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Mon manège à moi, c’est toi – ( RC )


Tu m’attends
comme sera le retour
de l’oiseau bleu,
qui traverse le silence
un jour pluvieux
la corolle de ta jupe
du dimanche
accrochée à tes hanches .

Tu seras
cheveux au vent,
emportée par le manège,
solitaire,
au son de l’orgue de barbarie,
sur un cheval blanc
à pompons rouges.

Tu m’appelles souvent,
murmures de lasure,
une voix très douce
traverse le téléphone,
et le temps tourne sur son axe,
je te devine
cheveux au vent
dans le manège.

Tu ne me vois pas :
je suis dans la calèche bleue,
qui tourne en rond.
Mon ciel a la clarté de midi,
le soleil est revenu
dans tes yeux éblouis :
la musique a changé :
c’est la chanson de Piaf

Elle nous tend ses bras
qui n’existent pas.
Ton cheval blanc
bascule doucement .
Nous pensons très fort à l’oiseau bleu
tout en allant de l’avant
Tourne , tourne manège !

Mon manège à moi, c’est toi…


Jacques Mer – L’inexorable ( extrait )


dessin Martin Beek – msée d’histoire naturelle d’ Oxford

Ô Federico
Dix mille tonnes de silence pèsent sur ta poitrine
Ta vie un désert de feu signé d’absence
Tes regards remontent les foudres à la renverse
Métropolis de songe et de sang
Regards tournant à mille tours minute
Sous le couperet de l’angoisse
Visage comme on crie au feu
Ton corps est transparent d’attente
Torrentiel tocsin de secondes
L’instant éclate soudain comme un œuf
De fous tunnels de clameurs percent ta chair
Et le ciel se lève tout droit en criant
Ton épaule par où tu t’appuyais aux autres
Fraternel
Soudain tombe de toute la hauteur des astres Le monde explose

O Federico
la tête est lourde comme un monde
Cernes des yeux défaits en des typhons d’éléments seuls
Regards à l’intérieur dévoré
ton sang comme une substance de totale douleur
ciircule à travers tes veines
Musclées encore du fou effort de vivre
Et l’horreur court tout le long de ton visage
Comme une grande phrase sans point ni virgule
Ton corps n’est plus attaché qu’à l’extrémité en feu de l’existence
Souvenirs lessive de cris nus Arrachée à l’orage muet du cœur
O Federico que tu es seul dans ta mort
Personne pour t’accompagner pinçant le cœur fou des guitares
Pas même le vent bleu musicien
O mort perdu dans des déserts de fin du monde
Mort qui erres par les territoires de l’impossible
Sous de cruels vocables de glace
Des voyelles de soleil pétrifié
Tu remontes comme un aboiement le long du temps
Les frontières chancellent se descellent
Autour de toi tu sens déjà le gouffre vertigineux de la matière

L’immense rumeur d’océan du règne minéral
Tes pensées lentes fougères arborescentes du néant
Sont prises de douceurs terribles et pures
O mort déjà engagé à mi-corps sous les arcanes de l’éternité
Visage désormais dans sa vérité première
Débarrassé de l’instant et du cri
Visage pris soudain de la folle unité de l’eau

O Federico tu ne connais plus du monde
Que les forces inversement proportionnelles
A l’illimité de ton amour

O Federico
Voyageur des espaces de la mort
Avec mille ponts coupés derrière toi
Et dérivant
L’espoir est à telle distance
Que chaque geste s’annule dans la vanité même de tout
[effort
O Federico la mort est désormais en toi
Comme une rivière qui coule sans eau un oiseau
Qui vole sans ailes
Comme un carrefour de femmes
Qui crient sans voix dans le vent
La distance devient immense entre tes yeux
Où l’on pourrait faire tourner les mondes

curieusement on ne trouve rien sur le net sur cet auteur…


Vers l’îlot de silence – ( RC )


C’était comme une carte à peine visible,
comme une espèce de dessin relié par des points,
tel qu’on le voit sur les albums d’enfants.

