toi, c’est ton tour
pour le bonheur qui passe.
La fête est commencée pour toujours
mais toi, c’est ton instant,le seul.
Marie-Madeleine MACHET « Les Fêtes du monde »(éd. Seghers)
Quelques indices de notre cécité – ( RC )
–
C’est être debout sur le sol,
Regarder l’herbe ployer sous le vent,
Ecouter le bruit froissé
Des feuilles du marronnier,
Fatiguées de l’été,
Et dont la rouille
Sous les pas, roule….
Ainsi, le cours des choses,
Lié aux saisons …
Mais s’arrêtent-elles,
Là où se porte le regard ?
Le chant de la sève est silencieux,
Qu’elle se recroqueville dans le froid,
Ou au printemps, éclate de joie…
Sous le sol tout existe autrement.
Les rongeurs creusent leur univers,
Les graines attendent le bon moment
Pour bondir à l’air libre,
Et des racines traîtresses
Etendent leur complot de trame,
Comme si elles avaient le pouvoir
D’étendre leurs yeux ,
Au plus obscur de l’espace,
Perçant la densité de terre,
Jusque sous nos pieds,
– Et nous n’en savons rien – ,
Comme si une vie souterraine,
Se poursuivait à l’abri de l’air,
Une lutte infinitésimale,
Conjugaison de bactéries,
Radicelles, et alchimie de bois :
Quelques indices de notre cécité.
–
RC août 2015
Être et arbre – ( RC )
Tu voles de branche en branche,
Dans ton mouvement, secouant la rosée,
Accrochée sur les feuilles.
Je veux te rejoindre.
Tu n’es pas si loin .
Je fais quelques pas dans le jardin .
Je suis sous l’arbre où tu t’es assise.
Celui-ci est couvert de mousse.
Je m’appuie dessus, et ma main s’enfonce,
Elle disparaît.
Le tronc m’appelle ainsi.
Mon bras suit la main.
Plus loin.
Comme si une porte s’ouvrait.
Jusqu’alors dérobée au regard humain.
J’y entre tout entier.
La porte se referme,
Je n’y vois plus rien.
Juste quelques rais de lumière
Passant dans les fentes du bois.
Il se passe quelques heures,
Il y fait humide et chaud.
J’y suis bien.
Je n’entends plus ta voix.
J’ai dû tomber dans un profond sommeil.
Je me réveille.
Je veux bouger.
Ce n’est pas la peine …
Toute une série de fibres m’enserre,
Me relie à l’intérieur.
De mon corps des excroissances
Venues des épaules, de mes doigts,
Font corps avec le creux que j’habite.
Mes cheveux se sont fondus
Dans une écorce intérieure moelleuse.
Je ne cherche pas à me débattre,
A retourner d’où je viens.
D’abord je ne le pourrais pas.
Je m’habitue à d’autres sens,
D’autres sensations,
Et celle toute particulière,
Du sang, remplacé peu à peu
Par la sève, qui me traverse.
Elle monte en moi,
Par les racines,
Que j’arrive à situer…
Mieux… à sentir
Une sève légèrement amère et sucrée,
Fluide, très fluide…
D’instinct je sais la distribuer,
Identifier les branches,
Le poids du feuillage,
Et d’où vient le vent.
Tu es assise assez loin du sol.
Tu as ta place favorite.
De temps en temps tu t’envoles,
Mais reviens me rendre visite.
Tu sais que mes mains sont larges,
Et que je t’attends.
–
RC – oct 2014
–
Seyhmus Dagtekin – Au fond de ma barque
.
Quand tu te retires du monde
Le monde ne s’arrête pas pour autant
Ne se retire pas
Quand tu vas dans le vaste monde
Tu ne deviens pas vaste pour autant
Quand tu te prives de la multitude
Tu n’occupes pas pour autant ta solitude
Tu ne l’élargis pas
Quand tu te chasses du bruit
Tu ne découvres pas pour autant le silence
Quand tu te coupes les branches
Tu n’augmentes pas pour autant
La sève qui irrigue ton front.
S D
Attente d’avril, et des oiseaux ( RC )

peinture: John Constable : Rainstorm over the Sea
C’est comme l’attente,
Le silence,
Qui précède le souffle,
Le gris plombé,
Avant que les premières larmes
De l’orage – fouettent le sol.
Il y a du froid,
Sous le calme apparent,
Sous le gel qui retient les fontaines,
Et la sève des arbres
Qui s’est retirée,
Une tension, – l’attente
L’attente d’avril, les giboulées
Secouant le silence, fantasques
Même sous la voix du vent,
Et bientôt les chants croisés,
Des oiseaux, reprenant
Possession du pays.
