Côtoyer ta solitude – ( RC )

Tu prends des chemins
des plus incertains,
- un pas risqué dans l’irréel,
- une photographie qui te révèle
où je n’ai pas l’habitude
de cotoyer ta solitude.
C’est celle d’un jardin d’épines
aussi sec , comme je l’imagine
où tu te transportes
auprès des amours mortes.
C’est ainsi que tu t’isoles
parmi ronces et herbes folles.
Dans la fuite du bonheur,
il n’y a aucune fleur
qui provoque une brèche,
juste des plantes sèches
privées de vie
que personne n’a cueillies…
RC – juin 2022
Maram al-Masri – Un étranger me regarde –

Un étranger me regarde, un étranger me parle, je souris à un étranger, je parle à un étranger, un étranger m’écoute. Devant ses peines propres et blanches, je pleure, sur la solitude qui unit les étrangers.
Cerise rouge sur carrelage blanc,
Editions Bruno Doucey
Nelly Sachs – Tant de graines aux racines de lumière

Ascension enflammée d’Élie avec une vie (XVIIe siècle) (collection privée)
Tant de graines aux racines de lumière
qui arrachent aux tombes leur secret
et le confient au vent
pour parsemer d’énigmes en langues de feu les chevelures
des prophètes,
et apparaissent dans le bûcher blanc du mourir
avec tous les aveuglements de la vérité
quand le corps près de là repose
avec l’ultime souffle dans les airs
et ce bruit de chaînes dans le retour
et l’enfermement de fer dans la solitude
et tous ces yeux perdus dans le noir —
-extrait de Enigmes ardentes ( recueil re-publié chez Verdier sous le titre « Partage-toi, nuit )
Luis Cardoza Y Aragon – Cité natale
CITE NATALE ( Guatemala-la-Vieille )

Le grincement d’un grillon ouvre une porte
sur un ciel de conte de fées.
Tu surgis, les chemins creusent ton lit, navigable Solitude.
Le temps n’existe pas; être… Tout est déjà !
Jours d’un autre monde. Ciel sans rêve : paupières
Nuits comme d’obscurs bâillements, immobiles…
au centre de toutes les heures, indélébiles, infinies, et mûres.
Toi, malhabile, sur un trapèze
accroché à un jour et à une nuit
très hauts, profonds et sans maître,
te balançant largement, lentement,
ruminant tes monologues de fumée.
Car tu n’es que l’écho
de ton ombre sans corps,
écho de lumière, ombre de voix, très loin.
Quand atteindras-tu la surface
de la terre, du ciel ou de la mer,
depuis cette route où tu vas, nocturne,
vers le soleil de limbes innocents
qui t’attend, mais oublié déjà,
debout, endormi comme un phare,
en quelle péninsule d’ombre ?
Distance parallèle au regard :
rafales d’infini, ailes coupées,
coups de vent dans les rues.
Haut zénith parvenant de l’autre côté
en criant : « Oui » dans les paratonnerres.
Nadir, tourbillon de routes nocturnes,
porte voix de tombe hurlant : « Non ».
Toi, au milieu, comme une marguerite
de « jamais plus », perdue en tes oracles.
Tu clignotes parfois : jours, nuits…
Tu t’oublies… Soudain, cinq,
vingt jours ensemble, comme un éboulement ;
trois, quatre nuits télescopées
avec une étrange violence obscure.
Un songe de méduses et de cristaux
de part en part traversent les miroirs :
on sait de quoi sont faits
les chants des oiseaux,
ceux de l’eau, occultes et diaphanes.
On entend grandir les ongles de tes morts,
jaillir tes sources qui portent
en dansant un temps d’or sans arête
et sans valeur ;
tes jours évanouis sur des coussins
de douceur et d’ennui,
et mes cris qui brésillaient
avec une lente et croissante résonance
d’arcades et de coupoles.
Ne bouge pas, le vent pleurerait.
Ne respire pas, ton équilibre
d’arentelle se briserait
Ainsi, telle qu’en mon souvenir,
qui te reconnaîtrait ?
Ange des orties et des lys,
ne bouge pas, car je t’aime ainsi :
lunaire, mentale, intacte,
égale à toi-même en ma mémoire,
plus que toi-même.
Demeure dure, exacte et taciturne,
avec mon enfance de platine et de brouillard,
sur ta clairière de terre éboulée…
LUIS CARDOZA Y ARAGON. (Fragments) Version de F. Verhesen.
L C Y A: né au Guatemala en 1902.
El Sonâmbulo – Pequena Sinfoma del Nuevo Mundo – Poesia (1948).
Kenneth White – Lettre à un vieux calligraphe

