Esther Granek – Evasion

encres +collage Jane Cornwell
Et je serai face à la mer
qui viendra baigner les galets.
Caresses d’eau, de vent et d’air.
Et de lumière. D’immensité.
Et en moi sera le désert.
N’y entrera que ciel léger.
Et je serai face à la mer
qui viendra battre les rochers.
Giflant. Cinglant. Usant la pierre.
Frappant. S’infiltrant. Déchaînée.
Et en moi sera le désert.
N’y entrera ciel tourmenté.
Et je serai face à la mer,
statue de chair et cœur de bois.
Et me ferai désert en moi.
Qu’importera l’heure. Sombre ou claire …
Thierry Roquet – plus de mystère

tu te regardes dans la glace
tu grimaces
tu n’aimes pas ton reflet
moi je l’aime bien
tu penses que c’est le reflet de quelqu’un d’autre
qui appartiendrait au passé
d’une autre vie
et dont tu souhaiterais effacer
le souvenir
-ce n’est pas possible
alors tu penses que c’est le reflet de quelqu’un
qui vieillit trop vite sans
prendre vraiment part à la vie
-de quelle vie tu parles ?
alors tu éteins la lumière de la salle de bain
et comme la nuit est particulièrement sombre
tu distingues à peine à présent
ton reflet et le mien
et tu m’embrasses
-je nous trouve beaucoup plus mystérieux comme ça
Entre mes doigts, un peu de poussière d’argent – ( RC )

Il y a ce berceau gris
de photographies à moitié développées,
de celles qui emballent
les premiers jours de ma vie :
ce sont dans ces profondeurs du sommeil
où nous nous serions rencontrés,
partageant un rêve inachevé.
Faut-il que j’en sorte,
maintenant un peu plus sombre,
avec le regard qui s’égare ?
Le rêve se serait terminé
sans qu’on s’en aperçoive
et je tiens entre mes doigts
un peu de poussière d’argent.
Le réveil est évanescent :
on me voit adolescent,
accoudé au buffet noir ,
mais la photo ne capte qu’un instant,
pas l’éternité,
et encore moins le futur
où nous pourrions à nouveau, nous rencontrer.
Joseph Brodsky – Dédicace à Gleb Gorbovski
Quitter l’amour, dans le soleil de midi, sans retour,
et le chuchotement de l’herbe sur les pelouses qui s’enfuient.
Dans le nuage brûlant du jour, dans le crépuscule assoupi
l’aboiement des chiens de la nuit traverse les allées obliques.
Il faut résister à notre époque sombre et courir au-delà de ces années,
il faut oublier à chaque souffrance nouvelle l’infortune d’hier,
accepter à chaque instant la blessure et la douleur,
pour entrer paisible dans la brume des aurores vierges.
L’automne et impétueux en cette année de voyages,
les processions silencieuses du rouge et du noir longent le ciel,
près des arbres nus les feuilles s’envolent et trébuchent
contre les fenêtres et les pierres
Joseph Brodsky
Des particules, s’éparpillent dans la fête – (RC )
–
C’est juste une portée du hasard,
Quand se perd le regard…
Il s’essaie au noir,
En reliant les étoiles,
Pour en faire des figures,
Celles que l’on trouve en peinture
Les constellations se bousculent,
Dans une longue suite,
Celle des années-lumière, en fuite.
Quels miracles lient les morceaux d’azur ?
Depuis longtemps basculés dans le sombre…
Je n’en connais même pas le nombre.
Des mondes entiers, des particules,
S’éparpillent dans la fête,
Etoiles filantes , et comètes.
Il ne reste de leur passage,
Qu’une légère trace.
…. L’instant suivant les efface .
Peut-être fourbues…
Dans l’espace inter-sidéral ;
Je me sens un peu perdu
A l’intérieur , même, de cette carte postale.
–
RC- sept 2014
Le matin se déhanche – ( RC )
photographe non – identifié..
–
Comme il fait encore sombre, ce matin,
La rue s’illumine de points.
Les réverbères sur la perspective de l’avenue.
Et puis quelques fenêtres.
Dans l’une d’elles, l’image d’une femme qui se coiffe,
Ses bras sont en l’air,
Elle découpe sa silhouette,
Une danse en S,
Rayée des lames du store,
Le matin se déhanche,
En promesses de jour….
–
RC – nov 2014
Du corps j’ai perdu l’empreinte – ( RC )

