Imaginons les Ménines – ( RC )
Peinture: D Velasquez – las Meninas – partie gauche
C’est une salle assez obscure,
qui sert d’atelier ;
en tout cas, on n’identifie pas
la source de lumière,
ni ce que le peintre esquisse,
puisqu’il est de face.
De la toile, juste le chassis,
de dos, posée sur un lourd chevalet.
Autour de lui, gravitent ses modèles,
assemblés comme pour la parade .
L’infante Marie- Thérèse ,
en robe bouffante .
Elle est entourée de ses serviteurs
aussi en habits d’époque
dans un ballet immobile.
Le chien allongé ne semble pas concerné.
Ils nous font face,
étonnés de notre regard,
entrant comme par effraction,
alors qu’au même moment,
une échappée se dessine,
un personnage ouvre une porte,
et franchit quelques marches,
au fond de la salle…,
Parallèlement à cette ouverture,
si on observe bien,
un léger reflet,
renvoie , avec le miroir,
l’image du couple royal,
comme si la vision que l’on a
de cette scène était celle,
captée par leurs yeux.
L’artiste poursuit son travail .
Il est masqué en partie
par la peinture,
et rajoute un détail.
C’est peut-être nous,
qu’il inclut dans la scène,
traversant les siècles
pour y entrer de plein pied !
De celle-ci, on ne saura jamais rien,
car il faudrait un autre miroir,
pour jouer la mise en abîme…
….. et Vélasquez ne l’a pas encore peint…
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RC – mai 2017
Je savais comme tout le monde, ce qu’est la mer – ( RC )
Je savais comme tout le monde, ce qu’est la mer.
J’étais allé au bord, j’avais sauté de rochers en rochers, ramassé des coquillages sur le sable,
même traversé une partie pour aller sur les Hébrides, sur un vieux rafiot , sentant le gas-oil.
Je savais.
Ou plutôt je ne le savais pas, avant d’en connaître l’étendue profonde,
avant qu’elle n’enserre mon corps, avant qu’elle n’enserre mon coeur,
avant de plonger plus profond et que petit à petit la lumière renonce,
que les pupilles grandes ouvertes ne voient que des ombres sur l’ombre,
ressentent les frôlements lisses des animaux évoluant, dans leur silence liquide…
Bien entendu je suis revenu à la surface, comme un ludion
après avoir subi cette étreinte, et la peau amollie blanche,
semblerait-il plus blanche qu’avant. Ou bien était-ce le froid ?
et je redécouvrais ainsi ce qui flotte à la surface.
D’abord l’air , qui pèse plus que l’on croit.
Ce qui bouge et qu’on voit ( après l’aveuglement du retour à la lumière),
ne serait-ce que le trait tendu d’un avion, passant au-dessus des nuages,
le tracé de la côte, les triangles gonflés des voiliers .
Une résurrection après l’exil.
Par rapport à un rendez-vous manqué, une sorte de parenthèse
hors du monde connu . Tout ce qui est en-dessous,
et vers quoi il faudra un jour retourner, puisque tous les êtres vivants
ont la mer pour berceau originel :
Une immense conque, dont on s’échappe, un temps,
pour s’y enfouir à nouveau, et y renaître,
passager de l’eau et le corps poreux, rattrapé, ballotté par les courants,
alors qu’au-dessus, passent les siècles et les tempêtes .
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RC – nov 2015
La figure de proue , interroge les siècles – ( RC )
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Quelque part dans le manteau d’eau
Se rencontrent des formes,
– elles n’ont rien de géométriques –
Assouplies aux contacts des courants,
Elles glissent, parfois l’une à côté de l’autre,
Se regardent avec curiosité,
Des cousins lointains,
Dont on aurait oublié la langue…
Et puis ces hommes carapaces,
Se risquant à quitter la terre ferme,
Et reliés d’un tuyau à l’atmosphère
Du sable meuble sous les semelles de plomb,
Communiquant par signes,
Intrus en scaphandriers,
Frôlés par des raies manta,
Aux lentes évolutions sombres.
Les rubans d’algues pendantes,
Les lumières feutrées d’un soleil
Remué de vagues, – plus haut –
Les bancs de poissons argentés,
Jouent, furtifs ,
Dans le gîte de l’épave d’un voyage arrêté
Dans le silence liquide,
Il y a trois cent années.
Les humains d’aujourd’hui, inspectent sans scrupule,
Le vieux navire , de coquillages incrustés ,
Et ces longues années , au sens propre , écoulées,
Eléments étrangers, venus crever la surface lisse
Du secret des eaux… réunis…un peu comme la rencontre ,
Sur la table de dissection – de Lautréamont
D’une machine à coudre et d’un parapuie.
Le regard vide de la figure de proue , interroge les siècles.
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RC – février 2014
L’histoire cohabite sa géographie – ( RC )
Du creux ombreux aux pentes neigeuses,
Le parcours des siècles,
Des pays conquis, esclaves soumis,
Il n’est plus de paroles audibles,
Et des routes détournées,
A faire taire la voix des peuples,
Quand la vague redescend,
Et conduit, du sommet à l’abîme,
Les hommes blessés,
Envahisseurs ou envahis, ;
Ils finissent par se confondre,
Et s’imbriquer, au point,
Que les origines,
Se perdent dans la nuit des temps,
Et de la géographie,
Qui, à quelque chose près,
A toujours ses montagnes,
Et ses îles en place,
Malgré les accidents de l’histoire.
(texte créé en « réponse » à celui de Norbert Paganelli- lien ci-dessous)–
STRUGHJERA / DÉLIQUESCENCE
Kiril Kadiski – Par là les siècles sont entrés dans nos jours.
Peinture: Emil Nolde
Par là les siècles sont entrés
dans nos jours… Quelque chose de miraculeux au loin :
la lune pourpre frissonne et court à travers des nuages déchirés,
mais de ses branches sèches un peuplier l’attrape –
coquelicot déchiqueté qui flamboie
au milieu du blé par une chaleur sombre et immobile…
Silence partout. Enfin tu vas rentrer.
Pendant longtemps tu resteras éveillé, les paupières lourdes.
Dehors, le couchant dégouline sur la vitre humide. Déjà vide,
la boule de verre qui roule à l’horizon jette ses reflets dorés.
Encore un jour de passé. Mais qui s’en est aperçu ?
Kiril Kadiski
Luce Guilbaud – l’instrument du temps et ma bouche
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toujours extrait de « la chair à vif des roses » (1978)
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Les hommes s’engloutissent dans leurs yeux refermés longs escaliers de l’ombre au fond gît la clarté.
Pour le dire je n’aurai d’autre instrument que le temps et ma bouche
aux paroles de pierres friables polies roulées
usées par le temps gangue émaciée à cœur
la mort le mot solide et lumineux le temps l’oeuvre au noir
creuset de l’or pirate de la boue au miracle
peinture: Hans Hofman Berkeley
Pour le dire du matin au volcan de la racine
à la torture du bâillon au silence
Pour le dire j’aurai l’amour immobile et ce temps qui est le tien
et qui concorde avec mon temps quelque part entre le scintillement
et l’étoile qui file l’instant.
Chemin de soif entre deux eaux
chemin de soir et de ciel plein mornes fossés
où les yeux d’ancolies arrachent aux départs
un peu de paix jusqu’à la tour où s’arriment les siècles
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