Des grands serpents au jardin étoilé – ( RC )
Van Gogh – la nuit étoilée
Du jardin étoilé
c’était un toit
pesant son poids
de ciel d’été
de plusieurs atmosphères :
un vide abyssal
parcouru de mistral
qu’une fausse lune éclaire,
les nuées se déroulant furieuses ,
loin du village immobile ,
– et les fers du campanile –
vallée ténébreuse
à la tranquilité factice
pourtant inquiète et raide
comme Le Greco peignant Tolède
au bord du précipice .
Des cyprès sont des flammes noires,
que l’on entendrait crépiter
défiant la réalité
d’un paysage expiatoire.
Celui-ci n’est pas décrit
avec exactitude ,
car la solitude
de Vincent est un cri
emportant tout sur son passage :
une nuit profanatrice
jetant ses feux d’artifice
juste avant l’orage
et qu’elle ne vrille
de ses grands serpents
un ciel devenu dément
au-dessus des Alpilles .
–
RC – juill 2017
Garous Abdolmalekian – Anonyme

Rainer Maria Rilke – Automne
Les feuilles tombent, tombent comme si au loin
se fanaient dans le ciel de lointains jardins ;
elles tombent avec des gestes qui se refusent.
Et dans les nuits la lourde terre tombe
de toutes les étoiles, dans la solitude.
Nous tombons tous. Cette main tombe.
Et vois, cette chute est dans toutes les autres mains.
Et pourtant il y en a Un qui retient dans sa main,
cette chute délicatement, éternellement.
*
Herbst
Die Blätter fallen, fallen wie von weit,
als welkten in den Himmeln ferne Gärten;
sie fallen mit verneinender Gebärde.
Und in den Nächten fällt die schwere Erde
aus allen Sternen in die Einsamkeit.
Wir alle fallen. Diese Hand da fällt.
Und sieh dir andre an: es ist in allen.
Und doch ist Einer, welcher dieses Fallen
unendlich sanft in seinen Händen hält.
*
The leaves are falling, falling as if from far up,
as if orchards were dying high in space.
Each leaf falls as if it were motioning « no. »
And tonight the heavy earth is falling
away from all other stars in the loneliness.
We’re all falling. This hand here is falling.
And look at the other one. It’s in them all.
And yet there is Someone, whose hands
infinitely calm, holding up all this falling.
Rainer Maria Rilke – Le livre d’images (Das Buch der Bilder)
Frederic Nietszche – Le signe de feu
Ici, où parmi les mers l’île a surgi,
pierre du victimaire se dressant escarpée,
ici, sous le ciel noir, Zarathoustra
allume son feu des hauteurs, —
signes de feu pour les pilotes en détresse,
point d’interrogation pour ceux qui savent répondre…
Cette flamme aux courbes blanchâtres,
— vers les froids lointains élève les langues de son désir,
elle tourne sa gorge vers des hauteurs toujours plus pures —
semblable à un serpent, dressé d’impatience :
Ce signe je l’ai placé devant moi.
Mon âme elle-même est cette flamme: insatiable,
vers de nouveaux lointains,
sa tranquille ardeur s’élève plus haut.
Pourquoi Zarathoustra a-t-il fui les animaux et les hommes ?
Pourquoi s’est-il enfui brusquement de toute terre ferme ?
Il connaît déjà six solitudes —,
Mais la mer elle-même ne fut pas assez solitaire pour lui,
il se hissa sur l’île, sur la montagne il devint flamme,
maintenant, vers une septième solitude
il jette son hameçon chercheur par-dessus sa tête.
Pilotes en détresse ! Ruines de vieilles étoiles !
Et vous, mers de l’avenir ! cieux inexplorés !
vers tout ce qui est solitaire je jette maintenant l’hameçon :
répondez à l’impatience de la flamme
péchez pour moi, le pêcheur des hautes montagnes,
ma septième, ma dernière solitude ! —
Frédéric NIETZSCHE « Dithyrambes à Dionysos » (1888) in « Poésies » (Mercure de France)
Epaisseur d’une musique blanche – ( RC )
Les branches se tordent,
et cherchent leur chemin,
dans la musique blanche,
où même le silence
pèse d’une neige dense
son épaisseur de solitude.
