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Articles tagués “soleil

Jacques Dupin – entre la sauge et le lichen , vers les constellations


Nous n’appartenons qu’au sentier de montagne
qui serpente au soleil entre la sauge et le lichen
et s’élance à la nuit, chemin de crête,
à la rencontre des constellations.


Renaissance sans attendre à demain – ( RC )


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peinture: Cliff Spohn

C’est maintenant …
je n’attendrai pas demain,
je compresse l’ombre
et parcours les veines de la terre.
Je convoque les complices du soleil
pour voler derrière les flammes :

– impatience de mes membres
qui s’extraient soudain des cendres – ,
pour renaître,
phénix au matin léger
du miracle de l’aube
dont j’emprunte les voies :
C’est aujourd’hui mon envol.
Je n’attendrai pas demain.


Daphnis et Chloé échappés d’une planète – ( RC )


lithographie Marc Chagall de la suite « Daphnis et Chloe »

Un couple ailé s’est échappé de l’une d’entre elles,
faisant face à un oiseau qui tenait dans son bec
une sorte de grappe.
Un soleil imitant une fleur
a ouvert ses pétales jaunes
nourrissant la terre de sa chaleur.

Avec l’arrivée du soir l’une des planètes
a dû se poser sur l’horizon,
car les couleurs ont changé :
du vert et du mauve se sont emparés des collines,

les routes se sont dissoutes
les arbres ont bleui,
des temples ont basculé,
et même une chèvre s’est envolée,
désireuse de répondre à l’appel des êtres ailés,

juste avant que les pétales
ne se referment
sur un tiède crépuscule
précédant la nuit.


Jacques Borel – la trace


photo: Izis

À qui veux-tu parler ?

Les trottoirs sont déserts,

Un petit soleil mort

Ou le crachat d’hier

Se sèche sur le mur.

O veine de mica,

Tesson, mucus, paupière,

Trace d’une lueur

Absorbée par la pierre,

Ne t’éteins pas encore,

Reste d’un geste humain

Ou souvenir du jour,

Illumine ce peu

D’espace consolable

Où ma vie comme un poing

Serre ses derniers rêves.

extrait de  » sur les murs du temps »


Anna Jouy – Parfois le monde me plait


photo RC – Finistère

Parfois le monde me plait. Je n’éprouve que la vibration. Ma tête bourdonne doux.
Elle a sa plage de liberté, elle pense ailleurs
Nomade, vacancière
Le sable est meilleur au soleil
Ma maison est vide, déserte
Les fantômes se baignent à la mer
Les domestiques de l’hiver
Ont fait leurs bagages
Ils ont pris des passeports de nuages
Alors la maison évidée de ses bruits,
Suit aux fenêtres les traces de la lumière
Essuyant les colliers des moucherons
Sous le son immobile d’aujourd’hui


Nicolas Jaen – le coing propose une joue d’ombre à l’apprenti


peinture Andy Demzler

Il pourrait le dire, en haut-allemand, ou en noroît :
Le vent souffle, la cendre dans les hangars, le bel orage oui
Les morts déplacent des pierres des chantiers le H pour fenêtre d’hôpital
Où la lumière fait une flaque au pied de personne avant de se retirer,
Où les rideaux évoquent théâtre chauffé, lit, drame, jouent des scènes
Furtives au toucher qu’est la main retrouvée.
(La pourriture du coing propose une joue d’ombre à l’apprenti au pinceau
Le trait de la lame écrit en sang sur la pulpe du doigt la dominante)
etc. Les peaux de raisins de poires le jus des pommes épandus.
Dans la galette, le pois cassé, le salsifis, l’iris troublé :
le temps s’étire comme un chat, je jeûne au festin ô
L’œil nid de palombes
L’ombre, enfoncée, dans le mur signe une proximité – et une absence.
Les thèmes de l’air et de l’eau sont les voisinages du vide

  • les fonds, le bleu du ciel, et dessous une maison qui penche, qui a faim.
    Un siècle qu’elle n’a pas bougé d’un ciel.
    On chiffrera plus tard mes études, on me verra copiste.
    L’ange attendra comme pierre, comme saule, et il y a pleurs dans peupliers
    Le temps efface les mains Une craie s’est brisée en écrivant le mot
    « père » sur le tableau noir de l’école L’écolier persiste sous le cœur.

