Camille Lysière – L’homme dessiné
L’homme-dessiné
Cœur de nuit.
Mon Homme-dessiné étendu sur le ventre, un bras tombe du lit, le dos de la main posé sur le parquet. Il a fermé les yeux, il respire lentement, et sourit de temps en temps au gré de ses pensées. La lumière est douce et les draps sont froissés.
Les bruits du dehors nous parviennent seulement, nos halètements se sont enfin calmés. Il m’a prise comme j’aime, il m’a bercée, rudoyée, il m’a fait naître de ses mains, me transformant dans la même heure en catin, en princesse, en souillon, en sœur, en diamant palpitant.
Toutes les femmes en moi qu’il explore et visite, qu’il va chercher à coups de regards et de reins. Ou qu’il crée, peut-être, je n’en sais rien.
Je caresse ses fesses, rebondies, soyeuses, blanches. Seule surface épargnée de son anatomie. Mon Homme-dessiné a dressé sur sa peau la carte de sa vie, l’histoire de ses cris.
Je les caresse du bout du doigt, je les embrasse, je les cajole. Je les envie. Collées à lui. A jamais ses alliées. Soudées.
Du bout du doigt je parcours des volutes, des arabesques, des pétales de lys, des angles saillants, des chemins de lettres aux tracés étonnants. Il m’explique chacun, des noms curieux, exotiques et charmants, des chemins tortueux, des désespoirs en noir et gris. Il me parle de lui.
J’écoute, fascinée, son parcours meurtri, et aussi ses espoirs, ses envies, ses forces, ses fragilités, son mépris, son respect. Mon Homme-dessiné se tourne sur le dos, me présente son ventre, tout aussi décoré. Ses tétons rosés sont percés de deux anneaux d’argent, je les chahute du bout de la langue, je les suçote et les tire un peu entre mes dents. Il rit, t’as pas fini, canaille ? Je me pose sur lui, il est chaud, il est grand. Mon Homme-dessiné aime fermer sur moi ses deux bras colorés.
Sur celui qui enserre mon épaule, une femme sirène que je ne peux jalouser, qui pourtant passe sa vie au chaud tout contre lui. Un étrange serpent, son œil au ras du mien quand je pose la joue contre ce large torse. Et puis les trois singes de la sagesse, assis sur sa clavicule. Pour être heureux, ma princesse, ne pas tout entendre, ne pas tout voir, savoir se taire…
Et tu es heureux, toi ? Il ne dit rien, il me serre un peu plus, il caresse mes cheveux. Je ne sais pas, je suis bien, là, parle-moi, encore, encore, parle-moi, je veux ta voix.
Cœur de nuit, cœur de vie. Mon Homme-dessiné au matin va partir. Tracer d’autres sentiers, mener d’autres combats, me revenir parfois, blessé ou triomphant.
Mon Homme-dessiné, troublé, troublant.
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Ce texte est extrait du blog de Camille Lysière
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Jean-Claude Pirotte – Blues 03

peinture: Hiéronymus Bosch, la nef des fous
parce que je descends de l’arbre
les gens me traitent de singe
mais si je descendais du ciel
me traiteraient-ils d’ange ?
je devrais décider
de quitter les enfers
en me voyant monter
par le trou du souffleur
ils diront c’est le diable
ou peut-être l’auteur
extrait du recueil » le promenoir Magique » ( La Table Ronde)
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L’ Orang- attend ( RC )

image: montage perso
Au rendez-vous des animaux
J’habite dans un grand zoo,
Je laisse entre mes doigts se vider le temps
De toute façon, dans le cube de verre, j’attends
Je passe, mes journées à ne rien faire
Dans une atmosphère de serre,
Quelques troncs de pâle aventure
Donnent un petit écho de nature
Enfin, ce qui existe au-delà de la cage
Ce qui était d’avant mon voyage
Si loin mon pays des tropiques
Tout là-bas, au coeur de l’Afrique
Arraché aux miens, à ma famille
A la jungle des chimpanzés et gorilles
Quelques branches sans feuilles avancent
Sur lesquelles je me balance
Ne fournissent aucun ombrage,
Arrêtées tout net par le grillage
Un filtre invisible dont on ne voit pas les bords
Mais limite de l’horizon, le décor
Les visiteurs se pressent derrière les vitres
Agitant vers nous les bras, comme des pitres…
Un défilé de nouveaux visages
De toutes sortes, enfants et gens de passage…
Nous avons tout notre temps, lent
A vivre dans notre enveloppe d’orang-outang…
Pour nous former une opinion,
Foi de singes et guenons…
RC – Mars et juillet 2012
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