Stephan Hermlin – Ballade des défenseurs des villes
Pour le 25è anniversaire d’octobre — Pour ceux qui souffrent en silence — Pour les vainqueurs de demain — Pour les défenseurs des grandes villes Pour la race nouvelle — Pour les frères incomparables.

Près des bergers de la nuit et du plus solitaire peuple de sirènes.
là où la tempête dans les vallées gémit et où suave se lamente le cœur des dauphins.
jusqu’aux villes dans la fumée, qui au bord des ténèbres se penchent
et qui par le poing de fer de leur maître furent dans la corruption poussées
près des bergers de la nuit et du plus solitaire peuple de sirènes
là, un nom est nommé — oh ! puissions-nous vous donner ses puissances
à Vous, frères enfouis dans l’ombre du temps, vous donner ses larmes,
son sourire, son regard qui descend sur toute notre vie
et aussi cet énorme tambour qui autour de nous clame dans la nuit,
à Vous, à Vous ! oh ! puissions-nous donner tout cela !
Traduit par Daniel Trévoux (pseudonyme de Jean Tardieu) il parut en juillet 1944 dans « l’Êternelle revue » clandestine, de Paul Eluard. Il était accompagné des lignes suivantes :
S. Hermlin est un poète allemand de 29 ans qui, après avoir combattu en Espagne dans les Brigades Internationales, gagna la France puis, la Suisse.
Ce texte a été repris dans la revue Seghers » Poésie 84″
Futaie profonde, et solitaire – ( RC )

Parcourant la forêt, les troncs courbés
font comme une harpe
jouant une musique de lumière
que personne n’entend.
La futaie est profonde, et solitaire ,
personne ne m’entend chanter.
J’écris sur la terre humide
un poème,
que personne ne lira,
à part la lune
qui se penche vers moi .
inspiré par les textes de Wang Wei, voir « sous les pins »- calligraphie chinoise –
Julian Tuwin – pensif dans une ville étrangère

Dans ce petit café du coin,
Contre le mur frais et intime,
Très étranger, très anonyme,
Je fredonne des airs anciens.
Privé de paroles, de sons,
Du seul regard, dans le jour gris,
Un homme solitaire prie
Pour d’éternelles questions.
J’ignore demain et hier,
Là tout finit, là tout commence,
Ici et partout, tremble et danse
Une miette de l’univers.
Sortons. il n’y a pas de voie
A mon silence et à mon chant.
Pour vous, pierres, et pour toi, vent,
Je chante, homme aux abois !
Li Bai – Assis devant le mont Jingting

Les oiseaux s’effacent en s’envolant vers le haut
Un nuage solitaire s’éloigne dans une grande nonchalance
Seuls, nous restons face à face, le mont Jingting et moi,
Sans nous lasser jamais l’un de l’autre
( extrait de l’ouvrage de JM Le Clézio : le flot de la poésie continuera de couler ) ed Philippe Rey
Allain Leprest – l’homme aux deux ombres
sculpture : Jean-Pierre Baldini
Le type d’en haut le solitaire
Si j’vous disais il a deux ombres
Qui le suivent sous les réverbères
De la ville quand la nuit tombe
Une ombre bleue à chaque jambe
La sienne et celle d’une dame
Deux ombres qui soupirent ensemble
Sur le drap sale du macadam
On dit que c’est un vieil amour
Un coup au coeur jamais guéri
Qui n’a laissé que son contour
Découpé dans un matin gris
V’là c’est pour ça qu’il a deux ombres
Qui déambulent derrière lui
Qu’il promène dans les décombres
De sa mémoire toutes les nuits
Deux ombres enlacées côte à côte
Cousues au bas de son manteau
Les mains mises l’une dans l’autre
Qui s’embrassent derrière son dos
Une ombre bleue à chaque jambe
La sienne et celle d’une dame
Deux ombres qui soupirent ensemble
Sur le drap sale du macadam
Le type d’en haut il a deux ombres
Et il les rentre au petit jour
Quand le premier rayon fait fondre
Les contours de nos vieilles amours
Roberto Juarroz – La vie immobile
Nous restons figés parfois
au milieu d’une rue,
d’un mot
ou d’un baiser,
les yeux immobiles
comme deux longs verres d’eau solitaire,
la vie immobile
et les mains inertes entre un geste et celui qui aurait suivi,
comme si elles n’étaient nulle part.