Au teint de vieux noir et blanc.
( Oui j’ai de la chapelle de l’hôpital des poussières d’hosties encore dans la gorge.)
On lavera au sang. On ouvrira nos écorchures.
On se baignera en nous.
Et l’ange frappera. Par sa nervosité.
Son œil boira les couleurs.
À peine recommencées. Esquives.
Et coups bas. Oui, la folie reprisée. D’avoir a consumer d’êtres l’urne, lente, fourragée, d’éternité.
(Oui j’étais la pierre la dune le sable le soleil)

Nicolas Jaen ( texte paru dans la revue « Décharge » )


Jean-Luc Parant – le chant du vide


C.M. – Mais la musique n est-ce pas le chant du vide ?

J.-L.P. – Oui, car si être aveugle c’est avoir perdu le soleil, être sourd ce serait avoir perdu le vide. Un texte qui ne laisserait rien entendre ne se laisserait pas lire.

La lumière sans l’espace ne pourrait pas l’éclairer, la nuit le recouvrirait aussi vite.
Si les oreilles sont placées de chaque côté de la tête et non ailleurs c’est parce que de chaque côté de nous il y a le vide sans fin.


À gauche et à droit nuit, devant nous le jour.

(extrait d’un dialogue avec Claude Margat )- CIPM editions


Roland Dauxois – la jouissance toujours féconde de l’esprit


Je n’ai jamais voulu filer
avec les fileuses du temps
ni voulu me prendre les pieds
dans les filets du verbe,
je n’ai voulu vider mes yeux de leurs visions
je n’ai voulu brûler sous nul soleil
ni priver mon corps de ces mystérieux élans,
ni me perdre sur la ligne faillible de l’horizon.

J’aimerai sombrer
dans les profondeurs de mes draps froissés,
vagues blanches, torrents d’écume
qui rageusement m’emporteraient,
loin de ces rives où l’astre de feu inconsolé
annoncerait sa politique de cœur brûlé.

Je n’ai jamais voulu croire
en cette joie terne des jours travaillés
en cet immense laminoir
qui ne se lasse d’avaler les êtres
et de les rejeter en fumées,
je ne parle ici de camps de la mort
mais de ces usines
dont l’absence même est pleurée.
Je n’ai jamais voulu croire
en ces visions de paradis matériels
qui nous font oublier nos âmes
je n’ai jamais voulu croire
aux paroles de ces fanatiques
qui renient leur corps
pour trouver des dieux
qui justifient leurs tyrannies.

Je n’ai jamais voulu cesser de croire
en ces nuits
où guidé par des lampes merveilleuses
mon corps visitait les régions invisibles,
dialoguait avec le monde
des herbes et des écorces,
frottait sa peau blanche à l’arbre millénaire,
apprenait par le sexe
la jouissance toujours féconde de l’esprit.


Armel Guerne – l’éclat dernier des trompettes dernières


photo RC Malaisie

Aux fleurs, voyez, qui sont fidèles au terrestre,
Nous prêtons un destin sur le bord du destin.
Mais s’il leur est amer, qui sait ? de se faner,
C’est à nous de porter, d’être leur repentir.
*
L’avenir est muré, voûté comme une cave
Où vient demain, furieusement
Retentir seul l’éclat dernier
Des trompettes dernières,
Plus grandes que le soleil et la nuit.


