Aurélia Lassaque – le rêve d’Eurydice

Nous creuserons de nouveaux sillons
que nous couvrirons de cendre.
Nous verrons mourir le vent qui charrie l’oubli.
J’aurai des pommes dans ma poche
volées à plus pauvre que moi.
Nous les pèlerons avec des épées.
Et avec les restes de nos rêves
Nous en bâtirons d’autres
Par delà les feux
Et la frontière du regard.
Reconstitution du portrait – ( RC )

Ainsi vient la nuit,
quand le jour s’effrite,
griffé par les arbres .
La collision avec les nuages
apporte la pluie,
qui s’infiltre dans ses fissures.
Maintenant des sillons
se dessinent sur les vitres,
petits ruisseaux éphémères,
qui s’affolent et changent de direction.
Personne ne sait
ce qui réveille
les larmes endormies,
quand le vent se lève,
et se heurte aux vitres,
furieux d’une trop longue attente.
Les branches se soulèvent,
s’agitent, lourdes de reproches,
et traversent la pièce obscurcie.
C’est ton visage qui apparaît,
strié par les éclairs,
avant de se briser
en petits éclats de verre,
répandus sur le parquet.
J’évite de marcher dessus,
contournant notre existence.
Demain l’étonnement de vivre
refera surface avec l’aube,
et je reconstituerai ton portrait
comme je le pourrai.
Ne m’en veux pas
s’il en manque des morceaux,
il se peut que j’égare
le souvenir des jours heureux.
Eugenio de Andrade – J’entends courir la nuit
J’entends courir la nuit par les sillons
Du visage – on dirait qu’elle m’appelle,
Que soudain elle me caresse,
Moi, qui ne sais même pas encore
Comment assembler les syllabes du silence
Et sur elles m’endormir.
.
.
.
« Il n’y a pas d’autre manière d’approcher
de ta bouche : tant de soleils et de mers
brûlent pour que tu ne sois pas de neige :
corps
ancré dans l’été : les oiseaux de mer
couronnent ton visage
de leur vol : musique inachevée
que les doigts délivrent :
lumière répandue sur le dos et les hanches,
encore plus douce au creux des reins :
pour te porter à ma bouche, tant de mers
ont brûlé, tant de navires. »
Eugénio de Andrade, Blanc sur blanc, Gallimard, Collection Poésie
De l’image, son retour permanent – ( RC )

sculpture: La Dame d’ Elche, Huerto del Cura, Elche, Espagne
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Ce texte est une variation » réponse », sur celui de Jean Malrieu ( qui suit )
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D’avril à novembre,
De Novembre à avril,
Je tisse à l’endroit, à l’envers,
Des mailles pour que je contourne l’hiver .
J’écris toujours, à la lumière de tes feux :
Et ceux-ci sont un don.
Une présence faisant s’ouvrir mes yeux,
Même aveuglé par la pluie fine des jours .
Ceux ci passent et, même changeants,
Sont un retour permanent .
Et si les sillons du temps,
Laissent leur empreinte sur ma peau…
Ton image est un miroir,
Suspendu quelque part,
Impalpable et lisse,
Au delà du tain .
Chaque chose est nouvelle,
Et toi, vivante, au défilé des heures.
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RC – nov 2014
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Je suis devant toi comme un enfant,
plein de pluie et de ravage,
ai cour d’un automne de silence
comme au centre d’une place assiégée
par l’herbe brûlée.
Je t’écris pour alléger le temps.
Cette page que je griffonne est un miroir.
D’elle va surgir un destin inattendu.
Car ma lutte contre le temps est ancienne.
J’écris toujours la même chose :
elle est nouvelle.
Que je lise à l’envers, à l’endroit,
l’inquiétude est éclairée
Je n’y peux rien.
Les années passent, me révèlent.
Mon visage s’affirme sous la pluie fine des jours
qui vient vers nous sur ses milliers, de pas agiles.
J’écris pour être avec toi
dans la paille douce et chaude de la vie.
Jean Malrieu
Aujourd’hui n’est pas étanche ( RC )

photo Odette Lefebvre de l’internaute.com
Avec le jour qui se lève
Le spectacle nous laisse attablé
Aux jeux de lumière sur le champ de blés
Comme si c’était traverser le rêve
Tout est entre tes mains,
Le modelage du destin
Pétri comme une pâte à pain
L’avenir questionne son levain
L’imprévu court, l’éphémère flanche
Soumis aux courants d’air
Traces des sillons, dans les champs de mer
Ondulations mobiles, lumières blanches…
Pour se nourrir du quotidien
L’aujourd’hui n’est pas étanche
Et ma soif, le pain en tranches
D’où s’envolent mille petits riens…
Lorsque je te prends la main
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RC 25 et 26 juin 2012
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