–
RC – dec 2016
Ce que dissimule le désert – ( RC )
photo: pochette de CD « Silencio » Gidon Kremer
Il y a une étendue plate,
– Elle se perd dans l’infini – .
> Elle appelle un désert,
un océan,
ou un simple terrain inhospitalier.
Et rester immobile tout ce temps,
debout,
on compte les heures en suspens –
ou plutôt on ne les compte plus ;
c’est une attente,
le regard dans le vague.
Le ciel est trop haut,
Il écrase de son poids
tout ce qui s’échappe de l’horizontale.
Mais tu espères sans t’en rendre compte,
au-delà de la solitude,
La rupture des écluses,
que les lèvres du temps s’entr’ouvent.
Et la crainte, en même temps,
Que les yeux ne sachent pas voir,
Ce que dissimule la surface unie
– Un guetteur du désert des tartares –
« Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? »
Et si le vide était une illusion,
et que continue dessous,
l’échappée des heures,
…Une simple dilution.
La vie est souterraine .
Elle fait un grand détour,
vers toi
pour contourner le froid.
T’en rends-tu compte ?
–
RC – juill 2015
Colette Fournier – Je te regarde
peinture: P Bonnard Coin de salle à manger au Cannet, 1932 ( détail) Musée d’Orsay
–
Rabah Belamri – Les fenêtres sont vides
Les fenêtres sont vides… Pour Odile et Anne
les fenêtres sont vides
la pierre de la porte offerte au silence
retient le regard
les rideaux ne bougent plus derrière les vitres brisées
lourds de la cendre des cœurs
dans l’ombre des maisons nues
l’été dérive comme une mer de solitude
le passant se retourne et se tait
de l’autre côté de la route
le vertige des tournesols découpe
l’éternité en tranches
Rabah Belamri
Garous Abdolmalekian – Anonyme
Tu m’as touché à l’épaule
Pour secouer ma solitude
Ah! qu’est-ce qui t’amuse?
Secouer la neige
Des épaules d’un bonhomme de neige?
Le périmètre, qui maintient l’étranger à distance – ( RC )
photo: junipergallery.com
Je m’installe à une table.
Elle est très longue
il y a des traînées de bière qui brillent ;
les bancs sont des barres revêches,
sous des néons verdâtres;
c’est dans un quartier populaire de Prague ;
un groupe d’ouvriers, aux vestes matelassées,
s’assoit.
il fait froid dehors ;
des trams fatigués scindent un espace de brume,
on voit jusqu’au terre-plein au centre de l’avenue,
avec des herbes roussies qui s’obstinent .
Ici, le carrelage s’essaie à la géométrie
sombrant dans des zones où le ciment le nivelle.
L’ordonnance des panneaux où les spécialités
locales, sont alignées en colonnes,
est contredite, par un nuage échappé
d’une huile de friture, quelque part dans la cuisine .
Je pense à d’autres endroits ;
L’ailleurs des quartiers des ports,
l’odeur persistante du mazout,
et toujours le périmètre,
qui maintient l’étranger à distance .
Il faut du temps ,pour secouer
le manteau de solitude,
au milieu de quelques plantes maigres,
qui, elles aussi,
ne semblent pas à leur place.
–
RC – janv 2015
Teintes d’apocalype – ( RC )
–
Tant d’eau rassemblée,
n’attend pas le jour
pour se teindre d’oranges.
Le soleil n’y est pour rien,
Ayant sombré bien avant
Il était quelque peu ivre,
ayant dépassé les bornes,
perdu derrière l’horizon.
Ce n’est pourtant pas une éclipse,
mais l’accomplissement du présage
où le paysage
bascule dans l’apocalypse.
Le reptile se déploie,
dénoue ses collines,
délègue des îles
derrière un rideau de fumée.
Et c’est d’un ciel chargé
de cendres et de gris,
que surgit la girafe enflammée,
espérant, de son grand cou
dépasser les nuées,
déplacer la solitude,
renverser les ruines,
boire les étoiles.
