Des rêves qui s’effacent – ( comme au fond d’un encrier ) – ( RC )

Nos rêves se plient,
se frottent à la cendre,
aux cartes du ciel
qui bascule
un jour d’automne
- pour mettre le vent
dans sa poche.
Ils seraient semblables
à ces moissons du ciel,
qui couchent les blés
après la canicule
d’un été de soif ;
Que chantent ils ?
Des ailleurs où jamais
nous ne sommes ?
Nos traces sur la page
qui s’effacent
au fond d’un encrier.
L’ombre de nos paroles
n’en est jamais sortie :
autant boire au goulot
de la bière tiède
et regarder la mer,
qui, toujours indolente
sommeille
sous un quartier de lune.
Jamais nous ne pourrons l’attraper,
et nos rêves dérivent
à sa surface, chimériques,
comme une rose qui s’éteint,
dans leurs reflets changeants.
Sonnet de la vie rétrécie – ( RC )

Je n’ai pu saisir les fleurs maigres,
qui ont échoué aux dents
des apprentis funèbres :
– déjà s’était retiré le sang,
des fleurs sèches et anémiques –
comme leurs couleurs :
leurs feuilles d’acier surpiquent
mon front ceint de douleur
Devrais-je porter ce carcan,
la marque infâme
d’un lent rétrécissement ,
la corbeille de soif , de l’âme
qui sèche sur son pied,
où se glisse la caresse du roncier ?
RC
Jean-Claude Goiri – Je TE restitue

Il n’y a plus de noir, il n’y a que la lumière pour assouvir ma soif, il n’y a plus de droites, il n’y a que des courbes pour conduire mes mains, il n’y a plus de paupières, il n’y a que persiennes pour assouvir mon noir,
je les tire quand je veux, personne ne me dira plus quand je dois les
tomber pour assouvir ses peines mais je serai ouvert comme un
rafraichissant éventail, il n’y a que le clair pour me servir de chemin, il n’y a plus rien à faire pour me sombrer dans le sombre, car si je te
vois, c’est que la lumière t’enrobe, et la poésie c’est assembler,
assembler tes ramures éclairées, la poésie c’est TE reconstituer, et puis
la poésie c’est surtout… surtout… la restitution, l’essence de l’acte
poétique est là:
Je TE restitue.
Nous ne sommes que lumière.

ph RC
Benjamin Fondane – Ulysse, une déesse à tes côtés

Tu avais une déesse à tes côtés, Ulysse!
- À quoi sert-il de voyager?
Une jarre de lait calme, les cuisses de l’épouse,
les jours comme des pommes tombées dans le verger,
une belle lumière lisse,
la paix de l’œuvre faite et la nuit à l’auberge,
vieillir tout doucement près d’un pichet de vin
quand la lune blanchit le large,
tout en trinquant avec des marins revenus infirmes,
d’on ne sait quelles batailles louches
qu’on a du mal à épeler… - À quoi sert-il de s’en aller
déjà vaincu, avant d’avoir ouvert la bouche,
dans des pays d’où l’on ne reviendra
que vieux plein de sirènes
que l’on n’a pas écoutées de victoires manquées
« le cœur lourd d’avoir résisté à sa soif? »
Benjamin Fondane – toute la douleur du monde
C’est toute la douleur du monde
qui est venue s’asseoir à ma table
– et pouvais-je lui dire : Non ?
Je m’étais fait si petit,
une petite chenille, et j’ai éteint la lampe
– mais pouvais-je savoir qu’elle mûrissait dedans
et pouvais-je m’empêcher qu’elle sortît un jour,
une chanson entre ses ailes ?
J’ai dit à la douleur du monde
qui s’est couchée sous mon ventre :
N’ai-je pas assez de la mienne ?
Vois : j’ai ma propre soif !
On ne peut pas toujours demeurer une chenille
la terre m’est rugueuse au ventre
elle me fait mal votre terre
je suis né pour voler…
D’un bond je lui tournai le dos –
mais elle était déjà dans mon songe.
– Est-ce mon sang qu’elle voulait ?
J’ai dit la douleur du monde
– C’est une ruse, une sale ruse.