Cent jours passés
par les grèves et les montagnes
à l’affût
du héron et du cormoran
puis écrire ceci
à la lisière du monde
dans un silence devenu
une seconde nature
et connaitre à la fin
dedans le crâne, dedans les os
le sentier du vide.
Un monde ouvert
Anthologie personnelle
nrf
Poésie /Gallimard
Yann Fulub Follet – Baie d’Helgoland

Et au loin la mer…
Miroir au fond de toi
Cœur d’oiseau qui se débat
Dans les brumes laiteuses
Dont je peux épier les rêves
Sur le visage des dieux qui ne se lèvent pas
Dès l’aube
Je t’entends planer au-delà
D’abruptes falaises de craie rose
Pauvre clarté de ton visage mouillé
Je t’envie de n’avoir point connu
L’Hiver et les îlots déserts
Je t’envie de n’avoir souvenance
De ce squelette de bûcheron
Foudroyé par l’orage
Émergeant des trembles blancs
Sacrifié de solitude aux sourcils noirs
Et au loin la mer…
Eté 1872
Lettres de Carélie
éditions des orgevaux
Géographie du silence – (Susanne Derève)

peinture : Nicolas de Staël
Silence
pas tout à fait la paix une attente
les bruits assourdis de la vie fusant dans la lumière du jour
qui ne l’amenuisent pas
l’étreignent
comme une bulle vient crever la surface de l’eau
on ne sait plus si c’est un rêve
ou juste son lointain écho
Il arrive que le ciel soit si bleu
qu’il vous inonde
Soleil de plein été chassant la grisaille du jour
et le jour soudain une ronde qui passerait
sans vous
un grand manège vide
dont les chevaux de bois dansent la gigue
dans un bruit de grelot
En êtes-vous le camelot, dans la comédia del arte
ou l’Arlequin désabusé
portant le monde sur son dos
si loin que son pas l’entraîne
dans le clair-obscur des nuits
à chercher les mots de l’enfance
– est-ce donc en rêve qu’il poursuit
la géographie du silence ? –
ou peut-être à gagner l’oubli
Armel Guerne – Sainte solitude (extrait)

peinture: Cathy Hegman
Virginal horizon tendu
A l’angle des mémoires,
Désert de pureté
Néant noir inconnu :
Je suis l’ombre dit l’ombre
Et mon ombre n’est pas .
Je suis l’errant qui ne sait pas
Dit le vent où il va ,
Portant dans l’urne des printemps
Ou sur la croix des hivers
Un chant plus solitaire
Que le gémissement d’un mort .
Je suis qui parle dit la voix
Plus lourde d’évidences , dévalant les parois
De l’invisible ,
Plus lourde d’éminence que la réalité .
Océan, océan , vieux rebelle
Toi qui brasses et la rumeur
Millénaire et l’instant
Tout en précipitant les matins nus
Au labyrinthe de tes profondeurs ;
Vieil océan vengeur ,
Marin peuplé d’éternités
Et de folles géographies ,
Toujours depuis toujours
Halant sous le soleil et dans la nuit
Ton voyage sans bords :
Je suis la mer, dis-tu ;
Et toutes choses à jamais
Sont enchantées
Dans ton silence triomphal .
Mais autour des sommets, la meute des abîmes …
Car voici que le nombre a dit le nombre
Au nombre , et le matin brutal détruit
Les châteaux de la nuit .
Je suis celui qui fut
Voyageur , voyageur
Venu sous le soleil et les mains de la pluie
Celui qui est et qui n’est plus ,
Car voici que le don de vie
A passé par les fleurs ;
Je suis le cœur, je suis le nom ,
Je suis l’itinérant qui longe l’horizon
Et voici que le ciel se ferme comme un poing .
Consolez-vous de lui, maisons abandonnées !
Ces deuils extasiés n’avaient point de racines ,
Et du lent paysage ils n’avaient point l’accueil .
Consolez-vous de moi, rochers subtils
Penchés au creux torride de l’été
Sur les sources taries .
Dans l’immobile extase du silence
Une respiration – mais où ?
Bat comme un pouls .
Le poids vivant de la parole
SOLAIRE n° 45
Si les mots du matin – (Susanne Derève)