Nos souvenirs alors sont d’un autre
dont à peine nous nous souvenons.
R Juarroz
Miquel Marti I Pol – Absence
( interprété librement à partir d’une traduction bancale du texte original en catalan ).
peinture: Dillon Samuelson
Il y a toujours quelque chose,
un souffle, une parole, un mot
qui remplit le manque de toi ;
c’est cette armure qui me protège
du cauchemar de la colère et de la tristesse.
Après, tu deviens présente
dans chaque vers écrit,
et quand je les redis , solitaire,
il n’y a pas de distance entre ton corps et le mien,
unis toujours davantage dans le poème .
Galette des bois – ( RC )
Gravure: Odilon Redon
C’est sans doute la fête,
car chaque soir
surgit dans le noir
de la lune, la galette
On la distingue à travers les bois
qui s’envole comme un phylactère
au dessus de la terre
toute à sa joie
de monde solitaire
satellite dégarni
nouvelle épiphanie :
Reine des déserts
observatrice nyctalope
de nos mystères,
divine commère
à l’oeil de cyclope .
–
RC – avr 2017
Cathy Garcia – Sol y tierra
le vent
entre chien et loup
la lune cachée
dans le haut tilleul
la douceur
léger frisson
imperceptible
sortilège
les démons de gouttières
miment le combat
quatre ombres
apparaissent
disparaissent
froissent les herbes
le val de mes seins
invite à la balade
et ma pensée va à l’homme.
mais dieu siffle mon âme
comme on siffle un chien
et mon âme danse
une joie
soûle d’espace
solitaire
sol y tierra
et le vent aussi
et le vent.
Astrid Waliszek – La faim de Mandelstam
–
Il est des jours – j’aimerais ne pas savoir qu’ils ont existé. Il est des nuits si noires à se souvenir de tout, de tout ce qu’on sait. De la joie lente devant une fleur d’hiver je voudrais garder l’ourlet, suave broderie à poser sur ce cauchemar comme un soupir.
Cette jacinthe, la planter en pleine terre
Sur son glacial pays rectangulaire – cette tombe, muette comme la pierre
Qu’enfin, l’odorante solitaire aux cent fleurs
Nourrisse ses songes de sa foison colorée
Dans sa brume opaque, un dièse sur une portée.
– plus d’infos sur Mandelstam
Des gestes et des ombres ( RC )
Sur le tableau de la nuit,
perforent des étoiles,
qui disent les mondes
– lointains-
propices aux imaginations
Et même les euphories,
les joies et désespoirs
déploient en méconnaissance de cause
légèreté et ténèbres.
C’est un esprit vulnérable,
qui se développe aussi en corps
et voyage en solitaire
sans savoir où les gestes portent
ni qu’ils s’engluent parfois
dans une toile d’araignée
dont on n’a pas détecté la présence
au cœur de la nuit.
Il faut replier ses ailes
plonger dedans
– au dedans de soi-
pour trouver d’autres étoiles
–
RC – 2 avril 2013
–
Bassam Hajjar – tu me survivras – les creuseurs
LES CREUSEURS
Que faisaient les mains habiles
mains d’hommes et de femmes
qui étaient comme nous des creuseurs
lorsque l’esprit du trou apparaissait
sous les traits d’une taupe ?
Les creuseurs nos pairs ont trouvé une galerie
une salle éclairée dans une galerie,
un homme qui attend une femme
qui attend dans la salle éclairée,
une femme qui fabrique un homme
qui fabrique une femme dans la salle éclairée,
un homme et une femme
solitaires ensemble
multiples ensemble
dans la salle éclairée.
– extrait de « Tu me survivras » Actes/ Sud –
La plume vagabonde ( 2 ) – ( RC )
J’ai récupéré un morceau de papier
qui m’attendait là, où on n’attend plus
qu’un remous originel,
… et parfois longtemps,
qu’il fleurisse
… Mais en quelle saison était-ce déjà ?
Le don de la lumière
la couleur qui s’annule, en flocons,
autant les mots s’enchevêtrent,
et disputent à la nuit,
leur encre sympathique …
Il fallait contourner un rocher solitaire,
déplacer en un mouvement circulaire
ces graviers en nappes, étendus
à l’ombre des bambous,
agités par un souffle,
qui me fit d’écriture,
détachés du sol,
l’encre mouvante des nuages
d’étourneaux,
délivrés du souvenir de l’été.