Voilà que tu chantes en t’en allant…
-Mais à ma place, dites, l’auriez-vous oubliée ?
(1944, Au temps du poème)
Renée Vivien – un éclair qui laisse les bras vides
Ta forme est un éclair qui laisse les bras vides,
Ton sourire est l’instant que l’on ne peut saisir…
Tu fuis, lorsque l’appel de mes lèvres avides
T’implore, ô mon Désir !
Plus froide que l’Espoir, ta caresse est cruelle
Passe comme un parfum et meurt comme un reflet.
Ah ! l’éternelle faim et soif éternelle
Et l’éternel regret !
Tu frôles sans étreindre, ainsi que la Chimère
Vers qui tendent toujours les vœux inapaisés…
Rien ne vaut ce tourment ni cette extase amère
De tes rares baisers !
____________(Études et préludes, 1901)
Samira Negrouche – Illusion
Illusion
mon regard s’abandonne
sous l’eau cristalline
de l’oued en crue
flottaison
mes sens en arythmie
au corps qui se
promène
sur le cours incertain
M’en aller
comme feuille d’automne
et m’oublier au travers
des branches en furie
des eaux ravagées
de la soif inépuisable
des tuiles tombantes
de la maison dégarnie
m’en venir
au petit matin
effleurer ton rivage.
( extrait de L’heure injuste )
Formant une colonne chantante – ( RC )
photo perso – Burkina Faso
Il fallait que je marche
sur les sentiers secs
parsemés de pierres
et d’herbes sèches,
longtemps ,
depuis le village
– je n’en ai plus la notion –
pour arriver jusqu’au puits.
Il y avait un cercle de béton:
une rondelle comme une estrade,
où des femmes en pagnes
s’activaient à la pompe,
en exprimant la soif du monde :
il y a au village
toujours des bouches
qui demandent à boire…
Sous le soleil de l’Afrique.
l’ombre des manguiers ne suffit pas
à en tempérer l’ardeur….
Elles avaient la peau luisante
d’éclats d’eau et de sueur,
et riaient de me voir attendre,
empoussiéré,
une bouteille en plastique vide, à la main .
Elles s’apprêtaient,
quelquefois avec un enfant accroché au dos,
à prendre à leur tour
les sentiers secs
parsemés de pierre,
un gros bidon jaune,
en équilibre sur la tête
formant une colonne chantante .
–
RC – nov 2017
Jacques Borel – la plaie
Pourquoi es-tu mort, père,
Après m’avoir craché,
Inutile noyau,
Dans cette longue plaie
Qui ne se ferme plus ?
J’ai grandi, arbre d’os,
Dans une combe humide,
Arrachant une à une
A leurs lèvres de soif
Mes ingrates racines,
Mais quel hoquet là-bas,
Quel caillot, quel appel,
Quel cri toujours ouvert !
De ce versant d’adieu,
Je l’entends, agonie
Jalouse sous la terre.
Béatrice Douvre – Gravitation
croix de chemin en Gévaudan ( Besseyre )
Sous le grand âge du printemps
L’eau sourd en gouttes de regret
Des bouquets sonores exultent
Poudroyant
Mais la demeure saigne
Et sa fissure
Nous avions construit ici notre logis
Sur un escarpement de pierres heureuses
La campagne est mouillée de sevrage
La voix nuptiale empruntée aux pierres
Heure boisée qu’excède l’amour
Tu innocentes ta trouvaille d’enfant
Tu gis sur le chemin trempé
Et de pluie tu défailles
Maintenant brillent d’obscures larmes
Tu acceptes la peur immaculée de vivre
L’aube étincelle dans l’herbe des vigueurs
Souffle mûr mêlé du sang des hommes
Tu marchais réinventant le pas du sol comme une soif
Dans le vent neuf Je te regarde tu courais
Geste habité du vœu de naître
Auprès des croix
Qui font parfois les pierres profondes
Moment cendré de l’étendue
Chancelant
Et notre pauvreté nous vient d’un même exil
Dans le temps
Grandir a dissipé le seul voyage
Entre l’arbre et le seuil
Entre nos mains
Désormais c’est l’herbe qui nous dure
Sa cécité très douce à nos pas retranchés
Fouad el Etr – Si elle pense
Montage perso 2011
Si elle pense je l’entends
Si elle bouge mon cœur bat
Si elle rêve j’apparais
Si je bois elle s’enivre
Quand elle est là j’ai soif
Et faim et je suis ivre .