Zao Wou-Ki – Hommage à Claude Monet
Le vent pousse la barque
et mon rêve prend l’eau
réveil menteur
solitude d’un matin vengeur
Si les mots du matin coulaient
de source comme un lied
en notes translucides
une eau limpide une eau claire
ou ces parfums que vient charrier
le vent du Nord mêlés à ceux
des fleurs premières
quand j’ouvre la fenêtre
sur les bruits étouffés du dehors
odeurs de carène et de vase
de lilas et de miel
Lumière au sortir du sommeil
nous tenions-nous au bord du temps
– le monde je le sais appartient
aux amants avec son poids de rêves –
une enclave imprimant la mémoire
sans trêve
en lieu et place du passé
la trame des jours si dense
qu’on en oublie à naviguer à vue
de bonheur en souffrance
l’irrémédiable issue
Pierre Seghers – La nuit qui vient
- Jean François Millet – Nuit étoilée
La nuit qui vient
est-elle étoilée ? Mais que m’importent les étoiles
dans ce cheminement, dans cette migration
Quand l’épaisseur est traversée pour atteindre l’autre soi-même
De l’Autre, fou, et de silence, immobile gisant debout ?
La nuit qui vient à ma rencontre, elle a franchi tant de montagnes
Et dévalé tant de collines et roulé tant de galets morts
qui rêvaient d’elle, son souffle a déplacé tant d’astres
Retroussé tant de vagues et courbé tant de joncs
Qu’elle m’emporte, comme un berger dans son manteau
ses bêtes passées à un autre
Seul, retranché de tous, et en lui-même, absent .
Dis-moi,
ma
vie
Editions Bruno Doucey
Fouad El Etr – amour, ma double solitude
photo craigmac
–
Amour
Ma double solitude
Qui surprends
Même en rêve
Avec tes seins pensifs
Mon cœur
Rien que
Retenant notre souffle
Ton goût de silex
Doucement
Dans le noir
M’asphyxie
Quand tu déplies
Jusqu’aux étoiles
Tes jambes
Et me dissous
Dans ta beauté acide
Foie reins cœur moelle
L’homme qui marche – ( RC )
photo perso – Alberto Giacometti: l’homme qui marche ( son ombre).
exposition au musée Maillol – Paris 2018
Vois cette silhouette
découpée dans la solitude.
D’un pas décidé, elle progresse
vers quelque chose qu’on ne voit pas.
On ne sait si elle avance
ou reste sur place :
Il y a ce corps projeté en avant,
ce pas tendu ,et pourtant
les pieds englués au sol,
entre futur et immobilité .
–
RC- mai 2019
Adriana Mayrinck – Rideau de fumée
photo Dielucie
Dans la fente qui répand la lumière
Je ne trouve pas ton reflet
Dans le rideau de fumée
Qui nous sépare
Infranchissable
Je ne peux pas t’atteindre
À quel moment j’ai perdu le raccourci
Quel mot mal dit
T’a fait taire
Insomnie..
Je traverse le désert de l’aube
Dans la solitude accompagnée de ton souffle.
–
traduit du brésilien:
texte original:
–
Cortina de fumaça
Na fresta que espalha luz
Não encontro teu reflexo
Na cortina de fumaça
Que nos separa
Instransponível
Não consigo te alcançar
Em que momento perdi o atalho
Que palavra mal dita
Te fez calar
Insone
Atravesso o deserto da madrugada
Na solidão acompanhada pelo teu respirar.
Garous Abdolmalekian – Anonyme