Journal d’un voyage, quand je tourne les pages – ( RC )


photo Virginie Gautier

Journal d’un voyage,
des deux pieds dans le sable – ,
( mais le soleil n’est pas le même

quand je tourne la page ):
je ne suis plus capable
d’en faire un poème,

parce que je ne suis plus là
pour te raconter le vent tiède
précédant l’orage :

deux mois ont passé déjà …
….Non, ce n’est pas de Suède
que je rapporte les images…

imagine plutôt la jungle proche:
elle s’accroche sur la moindre roche
et la photo n’en montre rien ;

pas un coquillage,
pas de varan pour témoin
dont je guetterais l’approche:

C’est par hasard, que j’ai trouvé égaré
un morceau de corail, et un tout petit bénitier,
au fond de ma poche !

voir « suite malaise » de Susanne


Qui serais-tu ? – ( Susanne Derève) –


photomontage SD
Qui serais-tu, 
si dans tes cheveux le vent  tressait soudain
des fils invisibles,
si le vent taquin sous ta jupe effleurait
le creux de tes cuisses de son souffle léger,
à l'endroit où la chair tressaille
du désir d'être aimée.

Qui serais-tu si le soleil
imprimait sur ta peau sa morsure brûlante
en un baiser sensuel,
si soudain délivrée de tes voiles                                
tu abandonnais à la mer,
à ses bras tièdes, à ses mains de corail
ton corps ondoyant de sirène,
ta jeune poitrine, tes hanches pleines, tes jambes
de tendre écume,

si les vagues  resserrant
leur étreinte te jetaient nue,haletante,
comme une fleur marine
sur le sable palpitant de midi,
auréolée de mille paillettes
de lumière, d'eau et de sel.  

Alors, qui serais-tu ?


extrait de Suite malaise : voyage Malaisie- Singapour ( Septembre Octobre 2022) (voir : Partage de Susanne)


Annick Nozati – C’est un pays sans fin, peuplé d’ombres


C’est un pays sans fin
peuplé d’ombres qui errent
le soleil descendu n’éveille plus les couleurs
les minutes arrêtées n’avançant plus les heures,
nous ne pouvons plus boire qu’aux mirages des eaux
et nous n’entendons plus que nos peurs en échos
.

Annick Nozati est connue comme musicienne , vocaliste, improvisatrice, j’ai extrait ce texte d’un livret du CD « la peau des Anges »


Contre le ciel – (Susanne Derève) –



Le Cénaret Lozère en Causses – René Chabrière

La lumière,
aussi incisive que la réverbération du soleil 
sur la neige.

Contre le ciel se hisse la montagne,
près du plafond de verre,
l'azur des anges.

Ainsi était hier,
le Causse aujourd'hui est aveugle,                                         
obscurci de nuages                                                                 
et la brume entraîne le jour dans sa chute, 
                                                                                                 
comme nous avons chuté dans l'automne                               
au retour de voyage.

.


Tioman l’endormie – (Susanne Derève) –


Kuala Besut (Malaisie) – photo RC

.

A Tioman, le temps n’a guère d’importance

seuls les nuages passent

Les hommes attendent que la pluie vienne

ou bien qu’elle cesse

avec l’indifférence de ceux qui ne possèdent

rien d’autre que le soleil

le chant des vagues et l’eau du ciel

***

A Tioman, des chats faméliques hantent les rues

avec la même démarche lasse que les hommes,

Ils n’attendent rien, les chats, les hommes ,

que quelques miettes et ce qu’offre le ciel :

la morsure du soleil et la pluie des moussons,

pluie insensée à leurs oreilles

qui martèle inlassablement les toits de tôle,

efface les bruits du monde, et s’insinue

dans leur sommeil

.

.

extrait de Suite malaise : voyage Malaisie- Singapour ( Septembre Octobre 2022)

( voir partage de Susanne)

Tioman , chaton – photo RC

Caroline Dufour – entre corps et ciel


photo Cig Harvey

une fenêtre
et un ciel d’automne

l’enfant dirait que tout y est
des morceaux de soleil et d’ombre

toute cette lumière qui danse
entre corps et ciel

vouloir ne savoir
rien que vivre

visite du site de Caroline D ( hautement recommandée )


Quelle méthode ? – ( RC )


Y a-t-il une méthode
que l’on doive suivre
pour écrire un poème,
courber les mots,
les faire danser,
sur le fil tendu
de la pensée ?