Fouad El Etr – Si elle pense
peinture Edward Munch – femme allongée aquarelle
Si elle pense je l’entends
Si elle bouge mon cœur bat
Si elle rêve j’apparais
Si je bois elle s’enivre
Quand elle est là j’ai soif
Et faim et je suis ivre
Rabindranath Tagore – au coeur de la création
–
Tu es venu un moment auprès de moi, et tu m’as ému par le grand mystère de la femme,
qui palpite au coeur de la création.
C’est elle toujours qui retourne à Dieu le flot de sa douceur;
elle est la beauté toujours fraîche, la jeunesse dans la nature;
elle danse dans les huiles de l’eau, elle chante dans la lumière du matin;
en vagues bondissantes elle apaise la soif de la terre; en elle éclate l’Éternel,
jaillissant en une joie qui ne peut se contraindre plus longtemps et s’épand
dans la douleur de l’amour.
LVI.
( extrait de la « Corbeille de fruits » )
Marc Exavier – L’espoir est un soleil impair
Lithographie: Georges Braque: soleil et lune II ( 1959)
( extrait des « chansons pour amadouer la mort)
L’espoir est un soleil impair
Un frisson volé aux miroirs
L’espoir est une ruche folle
Une ruée de clignements
Une rumeur aux gras de sel
Une marée mure de sang
L’espoir est un chemin aveugle
Un désespoir qui se recharge
Un écho qui choisit les mensonges
Un gisement de ciels
L’espoir est un fleuve qui rêve
Dans le soir fumant de la soif
L’espoir est une légende confuse
Où l’amertume fermente et soigne
Son goût de cendre et de tumeur
J’habite mes ossements
Cœur à chaos nageur soluble
Une erreur qui crée ses calculs
La vie est un soleil aveugle.
–
On peut lire d’autres extraits ici…
la soif du Niger – ( RC )
photo Françoise Hughier
–
Aucune poussière suivant la marche de l’animal.
Un long fleuve prolonge ses rives,
Paresse dans la plaine écrasée de soleil;
Une pirogue en silence se dirige vers l’aval.
L’eau n’a pas de rides, lourde,
semblant coller aux mouvements
lents de la pagaie.
Un homme à la peau très sombre est à bord,
Contraste marqué au gris figeant le ciel,
celui, légèrement différent des sables et de l’eau,
répercutent ces teintes monotones.
Le temps est stoppé, écrasé par la chaleur,
au bord du fleuve Niger.
Le chameau n’a pas progressé.
Sa tête est baissée.
Le reflet immobile boit son image.
Soif impossible à désaltérer:
Qui s’attendrait à voir en cet endroit,
Une statue de bronze ?
–
RC – juin 2015
Abdallah Zrika – J’ai apporté le vin … les dattes
–
J’ai apporté le vin
sans la peau du verre
J’ai apporté les dattes
fraîchement cueillies d’un mamelon
Je suis venu à vous
Je ne suis pas venu
Et vous n’êtes pas venus à moi
Je suis ainsi
vif-argent
comme le courant de la volupté
Je vous ai apporté
le minaret
pour appeler d’en-bas à la prière
Puissent les morts m’entendre
Je suis venu à vous mort
pour que vous m’aimiez davantage
et que vous disiez de moi
tout ce qui m’agrée
J’ai apporté des fleurs
pour ceux d’entre vous
qui ont proclamé leur folie
Je suis venu fou
pour comprendre le fou
tordre ce qui est droit
comprendre le fleuve
le serpent
Fou
pour aimer les échelles
devenir sage
comme chacun voudrait que je sois
Je vous apporté des choses inestimables
Les petits cailloux avec lesquels je joue
Des formes
qui ne ressemblent qu’aux animaux imaginés
dans la volupté
Du parfum
pour ouvrir vos narines
à la sauvagerie du plaisir
De l’or
que je répands
chaque fois que j’atteins la jouissance
Et vous ô femmes
je vous ai apporté un bâton d’or
qui ravit la lumière de la vulve
J’ai apporté
plusieurs copies de moi-même
Aucune
ne ressemble à l’autre
J’ai apporté
des nombres impressionnants de moi-même
Aucun nombre ne ressemble à l’autre
J’ai apporté
la soif
pour les lèvres humides
…
extrait de « Bougies Noires « aux Éditions de la Différence
traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi
Roland Dauxois – Hors la ruche du monde
–
nous habitons les ossuaires du verbe,
notre métier : tisser en haute lumière
la lice où nos paroles s’affrontent.Hors la ruche du monde
nos fronts sont brûlants de fièvre,
en nos cœurs
flux précipité
du sang de notre langue,
fleuve noir emportant les arbres,
les racines de ces arbres.