Des nymphes et des cygnes étaient les figures à relier
( d’une certaine manière, comme les étoiles d’une constellation ).

Alors qu’il faisait presque noir, le plafond semblait s’être éloigné,
les piliers effacés, presque engloutis par l’ombre.

Je progressais à tâtons vers la seule fenêtre ouverte,
où pénétrait un rayon de lune.
Mes pas soulevaient une épaisse poussière,
semblant prisonnière de cette portion de ciel,
coupée de grands faisceaux lumineux.

La demeure était isolée dans un îlot de silence
contrastant avec l’extérieur.
Une foule immense ondoyait à la vision d’un film aux reflets changeants,
selon l’intensité de la projection et du mouvement de ses images .
les nymphes en étaient absentes.

RC –  août  2020  –   à partir  de deux extraits  d’Eugenio Montale


Rainer Maria Rilke – Le livre d’heures –


.

_ Tu vas et viens. Les portes se referment

avec plus de douceur, et sans un souffle presque.

Tu es de tous le plus silencieux,

qui vont par les maisons silencieuses.

.

On peut si bien s’habituer à toi

qu’on ne relève plus les yeux du livre

quand ses images s’embellissent,

bleuissant sous ton ombre ;

car les objets te font écho sans trêve,

mais tantôt en sourdine et tantôt à voix haute.

.

Souvent quand je te vois en songe

se multiplie ta stature totale ;

tu vas comme un troupeau de clairs chevreuils

et je suis la ténèbre et la forêt.

.

Tu es comme une roue et je me tiens près d’elle :

de tes nombreux essieux obscurs

sans cesse il en est un qui redevient plus lourd

et se tourne un peu plus vers moi,

et mes travaux consentants croissent

de retour en retour.

.

.

Le vent du retour

traduit par Claude Vigée

Arfuyen


Antonio Gamoneda – Cecilia


Tu dors sous la peau de ta mère et ses rêves pénètrent dans tes rêves. Vous allez vous éveiller dans la même confusion lumineuse.

Tu ne sais pas encore qui tu es ; tu demeures indécise entre ta mère et un frémissement vivant….

…Entre en ta mère et ouvre en elle tes paupières,

entre doucement dans son cœur ;

Redeviens fruit dans le silence.

Soyez comme un arbre qui enveloppe la palpitation des oiseaux

et il s’incline, et en descendent le parfum et l’ombre….

plusieurs textes de cet auteur sont visibles, en traduction française sur le blog d’Ahmed Bengriche


Michel Foissier – hombres dans l’ombre des révolutions


hombres dans l’ombre des révolutions
il construit une échelle de bois blanc
une volée de marches pour voler à nouveau
escalier qui porte à la porte des femmes
chambre où se découvre le pot aux roses de la mémoire
aveugle écossant des images de papier glacé
ses doigts révèlent des héroïsmes de soldats de plomb
il rêve de ce miroir obscur où se reflète une étoile
araignée d’argent dans la gourmandise de sa toile
chapeau de feutre visage de plomb
il est cousu dans un linceul de silence
et puis dans la douleur d’un petit lit de fer
chemise tachée de sang
avec lui nous tombons la face contre le mur
dans le pressentiment du petit jour


Nous écoutons cette cantate (RC ) – Que le monde soit ( SD )


retable Chartreuse de la Sainte-Trinité de Champmol  ( Dijon )

Je t’ai vue à travers la musique .
Tu dansais comme dans toi-même
au son de ces voix,
habillées de pourpre,
et qui s’élevaient
jusqu’aux voûtes,
donnant un peu de chaleur
aux âmes qui ont froid,
dans le parcours des leçons de Ténèbres,
où l’on mouche les chandelles
une à une, jusqu’à ce que
l’obscurité pèse
son poids de silence .

Je t’ai vue à travers la musique ,
tu étais loin, mais proche pourtant ,
tu avais tracé mon nom sur le carreau de la vitre,
et nous écoutions la même cantate,
comme si je te tenais la main
et, les yeux fermés,
les harmonies se croisant ,
offraient au jour naissant ,
la lumière vibrant ,
avec l’avènement d’un monde,
celui que l’on ne peut décrire
ni en images ni à l’aide de mots .

