Rabah Belamri – l’oiseau

l’oiseau qui fait courir les bergers
ne viendra pas
la fenêtre restera déserte
cette nuit il chantera pour la rose
(le songe émigre avec le verbe)
l’oiseau qui fait courir les bergers
viendra ce soir
la fenêtre restera ouverte
sur la douleur de la rose
L’infini ne reconnaît pas les créatures de l’esprit – ( RC )

Tout glisse entre leurs mains ouvertes,
et peut-être les transperce,
Ils sont sans doute
des créatures de l’esprit,
qui ne connaissent pas le poids des choses,
et peuvent marcher sur l’eau
sans qu’elle ne s’en aperçoive…
J’en ai vu qui ont traversé les façades,
ignorant les habitants,
mais chargés de la couleur des murs.
Les plus audacieux se sont risqués
à escalader le ciel
sur une échelle
allant vers l’infini,
mais ils ont présumé de leur force,
car l’infini ne reconnaît pas
les créatures de l’esprit.
Ils ont chuté
comme Icare en son temps,
pour se dissoudre
comme un songe, au réveil,
dès qu’arrive le soleil…
Izou, couleur de fumée – ( RC )

Où es tu maintenant
toi qui veillais sur mes nuits,
poids doux de tes pattes
sur mon visage ?
Pelage gris-brun
l’ ange animal
qui veillait
sur le château de la nuit…
Toute proche encore
à la façon d’un enfant
qui se pelotonne
dans mes rêves.
Petit cœur battant
dans un corps
couleur de fumée,
velours de l’ombre …
Et soudain,
la coupe des jours
sonne par le creux
de ton existence.
Ainsi la vie s’absente,
la sonate s’est tue,
la corde du violon
brisée, ne peut être réparée .
Pourquoi faut-il
que rien ne perdure,
que la lumière de ton regard
s’éteigne ?
Pourquoi as-tu quitté mon songe éveillé
et les lueurs du jour ?
Il n’y a pas de réponse,
je le sais .
Rien d’autre que le souvenir .
C’est peu de chose ;
dans l’immatériel,
tu continues à vivre ainsi .
Où es-tu maintenant ?
–
RC- juill 2019
Jeux du songe – ( RC )

