Imagiers de pierre – ( RC )

frise romane Lucques (Italie)
Les imagiers de pierre
nous content les oiseaux :
colombes et corbeaux
des légendes historiées .
Nous ne connaissons plus les temps d’avant
aux côté d’êtres imaginaires,
des monstres aux dents acérées,
assoiffés de sang,
qui peupleraient l’enfer.
On rêverait plutôt aux princesses
et aux reines,
qu’au destin des ânesses.
Confie-toi plutôt aux sirènes
à queue divisée
que voisinent les héros
montés sur les chevaux
dans une autre scène.
C’est un livre ouvert
qui nous étonne,
en haut de chaque colonne,
et presque un millénaire,
traverse les âges :
immobile voyage
du bestiaire de pierre.
Stephan Hermlin – Ballade des défenseurs des villes
Pour le 25è anniversaire d’octobre — Pour ceux qui souffrent en silence — Pour les vainqueurs de demain — Pour les défenseurs des grandes villes Pour la race nouvelle — Pour les frères incomparables.

Près des bergers de la nuit et du plus solitaire peuple de sirènes.
là où la tempête dans les vallées gémit et où suave se lamente le cœur des dauphins.
jusqu’aux villes dans la fumée, qui au bord des ténèbres se penchent
et qui par le poing de fer de leur maître furent dans la corruption poussées
près des bergers de la nuit et du plus solitaire peuple de sirènes
là, un nom est nommé — oh ! puissions-nous vous donner ses puissances
à Vous, frères enfouis dans l’ombre du temps, vous donner ses larmes,
son sourire, son regard qui descend sur toute notre vie
et aussi cet énorme tambour qui autour de nous clame dans la nuit,
à Vous, à Vous ! oh ! puissions-nous donner tout cela !
Traduit par Daniel Trévoux (pseudonyme de Jean Tardieu) il parut en juillet 1944 dans « l’Êternelle revue » clandestine, de Paul Eluard. Il était accompagné des lignes suivantes :
S. Hermlin est un poète allemand de 29 ans qui, après avoir combattu en Espagne dans les Brigades Internationales, gagna la France puis, la Suisse.
Ce texte a été repris dans la revue Seghers » Poésie 84″
Une minuscule église de pierre – ( RC )

C’est quelque part, en avant
sur une pointe de terre
juste avant de plonger dans la mer,
que les pierres affrontent le vent.
Au milieu d’elles
des hommes ont construit
cet abri contre la pluie
une toute petite chapelle
coincée entre des rochers,
infiniment solitaire,
minuscule église de pierre,
qui semble s’être échouée
un jour de grande marée .
Des saints que l’on a vénérés
s’y sont peut-être réfugiés
après avoir débarqué .
Ils connaissent des langues mythiques
surtout en Bretagne,
( elle qui fut très ancienne montagne
où abondent mégalithes ) .
Il se peut que les pierres pensent par elles-mêmes,
gardant la mémoire de contrées anciennes
et des fêtes païennes
où les dieux n’étaient pas les mêmes .
S’accommodant d’autres coutumes,
épousant les mousses et les lierres,
ce n’est pas seulement pour les prières
mais pour combattre la brume
évoquer les diables et les sirènes
et toutes les légendes des siècles passés :
ces pierres, nous les avons caressées ,
et des âmes déposées, recueilli les joies et les peines .
RC – 2019
Alfonsina Storni – Moi au fond de la mer

Au fond de la mer
il y a une maison de cristal.
Sur une avenue
de madrépores,
elle donne.
Un grand poisson d’or
à cinq heures
vient me saluer.
Il m’apporte
un bouquet rouge
de fleurs de corail.
Je dors dans un lit
un peu plus bleu
que la mer.
Son monument à Mar del Plata
Un poulpe
me fait des clins d’œil
à travers le cristal.
Dans le bois vert
qui m’entoure
-« din don din dan »-
se balancent et chantent
les sirènes
de nacre vert océan.
Et dessus ma tête
brûlent, dans le crépuscule,
les pointes hérissées de la mer.
—
Benjamin Fondane – Ulysse, une déesse à tes côtés

Tu avais une déesse à tes côtés, Ulysse!
- À quoi sert-il de voyager?
Une jarre de lait calme, les cuisses de l’épouse,
les jours comme des pommes tombées dans le verger,
une belle lumière lisse,
la paix de l’œuvre faite et la nuit à l’auberge,
vieillir tout doucement près d’un pichet de vin
quand la lune blanchit le large,
tout en trinquant avec des marins revenus infirmes,
d’on ne sait quelles batailles louches
qu’on a du mal à épeler… - À quoi sert-il de s’en aller
déjà vaincu, avant d’avoir ouvert la bouche,
dans des pays d’où l’on ne reviendra
que vieux plein de sirènes
que l’on n’a pas écoutées de victoires manquées
« le cœur lourd d’avoir résisté à sa soif? »
Aude Courtiel – des jours des semaines entre un sourire et l’esquive