René C – septembre 2018

variation sur " que le monde soit ( SD )

-------

Que le monde soit…
comme je le veux
comme je l’ai pris    enfanté  au matin
les  yeux ouverts
 
La lumière s’y déployait si blanche
avant que la couleur l’inonde,
 

ainsi l’orgue  conduit la voix  -                                                                                       
la liturgie du jour à venir  était blonde
et me parlait de toi.
 
J’ai effacé un peu de buée à la fenêtre
et sur le carreau froid tracé ton nom
dessiné un peut-être
 
Le jour venait de naitre
limpide et pur, oratorio vibrant
une césure    avant que le ciel ne bascule
vers son avènement
dans une orgie d’ors et de cuivres                                                                        
 
Je ne sais  s’il était d’une étoffe
dont on peut se vêtir
comme l’aube de lin des retables                         
ou la pourpre ardente des rois                                                                             
 
s’il fallait  le poursuivre dans sa marche solaire
au-delà du beffroi  qui claironnait les  heures
 
et l’aurais-je cherché dans le sel ou le sable                                              
comme le vent façonne la dune instable                                        
quand il glissait vers toi  en éclaireur
 
 
Le  monde s’offrait à moi
par un matin de fin d’été
et je m’en suis saisie les yeux fermés.

SD

Louis Guillaume – Causse noir


photo RC causse lozérien

J’erre dans un pays dont j’ai perdu la carte
Je ne sais plus l’endroit des puits.
Des ravins me font signe où la source est tarie
Où sont morts les feux, des bergers.

Quand je trouve un sentier mon pas soudain
trébuche
Et le roc sous moi s’amollit.
De nouveau c’est la plaine à l’horizon collée
L’étendue morne et sans mirages.
Pousserai-je le cri qui refera surgir
Des logis, des bois habités
Quelle statue de chair crevant le cœur des sables
Montrera du doigt l’oasis ?
Je m’égare en moi-même et le soir s’épaissit
L’ombre marche en silence et ne veut pas me dire
Où l’étoile est ensevelie.


Au-delà des fenêtres – ( RC )


Peinture Andrew Wyeth

Personne ne convoite l’hiver.
Lui se cantonne sous tes fenêtres,
et ton royaume est étanche.

Il y a de ces frontières
qui dépassent les saisons,
amidonnées de givre et de silence.

Il faudra bien cependant un jour
sortir de ta bulle
pour affronter l’avenir.

L’enfance s’est rétrécie toute seule,
et tu l’a perdue de vue,
pourtant tu n’as pas froid

Car insensiblement tout s’est transformé,
et la vie, dans son royaume , s’étend
bien au-delà des fenêtres .


Georges Castera – Accent circonflexe sur le A –


Salvador Dali – Figura de perfil

.

Je sortais quelquefois de la blessure
ouverte de la mer
telle la dernière minute de ton regard
vers les paroles invisibles
qu’on ne peut toucher du doigt
matière tambourinante des rêves
dont les notes sont de grandes cages
d’oiseaux
où toutes nos mémoires
sont sur la plus haute tige

dans le silence mal ponctué
la première porte qui s’ouvre
c’est ton corps
embué dans sa déclivité interminable.

.

Georges Castera ( Haïti 1936-2020 )

L’encre est ma demeure 

Actes Sud


Pierre Seghers – entre les mailles des buissons


photographe non identifié

Entre les mailles des buissons
Pris à la nasse d’eau des sources
Il vécut dans la fosse aux ours.

O le temps des maisons du vent
Il a campé sur l’océan
Il a mangé le pain des vagues,
Il but l’hiver avec l’été

Le chien de peur à son côté
Le ciel a rongé son visage.
Tous les paluds ont la vérole

Il eût fallu tant de parole
Pour proclamer ce qu’il savait
Que dans le vent, la boue, la colle
Il traînait des semelles folles
De silence et de vérité.

Quand les marais perdaient sa trace
Il était l’hôte de l’espace
Il mâchait l’herbe et le roseau.