Nayim Smida – une solitude
peinture: Tadeusz Kantor 1967
Puis je m’attends à ce que tu t’en ailles
Je ne veux plus t’écouter
Je ne veux plus te parler
J’ai vieilli de toi
Et même ton odeur autrefois mêlée d’amour
Est devenue aujourd’hui monotone
Comme le paysage d’un village familier où la muse a fait taire sa poésie
Comme le paysage d’un village familier où aucun élément hors l’écho
N’impressionne
Amour ô toi quel sens auras-tu si le chemin vers la douceur
Qu’elle portait en son reflet
S’évapore
J’adore sans savoir pourquoi son absence
Et je suis certain que sa compagnie dans l’espace est vitale
Je l’ai toujours aimée car elle peut résister à l’amour
Comme peut résister l’art à la touche parfaite de l’homme
Amour ô toi j’en suis las tu es triste
Je connais tes joies elles sont courtes et perfides
Je connais ta folie je connais tes peines je vis ton vide
Pourquoi ce mirage à chaque voyage vers ses nuages discrets
Pourquoi la brume
Pourquoi tu ne parviens pas à saisir les rimes
qui peuvent raconter son histoire inutile
Pourquoi
La solitude
Echappée belle – I (Susanne Derève)
Edward Henry Potthast Looking out to Sea
Echappée belle vers la solitude
Echappée belle et je ferme le banc
Entre les bras tendus du ciel
Eaux mortes traître courant des profondeurs
d’un jour sans vent
On ne lutte pas on ne peut que
s’abandonner et laisser dériver le temps
jusqu’à la marée basse
Rejoindre les pierres plates mêlées de vase
Mériter le silence
Pierres chaudes des matins d’absence
avec cette légère nausée des jours de grande chaleur
ce vertige au sortir de la vague
un vacillement
Noir blanc damier éblouissement
Le sol est-il si ferme qu’on puisse s’y abattre sans broncher
la roche usée douce avec un grain ponctué de lichen
et de mousses d’algues séchées
Il y a des feuilles des ombrages où la mer
abandonne ses cordages de sel ses bois flottés
brindilles ombelles grises
comme un au revoir d’été
Échappée belle insoumise
Attendre que l’estran épouse la marée
redonne vie aux vies qui sommeillaient
Et soi s’endormir au soleil voile rouge
au travers des paupières rêver d’anciens bonheurs
d’un vallon égaré et sous le grain des cils
si rien ne les disperse les retrouver
Edward Henry Potthast The Maine Coast
Des grands serpents au jardin étoilé – ( RC )
Van Gogh – la nuit étoilée
Du jardin étoilé
c’était un toit
pesant son poids
de ciel d’été
de plusieurs atmosphères :
un vide abyssal
parcouru de mistral
qu’une fausse lune éclaire,
les nuées se déroulant furieuses ,
loin du village immobile ,
– et les fers du campanile –
vallée ténébreuse
à la tranquilité factice
pourtant inquiète et raide
comme Le Greco peignant Tolède
au bord du précipice .
Des cyprès sont des flammes noires,
que l’on entendrait crépiter
défiant la réalité
d’un paysage expiatoire.
Celui-ci n’est pas décrit
avec exactitude ,
car la solitude
de Vincent est un cri
emportant tout sur son passage :
une nuit profanatrice
jetant ses feux d’artifice
juste avant l’orage
et qu’elle ne vrille
de ses grands serpents
un ciel devenu dément
au-dessus des Alpilles .
–
RC – juill 2017
Garous Abdolmalekian – Anonyme