Le réveil des volcans
secoue le continent,
illumine l’océan,
transforme les îles en montagnes
s’échancrant de couleurs factices,
rumeur de colère de la terre,
soudain prête à l’effusion des pierres,
le rideau des feux d’artifice,
des entailles profondes,
à la surface du monde,
où la mer s’engouffre,
sous l’acre odeur de souffre…
RC
dessin :Salvador Dali dîner dans le désert avec girafes en feu 1937
Brigitte Celerier – sur une photo d’August Sander
Je reprends une partie de son article visible ici,
Qui nous évoque cette photo d’August Sander :
Ni son double, ni le tien – ( RC )
–
Ce que le visage doit au reflet,
Le champ ouvert de la lumière,
Répercuté sur l’étrangeté du monde,
Le ciel découpé en lamelles,
Comme s’il se gonflait de l’ absence ;
Un écartèlement .
Je le percevrai peut-être,
Au sein de la caresse de l’eau :
> Narcisse se penchant,
Devine son image,
Aperçue, ondulée au fil du courant ,
Mais qui délaisse brindilles , et feuilles.
Ce n’est ni son double,
Ni le tien.
D’ailleurs quand il se retourne,
La vision ne s’accompagne d’aucune présence.
( Ou bien juste la solitude ) .
Mais celle-ci est transparente.
–
RC – mai 2015
Anna Niarakis – Dans une chambre d’un autre continent ( Quantum )
–
Tu es quelque part ,ailleurs.
Dans une chambre d’un autre continent.
Murs décorés avec des cadres trouvés dans des poubelles
Il y a quelque part mes lettres, cachées .
Pour moi, ici, quelque part .
Dans une autre chambre.
Ornée de photos de bébé.
Il y a quelque part cachées
tes lettres.
Nous ne pourrons jamais nous répondre, tu as dit.
Chacun portant sa propre solitude.
Nous ne nous écrirons plus
Les murs et les étagères ne pouvaient supporter,
d’autre décoration.
–
Seyhmus Dagtekin – Au fond de ma barque
.
Quand tu te retires du monde
Le monde ne s’arrête pas pour autant
Ne se retire pas
Quand tu vas dans le vaste monde
Tu ne deviens pas vaste pour autant
Quand tu te prives de la multitude
Tu n’occupes pas pour autant ta solitude
Tu ne l’élargis pas
Quand tu te chasses du bruit
Tu ne découvres pas pour autant le silence
Quand tu te coupes les branches
Tu n’augmentes pas pour autant
La sève qui irrigue ton front.
S D
Alejandra Pizarnik – Pleine de pénurie
Bassam Hajjar – Si seulement ta main – 01
–
Je sais que je me suis mis à sourire chaque fois que je rencontre le monstre qui dévorait le jardin dans mon unique rêve.
A présent j’ai commencé à voir que des orbites célestes se croisent sur les lignes qui se rencontrent dans ta paume blanche.
Comme si le ciel était dessiné par deux lignes dans ta paume, peu de ciel, mais suffisamment pour que le inonde ne meure pas de solitude, pour que le serpent ne le morde pas.
Si seulement tes mains étaient là-bas.
A présent je sais pourquoi je pleurais et pourquoi l’abîme
où je sombrais ressemblait à une page blanche avec deux
lignes en bas, et une étoile à l’encre de Chine, qui brillait toutefois.
Et son éclat me tourmentait.
Il a suffi que tu soulèves,
d’une caresse, le marbre du lourd sommeil.
Et que tes mains m’emportent, pas tant que cela, juste à la mesure à laquelle je vis.
Il a suffi que tu essuies mes lèvres du bout de ton index
pour que parler cesse de me faire souffrir.
–
(Paris, septembre 1986)
Abdallah Zrika – Les murs vides de mon corps
LES MURS VIDES DE MON CORPS
Je ne sais pas.
Mais ce que je sais, c’est le jour où j’ai décidé de m’arracher de mon corps. Je ne sais pas comment cela est arrivé.
Mais je me suis trouvé comme ça : j’ai ôté tous mes vêtements. J’ai ouvert un peu la porte. Je ne sais pas comment j’ai fait.
J’ai voulu sortir tout nu.
J’ai voulu tout jeter comme on jette une ordure. J’ai senti à ce moment-là que tous les gens étaient contre moi, que même les mots me fuyaient, que j’étais devenu vide. Complètement vide.