Et sur les routes de Décembre
Il brûlait de gel et d’attendre
Le dernier des quatre chevaux


Rafael Alberti – Laisse ton rêve


peinture: Octave-Denis Guilonnet

Laisse ton rêve.
Enroule-toi, blanche et nue,
dans ton drap. On t’attend là
derrière les murs du jardin. 

Tes parents meurent, endormis.
Laisse ton rêve.
Vite, allons, vite.
Les murs franchis, on t’attend avec un couteau. 

Repars chez toi, presse le pas.
Laisse ton rêve.
Vite, allons, vite.
Dans la chambre de tes parents
entre, nue et blanche, en silence. 

Cours vite, vite, jusqu’aux murs.
Laisse ton rêve.
Saute. Viens. 
Quel rubis flambe dans tes mains
et brûle d’un feu noir ton drap?

Laisse ton rêve.
Vite, allons, vite….
Ferme les yeux et dors. 

Rafael Alberti, Matin à terre, suivi de L’Amante / L’Aube de la giroflée (coll. Poésie/Gallimard, 2012)

traduit de l’espagnol par Claude Couffon


L’envers et l’oubli – ( RC )


Cet endroit ne se visite pas,
on n’a aucune raison de faire le détour,
car il ne nous verra ni naître, ni mourir.
Je ne l’ai entrevu que lors d’une exposition,
de photographies ternes, annotées
en mots d’allemand, rajoutés en blanc.

On devine que s’y est joué là quelque chose,
maintenant hors de portée du regard,
où celui qui a saisi ces portions de paysage,
se couche contre son passé enfoui,
les souvenirs gris ne suffisant pas
à le garder debout.

Les récits y sont peu abondants,
ceux qui pourraient témoigner
sont partis dans la vallée des larmes,
où le silence se referme sur eux.
Les absents ont toujours tort,
et que pourraient-ils dire d’un monde

dont la vie s’est effacée ?


Philippe Delaveau – marcher


Marcher parfois longtemps dans la prairie du vent.

Ses bottes malmènent les fleurs,

l’herbe aux rêves de voyage.

Puis le petit village près d’un bois.

L’harmonica d’une eau rapide qui se cache

pour voir le ciel et l’ombre, et les cailloux

entraînés de ferveur, sur leurs genoux qui brûlent.

Entendre alors la persuasion très tendre

et douce d’un oiseau qui solfie les mesures

d’une clairière. Deux fois peut-être. Puis se tait. Se dissout

dans la perfection pure et simple du silence.


La chance de l’avoir rencontré – ( RC )


photo RC – jardins de l’abbaye de Daoulas

On ne dérange pas
l’éclosion des fleurs.

Elles éclatent en silence
et se jouent des vieux bois
gémissant sous le vent.

On ne dérange pas
les lèvres du jour

Tu sais que la couleur
joue avec l’éphémère,
lutte contre le vent.

Tu ne couperas les les fleurs
dans leur élan

Elles ont moins de temps à vivre,
mais se répandent par milliers
à travers les champs.

On ne dérange pas
le printemps qui triomphe de l’hiver

Sa vulnérabilité n’est qu’apparence ;
tu as déjà beaucoup de chance
de l’avoir rencontré !


Jacques Roman – lettera amorosa – 04


Sa parole n’a de légitimité qu’à ne jamais te passer sous silence,
qu’à jeter encore ta pierre dans le jardin de la loi.

Je l’avoue : terrorisé devant qui te renie.
Une telle terreur que toute ma chair se fait l’écho d’un hurlement à la vie à la fin duquel…
est-ce laissé pour mort ? Terreur encore quand, le proférant à haute voix,
ton nom lui-même me précipite dans ma bouche : si l’imposture y
était éternellement tapie ? Si ma langue ne travaillait qu’à embaumer une charogne ?