soif d’ ombres mêlées de terres et de vents,
soif de marches sur les sommets du monde,
soif de réponses,
de visions magiques.
Extrait de « Hors de » 2003 RD
Mireille Fargier-Caruso – Ferveur

gouache: Alexander Calder
–
Persiennes closes pour la sieste
une échancrure où se dénouent nos soifs
passage à gué entre songe et éveil
on suit le fil d’un cerf-volant
dans un pays qui nous échappe
on met à nu nos visages
à l’écoute des commencements
accord solaire dans la ferveur des mains
sans crier gare
la trame de nos gestes a signé l’invisible .
Katica Kulavkova – sécrétions
–
Ne restera de nous
qu’un épanchement discret
proscrit
menu comme un haïku comme une pointe
menue parce qu’ éloignée
– comme le soleil
ce dépôt vivant
où avec le temps
nous nous sommes fondus
spasme après spasme, goutte après goutte
comme des donateurs de sang
il restera au fond
ni la sécheresse ni la soif
ne nous aideront
à goûter à la sécrétion,
à recracher, à rebours.
Se déposera aussi
ce qui s’égouttait par erreur
le long de la fissure
où une vie se continue dans l’autre.
Notre voracité et nos appétits seront apprivoisés
Et rééduqués : nous répondrons
à des noms étrangers
Comme à nos propres.
La fidélité est temporelle, ah les meurs !
Le ciel ensuite tel un spéculum gris
sera embué par notre chaude haleine :
Simple preuve qu’il fait froid,
glacial
le fond
André Laude – Nous n’habitons nulle part ( Testament de Ravachol )

dessin; street art de Banksy
Nous n’habitons nulle part nous ne brisons de nos mains
rouges de ressentiment que des squelettes de vent
nous tournoyons dans un désert d’images diffusées par les
invisibles ingénieurs du monde de la séparation permanente
retranchés dans les organismes planétaires planificateurs
infatigables du spectacle
nous ne sommes rien nous ne sommes qu’absence
une brûlure qui ne cesse pas nous n’embrassons nulle bouche
vraie nous parlons une langue de cendres nous touchons
une réalité d’opérette
nous n’avons jamais rendez-vous avec nous-mêmes
nous nous tâtons encore et toujours
nous errons dans un magma de signes froids nous traversons
notre propre peau de fantôme
le soleil du mensonge ne se couche jamais sur l’empire de
notre néant vécu atrocement au carrefour des nerfs
nous n’avons ni visage ni nom nous n’avons ni le temps
ni l’espace des yeux pour pleurer trente-deux dents
totalement neuves pour mordre
mais mordre où mais mordre quoi
de fond en comble toutes les chaînes
autour desquelles s’articulent nos chairs nos pensées
d’aujourd’hui
jusqu’à ce qu’elles cassent dans un hourrah de lumières de
naissances multiples
décrétons le refus global
les jardins des délices tremblent et éclairent au-delà
la révolte met le feu aux poudres
taillez enfants aux yeux d’air et d’eau les belles allumettes
dans la forêt des légitimes soifs
taillez les belles allumettes pour que flambe le théâtre d’ombres universel.