Un vide qui résonne. Et complètement vide de mots. Moi qui avais décidé de ne mettre aucun vêtement, aucun nom, aucune désignation…
J’ai senti que toute chose se détachait de moi, se dissipait, je n’avais pas ôté seulement mes vêtements – leurs vêtements si je puis dire, leurs : je ne sais pas dire autrement – , mais j’ai ôté tout ce que j’ai vécu. Peut être n’ai-je rien à laisser qui m’appartienne, tout leur appartient, même mes ordures. J’ai ouvert encore un peu la porte. J’ai vu le premier mur devant la porte.
Même ce mur m’est apparu tout nu, rasé, chauve. J’ai reculé un peu pour écrire le premier mot qui m’est venu après avoir pris une décision. mais j’ai senti que ma tête était vide, d’un vide incroyable.
Le papier est resté blanc, d’une blancheur presque bleue. j’ai senti que les mots sont comme les vêtements, lourds et suant, que toute chose est lourde d’une lourdeur insupportable et qu’il n’y a que moi à être léger, très léger.
Puis je me suis retrouvé en train d’ouvrir toutes les fenêtres, même le robinet d’eau, et d’allumer toutes les allumettes que j’avais. Plus tard, j’ai entendu frapper et une lettre glisser sous la porte ; une voix suffocante disait : facteur. je ne sais pas pourquoi mes doigts n’ont pas bougé affin de toucher la lettre restée, moitié à l’intérieur, moitié à l’extérieur, sous la porte. Je ne pouvais rien toucher comme si une paralysie totale me prenait. je sentais seulement mes yeux qui bougeaient tout seuls, ou il me semblait qu’ils bougeaient, je ne savais pas.
C’est terrible ce qui m’arrivait, une faim incroyable m’avait prise mais je ne pouvais toucher le pain qui était sur le coin de la table. Puis j’ai vu que le mur était vide, d’un vide que je n’avais jamais vu, que je n’avais jamais senti avant. Et ces jambes – mes jambes – , allongées là, avec des poils lourds, d’une lourdeur que je ne peux supporter. Je n’ai pas su ce qui s’est passé lorsque la nuit est venue. Je n’ai pas allumé la lumière, les heures se sont succédé, et je n’ai pas senti le sommeil.
Et au matin, je n’ai pu distinguer les mots que j’entendais de loin. Je n’ai pas ouvert la porte quand j’ai entendu frapper encore. Et lorsque je les ai entendus, en plein jour, je ne suis pas sorti comme je l’avais décidé le premier jour. Je n’ai pas fait attention à la voix du robinet ouvert. Et je n’ai pas touché – oui, touché – le pain posé sur le coin de la table, je l’ai jeté par la suite afin que la table soit tout à fait vide.
Je ne supportais rien, même pas un tout petit point sur la table. J’ai jeté plusieurs papiers sur lesquels j’avais écrit, avant. J’ai laissé la chaise et je me suis assis sur le froid du sol. Je me suis réjoui de voir le verre vide, les allumettes brûlées jetées ici et là. J’ai éprouvé une joie énorme en voyant une mouche morte. Je me suis vu comme cette mouche, sans mouvements. Les pattes croisées et déformées. Je suis resté comme ça, sans bouger, lorsque j’ai entendu des voix, dehors, et je n’ai pas regardé par la fenêtre.
Tout est loin. Loin. Je me sens très petit, d’une petitesse sans égale, et toute chose est plus grande, très grande. Même ce point que je vois sur le mur. Tout est grand, très grand. Comment ne m’en suis-je pas rendu compte auparavant ? Je me sens très détaché de tout, solitaire, d’une solitude terrible.
Même la faim s’est détachée de moi.
Je la sens plus grande que moi, plus grande que cette pièce même. Je ne parviens pas à la distinguer. J’ai vu une lettre posée là, une lettre que je n’ai pas ouverte, là depuis trois jours. Je ne l’ai pas touchée. Je sens que ma tête est vide, complètement vide, et aucune pensée n’est dedans. Rien. Rien.
Ce mot qui résonne vide dans mon vide. Je sens que quelque chose me tient cloué là, entre ces choses qui ne me concernent pas. J’ai encore entendu – ou imaginé – frapper avec insistance à la porte. Ce sont les autres. C’est leur porte.
