Jeux symboliques – ( RC )

Heureusement de mon temps,
les marchands de jouets
ne pratiquaient pas simultanément
le commerce des armes.
Certains de mes camarades
s’échangeaient des images
avec des soldats casqués,
des chars et des fusées .
Pour se mettre de plein pied
avec la réalité
quelques décennies plus tôt,
il aurait été plus facile
de se procurer des osselets,
ou des médailles militaires
portant la croix gammée .
Mais je dois me faire des idées….
Jacques Borel – les images
peinture: Arnold BÖcklin avec la mort violoniste
Je ne peux pas grand’chose lorsque s’abat sur moi
La grande faulx noire et dorée de la mélancolie,
Seulement ployer un peu plus bas l’échine, ou supplier
De se taire dans la combe la plus obscure du cœur où ils se sont réfugiés
Ce groupe d’aïeux qui se retournent et chuchotent
Comme des soldats frissonnants sous une couverture
Et dont je n’ose pas surprendre les secrets conciliabules;
Retenir un instant cette main, et c’est celle de mon père,
Qui voudrait approcher de la table de jeu
Et poser encore un peu d’or sur le tapis;
Convaincre doucement ma mère de rentrer,
Qu’il n’y a plus de messe à l’église des fous
Et qu’aucun noyé ne l’appelle du fond de cette eau où elle se penche.
Peut-être pourrais-je refuser de reconnaître
Ce sourire d’amer plaisir que j’ai déjà vu sur d’autres bouches,
Ou ce geste de l’épaule qui tremble et ploie
Quand la vague d’un autre corps va la recouvrir de son ombre
Et la rouler sur un lit d’algues où elle retrouvera soudain
La même face confondue de la mémoire et de la solitude.
Dire non, mais puis-je aussi
Dire non à cet enfant dans son lit
Qui murmure à la mort des mots de fiançailles
Et il me semble qu’il ne s’est pas endormi depuis,
Qu’il est là depuis toujours, à tenter d’apprivoiser
Le sommeil aux mains de sable
Les larmes de Peau-d’Ane encore sur son visage
Et la lune sur la vitre qui survit à ses songes.
— Ô images, plus indestructibles que les choses !
Grandes banderoles à jamais accrochées aux façades !
Vous me cacherez jusqu’au bout les profondeurs des fenêtres,
Les gestes, les colères et le tendre recul
Des êtres qui respirent à leur tour dans les chambres;
Le vent qui vous arrachera me balaiera avec vous,
Je vous sentirai encore collées à mes paupières,
Et, dans la déchirure,
La même lampe continuera d’éclairer pour moi
La même marge obscure et infranchissable du monde
Découpée une fois par les ciseaux du temps,
La maison refermée sur les terreurs du jour,
Ce salon vide, cette porte, et sur le mur
Cette figure lentement qui se confond avec sa robe
Et qui en a fini désormais de ressembler à personne.
Ismaël Kadare – la locomotive
La locomotive (extrait)
Dans le calme de la mer, près des vagues
Ta jeunesse au milieu des flammes te revient en mémoire.
D’un bout de l’Europe à l’autre.
D’un front à un autre front,
En fonçant au travers des sifflets, des sirènes et des larmes
D’un sombre horizon à un sombre horizon,
Tu allais toujours plus loin au-devant des jours et des nuits,
En jetant des cris perçants d’oiseau de proie,
En sonnant de la trompette guerrière,
Dans des paysages, des ruines, des reflets de feu.
Dans les villes, dont tu prenais les fils,
A travers des milliers de mains et de pleurs,
Tu te propulsais vers l’avant,
Tu ululais
Dans le désert des séparations.
Derrière toi
Tu laissais en écho à l’espace,
La tristesse des rails.
Sous les nuages, la pluie, les alertes, sous les avions
Tu traînais, terrible,
Des divisions, encore des divisions,
Des divisions d’hommes,
Des corps d’armée de rêves,
A grand-peine, en jetant des étincelles, en haletant,
Car ils étaient lourds.
Trop lourds,
Les corps d’armée des rêves.
Quelquefois,
Sous la pluie monotone,
Au milieu des décombres
Tu rentrais à vide du front
Avec seulement les âmes des soldats
Plus lourdes
Que les canons, les chars, que les soldats eux-mêmes,
Plus encore que les rêves.
Tu rentrais tristement
Et ton hurlement était plus déchirant,
Et tu ressemblais tout à fait à un noir mouvement,
Portefaix terrible de la guerre,
Locomotive de la mort.
Ismaîl KADARE in « La nouvelle poésie albanaise »
–
voir aussi sur le thème de la déportation « trains sans retour »
Un chaos au plus près – ( RC )

– image d’actualité ( Congo) site dw.de
–
Si c’est un homme,
Alors, laisse le marcher,
Et garder tête haute,
Sous le soleil,
De son pays,
Sans pour autant,
Lui faire respirer
La haine et l’envie.
–
Les lumières artificielles,
Des écrans et néons ;
Une civilisation,
Où des hommes de néant,
Commercent le droit de vivre,
Si seulement trouver à se nourrir,
Au delà de la poussière
D’un soleil retiré, reste possible.
–
Au lendemain de l’émeute,
Les boîtes de médicaments,
Vidées, – concentrés de richesse ,
Les pharmacies pillées
Et eux, avalés comme des bonbons,
… Les dollars eux-même,
Ne sont pas plus comestibles…
Que le sourire du bourreau.
–
Avec ceux qui n’ont rien,
Et n’auront jamais rien,
Que la faim au ventre,
Générant des hordes,
D’ enfants soldats,
Le pays cerné
Par sa propre misère.
A défaut d’avenir.
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( en rapport avec « white material », film de Claire Denis )
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RC – août 2014
Le ciel ne se remplit pas de couleurs, aux fêlures du quotidien – ( RC )
A oublier de respirer,
Celui qui poursuit son chemin tranquille,
Ne s’aperçoit pas que, sous ses pas,
Se déroule le vide
Et que la falaise a cédé.
L’apprenti soldat, confond la réalité avec les jeux vidéos,
Et l’arme entre ses mains, n’a de différence avec le fusil en plastique
Que son poids, et l’odeur de l’huile
Alors qu’il caresse la gâchette,
Large, froide – vraie
A oublier de respirer,
On en oublie de penser
Et le monde a tourné sur lui-même.
Les larmes ont séché sur les visages
Au soleil disparu derrière les collines.
Enrôlés de force, les enfants soldats
Qu’on mène au combat
Délaissent la famine,
Pour les champs de mines,
Ont le goût du sang, dans leurs bouches d’enfants.
Le ciel ne se remplit pas de couleurs
Aux fêlures du quotidien,
Mais colporte la haine
Dans leurs poings serrés
Sur des branches de douleur.
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RC – 8 février 2013
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