Non ! Je l’entends ce corps aimant infernal comme forcené qui là-haut agite ma langue et dit que son corps est ton corps. Malheur à qui n’a pu voir le cul de son dieu !
C’est d’être pénétrés de toi jusqu’à la moelle que les amants se crient je t’aime
et c’est lancer de poignards sur la cible du temps tandis que la roue tourne.
Sur le plancher d’un bal de campagne dressé au soleil, un jour d’été, près d’un
étang, à mes yeux un être a pris tes traits. Je ne quitterai pas le bal sans fin.
Tandis que là-bas la mort seule reste au bord de la piste, quelqu’un rit
aux larmes d’aimer dans le brouillard, amour, ton ombre même.
Il est temps que j’expédie cette lettre. Il fait nuit et jour à la fois.
Je prononce ton nom. J’ouvre la bouche, s’unissent un instant mes lèvres
et s’élance le souffle aux entrailles du silence. Au secret de la fièvre,
braise m’offre un temps brûlant. Je recommence, je recommence.


LETTERA AMOROSA


Corinne Freygefond – le féminin


image extraite du film Woman in black
Ma gorge avale un cortège
De bagages vides
Portés par des femmes
Toutes de noir vêtues
Je devine en strates
La voix de celle 
Par qui la vie m’a été donnée
Je l’entends crier en moi-même
Un cri 
Privé de matière
Hérité du silence séculaire

Je voudrais donner ma bouche 
A un arbre un oiseau une pierre



issu du site de l'auteure

Sally Heliott – il neige toujours quelque part


Quand tu rencontreras le Soleil de Tabriz
comme ces deux mains
comme ces deux paumes
dont les mots calcinés échappent aux brûlures…

quand tu rencontreras le Soleil de Tabriz
l’hiver alors nous mordra la bouche
comme…
comme pour en vivre encore

le feu avant la cendre
la flamme et la lampe

plaine à la longue page
encore imberbe de doutes et de peurs
quand remplie de silence
on entend sa parole


Fuir le son du clairon – ( RC )


photos André Fromont

Silence ouaté
après la tempête…
si tu t’imagines
que je vais ramasser
les coquilles vides,
aller réparer
les bunkers renversés…

Avec la pluie acide
effaçant les partitions,
J’ai autre chose à faire
que de tourner les pages à l’envers :
qui pourra me poursuivre
avec la fanfare
et tous les cuivres,
puisque tu n’as pas mis le son ?


Tous au garde-à-vous
devant la place de la mairie,
tu salueras de ma part
le capitaine et l’adjudant
qui sont plutôt bien mis
sur cette photo jaunie.
Je leur donne rendez-vous
sur une des plages du débarquement.

Mais il y a bien longtemps
que j’ai fui le son du clairon.


Georges Jean- un soleil de fin du monde


Derrière ces nuages blancs
Naît un soleil de fin du monde

Les hommes sont tristes ce matin
Serrés dans les doigts de la brume

On voit aux portes des maisons
Croître des arbres de pierre

Des visages penchés sur l’ombre
Écoutent bruire le jour

Une pendule sourde partage
Le sommeil noir des survivants

Les chats de soie suivent la trace
Des oiseaux perdus de la nuit

Une voiture aveugle perce
Le voile calme du silence

Nous ne savons plus si c’est l’aube
Ou l’ombre du dernier rideau.

extrait de « parcours immobile »


Guy Goffette – les amarres du jour


photo David Briard phare de Kerroc’h

Couteau et peigne sur la table

l’un près de l’autre avec

le silence sur eux

plus profond que la mer

Entre ces phares l’histoire d’une femme

Qui trancha seule

Les amarres du jour

extrait de « éloge pour une cuisine de province« 


Amina Saïd – Tous les présages sont faux


montage RC

Tous les présages sont faux

ni les traces des oiseaux

ni la direction de leur vol

ne traduiront jamais la pensée des dieux

et sur l’autel de leur propre démesure

de longs couteaux de silence sacrifient nos passions

croyant partager le pain du monde

c’est ton corps que tu rompais

il s’en écoulait un peu de cendre

dont jalonner les sentiers orphelins

la vie est un voyage avec une mort à chaque escale


Un matin où j’avance mes mains trop près du ciel – ( RC )


Peine perdue
aux volutes des pensées désenchantées.
C’est un matin
où j’avance mes mains
trop près du ciel,
car le silence me répond, :
celui de la nuit pailletée,
que brouillent les voix de la veille :

  • de grands morceaux fragmentés
    ne composeront jamais un poème :
    miettes de croissants de lune,
    emportées par la rivière,
    un jour où le vent accompagne
    les gestes lents du balayeur.