J’ai guetté les plis sur ta peau.
Des jours des semaines entre un sourire et l’esquive.
Des centimètres de nuages à boire.
Et la peur d’échouer.
Parce que rien ne remplace l’absent.
Que tout pourrait s’arrêter au silence.
Que tu pourrais contourner le vent.
Fermer les fenêtres.
Tapisser l’être.
Pourquoi ne pas enfiler la tombe.
La mort n’est pas le silence.
Tu pourrais aussi passer par les trous dans la porte.
Remettre à plat les plis.
Nommer l’espace.
Du dehors du dedans.
Tamiser le temps.
Avant, maintenant.
J’ai plongé un papier entre tes doutes.
Qui sait si tu l’enveloppes comme un rêve.
Femme à la mer
Combien de temps elle flotte ?
Combien de peaux ?
Des couches
Des plus ou moins vraies
Des plus ou moins fausses
Des promesses
Des effluves
De fauve
Des chiens des chiennes et du velours
À un poil près pointait le bruit du vent
Silence
Encore du temps
À la surface de la lune
Pour soutenir le foutre
Pour dilater la blessure
Prendre le large
À l’horizon qui sait, le chant des sirènes
Combien de temps flotte avant les sirènes ?
Femme marine à deux queues
Envie d’être en soi
En vie d’un toi
Bruit de peaux entre les flammes
Pas de larmes consumées
De cris à l’aveugle
Mais le murmure d’un ruisseau qui fume
Jusque dans la bouche Jusque dans l’iris
Chance
Incandescence
Le désir dilatait le rêve
Est-il encore chaud ?
Bruit de peaux entre les flammes
Pas de larmes consumées
De cris à l’aveugle
Hais le murmure d’un ruisseau qui fume
Jusque dans la bouche
Jusque dans l’Iris
Chance
Incandescence
Le désir dilatait le rêve
Est-il encore chaud ?
Bruit de peaux entre les flammes
Pas de larmes consumées
De cris à l’aveugle
Mais le murmure d’un ruisseau qui fume
Jusque dans la bouche Jusque dans l’iris
Chance
Incandescence
Le désir dilatait le rêve
Est-il encore chaud ?
Sirènes de Syrie – ( RC )
peinture S Dali
Plantés au sommet du toit
des oiseaux noirs
figés dans la cendre
interrogent les limites d’un monde
où le ciel manque aux disparus
La télé bégaie
des programmes identiques,
que personne ne regarde plus,
et la belle saison ne fleurit plus :
mutante, en couleurs acides,
sur-saturées.
Les girafes sont en feu,
coincées sur l’horizon,
encombré de flocons noirs,
du cri des sirènes métalliques.
Ce ne sont pas celles
qui charmaient les marins de l’Odyssée.
Ou bien la traversée du temps
a transformé la légende
en autant de paroles vénéneuses.
Malgré l’odeur persistante du chlore,
des araignées voraces
étirent leur toile,
et se nourrissent des corps brûlés
abandonnés dans les rues.
–
RC – avr 2017
Ismaël Kadare – la locomotive
La locomotive (extrait)
Dans le calme de la mer, près des vagues
Ta jeunesse au milieu des flammes te revient en mémoire.
D’un bout de l’Europe à l’autre.
D’un front à un autre front,
En fonçant au travers des sifflets, des sirènes et des larmes
D’un sombre horizon à un sombre horizon,
Tu allais toujours plus loin au-devant des jours et des nuits,
En jetant des cris perçants d’oiseau de proie,
En sonnant de la trompette guerrière,
Dans des paysages, des ruines, des reflets de feu.
Dans les villes, dont tu prenais les fils,