–
RC – 7 mai 2013
–
inspiré de Nath: voir ses « tentatives de lumière »
–
Brigitte Tosi – Et si tout disparaissait ( suivi de ma « réponse » )
–
Et si tout disparaissait
La sève de nos arbres
Celle de nos vies
Les traces de nos pas
Les flocons de poussière
Le trop plein du regard
Le silence du ciel
L’ombre des lumières
Prolongeant nos fenêtres
Le poids de nos enfants
Endormis sur nos joues
Si rien ne profilait
Notre horizon muet
Qu’adviendrait-il du mot
De la beauté du monde
Tendus haut par les mains
Du poète tremblant ?
B T. 19 juillet 201
—
Si rien ne profilait
A l’ horizon muet
Les mains du poète
Modéleraient le monde
Et des flocons de poussière
Recréerait, de lumière
La beauté du monde,
Un nouveau chemin,
Et les premiers pas
Inventés des enfants
Que nous sommes.
RC – 25 novembre 2012
Roland Dauxois – Circonférence des exclus
sève chaude en nos veines,
cette vie se précipitant
en ce vaste corps incarcéré.
Chant de mise au tombeau,
chute d’un homme pour une parcelle de terre brûlée,
chant où se pleure l’arbre et la mer.
en ces usines du ciel,
armées d’encre et de fer,
trafiquantes de venins
œuvrant pour des cieux mécaniques.
« Circonférence des exclus »
–
Ombrelles au sol (RC)
Des géants de vie, aux larges ombrelles
il ne reste que le silence après la coupe, un semis de copeaux, éparpillés, encore collants de sève, un fouillis de branches emmêlées de leur parure inutile , et un ensemble de bûches soigneusement empilées, sans espoir de printemps .
Devenue trop étroite pour que se croisent sans effort les véhicules,
la route aux platanes ne donnera plus son ombrage au soleil provençal.
L’arrogant décret administratif, un trait de plume , a permis de mordre dans le végétal, au hurlement têtu des chaînes de tronçonneuses, dans les vapeurs d’essence, à défaut de vapeur des sens,
et seule l’acre odeur des feuilles et branches, et écorces arrachées dans la chute.
René Char – Nos paroles sont lentes
Nos paroles sont lentes à nous parvenir, comme si elles contenaient, séparées, une sève suffisante pour rester closes tout un hiver ; ou mieux, comme si, à chaque extrémité de la silencieuse distance, se mettant en joue, il leur était interdit de s’élancer et de se joindre. Notre voix court de l’un à l’autre ; mais chaque avenue, chaque treille, chaque fourré, la tire à lui, la retient, l’interroge. Tout est prétexte à la ralentir. Souvent je ne parle que pour toi, afin que la terre m’oublie

Georges Braque, peinture "L'envol "
Ernest Bloch -Le regard de nos masques
samedi 26 novembre 2011, Monique éditait ce bel article que je reprends à mon compte, et associé au « Perfect day » de Lou Reed ( désolé, Monique, tes images de bois ne « passent pas », avec Overblog… je vais donc tricher un peu… )
peinture; aquarelle perso, sur un masque féminin, ethnie Dan ( Côte d’Ivoire)
Le regard de nos masques
» Les Noirs ont gardé jusqu’à aujourd’hui des dieux de vie sculptés en respectant le bois, ils firent ainsi passer la sève dans des manches d’outils, des armes, les poutres des maisons, les trônes, les idoles. Leur volonté de magie, leur désir de se métamorphoser, de pénétrer dans les sphères supérieures de la création produisent avant tout le masque qui élève surnaturellement au rang d’animal ancêtre de la tribu, de totem et de tabou organiquement abstraits ; notre visage futur s’y annonce, mais le Christ n’éclaire pas encore ; il n’y a que le rougeoyant démon de la vie, mais celui-ci règne de manière inconditionnelle dans ses naissances oniriques, dans ces sombres systèmes plastiques de la fécondité et de la puissance » . Ernst Bloch
Il m’est essentiel que le regard de l’autre tente de pénétrer jusqu’à mon âme.
et que je lui rende ce regard!
Tout existe le temps d’un regard. Regard sur une fleur éphèmère,regard sur le fond d’un tiroir, oublié – retrouvé.
Regard pour une pierre d’un cimetière oublié, regard sur un silex soulevé d’une terre anté préhistorique.
Regard sur un enfant , force de vie. Regard toujours plus loin. Le regard abolit la distance.
Il plonge dans l’essence des choses ..antédiluvien.
- peinture; aquarelle perso, sur un masque féminin, ethnie Dan ( Côte d’Ivoire)