Personne ne m’a chuchoté
la réponse
et le rythme
de la musique
qui l’accompagne,

  • alors je le laisse fleurir
    comme bon lui semble…

Quelques images
lui sont attachées,
au gré de ma fantaisie
houle argentée
accompagnée du vent de l’inquiétude,
d’un soleil radieux
ou bien tragique…

le poème – si on le qualifie ainsi –
prend son envol ,
sans que je mesure l’espace
entre ses pieds,
Il ne paraît pas
entravé de normes rigides :
il s’échappe, sans que je le retienne.


Boris Vian – C.P.R.


Le soleil se cachait derrière la nuée.
L’ombre étendait son voile aux jardins obscurcis.
Le fantôme des joues tristement raccourcis
S’éloignait de la ville en un enfer muée.

De lumière la multitude dénuée
Commençait de gronder. Déjà d’âpres soucis
Se frayaient un chemin sous les fronts indécis.
La peur montait, blafarde, et ce fut la ruée

Vers les dieux de métal sanglants des sacrifices
Et l’envahissement des vastes édifices.
Mais les dieux ne pouvaient dissiper le brouillard.

Alors parut soudain, conjurant le désastre
Au moyen d’une lampe, un auguste vieillard
Et chassant la ténèbre, on vit lampe aider astre.


Pierre Garnier – Heureux les oiseaux, ils vont avec la lumière


ce sont orthographes nouvelles :
abeille s’écrit abeil
soleil s’écrit soleille

les abeils habitent les abbayes
les soleilles sont désormais des sources

le féminin s’empare du soleille
le masculin s’empare de l’abeil

pendant cet instant la route de la mort
est barrée

l’abeil, la soleille
c’est la meilleure orthographe
apesant
le poète modifie le monde

la pomme devient poème
l’abeille courte devient abeil

les abeils et les soleilles se rapprochent
du presbytère
on y voit plus clair quand le poète
fait son orthographe

les abeils semblables à la lumière
et aux dentels –
les abeils, les abbés, les abbayes
proches maintenant
de la soleille

l’enfant regard’ le mur de l’écol’
par où passent triangles, losanges et sphères –
ainsi les papillons, les abeil’, les libellules –

le Vieil homme ne perd rien en perdant la vie
– il a atteint la cielle et l’abeil

origine : editions des Vanneaux


L’infini ne reconnaît pas les créatures de l’esprit – ( RC )


volume Guillermo Rodriguez

Tout glisse entre leurs mains ouvertes,
et peut-être les transperce,
Ils sont sans doute
des créatures de l’esprit,
qui ne connaissent pas le poids des choses,
et peuvent marcher sur l’eau
sans qu’elle ne s’en aperçoive…


J’en ai vu qui ont traversé les façades,
ignorant les habitants,
mais chargés de la couleur des murs.


Les plus audacieux se sont risqués
à escalader le ciel
sur une échelle
allant vers l’infini,
mais ils ont présumé de leur force,
car l’infini ne reconnaît pas
les créatures de l’esprit.


Ils ont chuté
comme Icare en son temps,
pour se dissoudre
comme un songe, au réveil,
dès qu’arrive le soleil…


Sally Heliott – il neige toujours quelque part


Quand tu rencontreras le Soleil de Tabriz
comme ces deux mains
comme ces deux paumes
dont les mots calcinés échappent aux brûlures…

quand tu rencontreras le Soleil de Tabriz
l’hiver alors nous mordra la bouche
comme…
comme pour en vivre encore

le feu avant la cendre
la flamme et la lampe

plaine à la longue page
encore imberbe de doutes et de peurs
quand remplie de silence
on entend sa parole