Puis il y a eu ce visage
entr’aperçu derrière les rideaux pourpres
d’une fenêtre
qui recomposa ton image,
elle que je croyais perdue,
piétinée comme des fruits trop mûrs
se mêlant aux souvenirs diffus
d’une aube incertaine ;
tintement léger de la mémoire :
réminiscences en pièces détachées
dans le jour candide
qui se mettait à renaître,
comme si de rien n’était,

alors je t’écris cette lettre,
que tu liras peut-être
toi ,
si loin du ciel,
mais proche de moi, en pensée…


Michel Camus – Proverbes du silence et de l’émerveillement


Valeria Arendarphoto  Valeria  Arendar

Et le Silence s’est fait poésie : Védas, Tao-Te-King, Cantique des cantiques, Héraclite
Le-Même en moi séparé de moi n’est personne en personne
Sans être nous-mêmes, il est en nous-mêmes notre propre silence
Le silence est sans fond où prend fond la poésie
Pierre nue, vérité nue, pierre sans nom sous mon nom dans l’image-mère de la pierre
Si je fus, qu’ai-je été.
Nous sommes tous le-Même au cœur du silence
L’Autre du Même : Toi sous mon nom
L’ombre du Même ou la fiction de l’autre ou de soi

Et la vie des mots qui masquent le silence
Où il y a silence, je ne suis plus moi-même
Où il n’y a rien ni personne règne infiniment le-Même
Impensable, la déité du silence ne peut se penser qu’en Dieu
Dieu ne pense que pour panser l’angoisse de son propre silence
Je précède ma naissance, se dit Dieu.
J’illuminerai ma mort
Dès à présent, sans notre
Double-de-silence, rien ne nous survivrait, même pas Dieu en nous
Il y a en tout homme une flamme de silence qui sait ce que son ombre ne sait pas
Seule porte ouverte pour sortir de soi, le silence
Seule porte ouverte pour sortir de la langue, le silence
Et si le poème s’écrivait sans sortir du silence
Présence informelle du silence au cœur de l’homme comme l’art en témoigne au dehors
La musique dans le ruissellement des silences

Le poème en son propre dépassement dans le silence
L’érection sur les sables des tours de silence
Et si l’éblouissement sans forme donnait forme à ce qu’il nous inspire
Dans l’absolu silence où vie et mort coïncident, dans l’absolu silence où personne n’est absolument vivant ni mort, les yeux du vide sont ouverts
Métaphore de nos éblouissements sans nom
Seul et unique levier d’Archimède pour soulever l’univers-du-langage, trouer le tissu des songes ou du monde, s’enraciner dans le mythe du poème ou s’ouvrir à l’Indéterminé : le silence
Toujours le silence est abrupt.
Il n’est réponse à rien et ne répond de rien
Les mots trépassent en lui comme les amants plus loin qu’eux-mêmes dans l’amour
Si le silence est l’envers du langage la poésie est l’endroit du silence
Le vent fou ni l’orage ne troublent les étoiles.
Mais les ombres des mots cachent le feu du silence comme les nuages le soleil
Si le silence est source de la parole où est la source du silence
Et si la dernière porte de la mort s’ouvrait comme une fenêtre aveuglée de soleil
Poésie, fille-mère du silence, son âme sœur et son chant d’amour dans la toute-clémence du néant
L’image-mère de la vie dans un désert d’inconnaissance