Ce n’est pas moi, je n’ai aucune porte. Je n’ai aucun mur.
Ce sont les murs des autres. Je n’ai aucune maison. Même ces choses-là leur appartiennent, à eux.
Ce sont eux qui les ont jetées hors de leurs portes à eux, ce sont eux qui m’ont jeté ici. J’habite entre leurs murs et devant leurs portes. Les gens qui frappent à cette porte, frappent à leurs portes, et peut-être me disent-ils de m’éloigner de leurs portes, de leurs murs.
Que vais-je dire ?
Ai-je vraiment quelque chose à dire ?
–
Abdallah Zrika dans Petites proses, éditions de l’Escampette.
–
Alain Mabanckou – Le livre de Boris
–
Le Livre de Boris
Est ton pays
Celui qui t’ouvre les portes
Sans fouiner dans la besace
De tes songes
Est ton pays
Celui qui t’indique où
Mettre tes songes en lieu sûr
Nul ne naît en terre étrangère
L’espace appartient à l’homme
Dont le sort est d’errer
Ne me demande pas mon pays d’origine
Regarde dans mes yeux baissés
La fêlure des horizons
… Qui t’a parlé du mot exil
Je ne le prononce plus
Bâtis dans ton cœur
Des terres de réserve
Des îles vierges
Ne demande à l’espace qu’un peu d’immobilité
Le temps d’une halte
II faut bêcher le territoire au jour le jour
Y planter un drapeau blanc
Et non des épouvantails
Qui apeurent les oiseaux
L’exil est aussi ce chemin
Qui délivre de la solitude
Tout homme seul
Porte la langueur du temps
Sur ses épaules
II pleure le cloisonnement
De l’espace
Mais toi
Regarde plutôt la splendeur
Des songes égarés
Dans l’herbe de ton enfance…
–
Alain Mabanckou, (Congo)
–
Esther Nirina – Parle du pays où il pleut des pierres de topaze

peinture: Joan Miro. Constellation
Parle du pays
Où il pleut
Des pierres de topaze
Rosées suspendues
Sur toile d’araignée
La distance
N’est plus.
Le pont
Se situe
Entre révolte
Et la barque de prières
Il est temps
De tendre l’ouïe
Aux confidences
De la conscience
Sans s’écarter jamais
De l’œil locomotive
Qui glisse
Dans la nuit du sentier souterrain
Par où
La solitude n’est
Que terre liquide
Qui amasse la mémoire
Du futur
Poème tiré de la partie « De l’obscurité au soleil » du recueil Lente spirale d’Esther Nirina ( auteur Malgache)
–
La solitude du pin ( RC )
–
La solitude du pin, secoué par le mistral
Sans remords, lourd de bruissements,
Se tait, offrant ses épines, au soleil
Et aux senteurs de thym…
Tout tourne autour du centre,
Certains diront « nombril du monde »
< Mais où est donc le centre ,
Si je n’en connais pas l’origine ?
L’humanité commence par le nombril,
Disent-ils avec justesse, dans la tradition congolaise.
Et le monde, … Commence-t-il par le temps,
Et l’horloge du soleil, qui indique , du pin, ses ombres ?
Ou bien le regard, celui de l’enfant,
Que l’on porte , comme nos premières années,
Toujours vivantes, avec la mère, présente
Dans l’humanité, dont elle est l’Origine,
et se tient toujours ici…
–
RC – 18 juin 2013
–
En rapport avec le texte de Norbert Paganelli
Non ce n’est pas facile
De cueillir la main et son ombre
La solitude du thym
Charcuté sans remord
Il faut savoir tendre l’oreille
Et se taire
Captant un silence
Lourd de bruissements
Il faut aussi creuser
Et creuser encore
Et unir la force de l’homme
Au regard incrédule de l’enfant
La femme elle
Se tient toujours ici
Norbert Paganelli http://invistita.fr/
(du recueil »A notti aspeta / La nuit attend »)
–
Saïda Mnebhi – brûler les lourdes portes
–
image: volutes virtuelles – capture d’écran
-Saïda Mnebhi, opposante aux régimes d’oppression qu’elle vécut au Maroc, écrit, > une année avant qu’elle ne succombe, en 1978, à une longue grève de la faim :
–
« Je veux rompre ce silence, humaniser ma solitude
Ils m’ont désœuvrée pour que rouille ma pensée
et que gèle mon esprit.