Etant , des deux
( rocher et papier,
son ombre et l’esprit
en cavalcade ) – pris au geste,
le râteau ordonne les mots
comme ils viennent,
ou la brosse d’encre
effleurant la surface des choses, —-
———–Il n’y avait pas de choix possible,
plus d’envers et d’endroit
sur la feuille aérée prenant son envol,
au jardin de la plume …
Le texte s’est fait sensation,
et l’émotion image
Avec ( ou malgré) moi.
RC – 11 novembre 2012
la « plume vagabonde », a fait l’objet d’un « premier épisode », publié ici
…
René Depestre – salut pour l’homme
–
Il n’y a de salut pour l’homme
Que dans un grand éblouissement
De l’homme par l’homme je l’affirme
Moi un nègre inconnu dans la foule
Moi un brin d’herbe solitaire
Et sauvage je le crie à mon siècle
Il n’y aura de joie pour l’homme
Que dans un pur rayonnement
De l’homme par l’homme un fier
Élan de l’homme vers son destin
Qui est de briller très haut
Avec l’étoile de tous les hommes
Je le crie moi que la calomnie
Au bec de lièvre a placé
Au dernier rang des bêtes de proie […]
–
Extrait de « Arc-en-ciel pour l’occident chrétien ».
–
Maurice Fickelson – le solitaire
LE SOLITAIRE
Quand vient le soir, le bruit des pas du Solitaire se fait entendre et résonne le long des rues déjà désertes. C’est un quartier paisible de retraités cossus. Peu de commerces : des antiquaires, deux librairies dont l’une dent aussi un rayon de musique. Les retraités achètent beaucoup de livres ; ils en lisent quelques-uns. Ils ne sortent que pour leur journal du matin et pour leur promenade de l’après-midi qui leur donne l’occasion de voir ce qu’il y a de nouveau dans les boutiques : une règle qu’ils s’imposent, une obligation à laquelle ils se soumettent ; le confort les retient chez eux. Ils ont des nids douillets ; des installations coûteuses de télévision multimédia et de haute fidélité ; des congélateurs, de volumineux congélateurs. On leur livre tout ce qu’il faut à domicile.
Ils suivent des régimes et font de la gymnastique ; dans l’ensemble, ils se portent bien. Les enfants viennent les voir le dimanche. Le reste de la semaine,
ils classent leurs disques et leurs cassettes ; ils n’aiment pas la musique, la musique qu’ils achètent, mais ils aiment bien faire des classements. Le soir, s’ils osaient, ils regarderaient la télévision ; mais il y a les voisins, et ils n’osent pas ; c’est une question de standing culturel.
Alors, ils lisent. Ils se couchent tôt avec un bon livre et s’endorment en lisant. Les pas du Solitaire traversent la nuit et résonnent le long des rues.
Quelqu’un s’éveille et dit : « C’est encore le Solitaire. Ne peut-il s’empêcher de nous réveiller au milieu de la nuit et de nous priver d’un bon sommeil mérité par une vie de labeur ? Mais il marche quand les autres dorment, et son pas est arrogant sur le pavé de nos rues. »
Le Solitaire l’entend et s’arrête. Il regarde les volets fermés. Il ne savait pas. Il ne rencontrait jamais personne. Il ne pensait pas gêner. Arrogant, lui ?
Pourquoi irait-il troubler le sommeil des autres ?
Si seulement il avait une raison de marcher. Autrefois, peut-être. Peut-être… Et il repart dans le doute, d’un pas plus lent, presque sans bruit. L’alignement des réverbères paraît tirer devant lui la rue interminablement vers le haut d’une colline.
Après quelques minutes, il se sent mieux. Il se dit que s’il marche assez longtemps, il finira par se trouver une raison de continuer.