( variation – réponse sur un texte d’Andrée Chédid )
Les jeux du songe
sont transparents
au flux du présent.
Les remous du cœur
me plongent
dans la toile de la vie
où passe l’empreinte de l’ange
quand nos ombres
lentement se mélangent
comme deux âmes sœurs.
-RC-
Je navigue
Sur les jeux du songe
Sur le flux du présent
Sur l’élan de l’âme
Sur les remous du cœur
D’instant en instant
Au rythme du temps qui nous modèle
Nos ombres se démènent
Sur la toile de vie.
( Andrée Chedid )
Benjamin Fondane – toute la douleur du monde
C’est toute la douleur du monde
qui est venue s’asseoir à ma table
– et pouvais-je lui dire : Non ?
Je m’étais fait si petit,
une petite chenille, et j’ai éteint la lampe
– mais pouvais-je savoir qu’elle mûrissait dedans
et pouvais-je m’empêcher qu’elle sortît un jour,
une chanson entre ses ailes ?
J’ai dit à la douleur du monde
qui s’est couchée sous mon ventre :
N’ai-je pas assez de la mienne ?
Vois : j’ai ma propre soif !
On ne peut pas toujours demeurer une chenille
la terre m’est rugueuse au ventre
elle me fait mal votre terre
je suis né pour voler…
D’un bond je lui tournai le dos –
mais elle était déjà dans mon songe.
– Est-ce mon sang qu’elle voulait ?
J’ai dit la douleur du monde
– C’est une ruse, une sale ruse.
Voilà que tu chantes en t’en allant…
-Mais à ma place, dites, l’auriez-vous oubliée ?
(1944, Au temps du poème)
James Joyce – musique de chambre V
assemblage: Joseph Cornell » Cassiopea »
V
Quand l’étoile s’élance au paradis,
Timide et inconsolée, chastement ;
Daigne entendre dans le soir assoupi
Celui qui à ta porte vient chantant.
Son chant est plus tendre que la rosée
Et lui est venu pour te visiter.
Ô ne te penche dans la rêverie
Quand il t’appelle à l’orée de la nuit.
Ni ne songe «Qui est donc le chanteur
Dont tombe ce chant qui parle à mon cœur ?»
Reconnais l’amoureuse mélopée :
C’est moi qui suis venu te visiter.
V
When the shy star goes forth in heaven
All maidenly, disconsolate,
Hear you amid the drowsy even
One who is singing by your gate.
His song is softer than the dew
And he is come to visit you.
O bend no more in revery
When he at eventide is calling.
Nor muse : Who may this singer be
Whose song about my heart is falling ?
Know you by this, the lover’s chant,
’Tis I that am your visitant.
Bernat Manciet – Sonets – XIV
XIV
Toi qui m’es songe plus même que songe
lorsque te tresses en lierre dans mon sommeil
l’éclairant de grappes noires
songeur de mille songes souples
m’acheminant aux sentiers sûrs du somme
plus ils se démêlent et plus je m’y élance
plus ils s’assombrissent et plus je m’enflamme
jusqu’à l’étreinte en resplendissant rien
d’écarts de fuites tu me réconfortes
tu m’es le vent qui se meurt aux jardins
un Etranger qui fonde ma maison
car plus solide que pierre de taille
plus sûr qu’en juin le grand soleil
le mal de toi qui dort dans ma poitrine.
–
Bernat Manciet est un auteur occitan, natif des Landes, ce texte est extrait d’un recueil appelé « Sonets »…
Patrick Laupin – l’homme imprononçable – extr 01
photographe non identifié
–
Je voudrais que s’entende comment la violence historique rentre dans les corps, crée en chacun une parole non parlée, un soliloque muet.
D’ordinaire la poésie arrive à ça par des abréviations fabuleuses et des synthèses de foudre donnant à lire toute la structure du langage en abîme.
J’entends une poésie qui ne trahisse pas la réalité. J’imagine un théâtre, simple odyssée sous les arbres, solitaire, tacite ou social, où l’auditeur soit dans la position d’entendre ce qu’il écoute comme s’il ne l’avait jamais encore entendu prononcer, bien que vivant de tout temps de ce débordement concentré de sa propre énergie singulière.
Où soient des adresses, des voix, un lieu de la parole en soi pour qu’elle puisse exister. Sans quoi, le tragique de la folie le prouve, l’homme est un être donné pour le néant et la disparition. Que la voix retraduise ça, le lieu, le geste, le fuyant.
Que s’entendent ces voix, vulnérables de songe, sentences retorses qui évident le mensonge, une beauté statuaire dans le calme plat de l’invective.
Je voudrais que s’entende une langue qui par la répartie instantanée retourne le sens à son vide, à la cruauté rapace d’envol qui dort dans la guerre intestine des corps, à la douceur élue de la beauté.
Ennuis, soleils, traites impayées, corps courbaturé et l’oppression, le souffle de la révolte.
Je me dis qu’une page est tracée diaphane chaque jour au soupir de notre disparition.
Je voudrais lui rendre son invention de chair, de verbe et d’insurrection sacrée.
(extrait de L’Homme imprononçable, La rumeur libre éditions, 2007)
Michel Camus – proverbes du silence et de l’émerveillement – la maternelle vacuité du silence
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Absolue la maternelle vacuité du silence
Imprononçable le mot de l’énigme au cœur de la vie
Indéchiffrable le signe muet de sa présence
Abyssal le songe éternel du regard
Immortelle la part de silence au cœur de l’homme
Quel poète n’est pas écartelé par l’exil de sa langue
dans l’éden du silence
Le poème comme instrument du silence dans la musique de la langue
Le silence, dites-vous, est un concept
Et si le concept était un germe issu du silence
Loin d’être la négation de la langue le silence est son double secret, germe intime et matrice infinie
Car du corps-du-silence naît le souffle et du souffle la parole
que le sens insensé du silence ensemence
Que sait-on sans mot dire
Par le silence le poète s’efface par la poésie le silence se dépasse
Duplicité du silence, duplicité du poème nous comblent d’incertitude
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Proverbes du silence et de l’émerveillement , Éd. Lettres Vives, coll. Terre de poésie
–
Jean-Baptiste Tati-Loutard – désirs et songes
Nos désirs se sont accomplis dans les songes ;
Les lits, les rues, les mémoires restent vides.
Déjà ta vie s’incline :
Au-dessus de toi, elle s’épaissit
En un ciel de sauterelles.
La colline aux cigales: Derrière, tout au fond.
Derrière, tout au fond.
Un jour après l’autre
Part dans la nuit
Concorde électrique
La lueur que jadis
Tu tenais
Comme une pierre échappée
Du cerceau des songes
L’air se détache des ombres fluettes
Il enterre les vagues
Qui roulaient sur nos peaux avides
Et, il nous reste l’aube fraîche
Pour dernier repas
Pour dernière tentation
Il reste l’absence en miettes
Pour illuminer ce qui gît
Sous les pieds du temps
Notre espace
Friche abandonnée
Au désastre
Reluie comme au premier jour
Nos paupières
Sont les pages du livre
Qui dorment dans le feu.
voir le blog de la colline aux cigales

photographie: bâtiment de port, abandonné: voir http://www.flickr.com/photos/jimmediaart/371793938/
Marina Tsvétaieva – la maison de Moscou ( 1916 )
Ce texte est extrait d’une publication de poèmes inédits de « Vanves »…
que je me suis procuré récemment…
La maison de Moscou.
Dans ma ville immense c’est la nuit, Maison en sommeil, je te fuis, Les passants pensent : femme, fille Mais moi je ne retiens que – la nuit
Le vent balaie ma route, c’est juillet
Musique, fenêtre, une lueur,
À l’aube, au vent, je marche vite,
Mais je n’ai retenu que – la nuit.
Peuplier, lumière, fenêtre, ‘
Fleur dans ma main. Une cloche sonne,
Un pas au loin et il ne suit personne, Une ombre là, et ce n’est pas la mienne
À ma bouche – goût de fleur.
Sur mon sein
Feux dorés, fils serrés en collier.
Votre songe – c’est moi, libérez
Ô amis, le poète de ses liens.
(Moscou, 1916, Insomnie, cycle de onze poèmes.)