photo: Ivar Ivrig
–
Des brûlures noires,
Aux paroles tendues
Se consument encore
Dans un Styx immobile
Quand la pensée se fige,
Etranger à son propre corps,
Un pays natal, où s’oxyde
Une eau au goût,
Qu’on ne reconnaît plus .
Ou seulement le goût
De la cendre,
A regarder s’éloigner,
Toujours davantage,
La rive, les champs.
Ils ne sont plus que surfaces ocres,
Et les arbres une masse sombre,
Un crépuscule du désir,
Et les braises éteintes ;
( du corps j’ai perdu l’empreinte ) .
On y distingue même plus,
Les fleurs piétinées,
Le tout sera bientôt,
Recouvert par un rideau de fumée…
–
RC – 28 novembre 2013
–
Miguel Veyrat – Je n’aurai pas peur de la mort
JE N’AURAI PAS PEUR de la mort
lorsque s’achèveront les mots,
car ma voix s’anime
au vent qui donne la vie,
qui s’agite
ou qui brille en sombre majesté,
et qui parfois frémit.
C’est plus fort
que l’amour et que la peur,
et plus fort
que la mort tout entière. (Un coq
chantera lorsque s’achèveront
les mots
—mystère: Moitié rêve
et moitié miroir l’aiguillon, silence).
Je serai enfin réel: je mourrai
en train d’agir, en train de vivre.
–
Coloration noire ( RC )
–
Quand revient l’été, le soleil ardent
C’est de la surface, le brûlant
Dont nous protègent les arbres, et l’ombre
Pour qu’à la canicule, on choisisse le sombre
C’est bien une histoire en nuances
De sombre, et de clair, c’ est dans la balance
Pigmentés de rose, de jaune de noir
C’est de la peau, raconter l’histoire
Une enveloppe qui recouvre le corps
Protection, des aventures du dehors
Les aspects variés, certains diront , les races
Moi, je resterai, en couleurs, sur la surface
Pour fuir les idées simplistes
Pouvant conduire, celles du raciste
La couleur de la peau, la coloration
Rime trop souvent, avec ségrégation
RC- février 2012
Bombardements de Homs (RC)
photo d’actualité- immeuble détruit à Homs
Il y a quelque chose de la nuit
D’un grand oiseau sombre
Qui replie lentement ses ailes
La venue incertaine du jour,
La quête du regard
Au milieu des grisailles
Quand dans les maisons tombées
Et les corps écrasés
Surgit encore la plainte
D’un nouveau né.
RC 5 juin 2012
–
L’horloge du soleil, n’a pas d’aiguille (RC)

photo perso: Champerboux ( Lozère)... soleil au soir sur le causse de Sauveterre d'autres idées de la région ? - c'est sur photo-loz
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Si l’ombre , avec le soleil, joue à cache-cache
Les nuages au-dessus des vallons, font » tache »
Poussés par le vent, ils balaient l’ennui
Et dessinent, en contraste, des morceaux de nuit
C’est comme d’une grande toile, le dessin
Et au fond, apparaît des maisons de village, l’essaim
Alors, brille soudain d’une fenêtre, le reflet
Un éclat, qui clignote un instant, – en effet
En réponse aux nuages, un instant distraits
Laissant s’évader, de la lumière, un trait
Un trait de pinceau qui repousse l’ombre
Couleurs, retrouvées, que les nuées encombrent
L’horloge du soleil, n’a pas d’aiguille…
Elle désigne, de surprise, un endroit qui vacille
Se dérobe soudain, pour naître encore au regard
Au jeu des statues d’ombres, fruit du hasard
—-
Si l’horloge se figeait – et qu’elle s’immobilise
Un arrêt sur l’image – le temps n’a pas de prise
Le passager, dédaignant les passages furtifs
Fixe, en dehors des jours et heures, le définitif
Tel endroit, empêtré dans l’ombre, jamais ne se réveille
Et tel autre se dessèche, toujours sous le soleil
Voilà qui sur terre, ferait du bruit
A vouloir échanger des morceaux de nuit
Contre, des îles de soleil, la caresse
Toutefois, sous l’ère de la sécheresse
On inventerait un jeu de miroirs
Pour prélever du clair, sur le noir
On ferait appel aux sorciers, et leurs grimoires
Pour trafiquer, les cours de l’espoir
Ce serait, – vous m’avez compris
Encore un mirage, de l’esprit
—-
Mais rassurez vous, ce n’est qu’une illusion
La terre a repris, lentement, sa rotation
Et en levant les yeux, – au dessus de votre rue
Car le soir a placé ses pions, et la lune, – apparue…
–
RC – 16 avril 2012
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voir précisément à ce sujet les photos de lumières de juin, ici
–
Michel REYNAUD, – Ote – (Mon corps me manque)
ÔTE
cherche la conque
où résonnent les paroles
là où il fait sombre
se trouvent les orages
sous les dents
de la pluie
cherche
main ne te protège pas
ôte encore toujours
tes vêtements
qui retomberont
comme mots sur la page
si le fou ou l’impudique
répond que tu n’es pas
mais ôte encore
ôte toujours.
Michel REYNAUD, Mon corps me manque, Mars 2011