Fernando Pessoa – Le livre de l’intranquillité (extrait) 170


Giorgio de Chirico – L’incertitude du poète –

Depuis que les dernières pluies ont émigré vers le sud, et qu’il n’est resté que le vent qui les avait balayées, on a vu revenir sur les collines de la ville la gaieté d’un beau soleil, et surgir aux fenêtres des quantités de linge blanc qui dansait, suspendu à des cordes soutenues par des bâtons posés perpendiculairement, tout en haut des façades de toutes les couleurs.
Moi aussi, j’étais content, parce que j’existe. Je suis sorti de chez moi mû par un grand dessein – celui, en fait, d’arriver à l’heure à mon bureau. Mais, ce jour-là, la pulsion même de la vie participe de cette autre pulsion heureuse qui fait que le soleil se lève à l’heure prévue par l’almanach, selon la latitude et la longitude des divers lieux de la terre. Je me suis senti heureux, simplement parce qu’il était impossible de me sentir malheureux. J’ai descendu la rue tout tranquillement, empli de certitudes car, enfin, le bureau bien connu, les gens connus que j’allais y rencontrer, étaient autant de certitudes. Rien d’étonnant à ce que je me sente libre, sans savoir de quoi. Dans les corbeilles posées au bord des trottoirs, rue da Prata, les bananes à vendre, sous le soleil, étaient d’un jaune éclatant.
Je me contente, finalement, de bien peu de chose : voir cesser la pluie et briller le bon soleil de notre Sud béni, voir des bananes d’un jaune vif, contrastant avec leurs taches brunes, et les gens qui les vendent grâce à leur verbiage – les trottoirs de la rue da Prata, le Tage, tout au bout, d’un bleu verdi d’or, tout ce petit coin familier du système de l’Univers.
Le jour viendra où je ne verrai plus rien de tout cela, où me survivront les bananes au bord des trottoirs, la voix des marchandes finaudes, et les journaux du jour que le petit vendeur a étendus, côte à côte, sur le trottoir d’en face, au coin de la rue. Je sais bien que ce seront d’autres bananes, d’autres marchandes, et que les journaux, quand on se penchera pour les regarder, porteront une autre date que celle d’aujourd’hui. Mais eux, qui ne vivent pas, peuvent durer, même s’ils changent ; moi qui vis, je passe, même si je reste le même.
Je pourrais consacrer solennellement cette heure en achetant des bananes, car on dirait qu’en elles s’est projeté le soleil tout entier, comme un photophore sans appareil. Mais j’ai honte des rituels, des symboles, honte aussi d’acheter quelque chose dans la rue. On pourrait ne pas bien empaqueter mes bananes, ne pas me les vendre comme on doit les vendre, parce que je ne saurais pas les acheter comme on doit les acheter. On pourrait trouver ma voix bizarre, quand je demanderais le prix. Mieux vaut écrire que risquer de vivre, même si vivre se réduit à acheter des bananes au soleil, aussi longtemps que dure le soleil et qu’il y a des bananes à vendre.
Plus tard, peut-être… Oui, plus tard… Un autre, peut-être… Je ne sais…

Le livre de l’intranquillité

Christian Bourgeois Editeur


Louba Astoria – le la de mes étés


blés

L’océan mouvant des épis s’est asséché
Juillet fauché
La paille des blés
A l’odeur sèche et drue
Des hérissons jaunis qu’elle a dressés dans les champs

Les soirs se laissent envoûter
Au ciel, d’étoiles pailletées
Ici-bas, d’une humidité serpentine, grimpante
Entre les vapeurs persistantes et dorées

Séduite par cet entrelacs d’odeurs
Les grésillements des grillons et les grelots des jeunes grenouilles
L’obscurité languissante
S’affaisse et enveloppe les derniers parfums de ces journées grouillantes
Repues de soleil et de poussière
Dans un voile de repos bien mérité

Alors un vent léger déroule sa tresse
Entre les feuilles déjà grillées des cerisiers
Disperse lentement les odeurs de ma jeunesse
Et caresse la nuit pour ne pas l’effrayer