A travers des milliers de mains et de pleurs,
Tu te propulsais vers l’avant,
Tu ululais
Dans le désert des séparations.
Derrière toi
Tu laissais en écho à l’espace,
La tristesse des rails.
Sous les nuages, la pluie, les alertes, sous les avions
Tu traînais, terrible,
Des divisions, encore des divisions,
Des divisions d’hommes,
Des corps d’armée de rêves,
A grand-peine, en jetant des étincelles, en haletant,
Car ils étaient lourds.
Trop lourds,
Les corps d’armée des rêves.
Quelquefois,
Sous la pluie monotone,
Au milieu des décombres
Tu rentrais à vide du front
Avec seulement les âmes des soldats
Plus lourdes
Que les canons, les chars, que les soldats eux-mêmes,
Plus encore que les rêves.
Tu rentrais tristement
Et ton hurlement était plus déchirant,
Et tu ressemblais tout à fait à un noir mouvement,
Portefaix terrible de la guerre,
Locomotive de la mort.
Ismaîl KADARE in « La nouvelle poésie albanaise »
–
voir aussi sur le thème de la déportation « trains sans retour »
Des temps et des vents – ( RC )
- photo: le vase de Sèvres – gorges de la Jonte, Lozère
Il faut écouter la poussée du vent,
Bien sûr, parcourir sa transparence,
Les secousses, qui bousculent,
Les sommets des arbres,
Et parfois les couchent.
Comme la voile qui se tend,
Offerte en sa béance,
Ce cap, cette péninsule,
Sous les rafales, se cabre ,
Tendue à l’extrême , farouche.
Puis, soudain, se déchire,
Sur toute la longueur,
Désormais livrée à elle-même,
Lambeaux agités
dans la tourmente.
Sans s’infléchir ,
> Si c’est un vent libérateur,
Les graines se sèment,
Dispersées en quantité,
Comme une pluie bienfaisante.
Elle transmettent leurs gênes,
Aux mains ouvertes de la terre,
Toujours prêtes à les accueillir,
Alors que les pierres chantent,
De leur corps minéral.
Une réponse au chant des sirènes,
Gardiennes de la mer,
De la brise aimable et ses soupirs ,
Ainsi les rochers sur les pentes,
Leur présence immémoriale …
Mais il arrive que par l’usure des temps,
Ce qu’on croyait éternel,
Selon notre mémoire,
Même la plus ancienne,
Un pan de montagne bascule…
Et si c’est la puissance du vent,
Celle de l’eau et du sel,
A conjuguer leurs pouvoirs,
> L’histoire devient incertaine
Equilibre précaire du funambule…
–
RC – mai 2015
Allegra Sérendipité – Vesper
Vesper
Comme des milliers de bougies allumées
Le ciel du soir est étoilé
Parmi tous ces points dorés
Il n’est qu’une flamme à aimer.
Dès cinq heures elle est là
Suivie par d’autres, qui pas à pas,
Jalouses comme des sirènes
S’agglutinent aux voilées siciliennes
N’est-il pas vrai qu’elle laisse un gout amer
Cette étoile que l’on nomme Vesper
Un certain James pense tout autre
Une fois goûtée on ne veut rien d’autre
Ma vie à cette heure cardinale
Irradie comme ce chant vespéral
Hymne enchaîné d’un verset mystique
Salué d’un Magnificat Liturgique
Mais la lecture de leurs filantes capitules
Me laissent telle un rameau d’Aspérules
Alanguie dans mon lit de plumes
Insomnies et chevauchées de runes
Ô nuit illuminée, pose magnifique
Sur mes lèvres ce sourire chimérique
Car au matin de ce moment magique
J’ouvre des yeux d’amnésique.
–
Le repos des sirènes ( RC )