(In Testament de Ravachol)
–
–
Un pied devant l’autre ( RC )
J’ai oublié les charlatans,
les acharnés, les magiciens, mécaniciens et les fortiches
Remisé les clefs.
Peut-être perdues, qui sait ?
Et fait qui , d’un grand voyage, sur un fil suspendu
Et sans assurance
En laissant sur place, les vieux objets et bateaux rouillés
Autres que ma confiance,
Si tout se déglingue et moisit,
Je mets un pied devant l’autre
Et c’est le vide dessous qui me sourit,
Je n’ai plus soif
L »amour rajeunit,
Tout va venir,
Et l’aube encore,
Et demain,
Sera dans mes bras.
RC – 18 juillet 2012
Béatrice Douvre – Habiter la halte brève , la rive avant la traversée
Habiter la halte brève
La rive avant la traversée
La distance fascinée qui saigne
Et la pierre verte à l’anse des ponts
Dans la nuit sans fin du splendide amour
Porter sur l’ombre et la détruire
Nos voix de lave soudain belliqueuses
L’amont tremblé de nos tenailles
Il y a loin au ruisseau
Un seuil gelé qui brille
Un nid de pierre sur les tables
Et le pain rouge du marteau
La terre
Après la terre honora nos fureurs
Ô ses éclats de lampes brèves
Midis
Martelés de nos hâtes
Tant d’éphémères mains, tant de vent
Ce soir
Tarde la magique lueur
Et ton nom est incertain
Parmi de pauvres roses
Ton nom défait les fleuves où la lumière nage
J’ai patienté pour accueillir
Longue ta voix le long des longues herbes
Mais tu es seul parmi la pierre des étoiles
Ta voix prolonge la source des vivants
J’attends pour te reprendre de n’être qu’un langage
L’aube étincelle dans l’herbe des vigueurs
Souffle mûr mêlé du sang des hommes
Tu marchais réinventant le pas du sol comme une soif
Dans le vent neuf
Je te regarde tu courais
Geste habité du voeu de naître
Auprès des croix
Qui font parfois les pierres profondes
Le visage traversé
Dans des jardins à jambes de verre, et de roses
Quand recommence la mer tendue
Des lampes, et le froid
Et que l’on tient, dans les mains, le dernier monde
Rêve, et à l’avant du rêve un corps l’éclaire
J’ai peur de ces troupeaux dans le progrès des lampes
Peur de la terre des pas
Près de la porte où penche
La nuit lourde de l’aile
Il y a ce péril
Des lampes dans la maison
Ce désir
Comme un taureau dans l’or
Un feu de bois de rose
Coupé par l’hiver
La voix changée m’emmenait dans ses tours
Je dérivais au son des campagnes
Dont l’été meurt
Marcher maintenait une lampe
Des lacets d’oiseaux noirs de songes
Cherchant farouchement le ciel
D’un bord à l’autre
Comme une voix changée qui chante
Qui refuse
Marcher maintenant m’éclairait
Des mains brunes ce soir ont recueilli
Longuement l’eau patiente du soir
Du vent passait
Dans le vent des doigts
Amers des fileuses
Et au-devant
Les troupeaux sont la pierre même
Etrangement
Debout dans la paille limpide
Venue
Des mains fidèles des fileuses
Aux fronts de vent.
Regarde-moi courir, m’éloigner dans l’apparence
Vers les rires bleus de l’air
Immense
La soif divisée
J’ai l’appétit fermé par le malheur
Comme ces bêtes au front silencieux
Ont mille morts mille hontes légères
Un vent du sol entier
Parcourt mes membres, leur perfection
De sable froid
Soulève encore une piste de pas
Et d’autres pas se perdent sur la mer
D’autres mains, doucement infinies
J’ai l’âge travesti des forêts, mais je danse.
La part du jour froissée d’oiseaux
Jusqu’aux fatigues
Nos pas
Relancés en lueurs
Déjà
L’air élargi
Là sous le volet lourd
Ô d’heures encore chaudes
Jusqu’à l’ouvert où vaincre
L’inanité
De nos demeures
Femmes pleines de nuit, aux voiles vierges et noirs, vous saignez dans les ports et vos
barques sont sèches.