Mais tu sais toi que je chéris, que tel un volcan qui est en vie
Tout en moi est feu… pour brûler les lourdes portes
Tout en moi est force…pour casser les ignobles serrures… et courir près de toi… me jeter dans tes bras ».
–
d’autres poèmes de cette auteure peuvent être consultés ici: A
——————-> et là; B
–
Claude Saguet – Belle, pour quel désert suis-je promis ?
–
Belle, pour quel désert suis-je promis, pour quel autre
désert s’il faut, à chaque instant, retrouver sa solitude dans tous les yeux qui passent ?
Lorsque les routes se dédoublent et s’amoncellent les fleuves ; lorsque lentement, dans le matin, s’élève l’haleine rouge des heures, je voudrais m’ouvrir comme une parole privée d’air depuis longtemps.
La mer, de tous ces plis, m’apporte des chants sans mémoire qui vont, avec l’entêtement obscur de l’oiseau, pour retrouver un goût de terre et d’orage.
Désert, désert partout ! dans les cercles criants de la sève, dans l’arbre qui se tord pour ne plus exister
Et j’ai peine à croire à notre langage immobile sous les pierres, à ce reflet dans le miroir brisé à l’aube des cascades.
(l’œil déserté version 2 éditions dé bleu 1980)
La nuit m’apporte
un poème d’eau fraîche.
La nuit venue du fond
de ton corps mutilé
je peux la prendre dans mes bras ;
je peux l’avaler toute jusqu’au premier rayon.
La nuit venue du fond de ton corps flagellé
est-elle femme
ou rose noire ?
J’ai fermé portes et fenêtres.
Est-elle femme,
est-elle écho
la nuit venue du fond
de ton corps décharné ?
Je veux en elle
trouver un visage, de quoi me remettre à vivre.
La nuit couvre la plaine
de son lierre fantôme
et j’imagine un corps vivant.
La nuit comme une forêt morte
sur un chemin hanté de plaintives lueurs.
(l’œil déserté version 2 éditions dé bleu1980)
Nicolas Sarafian – foule et solitude

Erevan et mont Ararat : provenance
Nicolas ou Nigoghos Sarafian est un auteur arménien,
qui s’est exprimé sur le génocide perpétré en son pays, et dont on peut retrouver des extraits sur cette page pdf
ainsi que dans le blog de poésie arménienne ( quelques textes sont traduits en français)
« J’aimais la foule, quelquefois. Dans la grande ville, de rue en rue, les soirs, je me livrais au courant du fluide électrique émanant de milliers de corps. Je m’enivrais au bruit marin des innombrables pas. Mais peu à peu, au fil des ans, cette foule m’a jeté dans la solitude. J’ai reconnu la différence entre eux et moi. Et j’étais seul dans ma différence. Et une nuit, sur un trottoir visqueux de
pluie, dans les lumières diverses qui étincelaient au fond du miroir noir, je me suis soudain senti
au-dessus du vide. L’étranger.Mais également un mal plus cruel encore. La terre était seule, errante dans l’espace. Seuls et errants étaient les êtres. Et en même temps l’individu était absent.
Je songeais que l’homme avait été ainsi depuis l’époque préhistorique. Il marchait, parlait, mangeait,
copulait,riait, pleurait, se sacrifiait, poursuivant toujours un mirage, attendant toujours un avenir
qui ne vient pas. Le trottoir bouillonnait sous mes pieds, des pourritures de milliers d’années. Et
moi, seul et errant, je me demandais ce qui se préparait.Un chrême* ou une mixture infernale ? Le
trottoir mouillé du sang d’innombrables vers écrasés. Et les lumières blanches et rouges, vertes et
jaunes des boutiques de luxe qui éclairaient les teignes de la pluie par milliards et qui donnaient
aux passants un masque funèbre comme s’ils fussent tous des morts, se reflétaient dans le trottoir
mouillé, remuaient là quelques générations de méduses et de vipères visqueuses et grouillantes.
J’avais vu la civilisation, mon rêve d’adolescence…
Je l’avais vue et je m’y perdais… »