Art roman: chapiteau aux sirènes – Eglise Ste Eutrope Saintes ( Charentes Maritimes)
–
C’est le repos des sirènes sur les rochers
Leur longue quête les mène sur les îles
Et point de traces, au jour, juste des fossiles
Repérés par les bateliers s’en revenant pêcher
Ces femmes-poissons, – c’est une blague
Dit-on, …. ce qu’il faut d’imaginaire
Au fantasme des hommes de la mer
Ayant fait un détour par Copenhague
Ou bien, entourant un bateau en détresse
Se portant au secours des naufragés
Elles se sont, sous eux, allongées
Tout en délicatesse
Et leur ont fait jurer secret,
Sous serment, de ne rien dire,
Une langue étrange qu’on ne peut traduire…
Sur ces sujets il faut rester discret
Ce sont, peut-être des anges de l’eau
– Au profil aérodynamique
Accompagnant par le fond, le Titanic
Et bien d’autres paquebots…
Et même si tu vas à confesse,
Avec l’envie de tout dire, c’est pas la peine
D’essayer de convaincre une sirène
Ou sur la terre, alerter la presse…
Tu as scellé ta promesse,
Mieux qu’une lettre aux sept cachets
L’eau profonde, garde ses secrets cachés
Comme celui du monstre du Loch Ness.
Les sirènes auraient plusieurs vies
Et surtout, les plus beaux chants
Pour nous, bien sûr, aguichants
Une fois entendus, toujours poursuivis.
Dans l’eau salée, les sons se propagent,
Ceux des dauphins,les chants des baleines
Et tu voyages, à en perdre haleine
Au berceau de la mer, en héros ou bien otage…
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RC – 21 janvier 2013
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photo: JM Boutaud – petite Sirène de Copenhague – qu’on peut retrouver sur le site « jolie lumière » de JM B
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Sous les yeux fertiles du temps ( RC )
A tous les rivages et au murmure des vagues
Les paroles croisées, le bonheur d’une inspiration
Ainsi, le ressac régulier, et l’écume
Qui prend et donne, reprend encore
L’appel des sirènes s’est perdu dans la brume
———Personne n’en propose de traduction.
Le pays s’est usé de son voisinage,
Pour tatouer la mer de rochers,
C’est une lente métamorphose,
Qui transporte les éléments
Sous les yeux fertiles du temps
Au-delà du plein chant du soleil
Les falaises parait-il reculent
Et cèdent au liquide des arpents de prés,
Les remparts de la ville s’approchent du bord
Et seront un jour emportés,
Comme le sont les siècles
Aux haleines des brises et tempêtes.
Faute d’apprivoiser le temps
Il faut faire avec son souffle
Et le berger pousse ses troupeaux sur la plaine
Puis les plateaux, qui offrent
A toutes les transhumances, leurs drailles séculaires
D’un parcours recommencé, au cycle des saisons.
RC – 14 octobre 2012
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Océan – mer – terre, destin d’une embrassade ( RC )
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Océan – mer – terre, destin d’une embrassade
Vogue le destin d’une embrassade,
étreinte et baiser humide de l’eau au sable
la fin de quelque chose, le début d’un autre
s’évanouit la terre ferme, pour le choix du liquide,
une masse matière qui vit de ses soubresauts
l’histoire de tant de marins qui s’y sont fié, en espérant voir un jour la ligne dorée d’un continent lointain, ou, gagnant leur vie au milieu des embruns salés, pour rapporter une manne vivante dans les filets, mais toujours en équilibre, sur l’instable, à portée des caprices de l’écume et du noir des abysses,
peu se sont attardés, à convoquer la couleur bleue, comme celle d’un paradis uni et tranquille…
Et partir en croisière, pour le souvenir dans la mémoire, des ports ensoleillés.
Il y régnait surtout l’odeur tenace des huiles et
Des poissons séchés , à la musique des filins qui claquent sur les voiles, et le concert des mouettes…
L’océan, suit la lente rotondité de la terre, il la cache ,l’obture, et remplit ses failles, antre des mollusques et des mâchoires des prédateurs qui s’y sont fait leur empire…
de l’autre coté des courants l’océan a l’odeur femelle, et ne révèle ses mystères qu’en surface.
On y sait des coraux, des épaves, des algues et méduses, et peut-être des sirènes…
Mais aussi la mémoire des conflits terrestres, des navires coulés, avec leur cargaison, d’hommes et de matériel, le rêve des contrebandiers,, les galions d’or, la vaisselle fine, les amphores pleines de vin d’Italie…
Les boules tueuses des mines, guettant les cachalots métalliques…
Les supports des îles, en stratégie qu’on se dispute, en invasions alternées : Chypre, la Crète,Hawaï et
plus récemment les Malouines…
On y soupçonne les courants obstinés, prolongation des fleuves et rivières, en fantasmant sur la dérive des continents, les migrations parallèles aux oiseaux, des bancs serrés de poissons voyageurs…
On en rêve dans sa chambre, pour voyager en romans, , dans une épaisseur liquide à vingt-mille lieues de Jules Verne, puis aux légendes grecques.
Le raffiot de la rêverie, n’a changé d’échelle que depuis la vue aérienne, avec laquelle les vagues les plus déchaînées, ne semblent qu’un vague frisottis décoratif…
Qu’en serait-il de l’effet de tsunami « pris sur le fait » ?
une onde circulaire, s’étendant comme
lorsqu’on jette un caillou dans l’eau, suivi d’une autre, puis semblant se calmer, alors que des murs d’eau viendraient,
quelques heures plus tard, rejeter violemment les chalutiers, et bateaux de plaisance au milieu des falaises et forêts…
La soupe salée, vécue du bord des côtes dévastées prenant soudain un goût de l’amer, bien éloigné
de l’aspect paisible qu’on suppose à la mer.
…..Sans l’apostrophe…
RC – 14 juillet 2012

peinture: William Turner
Jean-Pierre Duprey – Sommeil dont j’ai peur
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Un jour je dormirai du sommeil dont j’ai peur
Pour ne plus m’éveiller
Je descendrai au fond de ces temps oubliés
Où les sirènes pleurent.
Et les très longs voyages repliés dans ma tête
Seront chiffons de rêve
L’archange qui nous garde et sans nous ne s’élève
Sera l’ange de la fête
Puisse durer longtemps le phare du vaisseau
Qui nous porte sur terre
L’abri que se construisent les marins sous les flots
Me semble bien précaire
Allégés de leur poids ils sont bulles de verre
Portés par les anges
Un rêve qui les cogne claque comme une orange
Entre deux bras de mer.
Jean-Pierre Duprey
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