Rainer Maria Rilke – Automne
Les feuilles tombent, tombent comme si au loin
se fanaient dans le ciel de lointains jardins ;
elles tombent avec des gestes qui se refusent.
Et dans les nuits la lourde terre tombe
de toutes les étoiles, dans la solitude.
Nous tombons tous. Cette main tombe.
Et vois, cette chute est dans toutes les autres mains.
Et pourtant il y en a Un qui retient dans sa main,
cette chute délicatement, éternellement.
*
Herbst
Die Blätter fallen, fallen wie von weit,
als welkten in den Himmeln ferne Gärten;
sie fallen mit verneinender Gebärde.
Und in den Nächten fällt die schwere Erde
aus allen Sternen in die Einsamkeit.
Wir alle fallen. Diese Hand da fällt.
Und sieh dir andre an: es ist in allen.
Und doch ist Einer, welcher dieses Fallen
unendlich sanft in seinen Händen hält.
*
The leaves are falling, falling as if from far up,
as if orchards were dying high in space.
Each leaf falls as if it were motioning « no. »
And tonight the heavy earth is falling
away from all other stars in the loneliness.
We’re all falling. This hand here is falling.
And look at the other one. It’s in them all.
And yet there is Someone, whose hands
infinitely calm, holding up all this falling.
Rainer Maria Rilke – Le livre d’images (Das Buch der Bilder)
Frederic Nietszche – Le signe de feu
Ici, où parmi les mers l’île a surgi,
pierre du victimaire se dressant escarpée,
ici, sous le ciel noir, Zarathoustra
allume son feu des hauteurs, —
signes de feu pour les pilotes en détresse,
point d’interrogation pour ceux qui savent répondre…
Cette flamme aux courbes blanchâtres,
— vers les froids lointains élève les langues de son désir,
elle tourne sa gorge vers des hauteurs toujours plus pures —
semblable à un serpent, dressé d’impatience :
Ce signe je l’ai placé devant moi.
Mon âme elle-même est cette flamme: insatiable,
vers de nouveaux lointains,
sa tranquille ardeur s’élève plus haut.
Pourquoi Zarathoustra a-t-il fui les animaux et les hommes ?
Pourquoi s’est-il enfui brusquement de toute terre ferme ?
Il connaît déjà six solitudes —,
Mais la mer elle-même ne fut pas assez solitaire pour lui,
il se hissa sur l’île, sur la montagne il devint flamme,
maintenant, vers une septième solitude
il jette son hameçon chercheur par-dessus sa tête.
Pilotes en détresse ! Ruines de vieilles étoiles !
Et vous, mers de l’avenir ! cieux inexplorés !
vers tout ce qui est solitaire je jette maintenant l’hameçon :
répondez à l’impatience de la flamme
péchez pour moi, le pêcheur des hautes montagnes,
ma septième, ma dernière solitude ! —
Frédéric NIETZSCHE « Dithyrambes à Dionysos » (1888) in « Poésies » (Mercure de France)
Epaisseur d’une musique blanche – ( RC )
Les branches se tordent,
et cherchent leur chemin,
dans la musique blanche,
où même le silence
pèse d’une neige dense
son épaisseur de solitude.
–
RC – dec 2016
Ce que dissimule le désert – ( RC )
photo: pochette de CD « Silencio » Gidon Kremer
Il y a une étendue plate,
– Elle se perd dans l’infini – .
> Elle appelle un désert,
un océan,
ou un simple terrain inhospitalier.
Et rester immobile tout ce temps,
debout,
on compte les heures en suspens –
ou plutôt on ne les compte plus ;
c’est une attente,
le regard dans le vague.
Le ciel est trop haut,
Il écrase de son poids
tout ce qui s’échappe de l’horizontale.
Mais tu espères sans t’en rendre compte,
au-delà de la solitude,
La rupture des écluses,
que les lèvres du temps s’entr’ouvent.
Et la crainte, en même temps,
Que les yeux ne sachent pas voir,
Ce que dissimule la surface unie
– Un guetteur du désert des tartares –
« Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? »
Et si le vide était une illusion,
et que continue dessous,
l’échappée des heures,
…Une simple dilution.
La vie est souterraine .
Elle fait un grand détour,
vers toi
pour contourner le froid.
T’en rends-tu compte ?
–
RC – juill 2015
Colette Fournier – Je te regarde
peinture: P Bonnard Coin de salle à manger au Cannet, 1932 ( détail) Musée d’Orsay
–
Rabah Belamri – Les fenêtres sont vides
Les fenêtres sont vides… Pour Odile et Anne
les fenêtres sont vides
la pierre de la porte offerte au silence
retient le regard
les rideaux ne bougent plus derrière les vitres brisées
lourds de la cendre des cœurs
dans l’ombre des maisons nues
l’été dérive comme une mer de solitude
le passant se retourne et se tait
de l’autre côté de la route
le vertige des tournesols découpe
l’éternité en tranches
Rabah Belamri
Le périmètre, qui maintient l’étranger à distance – ( RC )
photo: junipergallery.com
Je m’installe à une table.
Elle est très longue
il y a des traînées de bière qui brillent ;
les bancs sont des barres revêches,
sous des néons verdâtres;
c’est dans un quartier populaire de Prague ;
un groupe d’ouvriers, aux vestes matelassées,
s’assoit.
il fait froid dehors ;
des trams fatigués scindent un espace de brume,
on voit jusqu’au terre-plein au centre de l’avenue,
avec des herbes roussies qui s’obstinent .
Ici, le carrelage s’essaie à la géométrie
sombrant dans des zones où le ciment le nivelle.
L’ordonnance des panneaux où les spécialités
locales, sont alignées en colonnes,
est contredite, par un nuage échappé
d’une huile de friture, quelque part dans la cuisine .
Je pense à d’autres endroits ;
L’ailleurs des quartiers des ports,
l’odeur persistante du mazout,
et toujours le périmètre,
qui maintient l’étranger à distance .
Il faut du temps ,pour secouer
le manteau de solitude,
au milieu de quelques plantes maigres,
qui, elles aussi,
ne semblent pas à leur place.
–
RC – janv 2015