Poésie, indéracinable mémoire d’éclairs de silence, traces de brûlure, souvenirs d’éblouissement lisibles dans les balbutiements de la langue
Il y a du silence dans la musique de la langue comme dans l’arbre et la pierre et le feu et le vent, qui l’entend ?
Qui a jamais vu l’informelle substance du silence.
Fertile abîme.
Cordon ombilical du merveilleux
Et si le silence était sans métaphore notre seul transport dans l’infini
L’art n’est pas le seul langage du silence, mais l’univers, l’œil, l’extase et la beauté
Comme des fenêtres ouvertes aveuglées de soleil
Tout fait l’amour à tout instant pour que fleurisse la mort et que grandisse le silence
Aussi l’absolue poésie est-elle l’accueil du silence.
Sa demeure hors les mots en la nuit du dedans-sans-dehors dans l’Indéterminé
Aussi l’absolue poésie échappe-t-elle à l’emprisonnement de la langue, aux épaisseurs de ses murs,  à la fausse profondeur de ses ombres
Aussi l’absolue poésie est-elle aussi virginale aussi silencieuse que la mort toujours présente à la racine aveugle du regard
Notre propre infini nous échappe
La langue ne choisit pas d’être épousée par le silence,
c’est lui qui la pénètre et s’en retire, d’où la silencieuse jouissance
du jaillissement du cri survenant du fond des âges pour y rentrer aussitôt comme une lueur sauvage dans la nuit
Le silence serait à vif si les vivants se voyaient morts
Mâle est l’érection du langage, relative plénitude

Absolue la maternelle vacuité du silence
Imprononçable le mot de l’énigme au cœur de la vie
Indéchiffrable le signe muet de sa présence
Abyssal le songe éternel du regard
Immortelle la part de silence au cœur de l’homme
Quel poète n’est pas écartelé par l’exil de sa langue dans l’éden du silence
Le poème comme instrument du silence dans la musique de la langue
Le silence, dites-vous, est un concept
Et si le concept était un germe issu du silence
Loin d’être la négation de la langue le silence est son double secret, germeintime et matrice infinie
Car du corps-du-silence naît le souffle et du souffle la parole que le sens insensé du silence ensemence
Que sait-on sans mot dire
Par le silence le poète s’efface par la poésie le silence se dépasse
Duplicité du silence, duplicité du poème nous comblent d’incertitude

Proverbes du silence et de l’émerveillement      , Éd. Lettres Vives, coll. Terre de poésie.

André Blatter – Je couds ma bouche


photo RC

Je couds ma bouche
au plus près du silence
pour mieux t’entendre
je brise le miroir
du mourir quotidien
au fil du rien la réponse
j’habite au plus près de l’hiver
comme une racine de l’être


Valeriù Stancu – Autoportrait avec blasphème


dessin : Hom Nguyen

autoportrait avec abîme, rêve et exil
La poésie,
je la vis, je ne l’écris pas.
Des vagues de poussière, concentriques,
embrassent ma fenêtre.
A travers le voile de leur silence
je vois
je vois la destruction
la destruction des maisons
des maisons qui s’écroulent
qui s’écroulent dans un néant tardif.
Sur les lèvres de l’abîme
je frissonne
et j’hésite
rongé par la peur
de l’exil intérieur.
Coquille de plomb, le silence.
Je vis ma propre confession.

Extrait de Autoportrait avec blasphème
L’arbre à paroles – Collection Monde Latin.


Carcasse d’un demi-queue en grimaces – ( RC )


16 AppartementsLee Plaza.jpg

photo:   Robert Meffre  – Lee Plaza Hotel  – Detroit

Dans la vaste salle  du Lee Plaza

les chaises renversées attendent sans public

Arcs à caissons, décorés pour des fastes

costumés, . bals sur les parquets cirés

la lumière accrochée aux gravats bleutés

souligne un décor, – quelque peu fortuit

de fenêtres ouvertes sur courants d’air

et carreaux qui font – en reflets

d’un vide silencieux – leur petit effet

Alors que trônent d’un air oblique

les touches d’un clavier tenace

accrochées à la carcasse

du demi-queue  en grimaces

imposant de ses cordes croisées

témoin hagard, .. spectre à musiques

…un silence aux accents déglingués.

RC

9 fev 2012

voir aussi  » il était une mazurka »