Depuis je m’endors à la belle étoile
Pour goûter encore l’ivresse de ces soirs de moisson
Perdus
Le temps où les éclats du quatorze-juillet
Culminaient en ces enchantements béats
Et donnaient le la de mes étés


Pierre Seghers – le bon vin


Ah le bon vin ! de la bouteille rousse
On y buvait le repentir doré
On y buvait la ciguë des forêts
Le vent d’Avril et le diable à ses trousses
Ah le bon vin ! que sa chair était douce
Enlevait-il ses habits de velours
Qu’on l’embrassait comme soleil le jour
Il vous glissait comme un que le vent pousse

Ah le bon vin ! de-ci de-là chantant
Le souvenir des amours impossibles
Le devenir des amours pris pour cibles
Il en riait ou pleurait plus souvent

Ah le bon vin ! mais c’est Yseult la blonde
Avec Tristan qui le boit tout à coup,
Sa main de feu qui leur brûle le cou
Leur incendie qui dévore leur monde !
Ah le bon vin ! c’est la torche et la flamme
Si haut montées que la peur les saisit,
Si haut domptées que la mort les choisit,
Folie se meurt et se meurent leurs âmes…
Ah le bon vin ! que dit le fossoyeur,
Ces deux roussis n’avaient qu’à le point boire…
Et l’oiseleur qui met des ailes à l’histoire
Avec elle s’envole ailleurs

texte extrait du recueil des poètes d’aujourd’hui ( ed seghers)


Jean-Claude Deluchat – ma barque


illustration 33domy ( centerblog)

Je n’aurai pas grand-chose et ce sera beaucoup
J’aurai dedans ma barque des gibiers et des fleurs
Des agapanthes bleues des baisers dans le cou
Une veine battante pour l’artère des chœurs
Des chants à perdre haleine dans la laine bergère
Qu’un souffle de printemps vient renaître par l’eau

Pour une aire de soleil et un sourire de frère
Qui sait me recueillir au chagrin du sanglot
Venez ici le jour est une aube fertile
Les nuages du ciel sont des cygnes si blancs
Qu’on dirait que les mois s’appellent tous avril
Et qu’un baiser de braise s’est assis sur un banc

Un banc de fruits vermeils et de levers charmés
Par un bruit de marées et de sables venus
Pour le marin perdu et le port arrimé
Jusqu’aux jetées gagnées et le phare des nues
Je n’aurai pas grand-chose et ce sera beaucoup

Un air de noces claires par la source des vents
Une graine posée dans le terreau par où
Ma nuit s’est maquillée et desserre les dents
Sa candeur vermillon a des lèvres de fruits
Et ses seins contre moi sont un tissu de cœur
Qui serrent à mourir comme on sert à minuit
Aux cuivres des saxos des goulées de clameurs

Quelques mots que je sais hors les dictionnaires
Sans besoin de version pour perdre le latin
La toile rouge et noire et l’absinthe ouvrière
Et les tournées gratuites que servent des quatrains
Des dimanches de soie et d’oiselles moqueuses

Des demoiselles folles aux guêpières ouvertes
Quand le temps est à rire sur des berges heureuses
Pour se coucher sans gêne à même l’herbe verte
Je n’aurai pas grand-chose et ce sera beaucoup
Pour les enfants malades et leurs plumes égarées
Je veux qu’ils dorment au chaud en leur toile cachou
Que leurs souliers de cuir leur soient dûment ferrés
Qu’ils jouent à perdre haleine aux hochets rigolos
Et que le soir venu je relève leurs draps
Pour la dernière goulée d’un verre de vin chaud
Dans un tendre soupir aux caresses de chat
Que les faveurs des flots nous portent des voyages

Au plus loin de l’ivresse et des danses de feux
Pour ces gamins heureux jusqu’au bout de leur âge
Dans des pays nouveaux sans la larme des yeux
Bien loin sont les faïences aux halos scialytiques
Bien loin restent les fièvres et les terreurs passées

Je veux ma barque douce pour unique viatique
Chargée d’éclats de rires et d’énormes baisers …

—-

Jean-Claude Deluchat


Carnets de dessins de Provence – ( RC )


dessin RC , environs de La Tour d’Aigues

A chausser les sandales de l’enfance,
te rappelles-tu des champs de Provence ?
Tu n’avais pas à ouvrir ton herbier,
le vent poussait ses vagues dans le blé,
comme dans la farandole
de la voix du mistral
soufflant par rafales
sur le plateau de Valensole.