-M Fickelson, extrait de « pratique de la mélancolie » – Gallimard, 1995
Mémoire debout ( RC )
C’est une pierre
Qui s’endort
Sous le soleil
Lourde de mémoire
Ce sont des hommes
Qui la réveillent
Et la charrient
Contre les pentes
C’est une pierre,
Un esprit, une sentinelle
Qui est dressée, solitaire
Contre le vent
C’est une énigme
Sa présence, jetant un défi
A la physique de Newton
Mais tu t’endors,
A son ombre, et à la tienne
Les papillons se posent
Comme ils se sont posés
Sur le menhir dressé
Juste à côté.
RC – 15 Juillet 2012
–
Thomas Moore – La dernière rose de l’été
« lieux communs » chez canalblog, nous présente une série de poèmes selon les genres, pays etc…
voici l’un d’entre eux d’un auteur irlandais peu connu par chez nous…
La dernière rose de l’été (traduction de Karl Petit)
C’est la dernière rose de l’été
Abandonnée en fleur ;
Toutes ces belles compagnes,
Sans retour sont fanées ;
Plus de fleur de sa parenté
Plus de boutons de rose à l’article de la mort
Pour réfléchir ses rougeurs,
Et rendre soupir pour soupir.
Je te laisserai point chère solitaire,
Languir sur ta tige ;
Puisque sommeillent tes sœurs
Va donc les rejoindre.
Et par sympathie, je répandrai
Tes feuilles sur le sol
Où tes compagnes de jardin
Gisent mortes et sans parfum.
Puissé-je te suivre bientôt
Lorsque l’amitié s’émoussera
Et que du cercle magique de l’amour
Les gemmes se détacheront ;
Quand les cœurs fidèles ne palpiteront plus
Et que les êtres aimés auront disparu,
Oh ! qui donc voudrait habiter seul
En ce monde désert !
Thomas Moore (« Mélodies irlandaises », 1807-1834)
The last rose of summer
Tis the last rose of summer
Left blooming alone;
All her lovely companions
Are faded and gone;
No flower of her kindred,
No rosebud is nigh,
To reflect back her blushes,
To give sigh for sigh.
I’ll not leave thee, thou lone one !
To pine on the stem;
Since the lovely are sleeping,
Go, sleep thou with them.
Thus kindly I scatter
Thy leaves o`er the bed,
Where thy mates of the garden
Lie scentless and dead.
So soon may I follow,
When friendships decay,
And from Love`s shining circle
The gems drop away.
When true hearts lie withered
And fond ones are flown,
Oh! who would inhabit
This bleak world alone ?
Nabokov, —- la chambre ( 1950)
Grâce au blog de schabrieres ( beauty will save the world ), je me fais l’écho d’un beau texte de V Nabokov
Vladimir Nabokov – La chambre (The Room, 1950)
La chambre que prit un poète
mourant, un soir, dans un hôtel mort
figurait dans les deux annuaires:
celui du Ciel, celui de Perséphone.
Elle avait un miroir, une chaise,
et une fenêtre et un lit,
ses côtes laissaient entrer l’ombre
où la pluie luisait et saignait une enseigne.
Ni larmes, ni terreurs, un mélange
d’anonymat et de malédiction,
elle paraissait, cette chambre,
être l’imitation d’une chambre.
Chaque fois que, subliminale,
une auto déchirait la nuit,
aux murs, au plafond tournoyait
tout un squelette de lumière.
Peu après la chambre m’échut.
Bagnard rayé, cherchant la lampe,
sur le mur je trouvai ce vers:
« Je meurs sans amour, solitaire, anonyme »
au crayon au-dessus du lit.
On eût dit une citation.
Etait-ce une femme affolée de lecture,
Ou un gros homme au cheveu rare?
J’interrogeai l’aimable bonne noire.
J’interrogeai le capitaine et ses marins.
J’interrogeai le gardien de nuit. Obstiné,
j’interrogeai un ivrogne. Nul ne savait.
Peut-être, ayant trouvé l’interrupteur
avait-il vu le tableau sur le mur
et maudit l’éruption rougeoyante
se voulant « érables en automne »?
Dans le meilleur style artistique
de Winston Churchill à son faîte,
ils avancaient en double file
de Glen Lake à Restricted Rest.
Mon texte est peut-être incomplet.
Pour finir, la mort d’un poète,
c’est de la technique: un rejet
parfait, une chute harmonieuse.
Une vie s’était brisée là,
dans le noir, et la chambre était comme
un thorax de fantôme, avec un coeur
mal aimé, anonyme, mais point solitaire.
***