Le silex de vos mains taille des regards de diamant aux enfants qui vous pendent.
Il vous faudra perdre le vent de vos cheveux et revenir aux Villes. Mendiantes au ventre
lourd, vous dressez des drapeaux avec vos âcres jupes odorantes.
L’acier de vos paupières ressemble aux grands radeaux qu’on voit sur les tableaux de mer.
Rires, et l’évidence de vos pas nus sur le marbre des pelouses ; indifférentes aux grandes croix
qui trouent le ciel bas et mauve.
Je bénis vos épaules que creuse un sein maudit, et vos bras matinaux, blancs de draps,
comme un lait de montagne.
BEATRICE DOUVRE
Francis Dannemark – Autrement dit, l’amour
Autrement dit, l’amour
pour F.
Il y a,
il y a des jours de raisins doux, de pommes d’or,
de quoi faire taire notre vieille soif.
Et l’eau qui court, torrents, rivières,
court sous la peau, enrobe nos cœurs, calme nos doigts.
Rien ne manque, rien n’est mieux,
et quand la nuit vient, elle affiche pour nous deux
un jeu complet d’étoiles.
Il y a des jours de fruits amers,
quand les pépins écrasés
nous blessent un peu la langue,
nous font former des mots moins beaux.
Il y a des jours de courte paille
où trois fois l’on tire la plus courte.
Les enfants sont un peu trop loin
pour qu’on entende leurs rires
et le chien qui murmure des rêves moroses
semble ne plus nous reconnaître.
Il y a des jours où tu m’aimes,
des jours où tu m’aimes bien.
Ainsi nous avançons, nous souvenant
et oubliant, marée haute, marée plate,
que le bonheur est un mélange
et que jamais il ne ressemble
ni tout à fait à ce que nous croyons
ni à lui-même,
–
J’ai cherché le feu – (RC)
Je cherche le feu, le voici
J’ai fouillé dans les cendres
Et senti la poudre tiède de douceur
Accompagnée des morsures des braises.
–
J’ai cherché dans les cendres
De la mémoire du silence
Et je t’ai trouvée, douceur,
Avec la soif du corps en braises
–
J’ai cherché la douceur
Entre la demeure des instants
La patience d’un feu – soudain
De nouveau ravage mon âme.
–
RC – 28 mai 2012
–
Avec la réponse de M, visible sur ecriscris
Et celle de Manouchka, notre poétesse québécoise…
Braise apaisante sur mes froidures passées,
Son feu coule dans mes veines sclérosées,
Je me réchauffe à sa mâle présence,
Qui dessine sur ma peau de faïence,
Un poème tatoué à l’encre rouge,
Où les couleurs du couchant, encore bougent….
—-
–
Edmond Jabès – Chanson de l’étranger

art: dessin: K Malevitch
–
Je suis à la recherche
d’un homme que je ne connais pas,
qui jamais ne fut tant moi-même
que depuis que je le cherche.
A-t-il mes yeux, mes mains
et toutes ces pensées pareilles
aux épaves de ce temps?
Saison des mille naufrages,
la mer cesse d’être la mer,
devenue l’eau glacée des tombes.
Mais, plus loin, qui sait plus loin ?
Une fillette chante à reculons
et règne la nuit sur les arbres,
bergère au milieu des moutons.
Arrachez la soif au grain de sel
qu’aucune boisson ne désaltère.
Avec les pierres, un monde se ronge
d’être, comme moi, de nulle part.
–
I’am looking to
a man I’m not familiar with,
which was never as my own
since I’m looking for him.
Does he have my eyes, my hands
and all these thoughts like mine
to the wrecks of this time?
Season of thousand shipwrecks,
the sea ceases to be the sea,
become iced water of the tombs.
But, further, who knows further?
A young girl sings , going backwards
on the trees ,and reigns in the night ,
shepherdess among the sheep.
Tear thirst from the grain of salt
That not any drink will quench.
A world corrodes with the stones,
to be, like me, out of nowhere.
–
Edmond Jabès