Tu l’as parcouru à pied,
en sortant ton carnet à dessins.
De jeunes lavandes
déroulaient leurs points
avec de curieuses perspectives,
où le feuillage argenté
des oliviers, voisine celui, plus léger
de la promesse des amandes.

Contre les montagnes lointaines,
je me souviens de la teinte rousse
tirant sur le brun de Sienne,
opposée aux vertes pousses
des rangées de vignes
étagées sur les pentes ,
offertes à la cuisson du soleil.

Tu en parcours les lignes,
un soleil de miel
sous tes sandales de silence.
Les ceps crient
dans l’impatience
d’une lumière de braise
aux senteurs de la garrigue.

Bousculés dans les croquis
d’encre et de fusain,
sont-ils l’essence
de la morsure du midi
que rien n’apaise ,
calmés seulement
par la douceur de lait des figues…?


Georges Jean- un soleil de fin du monde


Derrière ces nuages blancs
Naît un soleil de fin du monde

Les hommes sont tristes ce matin
Serrés dans les doigts de la brume

On voit aux portes des maisons
Croître des arbres de pierre

Des visages penchés sur l’ombre
Écoutent bruire le jour

Une pendule sourde partage
Le sommeil noir des survivants

Les chats de soie suivent la trace
Des oiseaux perdus de la nuit

Une voiture aveugle perce
Le voile calme du silence

Nous ne savons plus si c’est l’aube
Ou l’ombre du dernier rideau.

extrait de « parcours immobile »


Sylvie-E. Saliceti – Je sais que le soleil tourne autour de la forêt


Montage RC

Je sais que le soleil tourne autour de la forêt
que la parole est nue
Je sais que la mort
brûle
Ni croix ni étoile sur le front des abeilles
Je sais les pieds déchaussés rythmant le sol
tendu en peau de scalp
et le totem des loups
et le feu des ancêtres dans le camp
immobile
Je sens la force
primitive des parfums boisés
Je sais qu’avant le rituel quand
le souffle s’éteint
les fumées se relèvent
pour se laver les mains
Qu’il faut un pas de danse en cercle
autour de l’arbre
Je connais les us de la lumière
Je sais que Dieu n’existe pas
La cérémonie
des vivants sous la terre Le bras
enterré de l’hommage
passe à travers la croûte de
boue pour attraper quoi ?
Des cerises juteuses
comme des nuages au-dessus
du linceul de ciel
Je sais la coutume
des morts Je sais que
Dieu existe
Sous les paupières
Dans le poing du charnier
les pierres de Lissinitchi sacrent
la lune sauvage
à la frontière de la chair
Laissez les corps du chagrin
et de la grandeur
là où les cailloux
tendent leurs lèvres
sous l’eau de pluie Le rythme
des gouttes vient
peu à peu J’attends
Que le vent couronne
le brasier au-dessous des branchages
Là où tournesols dans
leurs fleurs Là
où légendes et marchands
de Lublin
là où vieille langue dans
son chemin de ronde

Dieu a dû choisir entre
la bonté et la puissance
Je crois
que le soleil tourne autour
de la forêt
Là-bas le soleil roule sur
un chariot sans bouquet
où s’entassent les peaux
en parchemins
Les roues de la carriole tracent leurs
encres sur la neige
Deux lignes aussi droites que
les flèches du chamane
Je sais le rituel de la parole
le rituel de l’étoile
le rituel de l’écorce
trois tours de ciel

à Lissinitchi

extrait de « je compte l’écorce de mes mots  » Rougerie 2013